Publié par LSA
le 01.07.2020 ,
Par Pr Baddari Kamel(*)
La fuite des cerveaux que les économistes préfèrent désigner par la fuite du capital humain est apparue dans les années soixante et constitue aujourd’hui l’un des phénomènes les plus redoutables dans le monde, notamment pour les pays en voie de développement qui subissent chaque année une saignée à blanc de leur capital humain qu’ils ont formé à coups de millions de dollars, et dont la conséquence est la diminution significative de leur masse critique nécessaire à leur développement scientifique, technique et économique. Si cette saignée pourrait passer pour anecdotique pour les pays développés qui préfèrent le terme de mobilité ou d’expatriation du fait que, souvent, leurs talents partent avec un billet retour pour découvrir une nouvelle culture ou pour bénéficier de ressources technologiques et d’opportunités professionnelles différentes, voire enrichissantes ; en revanche, pour les pays en voie de développement, c’est un gone for good qui se transforme en catastrophe et certains pays n’hésitent pas à qualifier ce phénomène de «rapt» et de montage par les pays développés pour s’accaparer de personnels «bien formés» pour la plupart. La crainte de ces pays en voie de développement se comprend par le fait qu’ils assistent à un véritable exil de leurs ressources humaines sans espérer des retours d’investissement. Plus grave, cet exil touche maintenant les cadres diplômés expérimentés et les étudiants. Pour éviter toute confusion ou connotation négative, nous parlerons dans la suite de l’exposé de talents algériens à l’étranger pour désigner les Algériens qui exercent leur talent intellectuel en dehors de leur pays d’origine.
Des raisons de partir, d’y rester, aux difficultés de retour ?
Les individus ont le droit de s’installer là où ils veulent, là où ils s’accommodent le mieux. C’est une réalité montrée à travers l’histoire de l’humanité. Les motifs avancés par ces talents algériens à l’étranger en quittant leur pays d’origine sont de nature à les infléchir aux attitudes sournoises des pays d’accueil qui vendent «le rêve américain» en dévaluant l’ici et en idéalisant l’ailleurs. Ces pays offrent, à ne pas douter, une meilleure qualité de vie, des rémunérations alléchantes, des possibilités d’évolution, un rang social recherché… ce qui, a priori, pourrait susciter la tentation même pour les plus sages. Quels que soient les raisons ou les motifs, certains de ces talents algériens à l’étranger ne peuvent être affranchis d’observations à un manquement à leurs obligations professionnelles. Certains partent sans honorer leurs contrats ou assurer la relève des fonctions qu’ils occupaient.
Si la démarche de ces candidats au «rêve américain, européen ou asiatique» indique un projet à réaliser et des perspectives individuelles, il faut se rendre à l’évidence que cela ne se réalise pas comme d’un claquement de doigts. Il faut résister à différentes tempêtes de tout ordre — financier et administratif — et à des difficultés d’adaptation, surtout si la famille l’accompagne dans son périple. C’est une véritable course à la réussite qui s’engage jusqu’à affirmer le succès et y rester, ou recommencer éternellement en attendant des jours meilleurs et y demeurer dans une situation peu brillante, voire précaire.
Cette course à la réussite mène certains à une déconstruction involontaire et les difficultés de retour se compliquent avec le temps. L’esprit va déambuler entre l’ailleurs et l’ici ou l’ici et l’ailleurs, si bien que certaines phobies naissent et s’enracinent, et que certaines appréhensions justifiées ou non s’installent. La crainte de ne plus s’adapter pour lui et pour ses enfants, les différentes distanciations (manière de vivre, mentalité, obstacles économiques), l’obtention de la nationalité étrangère, l’autorisation d’exercer pour les médecins, la confirmation à un poste de travail pour les technologues et les enseignants sont autant d’éléments qui mettent fin à toute velléité de retour au bled, ce qui les entraîne, dans la majorité des cas, à abroger le projet de retour. Mais, faut-il le signaler, certains talents algériens à l’étranger réussissent parfaitement leur retour ; pourtant, ils avaient la possibilité d’y rester.
Nous n’allons pas distribuer des points sur le patriotisme des uns et des autres, le pays a besoin de tous ses scientifiques. Ces talents à l’étranger démontrent, dans leur quasi-majorité, à chaque occasion qui se présente à eux, que leur attachement au pays d’origine ne souffre aucune tare.
Que savons-nous de ces talents à l’étranger
Ils activent dans des domaines de pointe, notamment le management et l’économie, l’informatique et les nouvelles technologies, l’électronique et la physique, la médecine et la pharmacie, les banques, la biotechnologie, les énergies renouvelables et les métiers du futur… Les pays d’accueil sont ceux de l’Europe, l’Afrique du Sud, le Canada, les États-Unis, les pays du Golfe, la Chine, la Malaisie, Singapour et l’Indonésie principalement.
