Annonce

Réduire
Aucune annonce.

La philosophie-islam

Réduire
X
 
  • Filtre
  • Heure
  • Afficher
Tout nettoyer
nouveaux messages

  • La philosophie-islam

    C’est au 6e/12e siècle que l’autre grande école de philosophie — ou plus exactement de « théosophie » au sens premier du terme — apparut en Islam. Fondée par Suhrawardi, l’école illuministe — ichrâqt — se développa en opposition avec le Péripatétisme — machchä&’i — qui recherchaïit la vérité avec les arguments de la raison. Pour les Illuministes, qui s’inspiraient tout autant de la révélation islamique que de la sagesse du Platonisme, et des anciens Perses, l’usage de la raison était parfaitement compatible avec l'intuition intellectuelle et Pillumination. Les philosophes rationalistes ont certes modelé le lexique des théologiens musulmans, mais progressivement ils se sont aliéné les éléments orthodoxes parmi les théologiens et les gnostiques; après la « réfutation » d’El-Ghazäli, ils n’exercèrent plus qu’une influence restreinte sur l’opi- nion musulmane. C’est précisément au moment où l’on consacre — bien abusivement — le tarissement de la philosophie islamique, que l’Illuminisme entre en scène et se trouve en fait, de conserve avec la gnose, au cœur même de toute vie intellectuelle en Islam. Par un mouvement inverse significatif, le Platonisme augustinien — pour qui la connaissance vient de l’illumination — s’efface devant le Thomisme aristotélicien, hostile à la doctrine même de la lumière.
    L’attitude des chiites diffère de celle des sunnites à l'égard de la philosophie. Les sunnites l’ont presqu’entièrement répudiée après Averroès, ne gardant que la logique, la science de l’argumentation, et diverses croyances cosmologiques, qui réapparaissent dans les énoncés de la théologie et dans certains enseignements soufis. À rebours, chez les chiites la permanence de l’enseignement tradi- tionnel dans son intégralité a gardé vivants aussi bien le Péripatétisme que l’Illuminisme, et des philosophes aussi illustres que Mollà Sadrâ, contemporain de Descartes et de Leïbnitz, sont très postérieurs à ce qu’on considère, de façon bien conventionnelle, comme la phase « productive » de la philosophie musulmane.
    Mais les perspectives sunnite et chiite orientent l’Islam dès les origines selon deux orthodoxies également légitimes dans l'interprétation de la révélation, et adaptées à des constitutions mentales et psychologiques particulières. Les chiites ont toujours constitué une minorité, et ils représentent aujourd’hui un sixième à un cinquième du monde musulman. Leur importance spirituelle et culturelle a cependant compté beaucoup plus au cours de l’histoire que leur nombre ne pourrait l'indiquer actuellement; cela est particulièrement vrai des 4eme/10eme et 5eme/ 1eme siècles, où ils contrôlaient de vastes régions. La Perse est dominée par les chiites duodécimains depuis le 10eme/ 16eme° siècle, et ce n’est pas un hasard si la philosophie y a trouvé après la mort d’Averroès sa terre d'élection. La sont considérées ici comme un préalable à l'étude des doctrines des illuministes, qui constituent à leur tour une initiation à la gnose pure.
    Deux rameaux de l’islam chiite présentent un intérêt particulier pour la philosophie, l'école ja’farite, et l’ismaélisme dont l'influence politique et culturelle fut considérable au Moyen-Age. Les imams chiites sont les interprètes par excellence du sens profond de toute chose, du livre de la Révélation, comme du livre de la Nature. Ils connaissent le principe de toute science, naturelle et surnaturelle; certains d’entre eux, en particulier Ja’far es-Sâdiq, avaient même une connaissance approfondie des sciences naturelles. Le grand alchimiste Jâbir Ibn Hayyân se reconnaissait disciple de l’imam Ja’far. En fait c’est à la communauté de pensée entre plusieurs imams et des maîtres de la science grecque, que l’on doit l'intégration de l’hermétisme dans l'Islam, et la reconnaissance de la légalité des dites sciences par les chiites.
    Ceux-ci avaient une prédilection pour les disciplines cosmologiques, et nombre de savants et philosophes parmi les plus célèbres sont sortis de leurs rangs — Avicenne, Nâsir-i Khusrau, Nasîr ed-Din Et-Tûsi. Une vaste littérature faisant généreusement appel au symbolisme numérique et alchimique, appréhende le monde physique comme une phénoménologie des ordres supérieurs du réel. La Nature est un texte dont la signification ne peut être saisie que par interprétation symbolique — ta’wil. Pour les chiites, proches en cela des soufis et de certains philosophes, l'univers est une hiérarchie des états de l’Etre voués à regagner l’indistinction ultime de leur origine unique.
    Le passage suivant du philosophe et poète soufi du 8e/14e siècle Afdal ed-Dîn EI-Kâchâni, ami de Nasîr edDiîn Et-Tâsf, illustre bien la conception chiite de la Nature:

