Annonce

Réduire
Aucune annonce.

Abû Ya‘qûb Yûsuf b. Yakhlaf al-Kûmî - Par Ibn Arabi .

Réduire
X
 
  • Filtre
  • Heure
  • Afficher
Tout nettoyer
nouveaux messages

  • Abû Ya‘qûb Yûsuf b. Yakhlaf al-Kûmî - Par Ibn Arabi .

    Abû Ya‘qûb Yûsuf b. Yakhlaf al-Kûmî

    Par Ibn Arabi.

    Ce shaykh! avait été un des disciples d’Abû Madyan* et avait rencontré beaucoup d’hommes spirituels (rijâl) de ce pays. Il avait vécu en Égypte un certain temps et s’était marié à Alexandrie ; Abû Tâhir as-Salafi l’avait voulu pour gendre. On lui offrit un jour d’être gouverneur de Fez, mais il refusa. Il était de ceux qui sont fermes dans la Voie. Abû Madyan, qui était le porte-parole et le vivificateur de notre Voie au Maghreb, disait d’Abû Ya‘qüb qu’il était comme une ancre sûre pour un navire.
    Il était très enclin aux dévotions en privé et faisait toujours l’aumône en secret. Il honorait le pauvre et rabaissait le riche, subvenant en personne aux besoins des indigents. Alors que j'étais sous sa direction spirituelle, il m'instruisit et veilla sur moi d’une excellente manière.

    Mon compagnon, ‘Abdallâäh Badr al-Habashi, le connaissait bien, et le shaykh mourut chez lui. Il avait l’habitude de dire du shaykh qu’il pouvait, s’il le voulait, élever en un clin d’œil le disciple des abîmes les plus profonds au sommet spirituel le plus élevé. Son énergie spirituelle (himmah) était très grande. Il suivait, en grande partie, la voie des Malâmatiyyah®s. On le rencontrait souvent l’air renfrogné, mais quand il voyait un pauvre, son visage s’illuminait de joie. Je l'ai même vu prendre un pauvre sur ses genoux, et lui-même se conduisait souvent en serviteur envers ses disciples.
    Je le vis une fois en rêve ; sa poitrine semblait fendue en deux et une lumière semblable à celle du soleil en jaillissait. Il me dit : « Muhammad, apporte ! » et j’apportai deux grands bols blancs qu’il commença à remplir de lait jusqu’au bord. Je buvais au fur et à mesure qu’il les remplissait®f. En vérité grandes sont les grâces spirituelles que j’ai reçues de lui et d'Abû Muhammad al-Mawrûri, dont je parlerai plus tard”.
    Lors de notre première rencontre, la première question qu’il me posa, avec toute sa concentration posée sur moi, fut : « Quelle est la faute de celui qui passe devant quelqu'un qui prie, et dont la gravité est telle qu’il eût préféré rester à sa place pendant quarante ans ? » Je lui donnai la réponse correcte et il fut satisfait de moi.
    Quand je m’asseyais devant lui ou devant d’autres shaykhs, je tremblais comme une feuille au vent, ma voix s’altérait et mes membres se mettaient à trembler. Chaque fois qu’il le remarquait, il me traitait avec bienveillance et cherchait à me mettre à l’aise, ce qui ne faisait qu’accroître la crainte et la vénération qu’il m’inspirait.
    Ce shaykh avait beaucoup d’affection pour moi, mais il le cachait en accordant davantage de faveurs aux autres et en affichant une attitude distante à mon égard ; il approuvait ce que disaient les autres, mais il me réprimandait aux réu- nions et aux séances. Il alla si loin dans cette voie que mes compagnons, qui étaient avec moi sous sa direction spirituelle et à son service, commencèrent à avoir une piètre opinion de ma vocation spirituelle. Cependant, Dieu soit loué, de tout le groupe de disciples, je fus le seul à obtenir de véritables résultats, ce que le shaykh confirma lui-même plus tard.

