Par Ahmed Cheniki
5 Juillet 2020
Souvent, quand on parle de la colonisation, on oublie souvent la part prise par certains écrivains dans la préparation de cette entreprise déshumanisante. Les uns soutenaient ouvertement l’entreprise coloniale, d’autres se taisaient, malgré l’évidence de la tragédie coloniale. Les écrivains qui avaient soutenu la colonisation allaient se liguer contre la commune de Paris de 1871, justifiant et défendant le discours de Versailles et de Thiers, exception faite de Jules Vallès. Zola, Sand, Flaubert, Gautier, Daudet, Taine, Renan...applaudissaient au massacre des communards.
Tous les journaux, sauf Le cri du peuple, soutenaient Versailles et cherchaient à décrédibiliser la Commune. Zola écrivit un roman, "La débâcle", s'attaquant aux communards alors que Jules Vallès défendit ces "petites gens" dans un roman intitulé "L'insurgé". Emile Zola dont on cite toujours sa défense de Dreyfus prit position contre les communards en justifiant les massacres et les déportations de ces "gueux" et de ces "sauvages". Le même lexique employé pour qualifier les colonisés était employé pour nommer les communards. Certes, Hugo n’avait pas condamné les communards, mais était un grand défenseur de la colonisation. Un parallèle saisissant. La littérature et les arts accompagnent souvent les empires. Ce n’est nullement nouveau.
Pour bien connaitre la littérature algérienne, il est important de voir à quelles œuvres elle fait suite. De très nombreux écrivains français ont entrepris une sorte de pèlerinage en Algérie, découvrant ainsi les délices d’une nature particulière et les lieux singuliers d’un décor majestueux, à l’origine d’un regard exotique et de l’occultation presque totale de la dimension coloniale. L’autochtone devient une silhouette, une ombre, un non-être, un simple objet de décor dans plusieurs romans. Souvent, les auteurs proposaient des textes cautionnant la colonisation. L’exotisme, les stéréotypes et la fascination des mœurs « barbares » caractérisaient leur écriture. Leur regard était substantiellement nourri d’images négatives, de stéréotypes et de présupposés.
Ces écrivains « touristes », séduits par la singularité des lieux, particularisant à l’extrême les autochtones, allaient surtout, gagnés par l’exotisme ambiant, proposer de longues descriptions des paysages et donner à voir une Algérie sans conflits, ni misère. Ils fonctionnaient comme les auxiliaires de l’Empire, reproduisant les clichés dominants et péjorant les autochtones algériens considérés comme des sous-hommes, de simples silhouettes.
Les colonisés étaient présentés comme singuliers, étranges. Cette tendance à singulariser radicalement la culture des autres s’inscrit dans une logique d’exclusion et de fabrication de l’Autre intégral, étrange et étranger qui ne peut-être « civilisé » qu’en empruntant les valeurs de la culture dominante, c’est-à-dire en s’assimilant et se reniant. La colonisation était justifiée par ses artisans comme une « volonté » très intéressée de civiliser les « barbares », les « sauvages ». L’insistance sur la « singularité » des lieux et des êtres relève de l’exotisme. Ce regard marqué par les jeux de l’exclusion est porté par des charges d’Histoire et des constructions idéologiques. Même le colonisé produit une image particulière du colonisateur. Tout est affaire d’image, de construction et de représentation.
Eugène Delacroix (1798-1863), par exemple, découvrait l’orientalisme lors d’un de ses séjours en Algérie, peignant de très belles toiles en pleine nature dont « Femmes d’Alger dans leur appartement » (1834), ignorant sciemment ce qui était pourtant visible, l’exploitation coloniale, il ne s’embarrassait nullement des massacres perpétrés par les nouveaux conquérants, dont la mission était de « civiliser » les musulmans, en usant de bastonnades et de violences extrêmes. Ils étaient nombreux ceux qui s’étaient déplacés pour admirer ces « sauvages » qu’étaient, à leurs yeux, les autochtones dont le crime résidait dans le fait qu’ils avaient d’autres pratiques culturelles. Delacroix portait un regard plutôt dégradant sur ces femmes. Gabriel Audisio parlait ainsi de cette mode qui caractérisait le paysage littéraire de l’époque, ces auteurs qui venaient chanter la colonisation, se transformant en porte-drapeau, niant l’homme, le colonisé : « On n’en finirait pas s’il fallait énumérer tous ceux qui sont venus voir cette terre, y trouver des motifs de description, des sujets de récits, des thèmes d’inspiration.