    Les créatures sont de deux sortes : celles qui reçoivent l'acte, qui sont créées, et les êtres des origines, ou archétypes, qui sont éternels. Le lieu des êtres créés est appelé « monde de l’existence », et le domaine des archétypes « monde de l'éternité ». On les appelle aussi respectivement « monde de la Nature » et « monde de l’intellect », ou encore domaines du « particulier » et de l’« universel ». Mais toutes ces expressions ne visent qu'à unique affirmation qu'il existe deux mondes, l'un réel, l'autre symbolique. La nécessité appartient au réel, l'univers du symbole est contingent. L’universel est réel, le particulier est symbole. Et les êtres particuliers ne sont qu'un reflet symbolique de l'universel. Les créatures qui peuplent ce monde ne subsistent que par les archétypes de l'autre.
    Tout être particulier possède mesure et quantité, alors que le domaine de l’universel ignore ces catégories. Le monde du devenir n’est pas vivant par lui-même, il vit de ce qui lui vient d’ailleurs, alors que les êtres du monde éternel existent par eux-mêmes. La connaissance sensible de ce monde est l'image de la connaissance intelligible de l'autre, comme le monde physique est symbole et image du monde spirituel".


    La pensée d’El-Kindi et d'El-Fârâbi trouve sa perfection chez Avicenne, fondateur véritable d’une philosophie proprement médiévale, le plus grand savant-philosophe du monde musulman. Il est le hakîm achevé, qui assume l’unité des différentes branches de la connaissance. Après sa mort, son œuvre devint la source d'inspiration où puisèrent des écoles aussi nombreuses que différent
    Avicenne ne fut pas seulement un péripatéticien capable de nuancer les doctrines d’Aristote avec des éléments du Néoplatonisme, et un savant observateur d’une Nature ordonnée aux catégories de la pensée médiévale, il fut lun des précurseurs de la métaphysique illuministe - ichrâg — dont le Maître devait être Suhrawardi. Dans ses derniers ouvrages, Le récit visionnaire et le traité sur l'amour, le cosmos de la philosophie syllogistique est devenu l'univers des symboles à travers lequel le voyage gnostique conduit à la béatitude. Dans la Logique des orientaux, passage d’un livre plus vaste aujourd’hui perdu, Avicenne renia ses propres ouvrages de jeunesse, de veine essentiellement aristotélicienne, comme étant tout juste bons pour le commun, et il annonçait pour l'élite une « philosophie orientale ». Sa trilogie — Hayy Ibn Yaqzân (Le Vivant, fils du Vigilant), Et-Tayr (L'oiseau), et Salämän wa Absâl — traite le cycle complet du voyage gnostique, du « monde des ombres » à la Présence divine, l'Orient des lumières. Dans ces textes les contours de l'univers des philosophes et des savants du Moyen-Age sont inchangés; le cosmos est intériorisé par le gnostique

    - c’est une « crypte » intime, par rapport à laquelle l'initié doit s'orienter, et à travers laquelle il entreprend sa migration. Les phénomènes de la Nature deviennent de transparents symboles, dont la signification spirituelle appartient au pèlerin du voyage cosmique.
    La totalité de l’œuvre d’Avicenne illustre la hiérarchie du savoir dans la société musulmane. Observateur et praticien dans des disciplines comme la médecine et la géologie, il développa une philosophie péripatétique plus proche de celle de Plotin que d’Aristote, et composa des textes gnostiques, que les illuministes commentèrent longuement. On découvre en le lisant, l'harmonie de la connaissance, sensible, rationnelle et intellectuelle, ell même fondée sur une hiérarchie présente au cœur même de toute chose, et qui renvoie, en dernière analyse, aux états et aux degrés multiples de la manifestation cosmique.