Les statistiques pour cerner l’étendue de ce phénomène sont imparfaites. Quelques bribes d’informations recoupées avec des données émanant d’organismes reconnus permettent d’avancer qu’ils seraient au nombre de 500 000 environ entre cadres, chercheurs, médecins, universitaires et chefs d’entreprise. Parmi eux, un nombre conséquent de 4 000 environ sont dotés de la capacité de décision et d’investissement et 10 000 environ occupent des postes élevés. Ils procurent au pays une rente migratoire de 2 milliards de dollars environ contre 7 milliards pour le Maroc (Source : émission «Invité de la rédaction» de la Chaîne 3 algérienne - octobre 2019), sachant que le nombre des Marocains est inférieur à celui des Algériens à l’étranger.
Ils publient dans des revues scientifiques, déposent des brevets d’invention, travaillent dans des centres de recherche de renommée et enseignent dans des universités de prestige pour la plupart. Nous espérons de tout cœur que l’un d’eux au moins puisse accrocher son nom au tableau des médailles prestigieuses du genre Clark ou Fields. Ils possèdent tous ou presque simultanément plusieurs nationalités.
Comme tout chercheur ou innovateur en expatriation, ils subissent des effets pervers professionnels liés le plus souvent à des pressions de publication scientifiques, de recherche de fonds de financement pour les chefs d’entreprise, de la recherche du poste de travail correspondant le mieux au profil… mais aussi des effets sociaux tels que d’éloignement de leur patrie d’origine, la crainte de la désintégration familiale marquée par le refus ou l’acceptation de valeurs morales perçues différemment entre les enfants et les parents…
Malgré ces difficultés, la majorité de ces talents à l’étranger montrent leur totale disponibilité à une collaboration approfondie, tous azimuts, avec les intelligences nationales pour bâtir un solide partenariat au profit du développement scientifique, technique et économique de l’Algérie. A cet égard, un certain nombre de talents algériens à l’étranger entretiennent, à titre personnel, de parfaites relations professionnelles avec leurs milieux en Algérie (participation à des manifestations scientifiques, actions de formation…).
Comment la problématique est-elle abordée par d’autres pays
Il s’agit d’un phénomène mondial, mais pour certains pays développés, cela reste anecdotique du fait que les talents accomplissent le plus souvent une mobilité profitable avant d’amorcer leur retour. Certains autres pays, comme la Chine, ont réussi à inverser la courbe. En effet, la Chine a favorisé les investissements directs sur la qualité de la formation et dans les infrastructures technologiques, le numérique et l’intelligence artificielle. Aujourd’hui, elle est une manne pour l’innovation et devient une destination privilégiée des investisseurs, des scientifiques et des étudiants de tout horizon. Pour d’autres pays, à l’image de l’Allemagne ou du Royaume-Uni, c’est l’investissement dans la formation qui est privilégié pour attirer les étudiants étrangers et les retenir par la suite. L’Union européenne a mis au point un programme nommé «Tempus Mundus» (transformé en Tempus puis maintenant en Erasmus plus) pour attirer les étudiants grâce au dispositif de la mobilité humaine et, ensuite, retenir les plus doués. C’est une manière de combler les lacunes créées par le départ de leurs propres ressortissants. Rien qu’en France, une forte saignée de ses ressources humaines est constatée (environ deux millions de scientifiques et entrepreneurs français vivent en tant qu’expatriés). Les pays occidentaux ont la particularité d’être xénophiles des compétences nécessaires à leur développement (à la Silicon Valley, 50% de sa population est née à l’étranger).
