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Le Peuple des Clandestins de Smaïn Laâcher

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  • Le Peuple des Clandestins de Smaïn Laâcher

    Les migrant(e)s clandestin(e)s. «Un peuple d’errants». «Des hommes et des femmes qui «n’ont pas de place, ne sont pas à leur place et recherchent une place», ou encore «des nationaux sans Etat et vivant dans des nations qui les transforment en apatrides de fait, c’est-à-dire des immigrés de partout et de nulle part», écrit Smaïn Laâcher, sociologue et chercheur en Sciences sociales, dans un ouvrage publié aux Editions Calmann-Levy, en mars 2007.

    Qu’a-t-on retenu de la vie des ces migrant(e)s errant(e)s? Rien que «la dimension misérable», répond Smaïn Laacher. Et c’est pour nous proposer un autre regard qu’il s’en va recueillir la parole de ces êtres «sans assignation, déposés ici ou là sans grand pouvoir sur soi» nous introduisant ainsi dans l’univers à la fois passionnant, douloureux et par dessus tout humain de Placide, Pierre, Sue, Myriam et tous les autres anonymes «dépossédés d’un foyer» et dont le rêve est d’accéder enfin à un lieu à soi, un havre de paix et de construction de soi.

    Alors, sur la pointe des pieds, les sens en alerte, suivons Smaïn dans les lieux de vie inconnus de ce «peuple» «sans identité reconnue, sans capacité juridique» qui «ne peut être officiellement désigné car innommable».

    «Le Peuple des Clandestins», un ouvrage sur les migrant(e)s en errance, «cette circulation sans pouvoir». Quels sont les facteurs qui ont présidé au choix de cette catégorie de population migrante ?

    A l’origine de cet ouvrage c’est une commande des éditions Calman-Lévy. C’est Sylvie Gillet qui m’a proposé d’écrire un livre à partir d’un article que j’avais publié dans la revue «Politix», en 2005, intitulé «Eléments pour une sociologie de l’exil». Pour moi, c’est la fin d’un cycle de recherches qui a commencé avec Sangatte. C’est une accumulation de recherches, d’observations et d’entretiens. Je suis «fasciné» par les personnes qui sont dépossédées de toute place dans le monde. Avec ce livre, je vais au plus près de leurs conditions d’existence.

    Ce livre est donc une ethnographie de ces populations migrantes «dépourvues d’identité légale et d’existence publique». De nouvelles questions sociologiques que tu explores là ?

    C’est à la fois une ethnographie et une sociologie de la figure du «clandestin exclu», c’est-à-dire celui qui est entré par effraction dans la nation d’autrui pour devenir un hôte abusif. Avec Sangatte, il s’agissait essentiellement de questions de sociologie classique, en l’occurrence de circulation, d’installation, de flux migratoires, etc. Dans cet ouvrage, je voulais reprendre des thèmes qui me sont chers, comme l’identité et ses liens avec la frontière et le territoire, la question du sujet et de ses rapports avec l’Etat, de l’appartenance à un collectif avant même d’appartenir à une nation, du corps, de ce corps indissociable d’un nom et d’un lieu.

    Cette figure du «clandestin exclu» semble poser problème aux Etats-Nations. «Cet étranger sans droits est devenu pour les sociétés riches et démocratiques une véritable hantise», as-tu-écrit. Quelles sont les raisons objectives de cette attitude ?

    Il n’y en a qu’une seule : on ne peut pas se rendre chez les autres sans y avoir été invité. On n’entre pas chez les autres par effraction, la métaphore domestique qui sied parfaitement à ce type de configuration.

    Cette population constitue de ton point de vue «un peuple»...

    Oui, au sens de communauté» habitant des territoires définis et qui ont en commun des règles, des codes et des «institutions». Ce sont des systèmes d‘identification, des modes de déplacement dans l’espace, des modes plus ou moins durables d‘enracinement et de déracinement très particuliers. Ce sont aussi des revendications particulières.

    Mais alors qu’est ce qui distingue cette catégorie de migrant(e)s de celle des «sans-papiers» ?

