-1-
L’auteur dédie ce texte à la mémoire de Mehdi Ben Barka, le plus illustre supplicié marocain.
Le récit de Jaafar Al Bakli, Universitaire tunisien, chercheur sur les questions de l’Islam, spécialiste de l’histoire politique des pays arabes, notamment les pays du Golfe.
Le coup d’État de Skhirat est la première tentative de coup d’État militaire contre le régime de Hassan II, alors roi du Maroc; la seconde ayant été le «coup d’État des aviateurs». Ce putsch avorté a eu lieu le 10 juillet 1971 dans le palais royal situé dans la petite localité de Skhirat. Hassan II fêtait son 42e anniversaire dans cette résidence d’été qui accueillait pour l’occasion un millier d’hôtes venus du monde entier, répartis entre les différents pavillons et les tentes caïdales.
Cette tentative de coup d’État a été menée par le général Mohamad Medbouh, l’instigateur qui avait pour mission de dégarnir la garde du palais. Le général Medbouh était secondé par le lieutenant-colonel M’hamed Ababou, chargé d’investir le palais avec ses troupes et de s’emparer des points stratégiques de Rabat.
Un troisième complice le colonel Chelouati, un intime du général Mohamad Oufkir, qui joua un rôle trouble dans cette affaire, devait, avec ses compagnons de l’état-major, rallier l’ensemble de l’armée; contrôler le pays et coordonner l’intervention, de même que la diffusion des communiqués à la radio. L’opération mobilisa 1.400 cadets de l’École militaire des sous-officiers d’Ahermoumou.
Le carnage fit une centaine de tués et environ 200 blessés parmi les invités du roi. Hassan II sauva sa vie en se cachant plusieurs heures dans un «dressing-room» jouxtant la salle du trône et protégée par sa garde personnelle.
Parmi les victimes figuraient:
Ahmed Bahnini, Premier ministre du Maroc de 1963 à 1965 ;
Henri Dubois-Roquebert, médecin de la famille royale et ami du roi Mohammed.
Marcel Dupret, ambassadeur de Belgique au Maroc.
Omar Ghannam, directeur du Centre cinématographique marocain.
Pierre Kremer, chef cuisinier de l’hôtel de la tour Hassan de Rabat.
Max Magnan, directeur de la Compagnie du sucre au Maroc.
Parmi les cadets, près de 200 furent pris dans les tirs croisés de leurs camarades et une centaine furent abattus lors de la tentative de putsch; 74 officiers et sous-officiers furent condamnés à des peines allant de un an de prison à la perpétuité en février 1972; 10 officiers supérieurs (dont quatre généraux) furent exécutés. L’ensemble des cadets fut radié du corps militaire marocain.
Bagne de Tazmamart
Jusqu’en 1991, les autorités marocaines ont nié l’existence du bagne de Tazmamart. Sur les 58 officiers incarcérés, seulement 28 ont survécu aux conditions inhumaines du bagne.
Fin de la note
I- LE CAPORAL PIÉTINE LE GÉNÉRAL
A peiné agé de vingt ans, le caporal pointa son revolver sur les dignitaires du régime marocain et leur ordonna de s’étendre par terre, s’adressant à eux sur un ton véhément: “Couchez vous par terre et ne bougez pas”.
Saisis de panique, les dignitaires marocains n’ont pas tenu compte de cette injonction, jugeant plus avisé de prendre la fuite pour échapper aux assaillants, se bousculant les uns, les autres pour se placer à l’abri…. tels des ânes subitement libérés de leurs enclos. Le sous officier tira une salve en l’air. Les dignitaires se raidirent comme pétrifiés par le bruit de la détonation.
A- Ahmad Reda Guédira
Le conseiller du roi et son commensal régulier, telle une autruche blessée, courait dans tous les sens, la tête enfouie entre ses deux mains comme pour la protéger. Trébuchant, il ne parvint pas à se relever, terrorisé par la peur. Imaginatif, il eut recours à un stratagème pour échapper à un sort fatal: il simula la mort. Il demeurera trois heures durant étendu sous un soleil de plomb sur le green du Golf du palais royal de Skhirat.