Les bibliographies qu’on a tentées à cet égard comportent des centaines de pages. La liste va de Chateaubriand à Jean Cocteau, de Théophile Gauthier à André Gide, de Maupassant à Montherlant, en passant par Flaubert, Alphonse Daudet, Loti, Jammes, Louys et cent autres. »
Ces écrivains accompagnaient l’empire colonial, cherchant à justifier son entreprise de conquête tout en mettant en scène, dans leurs textes, les espaces marqués de soleil et d’exotisme, donnant à voir un monde stable peuplé de colons, positivement décrits et des indigènes, mal en point, sauvages, en haillons, de simples ombres fugitives. La dimension idéologique est prégnante. L’usage de longues descriptions s’inscrivait dans ce désir d’occulter les territoires humains et les tortures coloniales pour privilégier l’exposition de paysages et de natures mortes. Ce discours, péjorant et minorant les indigènes est le produit d‘une longue histoire faite de déni de l’Autre et d’un processus mémoriel travaillé par la fabrication d’une Afrique du Nord musulmane sauvage et barbare. L’écrivain se mue en illustrateur du discours colonial.
L’absence de l’Autre s’explique par une forte propension à l’exclure de son propre territoire et à le remplacer par l’Européen qui serait ainsi le véritable propriétaire de ces terres. Cette absurde transformation va être reprise, à leurs comptes, par les chantres de l’Algérianisme. Dans cette littérature, la latence investit le territoire d’une charge idéologique particulière. Le soleil devient l’acteur principal et le centre de toutes les manifestations littéraires. L‘un des représentants attitrés de ce courant n’est autre qu’Eugène Fromentin (1820-1876) qui expose, en usant de très nombreuses descriptions, des lieux et des paysages ensoleillés, mettant en scène des personnages peu marqués par la situation sociale et politique de l’époque (Un été au Sahara, 1857 ; Une année dans le Sahel, 1858).
Le silence sur d’atroces réalités coloniales est lourd de sens, il va dans le sens de la complicité. Même André Gide (1869-1951) évacue totalement les dimensions sociales et politiques privilégiant l’aspect esthétique et la sensualité des lieux et des personnages, comme s’il était aphone et aveugle. Ses mots taisent le monde du visible. Blida et Biskra sont les lieux-cadre de ses deux romans, Les nourritures terrestres (1897) et L’immoraliste (1902).
Dans ce dernier texte, nous découvrons un certain nombre de traces de la vie de Gide exposant les odeurs et les couleurs de Biskra, sur fond d’une rencontre entre Michel, « l’immoraliste » et Marcelline à Biskra. Michel, malade, ne se sent concerné que par le monde sensuel qui l’entoure, refusant de voir l’univers social et ses misères. La colonisation, il ne pouvait en parler, lui qui, pourtant se targuait d’une attaque frontale contre l’URSS dans son ouvrage paru en 1936, « Retour de l’URSS ». Il était silencieux, préférant les senteurs et les humeurs aux souffrances des colonisés et à l’injustice coloniale.
Seul, Henry de Montherlant a donné à voir une image différente des autres romanciers prenant comme décor l’Algérie. Dans son roman, « La rose de sable », il met en scène un officier français de droite qui tombe amoureux d’une prostituée qui le refuse préférant vendre son corps que se dépouiller de son âme. C’est un texte qu’on devrait faire connaitre dans nos universités.
Ce bouillonnement littéraire exprime une volonté de déterrer cette image figée du Nord-Africain fabriqué par l’imaginaire mémoriel et les officines coloniales trop pressées d’en finir avec le musulman qui serait un ennemi atavique. Cette représentation est toujours présente dans l’imaginaire des anciennes puissances coloniales, mais également dans le discours de quelques colonisés ayant intériorisé ces pratiques discursives. Il n’en demeure pas moins que la parole prise en charge par ces écrivains constitue, certes, un témoignage et une prise de parti idéologique. L’écrivain reproduit ainsi, consciemment ou inconsciemment le discours impérial, participant indirectement de l’entreprise génocidaire coloniale. Jacqueline Arnaud fait un constat judicieux : « Tout livre d’un écrivain français sur l’Afrique du Nord est donc, volontairement ou non, un document, non seulement par ce qu’il dit, mais aussi par ce qu’il ne dit pas. »
Le discours développé par les « écrivains voyageurs » est repris par les Algérianistes qui, certes, radicalisent leur propos en évacuant systématiquement l’Arabe, le Musulman, l’autochtone drapé du sceau de l’inauthenticité et de l’absence d’identité. Même ceux faisant partie d’un ensemble hétéroclite « L’école d’Alger », reprenant les thèmes développés par les Algérianistes, poursuivant tout simplement leur œuvre tout en rejetant l’idée d’autonomie par rapport à la métropole. Ils considèrent qu’ils seraient les véritables indigènes.