    Le «sans-papier» est d’abord entré régulièrement dans une autre nation que la sienne. Puis, il est devenu un hôte encombrant, mais pas pour tout le monde. Au fil du temps, il est devenu une cause collective. Il mobilise des sphères de la société qui produisent des opinions publiques et des représentations (intellectuels, artistes, églises...). Le clandestin, on ne sait pas quoi faire de lui. C’est la population embarrassante par excellence, embarrassante pour le langage. Est-il un migrant économique ? Un réfugié ? Un irrégulier ? Le plus souvent, le premier cherche l’enracinement quand le second dit : «Surtout ne vous dérangez pas pour moi. Je ne fais que passer. Je ne resterai pas longtemps».

    Après ces considérations d’ordre général, immergeons-nous dans l’univers de ce «peuple errant ?» Le «voyage» est la première étape de la mobilité migratoire du clandestin. C’est de ton point de vue «un long voyage qui a un point de départ mais pas de port d’arrivée». Quels sont les éléments les plus déterminants qui le caractérisent ?

    Le voyage est caractérisé par une incertitude, une improbabilité et une violence sur soi et des autres sur soi. La seule certitude, c’est le départ. Tout le reste relève de processus et de mécanismes aléatoires. Ce sont les circonstances qui vont en grande partie organiser les conditions du voyage.

    Mais où veulent-ils aller ?


    C’est une question qui, objectivement, n’a plus de sens. Ils veulent quitter un pays qui les a déjà quittés. Ils veulent trouver un lieu où ils peuvent encore croire à l’incroyable.

    Comment vivent-ils/elles ce voyage et quelles sont les répercussions sur leur état de santé physique et psychique ?

    On a observé que les gens qui arrivaient à bon port tombaient malades et avaient de gros problèmes physiques et psychologiques une fois que leur situation sociale et administrative était réglée. Pas avant. Puis, il y a les autres qui, au fil du voyage, finissent par devenir inutiles à eux-mêmes. C’est en cours de route que tout peut s’écrouler. Quand les situations s’enchaînent, quand chacune ressemble à l’autre et qu’à chaque fois c’est la même insupportabilité, alors ça finit par poser un vrai problème et ils s’en remettent aux autres, c’est-à-dire aux associations, à l’OMI, au H.C.R.

    La vie clandestine affecte le corps du migrant(e) clandestin(e). Tu le décris comme «un corps embarrassant que l’on traîne et qui se traîne». Quels sont les signes qui traduisent cette idée ?

    Le corps est la seule ressource qu’ils possèdent. Sans un corps en état de marche, il n’y a pas de déplacement possible. Ils l’entretiennent sans l’entretenir en réalité. Quand ils peuvent l’entretenir, ils le soignent. Sinon, le reste du temps ils sont toujours à la recherche d’un moment de répit. Bien souvent, les forces s’épuisent et il y a un moment où ils ne peuvent plus puiser les dernières forces pour se déplacer ; alors le corps s’affaisse. C’est un corps doublement délocalisé d’un lieu et d’une nation ; un corps sans nom, sans place, désaxé. Alors, celui qui le porte déambule au gré des forces extérieures. Il n’est ni tenu ni maintenu.

  • #2
    Le clandestin est «une identité sans territoire». Cela signifie-t-il qu’il n’a pas un territoire identifié auquel il est assigné mais plutôt une multiplicité de territoires ? Quels sont les espaces qu’il investit ?

    Ils se retrouvent dans les espaces qu’on leur laisse, à l’écart du commerce de la ville et des humains. Ce sont les forêts, les bois, les abris de fortune. Il y a des corps ambulants sans territoire. Leur espace est transnational. Et il n’y a pas d’identité et d’enracinement sans territoire. Ce sont les institutions qui pourvoient en identité. Il n’y a que les institutions qui ont le droit de dire celui-ci a le droit d’exister ou non sur nôtre territoire». S’il a ce droit, il devient quelqu’un qui a le droit d’avoir des droits.

    Les bois, les forêts..., mais dans quelles conditions ?

    Dans la forêt ou les bois ils vivent dans les conditions les plus précaires. Ce sont des espaces de survie. Ils sont à l’écart de tout, et c’est tout ce que les militants et les journalistes ont retenu. Du coup, ils ont passé sous silence le statut du politique. L’organisation des clandestins, en particulier au Maroc, est quelque chose de très intéressant : ils ont importé avec eux des institutions qui, par ailleurs, avaient pour fonction de réguler soit les relations sociales, soit, comme les Casques bleus, l’OUA, etc.

