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Les Algériens : ces oubliés de l’appel du 18-Juin

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  • Les Algériens : ces oubliés de l’appel du 18-Juin

    KADER FERCHICHE 18 JUIN 2020

    Le 18 juin 1943, dans un climat socio-économique délétère, intervient à Alger la première célébration française du 18-Juin, trois ans après la débâcle de 1940, dans une Algérie où même les Français dits libres qui affluent ne veulent pas entendre parler des droits des ‘‘indigènes’’.



    Par * Kader Ferchiche



    Nous sommes le 7 juin 1943, une semaine après l’arrivée du général Charles de Gaulle à Alger. Quelques mois plus tôt, le 8 novembre 1942, les alliés anglo-américains avaient pris possession du Maroc et de l’Algérie, libérant l’Afrique du Nord des pétainistes avec l’aide dans la capitale algérienne d’un groupe de résistants algérois, juifs pour une large part. Cette installation du général aux Glycines (villa des Oliviers) intervient après des péripéties politiques sordides, dont l’assassinat, au palais d’Eté, la veille de Noël 1942, de l’amiral François Darlan, dauphin du maréchal Pétain, qui s’était autoproclamé haut commissaire de France en Afrique du Nord. Autant d’événements dont il est crucial de tirer quelques fils, avec un œil algérien, sachant que globalement, les « indigènes’’ ont été tenus à l’écart de cette trame, annonçant le soulèvement anticolonial d’après-guerre, dans l’ensemble des pays sous domination française.

    CATROUX : «C’EST LA FRANCE QUI COMMANDE VOS CŒURS ET MODÈLE VOS CERVEAUX »

    Le 31 mai 1943, de Gaulle quitte Londres pour Alger où il sera désormais le président politique du Comité français de la Libération nationale, avec comme co-président le général Henri Giraud en charge du volet militaire.

    Le 7 juin, ce comité «exprime le désir que l’anniversaire du 18 juin soit célébré par les Français dans une atmosphère d’union et d’espérance».

    Pour la première fois, comme nous allons le voir, cette célébration de l’appel à la résistance française au nazisme va avoir lieu devant un public français, celui d’Alger. Les musulmans, pour leur part, en tant que structure politique organisée, n’y auront pas leur place.
    Le général Georges Catroux, devenu gouverneur général, est le prototype même de ceux qu’on nommera plus tard ‘‘Algérie française’’.

    Son premier discours est édifiant : «Algériens ! Je vous le dis, et c’est là le point fondamental de la direction morale que je livre à vos réflexions : à tous moments, en toutes circonstances, pensez à la France ! Pensez-y d’abord ! Vous en avez l’obligation plus que toute autre population de l’Empire, parce que votre terre est virtuellement intégrée dans les limites territoriales de la Patrie et parce que vous le savez bien et vous le sentez, c’est la France qui commande vos cœurs et modèle vos cerveaux. Si, matériellement, vous pourriez vivre séparés d’Elle, intellectuellement, comme dans le domaine des sentiments vous dépérissez quand vous êtes privés de son influx».

    Faisant miroiter le sentiment que le débarquement allié du 8 novembre 1942 les a déliés des chaînes eux aussi, Catroux joue la carte lyrique : «La victoire des Alliés associés à ces magnifiques troupes d’Afrique où tant d’entre vous ont servi héroïquement a brisé vos chaînes et vous a rendus libres, et libres avant tout pour combattre et vous sacrifier pour la Patrie, ou du moins pour consacrer toute votre activité à l’effort de guerre.»

    Quelques semaines auparavant, des troupes algériennes sous la direction du général Juin, avec des armes caduques, ont empêché en Tunisie l’Africakorps de Rommel d’avancer vers l’Algérie. Les Alliés allaient ensuite, mieux équipés, les défaire à la mi-mai 1943. Toute l’Afrique du Nord était désormais sous la domination du comité français, c’est-à-dire Charles de Gaulle qui prit rapidement le dessus sur Henri Giraud.

    L’Echo d’Alger, le 8 juin, écrit : «Le Comité français de la Libération nationale est l’équivalent exact du gouvernement de la France. (…) La souveraineté française, sur tous les territoires placés hors du pouvoir de l’ennemi, est désormais exercée (…) par un organisme à responsabilité collective dans lequel sont fondues les diverses autorités qui se sont affirmées jusqu’ici dans la lutte contre l’ennemi.» Cette représentation a une capitale : Alger.