B- Abdel Hadi Boutaleb
Le ministre des Affaires étrangères a cherché à gagner la plage toute proche. Par malchance, il est atteint au pied par les éclats d’un projectile. Il se jeta sur une dune et roula sur le sable pour échapper au regard des assaillants, se brisant les lunettes de soleil qu’il portait ce jour-là. Se relevant au terme de sa course, il offrait le spectacle d’un homme borgne, son oeil droit recouvert d’un verre noir, l’oeil gauche dégagé sans lunettes.
A peine relevé, un sous officier s’empara d’Abdel Hadi Boutaleb et l’entassa au dessus d’Abdel Latif Filali, ministre de l’Enseignement supérieur, lui même placé au dessus de Mohamad Charkaoui, beau frère d’Hassan II dont il avait épousé la sœur.
Un empilement de ministres terrorisés en fait. Un spectacle pathétique et honteux à la fois (1).
Plus tard, les sous officiers, pour justifier leur comportement aberrant, ont plaidé le principe de obéissance hiérarchique et de la discipline militaire, l’ignorance de l’identité des conjurés.
En fait, le général M’hamed Ababou, qui a co-dirigé avec le général Medbouh, l’aide de camp du Roi, le coup d’état militaire, n’avait pas donné instruction à ses subordonnés d’humilier les dignitaires du régime, ni de maltraiter les officiers supérieurs des Forces Armées Royales (FAR). Par excès de zèle, les sous-officiers se sont déchainés dans l’accomplissement de leur mission.
L’un des plus jeunes officiers supérieurs l’armée marocaine, Directeur de l’école de formation des sous officiers d’Ahermoumou, qui deviendra par la suie Ribate Al Kheir, Ababou périra lui-même au cours de cette tentative de putsch.
C- Le général Idriss Ben Ammar Al Alami
Ainsi un caporal de l’académie militaire d’Ahermoumou a placé sous ses bottes le Général Idriss Ben Ammar Al Alami, ministre des Postes,, ancien chef d’Etat- major de l’armée et inspecteur général des FAR, piétinant le général en s’esclaffant de rire. Le général Idriss est demeuré silencieux, subissant l’affront avec stoîcisme (2).
D- Mahjoudi Ahardanne
Craignant que le caporal, livide, ne décharge son chargeur sur sa personne à la moindre protestation, Mahjoubi Ahardane, ministre de la Défense, était étendu par terre, les deux bras levés au ciel en signe de capitulation.
Un sous officier l’aperçoit et lui ordonne de se déchausser. M. Ahardane obtempère. Puis sur ton méprisant, le sous officier lui ordonne de se déshabiller. Ahardanne se rebiffe alors et s’écrit: «AH Non, Je ne suis pas un singe»(3). A la réponse du ministre de la défense, les assaillants éclatèrent de rire.
L’un d’eux, apercevant le Gateau d’anniversaire du Roi, vida son chargeur dans la pièce montée, en guise de défouloir.
Un capitaine, originaire de la même province que Mahjoubi Ahardane, intercéda alors auprès des assaillants pour obtenir un sauf conduit au ministre de la défense et chef du «Mouvement Populaire».
E- Le Colonel Kherraba.
Savourant sa boisson alcoolisée dans une loge ambulante évoluant dans les jardins du palais, le Colonel Kherraba était dans l’ignorance la plus complète des événements qui se déroulaient dans l’enceinte du Palais royal de Skhirat.
Sa dégustation sera brutalement interrompue par l’entrée en force d’une escouade de militaires qui l’ont aussitôt délesté de son élégant uniforme d’officier marocain et l’ont jeté à terre, tout nu.
S’estimant bafoué dans sa dignité, tremblant de rage, il s’adressa aux soldats en ces termes: «Je suis le colonel Kherraba. Personne ne me touche». Sans daigner lui répondre, les soldats retournèrent leurs armes dans sa direction pour lui asséner des coups de crosse, avant de le jeter à terre et de l’étendre aux côtés de ses collègues.
2- LE GÂTEAU D’ANNIVERSAIRE DU ROI, UN DÉFOULOIR AUX MUTINS.
Comment expliquer un tel déchainement de violences d’officiers subalternes à l’encontre de ministres, d’officiers supérieurs, de dignitaires du régime, serviteurs obséquieux du trône, dont la malchance et la crainte pour leur vie les ont conduit à abdiquer toute dignité, s’étalant aux pieds des mutins pour les implorer ?
Les mutins étaient-ils animés par la haine? Par une volonté de représailles? De l’insolence pure? Ou alors par pure bêtise et immaturité? La réponse se trouve probablement dans une synthèse de toutes ses motivations.