L’Inde, l’un des pays les plus touchés par le phénomène d’émigration, a enregistré une augmentation sur 10 ans de 256% du taux d’étudiants poursuivant leurs études en médecine à l’étranger (Source : Institut indien de management de Bangalore – 2015), ce qui a amené le gouvernement de l’Inde à instaurer une législation particulière à ses étudiants devant se rendre à l’étranger pour des études en médecine. L’étudiant indien s’engage par contrat à retourner au pays au terme de ses études sous peine de se voir interdire d’exercer la profession de médecin. Ces pays, au côté de leur nouvelle politique de développement intégrant le capital humain de tout horizon, ont mis en œuvre différentes mesures fortement incitatives comprenant des avantages fiscaux, des compensations financières, facilitation d’obtention des visas et de résidence, augmentation d’écoles nationales de qualité…
le 01.07.2020 ,
Par Pr Baddari Kamel(*)
La fuite des cerveaux que les économistes préfèrent désigner par la fuite du capital humain est apparue dans les années soixante et constitue aujourd’hui l’un des phénomènes les plus redoutables dans le monde, notamment pour les pays en voie de développement qui subissent chaque année une saignée à blanc de leur capital humain qu’ils ont formé à coups de millions de dollars, et dont la conséquence est la diminution significative de leur masse critique nécessaire à leur développement scientifique, technique et économique. Si cette saignée pourrait passer pour anecdotique pour les pays développés qui préfèrent le terme de mobilité ou d’expatriation du fait que, souvent, leurs talents partent avec un billet retour pour découvrir une nouvelle culture ou pour bénéficier de ressources technologiques et d’opportunités professionnelles différentes, voire enrichissantes ; en revanche, pour les pays en voie de développement, c’est un gone for good qui se transforme en catastrophe et certains pays n’hésitent pas à qualifier ce phénomène de «rapt» et de montage par les pays développés pour s’accaparer de personnels «bien formés» pour la plupart. La crainte de ces pays en voie de développement se comprend par le fait qu’ils assistent à un véritable exil de leurs ressources humaines sans espérer des retours d’investissement. Plus grave, cet exil touche maintenant les cadres diplômés expérimentés et les étudiants. Pour éviter toute confusion ou connotation négative, nous parlerons dans la suite de l’exposé de talents algériens à l’étranger pour désigner les Algériens qui exercent leur talent intellectuel en dehors de leur pays d’origine.
Des raisons de partir, d’y rester, aux difficultés de retour ?
Les individus ont le droit de s’installer là où ils veulent, là où ils s’accommodent le mieux. C’est une réalité montrée à travers l’histoire de l’humanité. Les motifs avancés par ces talents algériens à l’étranger en quittant leur pays d’origine sont de nature à les infléchir aux attitudes sournoises des pays d’accueil qui vendent «le rêve américain» en dévaluant l’ici et en idéalisant l’ailleurs. Ces pays offrent, à ne pas douter, une meilleure qualité de vie, des rémunérations alléchantes, des possibilités d’évolution, un rang social recherché… ce qui, a priori, pourrait susciter la tentation même pour les plus sages. Quels que soient les raisons ou les motifs, certains de ces talents algériens à l’étranger ne peuvent être affranchis d’observations à un manquement à leurs obligations professionnelles. Certains partent sans honorer leurs contrats ou assurer la relève des fonctions qu’ils occupaient.
Si la démarche de ces candidats au «rêve américain, européen ou asiatique» indique un projet à réaliser et des perspectives individuelles, il faut se rendre à l’évidence que cela ne se réalise pas comme d’un claquement de doigts. Il faut résister à différentes tempêtes de tout ordre — financier et administratif — et à des difficultés d’adaptation, surtout si la famille l’accompagne dans son périple. C’est une véritable course à la réussite qui s’engage jusqu’à affirmer le succès et y rester, ou recommencer éternellement en attendant des jours meilleurs et y demeurer dans une situation peu brillante, voire précaire.
Cette course à la réussite mène certains à une déconstruction involontaire et les difficultés de retour se compliquent avec le temps. L’esprit va déambuler entre l’ailleurs et l’ici ou l’ici et l’ailleurs, si bien que certaines phobies naissent et s’enracinent, et que certaines appréhensions justifiées ou non s’installent. La crainte de ne plus s’adapter pour lui et pour ses enfants, les différentes distanciations (manière de vivre, mentalité, obstacles économiques), l’obtention de la nationalité étrangère, l’autorisation d’exercer pour les médecins, la confirmation à un poste de travail pour les technologues et les enseignants sont autant d’éléments qui mettent fin à toute velléité de retour au bled, ce qui les entraîne, dans la majorité des cas, à abroger le projet de retour. Mais, faut-il le signaler, certains talents algériens à l’étranger réussissent parfaitement leur retour ; pourtant, ils avaient la possibilité d’y rester.
Nous n’allons pas distribuer des points sur le patriotisme des uns et des autres, le pays a besoin de tous ses scientifiques. Ces talents à l’étranger démontrent, dans leur quasi-majorité, à chaque occasion qui se présente à eux, que leur attachement au pays d’origine ne souffre aucune tare.
Que savons-nous de ces talents à l’étranger
Ils activent dans des domaines de pointe, notamment le management et l’économie, l’informatique et les nouvelles technologies, l’électronique et la physique, la médecine et la pharmacie, les banques, la biotechnologie, les énergies renouvelables et les métiers du futur… Les pays d’accueil sont ceux de l’Europe, l’Afrique du Sud, le Canada, les États-Unis, les pays du Golfe, la Chine, la Malaisie, Singapour et l’Indonésie principalement.