    L’ALGÉRIE C’EST LA FRANCE, ET ALGER SA CAPITALE.

    Pour qu’il n’y ait plus aucun doute, le 10 juin 1943, le Journal officiel de la République française reparaît à Alger. Une ordonnance stipule une modification provisoire au décret du 5 novembre 1870 remplaçant ‘‘Paris’’ par les mots «dans la ville où est établi le siège du Comité français de la Libération nationale», pour la désignation du lieu où doivent être promulgués les lois et décrets.

    L’Algérie est plus que jamais la France et Alger sa capitale momentanée. Renversement des rôles, mais pas de la soumission.
    Aux militants algériens, il est demandé d’être un contingent d’appoint et de patienter jusqu’à la libération de la France pour penser à améliorer la situation des leurs. Le général Catroux est clair : «L’avenir est pour nous riche de promesses mais ces promesses demeureraient à l’état de germes stériles si toutes nos énergies ne se tendaient pas pour en faire sortir la libération et la victoire».

    Coupant court à tout rêve d’indépendance qui fait son chemin dans le militantisme exigeant du parti de Messali Hadj (alors en captivité) et depuis le Manifeste du peuple algérien de Ferhat Abbas et ses compagnons, Georges Catroux est cassant : «Un seul drapeau enfin, celui qui symbolise ici la souveraineté française, et dont les titres de gloire ont été écrits avec le sang des fils de l’Algérie».

    Début juin, un très proche du général, André Philip, qui sera nommé commissaire (ministre) à l’Intérieur, résume son enthousiasme dès son arrivée à Alger : «Ce 18 juin va rester une date aussi mémorable que celle du jour où fut proclamée la déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen ».

    On peut à ce sujet parler de René Cassin, l’un des rédacteurs de la Déclaration universelle des droits de l’homme, décrétée à Paris en 1948 par les Nations unies. Où était-il en 1943 ? A Alger, président du Comité juridique de la France combattante… Lui qui a aussi rédigé la Charte de la France libre, qu’a-t-il vu du drame algérien ?

    Le pouvoir en place à Alger est glorifié et par un effet de passe-passe, ses habitants ancestraux ne sont même pas nommés, comme dans cette lettre de l’ex-député de Paris, Charles Vallin, replié en Algérie, qui rend hommage à Alger : «La grande et belle cité que vous administrez, Messieurs, est devenue pour un temps la capitale de la France libre. C’est un privilège que le destin de notre Empire lui réservait et dont ni Bordeaux ni Vichy, n’ont pu vous frustrer. Lorsque notre armée fut submergée voici trois ans par la supériorité de l’ennemi, la pensée et l’espoir de la nation s’étaient tournés d’instinct de votre côté. Vous étiez la suprême ressource, ligne de repli et base de départ pour la bataille libératrice».

    ALGER : «BASE DE DÉPART POUR LA BATAILLE LIBÉRATRICE »

    Indirectement, il rappelle que, lors de la défaite française, qui s’annonçait au début juin 1940, certains, dont Georges Mandel (ministre des colonies jusqu’en mai 1940), le président du Conseil Paul Reynaud et le sous-secrétaire à la Guerre Charles de Gaulle, nouvellement nommé général, avaient le projet vain de transférer en Afrique du Nord les forces militaires françaises et le gouvernement aurait rejoint Alger (depuis Bordeaux et Port-Vendres).

    Les manigances de Pétain et de ses affidés ont fait échouer cette solution pour laquelle de Gaulle se trouvait à Londres pour l’étudier avec le chancelier Winston Churchill. Le discours défaitiste du 17 juin radiodiffusé par Philippe Pétain (C’est le cœur serré que je vous dis aujourd’hui qu’il faut cesser le combat) mit un terme à cette opportunité et, le 18 juin, de Gaulle prononça à la BBC son appel pour inciter les Français à continuer la guerre où qu’ils se trouvent, un appel réitéré dans les jours suivants sur les ondes londoniennes.