Les mutins appartenaient tous à la classe la plus défavorisée de la population marocaine. Ils avaient été abasourdis par ce qu’ils avaient découvert au Palais Royal de Skhirat. Le spectacle festif dispendieux a agi comme un déclic, libérant de pulsions jusque là enfouies.
L’un d’eux, apercevant le gâteau d’anniversaire du Roi, vida son chargeur dans la pièce montée, en guise de défouloir, laissant se déverser un flot de chocolat sur la nappe.
3- LE COUSCOUS DU ROI
Des fruits de mer à perte de vue. De toutes sortes. La table du Roi était abondamment fournie: homards, langoustes, crevettes, écrevisses, saumon importé de l’Océan Pacifique, caviar importé d’Iran, des moutons en broche à perte de vue rôtissant pour le traditionnel méchoui. Le tout arrosé de spiritueux aussi rares que précieux: alcool, liqueurs, bière bavaroise ainsi que de toute une gamme de champagne français.
Un sous-officier entrepris de délester les hôtes du roi de leurs bijoux, des montres et des chaines en or et de les entreposer dans un camion.
Un autre s’est précipité sur un plateau de couscous abondamment agrémenté en viandes variées et en légumes. Un collègue tenta de le dissuader. «Le temps nous est compté et nous ne pouvons nous égarer dans des agapes», lui dit-il.
D’un éclat de rire illuminant tout son visage, le mutin répliqua: «C’est l’unique occasion de ma vie de goûter un couscous royal».
4- LE MAKHZEN VERSUS AS-SIBA
La soumission d’As-Siba, le meilleur cadeau du colonisateur français au Maghzen.
Ces deux termes antinomiques ont rythmé l’histoire du Maroc.
Le terme «Makhzen», littéralement «magasin», désigne, dans le langage courant au Maroc, à la fois le Pouvoir marocain et un système de népotisme et de privilèges de grandes familles reposant sur leur proximité avec ce Pouvoir. Avant le protectorat, le Makhzen était l’appellation du gouvernement du Sultan du Maroc et reposait quasi-exclusivement sur les grandes familles arabo-andalouses ou de l’aristocratie religieuse (chorfas) des grandes villes du Maroc telles que Fès principalement, Rabat, Salé ou Marrakech.
As Siba signifie, lui, étymologiquement, l’abandon et par extension «anarchie», en ce que les provinces négligées par le pouvoir central ont constitué un lieu de contestation politique et social.
Au cours de son histoire le Maroc a connu des périodes d’instabilité socio-politique. Certaines régions du Maroc ne connaissaient pas l’influence de l’État, notamment le Haut et le Moyen Atlas, dans le RIF. Il existait l’expression «bilad al makhzen», qui désigne l’espace où l’État exerce son autorité et s’oppose à «bilad as siba», espace non soumis à l’autorité centrale du pays.
Pour Henri Terrasse, éminent représentant de l’historiographie de la période coloniale, le «blilad as siba» était non seulement l’incarnation d’une autorité makhzénienne contestée, mais également un frein à l’apparition d’un État moderne.
Le Maroc n’a pas toujours appartenu aux Marocains.
Le Makhzen, lieu de résidence du souverain et du pouvoir central avec son cortège de magnificence et de licence, tirait sa substance de son pouvoir financier et économique, le commerce et l’industrie, symboles de la prospérité et du développement, évoluant au milieu de courtisans empressés intimement convaincus des vertus de l’obéissance, de la docilité, voire de la résignation.
As-Siba se présentait comme l’antithèse du Makhzen. Une zone à l’abandon, désertique, montagneuse, de forêts et de vallons. Une zone négligée, méprisée, humiliée, d’une grande diversité de langues et de coutumes. Mais une zone rompue à la révolte, à la désobéissance, à la violence et à l’insurrection.
As-Siba se situait hors de l’orbite du Makhzen, dans la décennie 1920, jusqu’à l’arrivée des Français lesquels s’appliqueront à mater, par le feu et le sang, cette zone rebelle du Haut et du Moyen Atlas, ainsi que la région de Rio de Oro, dans le Sahara occidental.
La soumission du Bilad As Siba a été le meilleur cadeau offert par les Français au Royaume, à leur retrait du Maroc en 1956
L’auteur dédie ce texte à la mémoire de Mehdi Ben Barka, le plus illustre supplicié marocain.