Les statistiques pour cerner l’étendue de ce phénomène sont imparfaites. Quelques bribes d’informations recoupées avec des données émanant d’organismes reconnus permettent d’avancer qu’ils seraient au nombre de 500 000 environ entre cadres, chercheurs, médecins, universitaires et chefs d’entreprise. Parmi eux, un nombre conséquent de 4 000 environ sont dotés de la capacité de décision et d’investissement et 10 000 environ occupent des postes élevés. Ils procurent au pays une rente migratoire de 2 milliards de dollars environ contre 7 milliards pour le Maroc (Source : émission «Invité de la rédaction» de la Chaîne 3 algérienne - octobre 2019), sachant que le nombre des Marocains est inférieur à celui des Algériens à l’étranger.
Ils publient dans des revues scientifiques, déposent des brevets d’invention, travaillent dans des centres de recherche de renommée et enseignent dans des universités de prestige pour la plupart. Nous espérons de tout cœur que l’un d’eux au moins puisse accrocher son nom au tableau des médailles prestigieuses du genre Clark ou Fields. Ils possèdent tous ou presque simultanément plusieurs nationalités.
Comme tout chercheur ou innovateur en expatriation, ils subissent des effets pervers professionnels liés le plus souvent à des pressions de publication scientifiques, de recherche de fonds de financement pour les chefs d’entreprise, de la recherche du poste de travail correspondant le mieux au profil… mais aussi des effets sociaux tels que d’éloignement de leur patrie d’origine, la crainte de la désintégration familiale marquée par le refus ou l’acceptation de valeurs morales perçues différemment entre les enfants et les parents…
Malgré ces difficultés, la majorité de ces talents à l’étranger montrent leur totale disponibilité à une collaboration approfondie, tous azimuts, avec les intelligences nationales pour bâtir un solide partenariat au profit du développement scientifique, technique et économique de l’Algérie. A cet égard, un certain nombre de talents algériens à l’étranger entretiennent, à titre personnel, de parfaites relations professionnelles avec leurs milieux en Algérie (participation à des manifestations scientifiques, actions de formation…).
Comment la problématique est-elle abordée par d’autres pays
Il s’agit d’un phénomène mondial, mais pour certains pays développés, cela reste anecdotique du fait que les talents accomplissent le plus souvent une mobilité profitable avant d’amorcer leur retour. Certains autres pays, comme la Chine, ont réussi à inverser la courbe. En effet, la Chine a favorisé les investissements directs sur la qualité de la formation et dans les infrastructures technologiques, le numérique et l’intelligence artificielle. Aujourd’hui, elle est une manne pour l’innovation et devient une destination privilégiée des investisseurs, des scientifiques et des étudiants de tout horizon. Pour d’autres pays, à l’image de l’Allemagne ou du Royaume-Uni, c’est l’investissement dans la formation qui est privilégié pour attirer les étudiants étrangers et les retenir par la suite. L’Union européenne a mis au point un programme nommé «Tempus Mundus» (transformé en Tempus puis maintenant en Erasmus plus) pour attirer les étudiants grâce au dispositif de la mobilité humaine et, ensuite, retenir les plus doués. C’est une manière de combler les lacunes créées par le départ de leurs propres ressortissants. Rien qu’en France, une forte saignée de ses ressources humaines est constatée (environ deux millions de scientifiques et entrepreneurs français vivent en tant qu’expatriés). Les pays occidentaux ont la particularité d’être xénophiles des compétences nécessaires à leur développement (à la Silicon Valley, 50% de sa population est née à l’étranger).
L’Inde, l’un des pays les plus touchés par le phénomène d’émigration, a enregistré une augmentation sur 10 ans de 256% du taux d’étudiants poursuivant leurs études en médecine à l’étranger (Source : Institut indien de management de Bangalore – 2015), ce qui a amené le gouvernement de l’Inde à instaurer une législation particulière à ses étudiants devant se rendre à l’étranger pour des études en médecine. L’étudiant indien s’engage par contrat à retourner au pays au terme de ses études sous peine de se voir interdire d’exercer la profession de médecin. Ces pays, au côté de leur nouvelle politique de développement intégrant le capital humain de tout horizon, ont mis en œuvre différentes mesures fortement incitatives comprenant des avantages fiscaux, des compensations financières, facilitation d’obtention des visas et de résidence, augmentation d’écoles nationales de qualité…
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