    Son Livre de «*la guérison*» qui est l'exposé le plus complet de l'Aristotélisme islamique, traite de toutes les branches des sciences de la Nature — certaines au terme d'années d'observation, comme la géologie — comme de la logique, des mathématiques et de la philosophie première. Mais Avicenne élabora également une cosmologie où les planètes correspondent aux diverses intelligences angéliques,
    tout étant émanation de l’Intellect premier. Les interprètes latins d'Avicenne penchaient pour la critique d’une telle angélologie, cela est particulièrement net dans les attaques de Guillaume d'Auvergne. Pourtant, dans le monde musulman, et surtout en Perse, la cosmologie d’Avicenne fut interprétée à la lumière de cette angélologie, et le caractère sacré de l'univers fut ainsi toujours sauvegardé, offrant une harmonie pérenne aux réalités de la religion. Dans son cycle narratif, et dans quelques poèmes et courts traités moins connus de ses lecteurs occidentaux que sa pensée « exotérique », Avicenne affirme le primat de l'intelligence, du monde angélique sur le monde sensible des hommes, et le nécessaire retour de l'âme humaine, exilée dans le « séjour des ombres », à l'existence angélique d’où elle est issue. Dès lors que l'Intellect est le principe de l'univers, l'âme ne progresse dans la connaissance du cosmos qu’unie à l’Intellect — elle a réintégré sa nature angélique. Cette idée est développée dans le poème d’Avicenne sur l'âme :

    «*Des régions supérieures, ineffable et céleste,
    cette colombe est descendue sur toi.
    Dérobée aux regards qui la pouvaient connaître,
    sans qu'aucun voile n’empéchât les hommes de la voir.
    A contrecœur elle a cherché, dolente elle Pa rejoint,
    et de quitter ton corps, elle semble plus chagrine encore.
    Rétive, elle ne se prête pas à prompte soumission,
    pourtant elle Pa rejoint, et lentement s’est faite à ce déser aride,
    jusqu'à ce qu'oubliés fussent son repaire et sa vérité,
    aux célestes jardins qu’elle répugnait tant de laisser.
    Quand elle en fut au D de sa descente, et pour la terre,
    contre son gré, vers le C du centre partie,
    l'œil d'infirmité la saisit et la précipita
    en les désolations de ce monde ruiné.
    Elle pleure sur le séjour et la paix de jadis,
    les larmes, de ses yeux, roulent sans fin ;
    plaintive, endeuiliée, elle médite,
    comme captive, sur un foyer aux traces délaissées
    par le vent des quatre horizons.
    Etroits sont les rets qui la tiennent, et la cage rigide
    qui l'empêche de gagner la spacieuse légèreté des cieux.
    Mais quand vient l'heure du retour à la sphère plus vaste,
    elle chante sa joie du voile aboli qui lui rend la vision
    des choses qui échappent à l'œil même de l'attentif;
    et son chant monte dans les airs,
    et elle de revenir, en sa robe sans tache
    instruite de l'univers caché.
    Mais pourquoi fut-elle ainsi chassée d’un royaume élevé,

    en les sombres et tristes abysses du Nadir?
    Vers l'horizon de quel profond dessein, Dieu l’a-t-il m route,
    trompant la vigilance des veilleurs les plus sûrs?
    Son exil est-il tant rigide et sage discipline
    pour lui ouvrir les portes du savoir?
    Quand loin de son levant, se couche enfin son astre,
    elle rencontre le destin pillard,
    telle, sur les prairies baignées, l'espace d’un instant,
    une lumière s’efface, qui peut-être ne fut jamais.*»


    Ce poème arabe d'e beauté a inspiré de nombreux commentaires à travers les siècles.
    Dans le Récit visionnaire, le naturaliste, savant et philosophe, devient navigateur des océans cosmiques, et le passeur du rivage des formes grossières au Principe divin. Son immense savoir, illuminé par la vision intellectuelle, lui permet de décrire avec une grande beauté le panorama de l'univers qui s'offre au cheminement de l’initié. Et les sciences de la Nature, primitivement extérieures et indirectes , sont ici changées en réalités immédiates et directes. Le cosmos que doit parcourir celui qui cherche la connaissance vraie au-delà des théories, est intériorisé, et l’initié « devient » le cosmos.
    Avicenne commence le Récit par un portrait du sage, symbole de la lumière de l'intuition intellectuelle, guide du pèlerin, dont les paroles disent l'anatomie de l'univers, cette «*crypte » cosmique où maître et disciple vont pénétrer ensemble. Le sage dit :

    .../...

  • #2
    .../...