Le récit de Jaafar Al Bakli, Universitaire tunisien, chercheur sur les questions de l’Islam, spécialiste de l’histoire politique des pays arabes, notamment les pays du Golfe.
Le coup d’État de Skhirat est la première tentative de coup d’État militaire contre le régime de Hassan II, alors roi du Maroc; la seconde ayant été le «coup d’État des aviateurs». Ce putsch avorté a eu lieu le 10 juillet 1971 dans le palais royal situé dans la petite localité de Skhirat. Hassan II fêtait son 42e anniversaire dans cette résidence d’été qui accueillait pour l’occasion un millier d’hôtes venus du monde entier, répartis entre les différents pavillons et les tentes caïdales.
Cette tentative de coup d’État a été menée par le général Mohamad Medbouh, l’instigateur qui avait pour mission de dégarnir la garde du palais. Le général Medbouh était secondé par le lieutenant-colonel M’hamed Ababou, chargé d’investir le palais avec ses troupes et de s’emparer des points stratégiques de Rabat.
Un troisième complice le colonel Chelouati, un intime du général Mohamad Oufkir, qui joua un rôle trouble dans cette affaire, devait, avec ses compagnons de l’état-major, rallier l’ensemble de l’armée; contrôler le pays et coordonner l’intervention, de même que la diffusion des communiqués à la radio. L’opération mobilisa 1.400 cadets de l’École militaire des sous-officiers d’Ahermoumou.
Le carnage fit une centaine de tués et environ 200 blessés parmi les invités du roi. Hassan II sauva sa vie en se cachant plusieurs heures dans un «dressing-room» jouxtant la salle du trône et protégée par sa garde personnelle.
Parmi les victimes figuraient:
Ahmed Bahnini, Premier ministre du Maroc de 1963 à 1965 ;
Henri Dubois-Roquebert, médecin de la famille royale et ami du roi Mohammed.
Marcel Dupret, ambassadeur de Belgique au Maroc.
Omar Ghannam, directeur du Centre cinématographique marocain.
Pierre Kremer, chef cuisinier de l’hôtel de la tour Hassan de Rabat.
Max Magnan, directeur de la Compagnie du sucre au Maroc.
Parmi les cadets, près de 200 furent pris dans les tirs croisés de leurs camarades et une centaine furent abattus lors de la tentative de putsch; 74 officiers et sous-officiers furent condamnés à des peines allant de un an de prison à la perpétuité en février 1972; 10 officiers supérieurs (dont quatre généraux) furent exécutés. L’ensemble des cadets fut radié du corps militaire marocain.
Bagne de Tazmamart
Jusqu’en 1991, les autorités marocaines ont nié l’existence du bagne de Tazmamart. Sur les 58 officiers incarcérés, seulement 28 ont survécu aux conditions inhumaines du bagne.
Fin de la note
I- LE CAPORAL PIÉTINE LE GÉNÉRAL
A peiné agé de vingt ans, le caporal pointa son revolver sur les dignitaires du régime marocain et leur ordonna de s’étendre par terre, s’adressant à eux sur un ton véhément: “Couchez vous par terre et ne bougez pas”.
Saisis de panique, les dignitaires marocains n’ont pas tenu compte de cette injonction, jugeant plus avisé de prendre la fuite pour échapper aux assaillants, se bousculant les uns, les autres pour se placer à l’abri…. tels des ânes subitement libérés de leurs enclos. Le sous officier tira une salve en l’air. Les dignitaires se raidirent comme pétrifiés par le bruit de la détonation.
A- Ahmad Reda Guédira
Le conseiller du roi et son commensal régulier, telle une autruche blessée, courait dans tous les sens, la tête enfouie entre ses deux mains comme pour la protéger. Trébuchant, il ne parvint pas à se relever, terrorisé par la peur. Imaginatif, il eut recours à un stratagème pour échapper à un sort fatal: il simula la mort. Il demeurera trois heures durant étendu sous un soleil de plomb sur le green du Golf du palais royal de Skhirat.