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5 Juillet 2020
Souvent, quand on parle de la colonisation, on oublie souvent la part prise par certains écrivains dans la préparation de cette entreprise déshumanisante. Les uns soutenaient ouvertement l’entreprise coloniale, d’autres se taisaient, malgré l’évidence de la tragédie coloniale. Les écrivains qui avaient soutenu la colonisation allaient se liguer contre la commune de Paris de 1871, justifiant et défendant le discours de Versailles et de Thiers, exception faite de Jules Vallès. Zola, Sand, Flaubert, Gautier, Daudet, Taine, Renan...applaudissaient au massacre des communards.
Tous les journaux, sauf Le cri du peuple, soutenaient Versailles et cherchaient à décrédibiliser la Commune. Zola écrivit un roman, "La débâcle", s'attaquant aux communards alors que Jules Vallès défendit ces "petites gens" dans un roman intitulé "L'insurgé". Emile Zola dont on cite toujours sa défense de Dreyfus prit position contre les communards en justifiant les massacres et les déportations de ces "gueux" et de ces "sauvages". Le même lexique employé pour qualifier les colonisés était employé pour nommer les communards. Certes, Hugo n’avait pas condamné les communards, mais était un grand défenseur de la colonisation. Un parallèle saisissant. La littérature et les arts accompagnent souvent les empires. Ce n’est nullement nouveau.
Pour bien connaitre la littérature algérienne, il est important de voir à quelles œuvres elle fait suite. De très nombreux écrivains français ont entrepris une sorte de pèlerinage en Algérie, découvrant ainsi les délices d’une nature particulière et les lieux singuliers d’un décor majestueux, à l’origine d’un regard exotique et de l’occultation presque totale de la dimension coloniale. L’autochtone devient une silhouette, une ombre, un non-être, un simple objet de décor dans plusieurs romans. Souvent, les auteurs proposaient des textes cautionnant la colonisation. L’exotisme, les stéréotypes et la fascination des mœurs « barbares » caractérisaient leur écriture. Leur regard était substantiellement nourri d’images négatives, de stéréotypes et de présupposés.
Ces écrivains « touristes », séduits par la singularité des lieux, particularisant à l’extrême les autochtones, allaient surtout, gagnés par l’exotisme ambiant, proposer de longues descriptions des paysages et donner à voir une Algérie sans conflits, ni misère. Ils fonctionnaient comme les auxiliaires de l’Empire, reproduisant les clichés dominants et péjorant les autochtones algériens considérés comme des sous-hommes, de simples silhouettes.
Les colonisés étaient présentés comme singuliers, étranges. Cette tendance à singulariser radicalement la culture des autres s’inscrit dans une logique d’exclusion et de fabrication de l’Autre intégral, étrange et étranger qui ne peut-être « civilisé » qu’en empruntant les valeurs de la culture dominante, c’est-à-dire en s’assimilant et se reniant. La colonisation était justifiée par ses artisans comme une « volonté » très intéressée de civiliser les « barbares », les « sauvages ». L’insistance sur la « singularité » des lieux et des êtres relève de l’exotisme. Ce regard marqué par les jeux de l’exclusion est porté par des charges d’Histoire et des constructions idéologiques. Même le colonisé produit une image particulière du colonisateur. Tout est affaire d’image, de construction et de représentation.
Eugène Delacroix (1798-1863), par exemple, découvrait l’orientalisme lors d’un de ses séjours en Algérie, peignant de très belles toiles en pleine nature dont « Femmes d’Alger dans leur appartement » (1834), ignorant sciemment ce qui était pourtant visible, l’exploitation coloniale, il ne s’embarrassait nullement des massacres perpétrés par les nouveaux conquérants, dont la mission était de « civiliser » les musulmans, en usant de bastonnades et de violences extrêmes. Ils étaient nombreux ceux qui s’étaient déplacés pour admirer ces « sauvages » qu’étaient, à leurs yeux, les autochtones dont le crime résidait dans le fait qu’ils avaient d’autres pratiques culturelles. Delacroix portait un regard plutôt dégradant sur ces femmes. Gabriel Audisio parlait ainsi de cette mode qui caractérisait le paysage littéraire de l’époque, ces auteurs qui venaient chanter la colonisation, se transformant en porte-drapeau, niant l’homme, le colonisé : « On n’en finirait pas s’il fallait énumérer tous ceux qui sont venus voir cette terre, y trouver des motifs de description, des sujets de récits, des thèmes d’inspiration.