    Mon nom est Vivens; mon lignage, filius Vigilantis; quant à ma patrie, c’est la Jérusalem céleste (lit. la « Demeure Sacrosainte » (al-Bayt al-Moqaddas). Ma profession est d'être toujours en voyage : faire le tour de l'univers au point d'en connaître toutes les conditions. Mon visage est tourné vers mon père, et mon père est Vigilans. J'ai appris de lui toute science, les clefs de toutes les connaissances m’ont été données par lui. Vers les extrêmes plages de lunivers, c'est lui qui m'a montré les chemins qui sont à parcourir, de sorte que par mon voyage en embrassant le tour, c'est comme si tous les horizons de tous les climats se trouvaient rassemblés devant moi (.….)
    Il me dit : « Les circonscriptions de la Terre sont triples : l'une est intermédiaire entre l’Orient et l’Occident. C’est celle que l'on connaît le mieux; de nombreuses informations en sont parvenues jusqu'à vous et ont été parfaitement comprises. Parvenue également jusqu’à vous la notification des choses merveilleuses que contient ce climat. Mais il existe deux autres circonscriptions étranges : l’une au-delà de l'Occident, l'autre au-delà de l'Orient. Pour chacune il y a une barrière faisant obstacle entre ce monde-ci et cette autre circonscription, car nul ne peut ÿ arriver ni ne peut en forcer le passage, hormis les Elus d’entre la masse, ceux qui ont acquis une force n’appartenant pas initialement à l'homme par droit de nature.

    Ce qui aide à acquérir cette force, c’est de se plonger dans la source d’eau qui court au voisinage de la Source permanente de la Vie. Lorsque le pèlerin a &té guidé sur la voie menant à cette source, et qu'alors il s’y purifie et boit cette eau très douce au goût, dans ses membres se lève une force nouvelle qui le rend capable de traverser les déserts immenses. Il semble que les déserts s’'involuent devant lui. Il ne sombre point dans les eaux de l'Océan ; il gravit sans souffrance la montagne de Qf, et les gardes ne l'en peuvent précipiter dans les abimes de l'enfer. »
    Nous lui demandâmes de nous expliquer plus longuement ce qu'il en était de cette Source. Alors il dit : « Tu auras entendu parler des Ténèbres qui règnent en permanence aux abords du pôle. Chaque année le Soleil levant brille sur elles à un moment déterminé. Celui qui affronte ces Ténèbres et ne redoute pas de s'y enfoncer par peur des difficultés, parviendra à un vaste espace, illimité et rempli de lumière. La première chose qui se présente à lui est une source vive dont l'eau se répand comme un fleuve sur le barzakh. Qui- conque se baigne en cette source, devient léger au point de marcher sur les eaux, de gravir les hauts sommets sans en éprouver de fatigue, jusqu'à ce que finalement il parvienne à l'une de ces deux circonscriptions dont ce monde-ci se trouve coupé ».
    Alors je le priai : « Enseigne-moi ce qu'est la circonscription de l'Occident, puisque l'Occident est plus proche de nos cités. » IL me dit : « Au bord le plus lointain de l'Occident il est une vaste mer qui dans le Livre de Dieu est appelée Mer chaude (et boueuse). C’est dans ces parages que le Soleil se couche. Les courants qui se jettent dans cette mer, proviennent d’un pays inhabité dont personne ne peut circonscrire l’immensité. Nul habitant ne le peuple, hormis des étrangers qui y surviennent inopinément, venant d’autres régions. La Ténèbre règne à demeure sur ce pays. Ceux qui y émigrent, obtiennent un éclair de lumière chaque fois que le Soleil incline vers le couchant. La terre en est un désert de sel. Chaque fois que des gens s’y fixent et se mettent à la cultiver, elle n'en veut pas elle les expulse, et d’autres prennent leur place. Y entreprend-on une culture? Elle est dispersée. Y construit-on un édifice? il s'écroule. Entre ces gens règne dispute perpétuelle, ou plutôt combat meurtrier. Tout groupe qui est le plus fort, s'empare du foyer et des biens des autres, et les force à émigrer. Ils souhaitent de se fixer ; à leur tour ils ne récoltent que pertes et dommages. Telles sont leurs mœurs ; jamais ils ne s’en relâchent.

    Toutes sortes d'animaux et de végétaux font apparition en ce pays; mais lorsqu'ils s’y fixent, en paissent l'herbe et en boivent l'eau, voici que les recouvrent des enveloppes étrangères à leur Forme. On y voit, par exemple, l'être humain que recouvre la peau d’un quadrupède, tandis que croît sur lui une végétation abondante. Ainsi en va-t-il pour les autres espèces. Et ce climat est un lieu de dévastation, un désert de sel, rempli de troubles, de guerres, de disputes, de tumultes ; joie et beauté n’y sont qu’un emprunt procuré d’un lieu lointain.

