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Les yakuzas sont de plus en plus violents au Japon

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  • Les yakuzas sont de plus en plus violents au Japon

    L'assassinat, mardi 17 avril, en pleine rue à coups de feu du maire de Nagasaki a inopinément donné à ce port du Kyushu (sud de l'archipel nippon), martyre du feu nucléaire avec Hiroshima, un petit côté sicilien rappelant comment, dans les années 1980-1990, la mafia "réglait leur compte" aux élus insuffisamment coopératifs.

    Le Japon reste le pays où la criminalité est la plus faible du monde industrialisé et Nagasaki n'est certes pas Palerme : la victime, Iccho Ito, qui briguait un quatrième mandat dans les élections locales de dimanche 22 avril, faisait campagne sans escorte policière. En outre, les fusillades sont rares au Japon (une cinquantaine en 2006) où la possession d'armes à feu est très réglementée. Mais ce meurtre, qualifié de "défi à la démocratie" par le premier ministre, Shinzo Abe, choque d'autant plus les Japonais qu'il révèle, par ses motivations, un sous-bois social sur lequel règne la pègre solidement enkystée dans l'économie légale.

    Les gangsters nippons (yakuzas) pratiquent les activités de toutes les pègres du monde : prostitution, jeux, trafic de drogue (essentiellement les amphétamines), rackets, prêts usuraires, show-biz... Ils sont aussi de plus en plus présents dans les activités économiques légales : traditionnellement dans la construction mais aussi désormais dans la spéculation immobilière et boursière. En 2004, cette économie noire était évaluée entre 1 000 et 1 600 milliards de yens (de 6,5 à 10 milliards d'euros) par l'économiste Takashi Kadokura, qui a consacré plusieurs livres à ce phénomène.

    Selon Mitsuhiro Suganuma, ancien directeur de la seconde division des renseignements intérieurs, le développement de la région de Nagoya à la faveur de l'Expo de 2005 "a été une manne pour la pègre locale". Aussi la plus puissante bande de la région de Nagoya, Kodo-kai, est-elle désormais la plus riche du Japon : son parrain, Shinobu Tsukasa, est devenu, en août 2005, le chef du Yamaguchi-gumi, le premier syndicat du crime nippon. Il est actuellement en prison pour port d'arme illégal et son "lieutenant", Kiyoshi Takayama, a pris temporairement sa place.

    Selon la police, la vingtaine de grandes bandes de yakuzas que compte le Japon regroupe 41 000 membres, dont la moitié appartient à des familles affiliées à Yamaguchi-gumi. Le fief de celui-ci est la région du Kansai (Osaka-Kobé-Kyoto), mais depuis quelques années il a entamé une "marche vers l'Est" et il est désormais présent dans pratiquement tout l'archipel.

    Cette avancée suscite parfois des guerres de gangs comme ce fut le cas en février à Tokyo avec le meurtre d'un chef de bande appartenant au syndicat du crime de Tokyo, Sumiyoshi-kai (8 000 membres), pour une affaire de territoire. "Les activités traditionnelles ne payent plus assez. En revanche, il y a beaucoup d'argent à faire à Tokyo, plus que dans le Kansai", commente un membre du Yamaguchi-gumi implanté dans la capitale. Le principal syndicat du crime y compte désormais quelque 3 000 membres. Fondé à Kobé en 1915, Yamaguchi-gumi, qui organisait les dockers du port, est devenu le plus puissant syndicat du crime dans les années 1960 sous la férule de son parrain de l'époque Kazuo Taoka.

    Si le nombre des gangsters identifiés par la police tend à décroître, celui de quasi-membres, mafieux "à temps partiel", augmente (43 000). Ceux qui sont étiquetés par la police sont les gangsters les plus violents. Certains, au casier judiciaire trop lourd, ont quitté leur bande. Soit ils restent proches de leur ex-employeur, soit ils deviennent des "loups solitaires". Mais les plus difficiles à identifier sont les "frères des entreprises", qui agissent dans la mouvance des bandes sans y appartenir formellement. Ils sévissent à la Bourse dans la spéculation immobilière et sont à l'origine de l'extension d'une vaste zone grise de l'économie dans laquelle se côtoient légalité et illégalité. Les entreprises peuvent être victimes des gangsters mais certaines sont aussi leurs complices, comme l'a récemment révélé une affaire de manipulation de la valeur des actions de sociétés cotées en Bourse à Osaka.

    Les liens occultes sont anciens entre une pègre fière d'une sous-culture remontant à plus de cinq siècles, avec ses rituels et son code d'honneur, et les hommes politiques - et derrière eux les milieux d'affaires, c'est-à-dire les sources de financement. Au lendemain de la défaite de 1945 et jusqu'au début des années 1980, la pègre servit de réservoir d'hommes de main au camp conservateur pour casser les grèves. En échange de ses services et de ses connivences avec le pouvoir, elle bénéficiait du laxisme des autorités si elle ne dépassait pas un seuil de tolérance. Des hommes "derrière le rideau noir" servaient d'intermédiaires entre les politiciens et les parrains.

    Avec la fin de la guerre froide, le recul de la gauche et des syndicats, la droite a eu moins besoin de la pègre pour ses basses besognes. A la suite de l'entrée en vigueur de la loi antigang de 1992, les grands syndicats du crime nippon, officiellement des amicales qui avaient pignon sur rue avec leur emblème, ont dû rentrer la tête. Le monde de la pègre est devenu plus opaque à la police, précisément à un moment où les yakuzas passaient à une criminalité plus "intelligente" en ayant pénétré l'économie légale à la faveur de la bulle spéculative de la fin des années 1980.

    La construction est un domaine de prédilection des yakuzas. Depuis le temps des shoguns, ils fournissent aux entrepreneurs la main-d'oeuvre journalière. Les entreprises de construction ou de transports d'équipements dans leur mouvance bénéficient d'appels d'offres truqués qui leur assurent de confortables dessous de table.

    Au cours des dernières années, plusieurs affaires ont témoigné du recours plus systématique à la violence de la part de la pègre à l'encontre d'élus récalcitrants : en 1996, le maire de la commune de Mitake (département de Gifu) a été agressé et gravement blessé à coup de batte de base-ball par un gangster qui n'avait pas obtenu un marché pour une décharge publique. L'année suivante, un fonctionnaire du département de Saitama était agressé à son tour pour l'opposition de la municipalité à l'ouverture d'une billetterie pour les courses de hors-bord. En 2001, un fonctionnaire de la mairie de Kanuma (département de Tochigi) était enlevé et tué pour le refus de la municipalité de donner une autorisation à une entreprise de yakuzas de retraiter les déchets... En février, un député d'une petite formation, le Nouveau Parti populaire, a été menacé pour avoir soulevé au Parlement la question de l'implication d'un gang dans une opération immobilière dans le quartier huppé de Minami Aoyama, à Tokyo. Les intimidateurs ont été arrêtés. Mais, selon la presse, les cas de harcèlement de fonctionnaires municipaux se multiplient.

    Dans le code de la pègre traditionnelle, les yakuzas ne devaient pas s'en prendre aux citoyens ordinaires. Mais la loi antigang, l'arrivée des mafias chinoises qui n'ont pas la même "retenue", la longue récession qui a frappé aussi la pègre et la contraction des dépenses en travaux publics en raison de l'endettement de l'Etat, ont provoqué une évolution dans la mystique du yakuza (qui a perdu son prestige de bandit d'honneur) ainsi que dans sa pratique de la violence. Le meurtre du maire de Nagasaki en est une dramatique illustration.

    Par La Monde

  • #2
    merci pour cet article

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