    Une autre expérience que j’eus avec ce shaykh est digne d’être rapportée. Tout d’abord, je dois dire qu’à cette époque, je n’avais pas encore lu la Risâlah d’al-Qushayri®, ni aucun autre maître, n'étant point du tout averti que quiconque de notre Voie eût écrit quoi que ce fût, pas plus que je n'étais familiarisé avec leur terminologie.
    Ce jour-là, le shaykh monta sur son cheval et m’ordonna, ainsi qu’à l’un de mes compagnons, de le suivre à Almontaber, une montagne aux environs de Séville. Aussi, une fois que la porte de la ville fut ouverte, je me mis en route avec mon compagnon, qui emporta avec lui un exemplaire de la Risâlah d’al-Qushayri. Nous gravimes la montagne et, au sommet, nous trouvâmes le shaykh accompagné de son serviteur qui tenait le cheval. Nous entrâmes ensuite dans la mosquée pour accomplir la prièret?, Quand nous eûmes fini, il s’adossa au mihrâb®1, me tendit le livre et me dit: « Lis ». La crainte révérentielle qu’il m’inspirait était si intense que je ne pus assembler deux mots, et le livre me tomba des mains. Il demanda alors à mon compagnon de le lire ; celui-ci prit le livre et commença la lecture d’un passage. Le shaykh expliqua ce qui avait été lu, jusqu’au moment de la prière de l’après- midi. Après la prière, le shaykh suggéra que nous retournions en ville. Il monta sur son cheval et se mit en route, tandis que je marchais à son côté en me tenant à l’étrier. Sur le che- min, il me parla des vertus et des miracles d’Abû Madyan. Quant à moi, qui ne le quittais pas des yeux, j'étais si absorbé par ce qu’il disait que j’oubliai complètement ce qui m’entou- rait. Soudain il me regarda et sourit ; puis, éperonnant son cheval, il pressa l’allure et je hâtai le pas pour me maintenir à sa hauteur. Finalement il s’arrêta et me dit: « Regarde ce que tu as laissé derrière toi! » En me retournant, je vis que tout le chemin parcouru n’était que ronces qui arrivaient à mi-corps, et que d’ailleurs tout le terrain environnant était couvert de ronces. Il me dit alors de regarder mes pieds et mes vêtements. Je baissai les yeux mais ne remarquai pas la moindre égratignure. « Ceci est dû à la grâce spirituelle (barakah) attachée à notre conversation sur Abû Madyan, dit-il Persévère donc sur la Voie, mon fils, et tu réussiras sûrement. » Il éperonna son cheval et me laissa derrière lui. J’appris beaucoup en sa compagnie.
    Un trait particulier de ce shaykh était de conseiller à ses jeunes disciples des exercices spirituels qu'il accomplissait avec eux, même s’ils étaient deux ou trois. Cela ne semblait jamais le fatiguer.
    Un jour que j'étais assis près de lui après la prière de VPaprès-midi, il s’aperçut que j'étais impatient de partir. Quand il s’enquit de la raison de mon inquiétude, je lui expliquai que j’avais quatre obligations à remplir envers certaines personnes, que je disposais d’un temps limité pour le faire, et que si je restais avec lui, je ne pourrais plus trouver les per- sonnes en question. Il sourit de mon inquiétude et me dit:

    « Si tu me quittes maintenant, tu ne pourras t’acquitter d’aucune de tes obligations, aussi assieds-toi avec moi et je te parlerai des états spirituels d’Abû Madyan. Quant à tes devoirs, je peux t’assurer qu’ils seront menés à bien. » Je m’assis avec lui et, quand vint l’heure de la prière du coucher du soleil (al-maghrib), il me dit : « Rentre chez toi maintenant et tu verras qu'avant d’avoir accompli ta prière, toutes tes obligations auront été remplies. » Je partis quand le soleil venait de se coucher et rentrai chez moi. Le muezzin fit l'appel à la prière et, par Allâh! je n’avais pas encore commencé ma prière que mes obligations étaient remplies. Cela venait de ma sincérité dans l’amour que je lui portais. J’apportais tant de ferveur à rechercher sa compagnie qu’il m’arrivait souvent, la nuit, de désirer sa présence en ma maison pour lui soumettre un problème. À de tels moments, je le voyais devant moi ; je lui posais des questions et il me répondait. Le matin, j’allais lui rapporter ce qui s’était passé. La même chose pouvait arriver pendant le jour, si je le désirais.