    Entre ce climat et le vôtre il est d’autres climats. Cependant au-delà de ce climat-ci, commence, avec la région où sont posés les Piliers des Cieux, un climat qui ressemble au vôtre par plusieurs traits. En premier lieu, c'est une plaine déserte; elle n’est peuplée, elle aussi, que d'étrangers venus de lieux lointains. Une autre ressemblance, c’est que ce climat emprunte sa lumière à une source étrangère, tout en étant plus proche de la Fenêtre de la Lumière que les climats décrits par nous jusqu'ici. En outre, ce climat-là sert de fondation aux Cieux, de la même manière que le climat précédent sert d’assise à cette Terre, en est le fond permanent. En revanche, les habitants qui peuplent cet autre climat, sont des sédentaires à demeure. Entre les étrangers qui ÿ sont venus et s'y sont fixés, il n’est point de guerre; ils ne s’emparent pas par la violence du foyer et des biens les uns des autres. Chaque groupe ÿ a son domaine déterminé, dans lequel aucun autre ne vient lui faire souffrir violence
    Par rapport à vous la plus proche contrée de ce climat qui soit habitée, est une région dont les habitants sont un peuple de taille exiguë et aux mouvements rapides. Leurs cités sont au nombre de neuf.

    A cette région fait suite un royaume dont les habitants sont de taille encore plus exiguë que les précédents, tandis que leur marche est encore plus lente. Ils aiment passionnément les arts de l'écrivain, les sciences des astres, la théurgie, la magie; ils ont le goût des métiers subtils et des travaux profonds. Leurs cités sont au nombre de dix.
    À cette région fait suite un royaume dont les habitants sont extrémement beaux et aimables ; ils aiment la gaîté et les réjouissances ; ils sont exempts du souci; ils ont un goût raffiné pour les instruments de musique, et en connaissent de multiples espèces. C’est une femme qui règne sur eux en souveraine. Une disposition naturelle les porte vers le bien et le beau ; quand ils entendent parler du mal et de la laideur, ils sont saisis de dégoût. Leurs cités sont au nombre de neuf(...)

    Vient ensuite un royaume immense, aux vastes contrées espacées. Ses habitants sont nombreux. Ce sont des solitaires ; ils n'habitent pas dans des villes. Leur séjour est une plaine déserte où rien ne croît. Il est divisé en douze régions, les- quelles renferment vingt-huit stations. Aucun groupe ne monte pour envahir la station d’un autre, sinon lorsque celui qui l'y précède s'est retiré de sa maison; alors il se hâte pour l'y remplacer. Tous les migrateurs expatriés dans les royaumes que nous avons précédemment décrits, voyagent de par ce royaume-là et y évoluent.
    En est limitrophe un royaume dont personne n'a entrevu ni atteint les limites jusqu’à ce jour. Il n'y a ni ville, ni bourg. N'y peut trouver asile quiconque est visible avec les yeux du corps. Ses habitants sont les anges spirituels. Aucun humain n'y peut accéder, ni prendre demeure. De là descendent l’Impératif divin, et la Destinée, sur tous ceux qui s'échelonnent au-dessous. Au-delà il n’est plus de terre qui soit habitée. Bref, ces deux climats auxquels sont conjoints les Cieux et la Terre sont du côté gauche de l'univers, celui qui est l'Occident (...)

