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Algérie : de la prison dorée de la rente au confinement sanitaire lugubre

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    Algérie : de la prison dorée de la rente au confinement sanitaire lugubre


    lequotidien-oran.com

    Samedi 20 juin 2020

    par A. Boumezrag*


    « A quoi sert de donner de l'argent à un pauvre ? Le pourcentage des pauvres de la planète n'en demeure pas moins inchangé. C'est le système qu'il faut changer pour que le monde change à son tour » Vassili Vassilikos.

    Il faut que les choses soient dites pour que les maux se taisent. L'Algérie a vécu plus de la rente et de la gabegie que de l'effort et de l'économie. La règle étant de s'enrichir et non d'enrichir le pays. L'argent facile fascine. L'argent privé se terre. L'argent public se privatise. Il s'expatrie vers les paradis fiscaux. Personne ne lui demande des comptes. C'est un « bien vacant ». Il appartient au plus fort. Longtemps sevrés par la colonisation, les Algériens mettent les bouchées doubles. Ce n'est plus le doigt qu'on met dans le bol de miel pour y goûter mais toute la main qui y passe sans se rassasier. La richesse distribuée ne craint pas de se montrer au grand jour tandis que les inégalités sociales s'accroissent. La consommation devient ostentatoire, signe de distinction de classe, tous sont malades de l'argent, tous finalement regardent vers les revenus pétroliers et gaziers pour étancher cette soif. La richesse facile semble être le chemin assuré vers l'échec des politiques menées à l'abri des baïonnettes. La capacité du pouvoir à corrompre la majorité de la population et à ériger l'argent facile comme moyen d'ascension sociale n'est plus un mystère pour personne.

    Les Algériens se sont prêtés au jeu et ils ont perdu, les gouvernants n'y sont pour rien. Ils sont leurs propres reflets. Ils sont sortis de leurs propres entrailles. Ce ne sont pas des météorites tombés du ciel. En ne se préoccupant que des besoins matériels de la société, la classe politique au pouvoir a fermé les yeux sur le mécontentement, les frustrations, voire le désespoir des populations, sentiments qui caractérisent une société en voie de perdre son âme. La société est un corps moral qui souffre ou prospère à travers les activités morales de ses membres. La santé morale d'une société exige une certaine harmonie entre les aspirations, les expériences et les réalisations, les accomplissements entre les rêves et les réalités, entre les revendications et leur satisfaction. Hier, misère matérielle et richesse morale; aujourd'hui, misère morale et richesse matérielle. L'argent facile fascine dans une société où « l'être se cache derrière le « paraître », et le « je » derrière le « nous ». C'est ainsi que le paraître est considéré comme plus important que l'être. C'est le primat de l'émotion sur la raison, le virtuel sur le réel, le paranormal sur le normal, le court terme sur le long terme. Il nous faut tout, tout de suite et sans effort. Nous développons le « tout avoir » au lieu du «tout être». Nous vivons dans une époque mercantiliste où tout se vend et tout s'achète y compris les consciences. Partout, l'argent règne en maître.

    L'Algérie est devenue, à la faveur d'une manne providentielle, un vide-ordures du monde entier et un tiroir-caisse des fonds détournés et placés dans des paradis fiscaux. Nous consommons tout ce que le gouvernement importe. Le commerce extérieur étant le monopole de l'Etat. Nous conjuguons le verbe « acheter » à tous les temps et pendant ce temps, nous vendons notre âme au diable. « Le ver est dans le fruit ». De la violence aveugle des années 90, nous sommes passés sans transition à une corruption généralisée des années 2000. Après le « qui tue qui ? », c'est au tour de « qui juge qui ? » de faire la une de l'actualité. Du « tous pourris au tous pour rien », l'Algérie s'ignore. Les Algériens se lavent les mains. « Ce n'est pas moi, c'est l'autre ». Qui est l'autre ? L'opinion de la majorité des gens a valeur de norme morale comme si la vérité dépendait de ce que pense le plus grand nombre. « Non, les braves gens n'aiment pas qu'on suive un autre chemin qu'eux », chantait Brassens. Le regard de la société porte sur ce qui est apparent (votre fortune ou votre fonction) et non sur ce que vous cachez (vos vices ou vos vertus). Vous valez ce que vous possédez. C'est votre fortune qui détermine votre rang dans la société. Ce qui intéresse vos concitoyens, ce n'est pas votre honnêteté ou votre personnalité mais les services que vous pourrez leur rendre. Peu importe les moyens que vous employez, c'est le résultat qui compte.

    La fin justifie les moyens. Pour le plus grand nombre des Algériens y compris leurs gouvernants, l'Etat n'est pas une abstraction, c'est une personne physique palpable avec qui on doit tisser des liens personnels. Ce n'est pas une entité juridique, une création du droit régie par des textes connus par tous et applicables à tous. Les règles de droit ne sont là que pour la devanture, elles s'effacent devant les réseaux mafieux influents. Tout y passe, séduction, argent, intimidations, chantage. Tant que vous êtes du côté des plus forts, la loi vous ignore et vous, vous ignorez la loi. Elle vous sera appliquée, le jour où vous sortez des rangs pour rejoindre le commun des mortels. Dans ce contexte, toute œuvre de salubrité publique prend l'allure d'une chasse aux sorcières.