B- Abdel Hadi Boutaleb
Le ministre des Affaires étrangères a cherché à gagner la plage toute proche. Par malchance, il est atteint au pied par les éclats d’un projectile. Il se jeta sur une dune et roula sur le sable pour échapper au regard des assaillants, se brisant les lunettes de soleil qu’il portait ce jour-là. Se relevant au terme de sa course, il offrait le spectacle d’un homme borgne, son oeil droit recouvert d’un verre noir, l’oeil gauche dégagé sans lunettes.
A peine relevé, un sous officier s’empara d’Abdel Hadi Boutaleb et l’entassa au dessus d’Abdel Latif Filali, ministre de l’Enseignement supérieur, lui même placé au dessus de Mohamad Charkaoui, beau frère d’Hassan II dont il avait épousé la sœur.
Un empilement de ministres terrorisés en fait. Un spectacle pathétique et honteux à la fois (1).
Plus tard, les sous officiers, pour justifier leur comportement aberrant, ont plaidé le principe de obéissance hiérarchique et de la discipline militaire, l’ignorance de l’identité des conjurés.
En fait, le général M’hamed Ababou, qui a co-dirigé avec le général Medbouh, l’aide de camp du Roi, le coup d’état militaire, n’avait pas donné instruction à ses subordonnés d’humilier les dignitaires du régime, ni de maltraiter les officiers supérieurs des Forces Armées Royales (FAR). Par excès de zèle, les sous-officiers se sont déchainés dans l’accomplissement de leur mission.
L’un des plus jeunes officiers supérieurs l’armée marocaine, Directeur de l’école de formation des sous officiers d’Ahermoumou, qui deviendra par la suie Ribate Al Kheir, Ababou périra lui-même au cours de cette tentative de putsch.
C- Le général Idriss Ben Ammar Al Alami
Ainsi un caporal de l’académie militaire d’Ahermoumou a placé sous ses bottes le Général Idriss Ben Ammar Al Alami, ministre des Postes,, ancien chef d’Etat- major de l’armée et inspecteur général des FAR, piétinant le général en s’esclaffant de rire. Le général Idriss est demeuré silencieux, subissant l’affront avec stoîcisme (2).
D- Mahjoudi Ahardanne
Craignant que le caporal, livide, ne décharge son chargeur sur sa personne à la moindre protestation, Mahjoubi Ahardane, ministre de la Défense, était étendu par terre, les deux bras levés au ciel en signe de capitulation.
Un sous officier l’aperçoit et lui ordonne de se déchausser. M. Ahardane obtempère. Puis sur ton méprisant, le sous officier lui ordonne de se déshabiller. Ahardanne se rebiffe alors et s’écrit: «AH Non, Je ne suis pas un singe»(3). A la réponse du ministre de la défense, les assaillants éclatèrent de rire.
L’un d’eux, apercevant le Gateau d’anniversaire du Roi, vida son chargeur dans la pièce montée, en guise de défouloir.
Un capitaine, originaire de la même province que Mahjoubi Ahardane, intercéda alors auprès des assaillants pour obtenir un sauf conduit au ministre de la défense et chef du «Mouvement Populaire».
E- Le Colonel Kherraba.
Savourant sa boisson alcoolisée dans une loge ambulante évoluant dans les jardins du palais, le Colonel Kherraba était dans l’ignorance la plus complète des événements qui se déroulaient dans l’enceinte du Palais royal de Skhirat.
Sa dégustation sera brutalement interrompue par l’entrée en force d’une escouade de militaires qui l’ont aussitôt délesté de son élégant uniforme d’officier marocain et l’ont jeté à terre, tout nu.
S’estimant bafoué dans sa dignité, tremblant de rage, il s’adressa aux soldats en ces termes: «Je suis le colonel Kherraba. Personne ne me touche». Sans daigner lui répondre, les soldats retournèrent leurs armes dans sa direction pour lui asséner des coups de crosse, avant de le jeter à terre et de l’étendre aux côtés de ses collègues.
2- LE GÂTEAU D’ANNIVERSAIRE DU ROI, UN DÉFOULOIR AUX MUTINS.
Comment expliquer un tel déchainement de violences d’officiers subalternes à l’encontre de ministres, d’officiers supérieurs, de dignitaires du régime, serviteurs obséquieux du trône, dont la malchance et la crainte pour leur vie les ont conduit à abdiquer toute dignité, s’étalant aux pieds des mutins pour les implorer ?
Les mutins étaient-ils animés par la haine? Par une volonté de représailles? De l’insolence pure? Ou alors par pure bêtise et immaturité? La réponse se trouve probablement dans une synthèse de toutes ses motivations.