    Celui à qui l'on enseigne certaine route menant hors de ce climat, et que l'on aide à mener à bien cet exode, celui-là trouvera une issue vers ce qui est au-delà des sphères célestes. Alors, en un coup d'œil fugitif, il entrevoit la postérité de la Création Primordiale, sur laquelle règne un roi Unique, Obéi.
    Là même, la première des délimitations est habitée par des familiers de ce Roi sublime, éternellement assidus à l'œuvre qui les rapproche de leur Roi. C'est un peuple très pur qui laisse sans réponse toute sollicitation de gloutonnerie, lascivité, violence, jalousie ou paresse. Ils ont reçu pour mission de veiller à la conservation des remparts de cet empire, et c'est là qu'ils se tiennent. Ils habitent donc dans des cités ; ils occupent de hauts châteaux et des édifices magnifiques, dont le matériau a été pétri avec tant de soin qu'il en est résulté une pâte ne ressemblant en rien à l'argile de votre mat. Ces édifices sont plus solides que le diamant et l'hyacinhe, et plus que toutes les choses dont l'usure demande le plus de temps. Longue vie a été donnée à ce peuple ; ils sont préservés de l'échéance de la mort ; celle-ci ne pourrait les atteindre qu'après de longues, très longues durées. Leur règle d'existence consiste à entretenir les remparts en exécution de l'ordre donné. Au-dessus d'eux il est un peuple qui à commerce plus intime avec le Roi, et qui est attaché sans relâche à son ser- vice. Ils ne sont point humiliés d’avoir à remplir cet office ; leur état est préservé de toute atteinte, aussi ne changent-ils pas d'occupation. Ils ont été choisis pour être des intimes, et ils ont reçu le pouvoir de contempler le palais le plus élevé et de se tenir tout autour. Ils ont été gratifiés de la contemplation du visage du Roi, en une continuité sans rupture. Ils ont reçu en parure la douceur d’une grâce subtile dans leur nature, la bonté et la sagesse pénétrante dans leurs pensées, le privilège d'être le terme final auquel réfère toute connaissance. Ils ont été doués d'un aspect éblouissant, d'une beauté qui fait trembler d'admiration, d’une stature qui a atteint sa perfection. Pour chacun d'eux une limite a été fixée qui lui appartient en propre, un rang déterminé, un degré divinement ordonné, que nul autre ne lui conteste et dans lequel il n’a pas d'associé, car tous les autres ou bien sont au-dessus de lui, ou bien trouvent de la douceur, chacun respectivement, à son rang inférieur. Parmi eux, il en est un dont le rang est plus proche du Roi, et c’est leur « père », eux-mêmes en sont les enfants et petits-enfants. C’est par lui qu’émanent vers eux le verbe du Roi et son ordre. Et leur

    condition comporte entre autres merveilles celle-ci : que jamais le cours des temps n’expose leur nature aux marques et flétrissures de la vieillesse et de la décrépitude. Loin de là, celui d’entre eux qui est leur « père », tout en étant le plus ancien en durée, n'en abonde que plus en vigueur, et son visage n’en a que plus encore la beauté de l'adolescence. Tous habitent le désert, ils n’ont besoin ni de demeure ni d'abri
    Le Roi est entre eux tous le plus retiré en cette solitude. Quiconque le rattache à une origine, s’égare. Quiconque prétend s'acquitter envers Lui d’une louange qui soit à Sa mesure, est un frivole bavard. Car le Roi échappe au pouvoir des gens habiles à donner des qualifications, de même que manquent ici leur but toutes les comparaisons. Que nul donc ne s’enhardisse à Le comparer à quoi que ce soit. Il n’a point de membres qui Le divisent : IL est tout entier un visage pour Sa beauté, une main pour Sa générosité. Et Sa beauté efface les vestiges de toute autre beauté. Sa générosité avilit Le prix de toute autre générosité. Quand se propose de Le méditer un de ceux qui entourent Sa vastitude, son œil cligne de stupeur et il en revient ébloui. Peu s’en faut que les yeux ne lui soient ravis, avant même qu'il n’ait porté le regard vers Lui. Il semblerait que Sa beauté soit le voile de Sa beauté, que sa Manifestation soit la cause de son Occultation, que son Epiphanie soit la cause de son Abscondité. Aussi bien est-ce en se voilant légèrement que le Soleil peut alors d’autant mieux être contemplé; lorsque au contraire l’héliophanie déverse toute la violence de son éclat, le Soleil se refuse au regard, et c’est pourquoi sa lumière est le voile de sa lumière. En vérité, le Roi manifeste Sa beauté à l'horizon des siens ; Il n’est point avare envers eux de sa vision ; ceux qui sont privés de Le contempler, c’est à cause de l’état misérable de leurs facultés. IL est doux et clément. Sa générosité déborde. Sa bonté est immense. Ses dons submergent ; vaste est sa cour, universelle sa faveur. Quiconque aperçoit un vestige de Sa beauté, pour toujours fixe sur Elle sa contemplation; jamais plus, fût-ce un clin d'œil, ne s'en laisse distraire

    Parfois certains esseulés d’entre les hommes émigrent vers Lui. Tant de douceurs Il leur fait éprouver qu’ils plient sous le poids de Ses grâces. Il les rend conscients de la misère des avantages de votre climat terrestre. Et lorsqu'ils reviennent de chez Lui, ils reviennent comblés de dons mystiques (...) ».

    Commentaire

    Chargement...
    X