    Un homme honnête est hors circuit, hors champ, il est inutile et inaudible. Il craint Dieu, il ne fait pas partie des modernistes, c'est un conservateur, un traditionnaliste, un « djeha » par rapport au corrompu un « gafez », il ne connaît pas ses intérêts. L'argent n'a pas sur lui une influence outre mesure. Il échappe à son emprise. Il fait de la résistance. Mais pour combien de temps ? Tôt ou tard, il tombera dans le piège qui lui sera tendu, jugent ses détracteurs. A moins que Dieu le préserve. Dans ce cas, il ne sera pas tenté et se contentera de son salaire qui n'est pas à l'abri puisque rongé par l'inflation provoquée par la planche à billets pour que « le couteau atteigne l'os ». Convaincu de sa foi, il cherchera après l'argent de Dieu qui ne se compte pas avec les doigts. Les hommes propres et honnêtes resteront dans leurs coins, ils n'évolueront pas. Personne ne veut d'eux. Ils sont des pestiférés, ils constituent le grain de sable qui empêche la machine de tourner, les gens leurs tournent le dos, ils préfèrent avoir affaire à des corrompus, et bénéficier de passe-droits et des privilèges. Et c'est ce qui est recherché dans un Etat de non-droit par les familles, les clans, les réseaux. Celui qui a du pouvoir a tendance à en abuser. Il concentre tous les pouvoirs entre ses mains. Il est immunisé, hors d'atteinte, donc irresponsable. Sans contrôle, tout pouvoir rend fou. Seul le pouvoir arrête le pouvoir. Que vaut la plume d'un sage contre la clé d'un coffre ? Nous vivons en pleine confusion des valeurs. La lutte de libération nationale et la guerre civile ont laissé des traces indélébiles dans les esprits et dans les cœurs. Le spectre de la guerre civile est toujours présent. De nombreux maquisards ont été trahis par leurs frères et vendus à la France. De là est née le sentiment de suspicion. Chacun se méfie de l'autre.

    L'Algérien perçoit son prochain comme un ennemi. La peur consume la société. Cette peur maladive du prochain pousse les responsables à tous les échelons de la chaîne de commandement à s'entourer de gens acquis à la cause commune, généralement des membres de la famille, du village, de la tribu, de la région d'où cette pratique de cooptation née au maquis est reconduite dans la vie courante avec ses conséquences sur la mauvaise qualité du service, le relâchement de la discipline, la propagation de la médiocrité sur le sol algérien et la fuite des compétences vers l'étranger. « Le chacun pour soi et Dieu pour tous », s'est installé durablement et le « vivre ensemble » s'est éloigné des familles algériennes. L'estime de soi et le respect de l'autre sont devenus des denrées rares même au sein des familles les plus traditionnelles, polluées par une pseudo-modernité où l'individu s'affirme par sa fortune et non par sa personnalité, par des apparences et non par des contenus.

    Aujourd'hui, le Covid-19 nous sort de notre torpeur. Il nous rappelle que nous sommes des humains et non des marchandises. Que l'argent ne nous épargne ni de la vieillesse, ni de la maladie, ni de la mort. Il défie l'ordre mondial dominant et crée le désordre planétaire indescriptible. Le coronavirus n'épargne personne, ni le Nord, ni le Sud, ni les Asiatiques ni les Européens, ni les gouvernants, ni les gouvernés, ni les militaires, ni les civils, ni les croyants, ni les mécréants, ni les riches, ni les pauvres, ni les vieux, ni les jeunes. Il est invisible, incolore et inodore. Il passe de main en main, de bouche à bouche, et de lit en lit. C'est un ennemi redoutable. Il est l'air qu'on respire, l'eau que l'on boit, il est partout et personne ne le voit. Le coronavirus n'a ni âge, ni sexe, ni grade, ni rang, ni religion, ni frontières. Il se propage à la vitesse de la lumière. Pour limiter sa propagation, les autorités ont ordonné le confinement de la population. La mort et la vie font chambre à part. Chacune est confinée dans sa chambre; le couloir qui les relie est sombre. « La route est trop longue quand la vie est trop courte. Tout comme la vérité est courte, quand le mensonge est trop long ».

    PS - Djeha, ce personnage légendaire connu des Algériens à qui on disait le feu est dans ton douar, qu'importe, pourvu qu'il épargne ma maison; il est dans ta maison, qu'importe, pourvu que ma vie soit sauve. L'avantage qu'ont les idées, c'est qu'elles voyagent tout comme l'argent dans le temps et dans l'espace. Elles sont comme une lampe qui nous éclaire sur le chemin de la vie sans pétrole et sans gaz.

    *Docteur
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