Cité dans le livre d’Ahmed Bensaada, le sociologue Lahouari Addi revient point par point sur les «affirmations» contenues dans l’ouvrage.
Reporters : Un livre écrit par Ahmed Bensaada, intitulé «Qui sont les ténors autoproclamés du Hirak algérien ?» vient de sortir aux éditons APIC. L’auteur remet en cause, entre autres, certaines de vos positons concernant le Hirak. L’avez-vous lu ?
Lahouari Addi : Je n’ai pas lu le livre parce qu’il n’est pas disponible à l’étranger, mais j’ai lu de larges extraits où je suis mis en cause avec d’autres. J’ai été étonné par l’expression «ténors auto-proclamés du Hirak». L’auteur l’utilise parce qu’il ne connaît pas le b.a.ba de la science politique. Dans tout mouvement de contestation populaire, des leaders émergent sur la base de leur discours qui est une offre politique. Si cette offre correspond à une demande politique, ils deviennent des personnalités populaires. Une grande partie des Algériens, pas tous évidemment, s’est reconnue dans l’offre politique de Karim Tabou, Mustapha Bouchachi, Assoul Zoubida, Mohcene Belabbès, Kaddour Chouicha, Fodil Boumala et d’autres encore. Ils ne se sont pas auto-proclamés et n’ont empêché personne de prendre la parole. Leur discours est cohérent et correspond à l’aspiration d’une transition démocratique, ce qui leur a valu le soutien de nombreux hirakistes. On peut ne pas être d’accord avec eux sur telle ou telle position, mais on ne peut nier que Tabou est populaire sur l’ensemble du territoire national. Et c’est pour cette raison qu’il est en prison. S’attaquer à Bouchachi, Assoul, Tabou… c’est s’attaquer à leur discours qui porte sur la demande de transition démocratique. Ahmed Bensaada montre qu’il est hostile au Hirak et qu’il soutient le régime. Pour quelles raisons ? Je ne le sais pas. En ce qui me concerne, mes analyses qui paraissent dans la presse nationale et sur ma page facebook ont un écho favorable de la part de certains hirakistes. Je ne les impose pas et je ne me proclame pas «idéologue du Hirak». Je participe avec d’autres collègues universitaires au débat sur le mouvement de contestation comme Nacer Djabi, Louiza Driss-Aït Hamadouche, Hosni Kitouni et d’autres encore.
Dans cet ouvrage, l’auteur critique vos écrits, en l’occurrence la tribune publiée, sur le site «lematind************», le 14 mars 2019, soit trois semaines après le début du Hirak. Vous y proposiez trois noms, Zoubida Assoul, Mustapha Bouchachi et Karim Tabbou, pour former une «présidence collégiale» qui devait gérer «les affaires courantes» et préparer l’élection présidentielle et les législatives «dans un délai de 6 à 10 mois». Pour l’auteur, le choix de ces personnes est «loin d’être anodin». Il s’interroge sur l’existence d’une éventuelle «coalition sous-jacente au Hirak pour proposer une liste en particulier». Quelle est votre réaction ?
Le texte auquel vous faites référence est paru sur le site TSA en mars 2019 après la démission de Bouteflika sous la pression de la rue. J’avais proposé que le Président par intérim, avec l’appui de l’armée, désigne une instance collégiale pour mener la transition que demandait le Hirak. J’ai avancé des noms parmi les personnes susceptibles d’être acceptées par la majorité des citoyens, Zoubida Assoul, Mustapha Bouchachi et Karim Tabou. Je l’ai fait en tant que citoyen privé et j’ai le droit de le faire puisque je n’exerce aucune fonction officielle dans l’Etat. Je n’ai pas détourné l’autorité de l’Etat pour faire une proposition personnelle. D’autres personnes auraient pu suggérer d’autres noms pour arriver à un consensus. L’essentiel n’est pas dans les noms, mais dans la transition menée par des personnes consensuelles.
Ahmed Bensaada sous-entend que vous omettez délibérément de mentionner sur votre «CV institutionnel» votre collaboration avec «International Forum For Democratic Studies Research Concil» de la NED (National Endowment for Democraty), organisation présentée comme la vitrine civile de la CIA. Que répondez-vous ?
Ahmed Bensaada n’a jamais lu mon CV et il ne sait pas de quoi il parle. Il ne sait pas comment fonctionnent les institutions de recherche et l’université en Occident. Il n’est pas universitaire et il n’est pas professeur à l’université. Il enseigne la physique à des élèves de collège au Canada. Il a le droit d’écrire des pamphlets, mais il n’a pas le droit de diffamer les gens et de dire des mensonges à leur sujet. S’il a des informations tangibles sur l’implication de ceux qu’il accuse, il devra les remettre à l’ambassade du pays où il réside pour que les services de sécurité (qui ont les moyens et le personnel formé à cet effet) mènent une enquête pour protéger le pays de l’ingérence étrangère. Accuser un concitoyen de travailler pour la CIA est grave, connaissant l’histoire de la CIA et de son rôle comme instrument de l’impérialisme américain. Dès que les conditions politiques s’éclairciront dans notre pays, je déposerais plainte contre l’auteur et contre la maison d’édition.