Les bibliographies qu’on a tentées à cet égard comportent des centaines de pages. La liste va de Chateaubriand à Jean Cocteau, de Théophile Gauthier à André Gide, de Maupassant à Montherlant, en passant par Flaubert, Alphonse Daudet, Loti, Jammes, Louys et cent autres. »
Ces écrivains accompagnaient l’empire colonial, cherchant à justifier son entreprise de conquête tout en mettant en scène, dans leurs textes, les espaces marqués de soleil et d’exotisme, donnant à voir un monde stable peuplé de colons, positivement décrits et des indigènes, mal en point, sauvages, en haillons, de simples ombres fugitives. La dimension idéologique est prégnante. L’usage de longues descriptions s’inscrivait dans ce désir d’occulter les territoires humains et les tortures coloniales pour privilégier l’exposition de paysages et de natures mortes. Ce discours, péjorant et minorant les indigènes est le produit d‘une longue histoire faite de déni de l’Autre et d’un processus mémoriel travaillé par la fabrication d’une Afrique du Nord musulmane sauvage et barbare. L’écrivain se mue en illustrateur du discours colonial.
L’absence de l’Autre s’explique par une forte propension à l’exclure de son propre territoire et à le remplacer par l’Européen qui serait ainsi le véritable propriétaire de ces terres. Cette absurde transformation va être reprise, à leurs comptes, par les chantres de l’Algérianisme. Dans cette littérature, la latence investit le territoire d’une charge idéologique particulière. Le soleil devient l’acteur principal et le centre de toutes les manifestations littéraires. L‘un des représentants attitrés de ce courant n’est autre qu’Eugène Fromentin (1820-1876) qui expose, en usant de très nombreuses descriptions, des lieux et des paysages ensoleillés, mettant en scène des personnages peu marqués par la situation sociale et politique de l’époque (Un été au Sahara, 1857 ; Une année dans le Sahel, 1858).
Le silence sur d’atroces réalités coloniales est lourd de sens, il va dans le sens de la complicité. Même André Gide (1869-1951) évacue totalement les dimensions sociales et politiques privilégiant l’aspect esthétique et la sensualité des lieux et des personnages, comme s’il était aphone et aveugle. Ses mots taisent le monde du visible. Blida et Biskra sont les lieux-cadre de ses deux romans, Les nourritures terrestres (1897) et L’immoraliste (1902).
Dans ce dernier texte, nous découvrons un certain nombre de traces de la vie de Gide exposant les odeurs et les couleurs de Biskra, sur fond d’une rencontre entre Michel, « l’immoraliste » et Marcelline à Biskra. Michel, malade, ne se sent concerné que par le monde sensuel qui l’entoure, refusant de voir l’univers social et ses misères. La colonisation, il ne pouvait en parler, lui qui, pourtant se targuait d’une attaque frontale contre l’URSS dans son ouvrage paru en 1936, « Retour de l’URSS ». Il était silencieux, préférant les senteurs et les humeurs aux souffrances des colonisés et à l’injustice coloniale.
Seul, Henry de Montherlant a donné à voir une image différente des autres romanciers prenant comme décor l’Algérie. Dans son roman, « La rose de sable », il met en scène un officier français de droite qui tombe amoureux d’une prostituée qui le refuse préférant vendre son corps que se dépouiller de son âme. C’est un texte qu’on devrait faire connaitre dans nos universités.
Ce bouillonnement littéraire exprime une volonté de déterrer cette image figée du Nord-Africain fabriqué par l’imaginaire mémoriel et les officines coloniales trop pressées d’en finir avec le musulman qui serait un ennemi atavique. Cette représentation est toujours présente dans l’imaginaire des anciennes puissances coloniales, mais également dans le discours de quelques colonisés ayant intériorisé ces pratiques discursives. Il n’en demeure pas moins que la parole prise en charge par ces écrivains constitue, certes, un témoignage et une prise de parti idéologique. L’écrivain reproduit ainsi, consciemment ou inconsciemment le discours impérial, participant indirectement de l’entreprise génocidaire coloniale. Jacqueline Arnaud fait un constat judicieux : « Tout livre d’un écrivain français sur l’Afrique du Nord est donc, volontairement ou non, un document, non seulement par ce qu’il dit, mais aussi par ce qu’il ne dit pas. »
Le discours développé par les « écrivains voyageurs » est repris par les Algérianistes qui, certes, radicalisent leur propos en évacuant systématiquement l’Arabe, le Musulman, l’autochtone drapé du sceau de l’inauthenticité et de l’absence d’identité. Même ceux faisant partie d’un ensemble hétéroclite « L’école d’Alger », reprenant les thèmes développés par les Algérianistes, poursuivant tout simplement leur œuvre tout en rejetant l’idée d’autonomie par rapport à la métropole. Ils considèrent qu’ils seraient les véritables indigènes.
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