    «Dans la forêt de Benyounech, au Nord du Maroc, ils ont construit du politique» as-tu écrit . Quel est donc le sens de cette notion ?

    Il ne s’agit pas de la politique au sens d’élaboration de stratégies pour prendre des positions de pouvoir. C’est au sens d’une recherche d’égalité, au sens de la production d’une parole pour l’égalité. Ils prennent la parole, ils l’organise à partir de règles. Bien entendu, la question de l’égalité et du politique ne va pas sans la question du juste et de l’injuste. Il n’y a pas d’humanisation possible de la nature sans produire du politique, sans poser la question de l’égalité. Le politique c’est l’égalité et l’égalité c’est l’ordre.

    Par la force des circonstances, la forêt est devenue un «espace d’expression d’un sujet» au sein duquel la parole joue un rôle important. Quelle est la fonction de cette parole ?


    Elle joue un rôle important car sans parole il n’y a pas de discours sur l’égalité, sur des principes de justice, sur les conditions d’une vie en commun. Il n‘y a pas d‘organisation possible sur les tours de passage», comme pour l’Espagne par exemple.

    «Les clandestin(e)s sont dépossédé(e)s d’un foyer», as-tu écrit. Que recouvre cette notion ?

    Le foyer ! C’est de là que tout part et c’est là que tout revient. Nous sommes dans des catégories de filiation, de l’appartenance à une communauté qui donne un nom. Le foyer, c’est aussi en dernier lieu un abri. Ce n’est pas seulement là où il y a de la lumière et de la chaleur (du feu). C’est aussi le centre de la terre et du monde. On ne peut pas partir sans penser qu’on reviendra. Pour moi, la question du foyer pose la question du rapport très compliqué au pays d’origine.

    Un clandestin est un être qui «tourne autour de soi».

    Quand il finit par tourner autour de lui-même, c’est que le monde autour de lui à quasiment disparu. Il ne peut plus penser, se projeter, décontextualiser. Il ne peut plus sortir de soi. La perte du sens est toute proche. Je «tourne autour de moi-même» signifie avoir rompu avec toute espérance. C’est l’envers de l’attente, car l’espérance c’est de l’attente qui a du sens et, là, il n’y a plus d’espérance car c‘est une attente insensée. L’attente est une catégorie fondamentale qui structure toute l’existence du clandestin.

    Dans l’avant-dernier chapitre, tu traites de la question de «la violence de l’Etat surpuissant» à l’égard de l’étranger sans droit». Tu illustres par le modèle tunisien. Cela signifie-t-il qu’en Europe l’Etat n’est pas surpuissant ?


    En Europe, la surpuissance de l’Etat se pose différemment. On peut s’opposer à l’Etat et à sa politique migratoire, manifester avec les sans-papiers, poser des questions aux candidats à la présidence de la république. On peut se déclarer en désobéissance civile. Pas en Algérie ou en Tunisie. Les choses sont encore différentes au Maroc. En Tunisie et en Algérie, à l’égard des immigrés et des clandestins, la violence d’Etat interdit de venir en aide à ces populations même si en pratique des algériens et des tunisiens aident ces étrangers.

    Dans ton ouvrage, tu parles du Maroc et de la Tunisie. L’Algérie n’y est pas mentionnée. Que signifie cette absence ?

    Si je ne consacre pas de développements sur l’Algérie c’est par honnêteté intellectuelle car je n‘ai pas fait d‘enquête. Ce thème mérite qu’on s’y intéresse politiquement, mais également du point de vue des sciences sociales. Aussi, vu l’état de délabrement de la recherche sur les migrations en Algérie et en Tunisie j’ai bien peur que cet objet ne soit encore pendant longtemps le monopole d’idéologues tièdes et sans imagination sociologique. Les chercheurs qui s’aventurent sur ce terrain le font de manière très déguisée ; sans audace théorique et sans terrain pertinent. C’est beaucoup moins vrai pour le Maroc. Les choses auront beaucoup changé (dans ce domaine et dans beaucoup d’autres) quand il existera des recherches universitaires et des études financées par l’Etat sur le sur le racisme et la xénophobie au Maghreb.

    Par La nouvelle République

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