Mais qu’en est-il de la présence de votre nom dans le document du forum ?
La NED voulait un débat d’idées et a créé ce Forum et aussi une revue académique Journal of Democracy, dont les articles sont consultables en ligne. J’ai publié trois articles dans cette revue et ils sont consultables en ligne, ils n’ont rien à voir avec l’idéologie de la droite américaine. La NED a mis sur pied aussi un Forum qui réunissait des universitaires de différentes tendances. J’ai été sollicité en raison de mes travaux académiques en compagnie de noms prestigieux comme Lisa Anderson (professeure à Columbia University, connue pour ses travaux sur le monde arabe), Filaly Ansary, directeur de la Fondation Agha Khan de Londres, Abdullahi Ahmed En-Naim, professeur de droit international à Emory University et disciple du réformateur musulman Mahmoud Taha, Saad-Eddine Ibrahim, directeur du Centre de Recherche Ibn Khaldoun au Caire, etc. La participation à ce Forum ne signifie pas que les membres étaient d’accord avec la théorie de la fin de l’histoire ou du conflit des civilisations. Sur cette question, il faut se référer aux publications des auteurs. Ce n’est pas parce que j’ai participé à un colloque avec Huntington ou Fukuyama que je partage leurs orientations idéologiques. J’ai été par contre invité plusieurs fois par des universités comme professeur (Princeton University, Utah University, UCLA, Georgetown University…). Ces invitations sont pour moi l’occasion d’écrire des livres. C’est à Princeton University en 1992 que j’ai rédigé «L’Algérie et la démocratie» publié par La Découverte à Paris en 1994. C’est aussi dans le prestigieux Institute for Advanced Study de Princeton que j’ai rédigé «Deux anthropologues au Maghreb : Clifford Geertz et Ernest Gellner» qui paraît en arabe ce mois-ci chez Doha Center. Mon livre «Le nationalisme arabe radical et l’islam politique» a été rédigé à Georgetown University où j’étais invité en 2013. Il a été publié en anglais par Georgetown University Press et j’ai tenu à ce qu’il paraisse à Alger chez Barzakh pour que les étudiants algériens le lisent. Il est disponible dans les librairies en Algérie.
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Reporters : Un livre écrit par Ahmed Bensaada, intitulé «Qui sont les ténors autoproclamés du Hirak algérien ?» vient de sortir aux éditons APIC. L’auteur remet en cause, entre autres, certaines de vos positons concernant le Hirak. L’avez-vous lu ?
Lahouari Addi : Je n’ai pas lu le livre parce qu’il n’est pas disponible à l’étranger, mais j’ai lu de larges extraits où je suis mis en cause avec d’autres. J’ai été étonné par l’expression «ténors auto-proclamés du Hirak». L’auteur l’utilise parce qu’il ne connaît pas le b.a.ba de la science politique. Dans tout mouvement de contestation populaire, des leaders émergent sur la base de leur discours qui est une offre politique. Si cette offre correspond à une demande politique, ils deviennent des personnalités populaires. Une grande partie des Algériens, pas tous évidemment, s’est reconnue dans l’offre politique de Karim Tabou, Mustapha Bouchachi, Assoul Zoubida, Mohcene Belabbès, Kaddour Chouicha, Fodil Boumala et d’autres encore. Ils ne se sont pas auto-proclamés et n’ont empêché personne de prendre la parole. Leur discours est cohérent et correspond à l’aspiration d’une transition démocratique, ce qui leur a valu le soutien de nombreux hirakistes. On peut ne pas être d’accord avec eux sur telle ou telle position, mais on ne peut nier que Tabou est populaire sur l’ensemble du territoire national. Et c’est pour cette raison qu’il est en prison. S’attaquer à Bouchachi, Assoul, Tabou… c’est s’attaquer à leur discours qui porte sur la demande de transition démocratique. Ahmed Bensaada montre qu’il est hostile au Hirak et qu’il soutient le régime. Pour quelles raisons ? Je ne le sais pas. En ce qui me concerne, mes analyses qui paraissent dans la presse nationale et sur ma page facebook ont un écho favorable de la part de certains hirakistes. Je ne les impose pas et je ne me proclame pas «idéologue du Hirak». Je participe avec d’autres collègues universitaires au débat sur le mouvement de contestation comme Nacer Djabi, Louiza Driss-Aït Hamadouche, Hosni Kitouni et d’autres encore.