    J’apportais tant de ferveur à rechercher sa compagnie qu’il m’arrivait souvent, la nuit, de désirer sa présence en ma maison pour lui soumettre un problème. À de tels moments, je le voyais devant moi ; je lui posais des questions et il me répondait. Le matin, j’allais lui rapporter ce qui s’était passé. La même chose pouvait arriver pendant le jour, si je le désirais.



    J’apportais tant de ferveur à rechercher sa compagnie qu’il m’arrivait souvent, la nuit, de désirer sa présence en ma maison pour lui soumettre un problème. À de tels moments, je le voyais devant moi ; je lui posais des questions et il me répondait. Le matin, j’allais lui rapporter ce qui s’était passé. La même chose pouvait arriver pendant le jour, si je le désirais.
    Les vertus de ce shaykh, ses charismes et ses allusions spirituelles étaient tels qu’il m’est impossible de les énumérer ici’.
    I m'instruisit sur la Délivrance (al-wiçâl) et le sens de ces paroles du Prophète : « Je suis le Chef des enfants d’ Adam »; «Adam et ceux qui sont venus après lui sont sous ma bannière »; « La conduite sage (at-tadbir) est la moitié des moyens d’existence »; « Quand Alläh aime Son serviteur, Il le met à l'épreuve » ; « Le cœur du Coran est la sourate Yä Sin“ ». Personne dans notre pays n’en savait plus que lui sur ce sujet et sur d’autres dont je n’ai plus souvenir maintenant. Qu’Alläh soit satisfait de lui !

    Cet homme était un connaissant par Allâh (‘ârif bi-lläh), continuellement avec Allâh en tout ce qu’il faisait, se consacrant à la récitation du Coran à tous moments du jour et de la nuit. Il n’eut jamais de maison à lui et ne se souciait nulle- ment de sa santé ; il était de ceux qui cherchent à atteindre la station des soixante-dix mille qui entreront au Paradis sans subir la Reddition des Comptes (al-hisäb).
    Il ne parlait à personne et n’assistait à aucune réunion. Parfois on venait lui dire que le soleil déclinait dans le ciel, alors qu’il en était encore à la première rakate de la prière de la matinée‘. Quand il se préparait pour la prière les jours de grand froid, il enlevait ses vêtements de dessus, ne gardant sur lui qu’une chemise et ses pantalons ; et malgré cela, il transpirait pendant la prière comme s’il se fût trouvé aux thermes. En priant, il poussait des gémissements et marmonnait de façon telle que personne ne pouvait comprendre ce qu'il disait.

    Il ne gardait jamais rien pour le lendemain et n’acceptait rien qui excédât le juste nécessaire, que ce fût pour lui ou pour les autres. Il passait la nuit dans la mosquée d’Abû ‘Amir ar-Rutundalf, le récitateur de Coran“. Je fus son disciple plusieurs années, pendant lesquelles il m’adressa si peu de fois la parole que je pourrais presque compter ses mots. Une année, il disparut de Séville au moment de la Fête du Sacri- fice#. Un certain juriste, homme digne de foi, m’apprit ensuite que le shaykh avait été présent au rassemblement de ‘Ara- fât, et qu’il l'avait su par quelqu'un qui l'y avait vu’.
    Il maintenait un lien particulier avec nous et dirigeait souvent ses méditations vers nous, ce dont nous retirâmes un grand bénéfice spirituel. En ce qui me concerne, il m’annonça beaucoup de choses qui, par la suite, s’avérèrent entièrement justes.

    Ibn Arabi .
Chargement...
X