    Vallin continue sa lettre : «Le 18 juin prochain, nous célébrons ici-même, en terre française, le troisième anniversaire de ce ‘‘geste’’ historique. Alger montrera au monde, à la France captive, à ses alliés et aussi à ses ennemis que la Nation est désormais rassemblée».

    Et les ‘‘indigènes’’ ? Le général Giraud, co-président du comité français les voient comme le nécessaire appoint à la ‘‘force mécanique’’ chère à de Gaulle et aux alliés : « …Les troupes indigènes, de quelque partie de l’Empire qu’elles proviennent, se sont révélées parfaitement susceptibles de s’adapter à ce matériel moderne. (…) En conjuguant le mécanicien français et le tireur indigène, on peut obtenir des résultats inespérés».

    Le 18 juin est ainsi fêté dans la «capitale de l’Empire», loin de la «France empêchée». «Glorieuse et réconfortante commémoration», écrit L’Echo d’Alger : «La foule applaudit vigoureusement et de toutes les poitrines jaillissent, clameur immense, les cris de Vive de Gaulle, vive Catroux, vive la France. Symbolique manifestation de la capitale de l’Empire envers celui (…) qui alluma dans tous les cœurs français un rayon d’espérance».

    Pas seulement dans les ‘‘cœurs français’’. La défaite contre l’Allemagne avait prouvé la faiblesse française et l’arrivée de la superpuissance américaine avait éveillé les consciences algériennes.

    Mais le général de Gaulle campe naturellement sur la libération de la France, s’appuyant sur les colonies comme un tremplin logistique : «Nous voici au moment où tout l’Empire actuellement libéré, depuis Alger jusqu’à Tananarive, depuis Tunis Jusqu’à Brazzaville, depuis Dakar jusqu’à Djibouti, depuis Rabat Jusqu’à Nouméa, où tous nos territoires, nos soldats, nos marins, nos aviateurs en mesure de combattre sont prêts à assembler leurs efforts et à les lier à la résistance nationale.

    Cette union, les Français l’ont faite naturellement d’abord pour leur propre salut, mais en la faisant, ils savent qu’ils rendent le plus grand service possible à la cause des nations au milieu desquelles ils se battent».

    LA TOUTE PUISSANCE DE L’EMPIRE EST ANNONCIATRICE DE SA CHUTE

    Devant le gouvernement de l’Algérie (conseil supérieur de gouvernement, interrompu de 1939 à 1943), M. Galle, de la commission des finances, éveille de vieux mythes : «L’Algérie prouvera ainsi que si le vieux tronc gaulois est momentanément étouffé dans les liens qui l’oppressent (…) Dans un patriotique élan, l’Empire tout entier s’est dressé et la guerre sainte à laquelle il a appelé tous ses enfants, Français et indigènes, a opéré le miracle de réaliser dans la majesté de la souffrance commune et de l’abnégation de chacun, l’union complète de tous ses enfants.»

    Cette apologie sera le début du déclin. L’histoire prouvera que la France, libérée avec l’aide des colonies, sera poussée vers la sortie à partir de 1954 et la défaite indochinoise à Diên Biên Phu, fondatrice de la déchéance impériale. Paradoxalement, de toutes les colonies gérées par la France libre, seule manquait en 1943 l’Indochine, que les hommes politiques français nommaient la «perle de l’Empire». La péninsule envahie par le Japon en 1940, sera laissée sous la coupe du pouvoir pétainiste jusqu’à 1945 lorsque le Japon brise la domination française et accorde l’indépendance à l’Indochine. Avec une première guerre anticoloniale en perspective.

    Le 8-Mai 1945, les manifestations réprimées en Algérie donnèrent le signal de la lutte. En 1962, au jour de l’indépendance algérienne, il ne restait plus que des miettes de ‘‘Empire’’ français surexploité dans le sang et la douleur.



    *Kader Ferchiche est journaliste et écrivain. Il prépare actuellement un livre sur la situation de l’Algérie durant la guerre mondiale de 1942 à 1945. Il est précédemment l’auteur d’une trilogie romanesque sur la Guerre d’indépendance dans l’immigration (Alpha éditions) et d’un roman « Moi soldat algérien de la guerre 14-18 » (Anep) Contact : [email protected]
    The truth is incontrovertible, malice may attack it, ignorance may deride it, but in the end; there it is.” Winston Churchill
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