Dans cet ouvrage, l’auteur critique vos écrits, en l’occurrence la tribune publiée, sur le site «lematind************», le 14 mars 2019, soit trois semaines après le début du Hirak. Vous y proposiez trois noms, Zoubida Assoul, Mustapha Bouchachi et Karim Tabbou, pour former une «présidence collégiale» qui devait gérer «les affaires courantes» et préparer l’élection présidentielle et les législatives «dans un délai de 6 à 10 mois». Pour l’auteur, le choix de ces personnes est «loin d’être anodin». Il s’interroge sur l’existence d’une éventuelle «coalition sous-jacente au Hirak pour proposer une liste en particulier». Quelle est votre réaction ?
Le texte auquel vous faites référence est paru sur le site TSA en mars 2019 après la démission de Bouteflika sous la pression de la rue. J’avais proposé que le Président par intérim, avec l’appui de l’armée, désigne une instance collégiale pour mener la transition que demandait le Hirak. J’ai avancé des noms parmi les personnes susceptibles d’être acceptées par la majorité des citoyens, Zoubida Assoul, Mustapha Bouchachi et Karim Tabou. Je l’ai fait en tant que citoyen privé et j’ai le droit de le faire puisque je n’exerce aucune fonction officielle dans l’Etat. Je n’ai pas détourné l’autorité de l’Etat pour faire une proposition personnelle. D’autres personnes auraient pu suggérer d’autres noms pour arriver à un consensus. L’essentiel n’est pas dans les noms, mais dans la transition menée par des personnes consensuelles.
Ahmed Bensaada sous-entend que vous omettez délibérément de mentionner sur votre «CV institutionnel» votre collaboration avec «International Forum For Democratic Studies Research Concil» de la NED (National Endowment for Democraty), organisation présentée comme la vitrine civile de la CIA. Que répondez-vous ?
Ahmed Bensaada n’a jamais lu mon CV et il ne sait pas de quoi il parle. Il ne sait pas comment fonctionnent les institutions de recherche et l’université en Occident. Il n’est pas universitaire et il n’est pas professeur à l’université. Il enseigne la physique à des élèves de collège au Canada. Il a le droit d’écrire des pamphlets, mais il n’a pas le droit de diffamer les gens et de dire des mensonges à leur sujet. S’il a des informations tangibles sur l’implication de ceux qu’il accuse, il devra les remettre à l’ambassade du pays où il réside pour que les services de sécurité (qui ont les moyens et le personnel formé à cet effet) mènent une enquête pour protéger le pays de l’ingérence étrangère. Accuser un concitoyen de travailler pour la CIA est grave, connaissant l’histoire de la CIA et de son rôle comme instrument de l’impérialisme américain. Dès que les conditions politiques s’éclairciront dans notre pays, je déposerais plainte contre l’auteur et contre la maison d’édition.
Mais qu’en est-il de la présence de votre nom dans le document du forum ?
La NED voulait un débat d’idées et a créé ce Forum et aussi une revue académique Journal of Democracy, dont les articles sont consultables en ligne. J’ai publié trois articles dans cette revue et ils sont consultables en ligne, ils n’ont rien à voir avec l’idéologie de la droite américaine. La NED a mis sur pied aussi un Forum qui réunissait des universitaires de différentes tendances. J’ai été sollicité en raison de mes travaux académiques en compagnie de noms prestigieux comme Lisa Anderson (professeure à Columbia University, connue pour ses travaux sur le monde arabe), Filaly Ansary, directeur de la Fondation Agha Khan de Londres, Abdullahi Ahmed En-Naim, professeur de droit international à Emory University et disciple du réformateur musulman Mahmoud Taha, Saad-Eddine Ibrahim, directeur du Centre de Recherche Ibn Khaldoun au Caire, etc. La participation à ce Forum ne signifie pas que les membres étaient d’accord avec la théorie de la fin de l’histoire ou du conflit des civilisations. Sur cette question, il faut se référer aux publications des auteurs. Ce n’est pas parce que j’ai participé à un colloque avec Huntington ou Fukuyama que je partage leurs orientations idéologiques. J’ai été par contre invité plusieurs fois par des universités comme professeur (Princeton University, Utah University, UCLA, Georgetown University…). Ces invitations sont pour moi l’occasion d’écrire des livres. C’est à Princeton University en 1992 que j’ai rédigé «L’Algérie et la démocratie» publié par La Découverte à Paris en 1994. C’est aussi dans le prestigieux Institute for Advanced Study de Princeton que j’ai rédigé «Deux anthropologues au Maghreb : Clifford Geertz et Ernest Gellner» qui paraît en arabe ce mois-ci chez Doha Center. Mon livre «Le nationalisme arabe radical et l’islam politique» a été rédigé à Georgetown University où j’étais invité en 2013. Il a été publié en anglais par Georgetown University Press et j’ai tenu à ce qu’il paraisse à Alger chez Barzakh pour que les étudiants algériens le lisent. Il est disponible dans les librairies en Algérie.
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