Les mutins appartenaient tous à la classe la plus défavorisée de la population marocaine. Ils avaient été abasourdis par ce qu’ils avaient découvert au Palais Royal de Skhirat. Le spectacle festif dispendieux a agi comme un déclic, libérant de pulsions jusque là enfouies.
L’un d’eux, apercevant le gâteau d’anniversaire du Roi, vida son chargeur dans la pièce montée, en guise de défouloir, laissant se déverser un flot de chocolat sur la nappe.
3- LE COUSCOUS DU ROI
Des fruits de mer à perte de vue. De toutes sortes. La table du Roi était abondamment fournie: homards, langoustes, crevettes, écrevisses, saumon importé de l’Océan Pacifique, caviar importé d’Iran, des moutons en broche à perte de vue rôtissant pour le traditionnel méchoui. Le tout arrosé de spiritueux aussi rares que précieux: alcool, liqueurs, bière bavaroise ainsi que de toute une gamme de champagne français.
Un sous-officier entrepris de délester les hôtes du roi de leurs bijoux, des montres et des chaines en or et de les entreposer dans un camion.
Un autre s’est précipité sur un plateau de couscous abondamment agrémenté en viandes variées et en légumes. Un collègue tenta de le dissuader. «Le temps nous est compté et nous ne pouvons nous égarer dans des agapes», lui dit-il.
D’un éclat de rire illuminant tout son visage, le mutin répliqua: «C’est l’unique occasion de ma vie de goûter un couscous royal».
4- LE MAKHZEN VERSUS AS-SIBA
La soumission d’As-Siba, le meilleur cadeau du colonisateur français au Maghzen.
Ces deux termes antinomiques ont rythmé l’histoire du Maroc.
Le terme «Makhzen», littéralement «magasin», désigne, dans le langage courant au Maroc, à la fois le Pouvoir marocain et un système de népotisme et de privilèges de grandes familles reposant sur leur proximité avec ce Pouvoir. Avant le protectorat, le Makhzen était l’appellation du gouvernement du Sultan du Maroc et reposait quasi-exclusivement sur les grandes familles arabo-andalouses ou de l’aristocratie religieuse (chorfas) des grandes villes du Maroc telles que Fès principalement, Rabat, Salé ou Marrakech.
As Siba signifie, lui, étymologiquement, l’abandon et par extension «anarchie», en ce que les provinces négligées par le pouvoir central ont constitué un lieu de contestation politique et social.
Au cours de son histoire le Maroc a connu des périodes d’instabilité socio-politique. Certaines régions du Maroc ne connaissaient pas l’influence de l’État, notamment le Haut et le Moyen Atlas, dans le RIF. Il existait l’expression «bilad al makhzen», qui désigne l’espace où l’État exerce son autorité et s’oppose à «bilad as siba», espace non soumis à l’autorité centrale du pays.
Pour Henri Terrasse, éminent représentant de l’historiographie de la période coloniale, le «blilad as siba» était non seulement l’incarnation d’une autorité makhzénienne contestée, mais également un frein à l’apparition d’un État moderne.
Le Maroc n’a pas toujours appartenu aux Marocains.
Le Makhzen, lieu de résidence du souverain et du pouvoir central avec son cortège de magnificence et de licence, tirait sa substance de son pouvoir financier et économique, le commerce et l’industrie, symboles de la prospérité et du développement, évoluant au milieu de courtisans empressés intimement convaincus des vertus de l’obéissance, de la docilité, voire de la résignation.
As-Siba se présentait comme l’antithèse du Makhzen. Une zone à l’abandon, désertique, montagneuse, de forêts et de vallons. Une zone négligée, méprisée, humiliée, d’une grande diversité de langues et de coutumes. Mais une zone rompue à la révolte, à la désobéissance, à la violence et à l’insurrection.
As-Siba se situait hors de l’orbite du Makhzen, dans la décennie 1920, jusqu’à l’arrivée des Français lesquels s’appliqueront à mater, par le feu et le sang, cette zone rebelle du Haut et du Moyen Atlas, ainsi que la région de Rio de Oro, dans le Sahara occidental.
La soumission du Bilad As Siba a été le meilleur cadeau offert par les Français au Royaume, à leur retrait du Maroc en 1956
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