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L'art de manger avec ses doigts "finger food"

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  • L'art de manger avec ses doigts "finger food"

    Il fut un temps où le repas au restaurant se prenait sur une belle nappe blanche impeccable ; plus on avait de couverts et plus c'était chic. On mangeait des recettes compliquées dont le chef gardait le secret avec le plus grand sérieux. Un repas réussi était alors un repas qui n'en finissait pas.

    En France, il y a 30 ans, on passait en moyenne 1 heure et 38 minutes à table. Aujourd'hui, seulement 38 minutes, et la nappe blanche a été reléguée au placard. Génération zapping et pressée, on a envie d'autres choses, de surprises, de ludique tout en gardant le plaisir du goût. Bienvenue à la finger food, ou l'art de manger avec ses doigts !

    «Je pense que la finger food concrétise une volonté du public de se rapprocher du «manger», de voir abolir cette sorte de distance que le restaurant peut parfois mettre de façon ridicule entre la cuisine et le client», explique Luc Dubanchet, directeur de la revue gastronomique Omnivore.

    «Vous savez, cette sorte de formalisme ou de performance graphique qui vous conduit à dire : «Oh, c'est tellement beau qu'on a pas envie d'y toucher !» Mais justement, la cuisine, ça doit être touché, englouti, dévoré ! Et, au lieu de faire des pièces de musée, les chefs se sont mis à imaginer des plats sexy, «préhensibles», qui donnent envie d'être pris avec les doigts et dévorés. C'est un rapport plus charnel, plus direct avec le produit et ce qui se mange.»

    Une soupe à déguster dans un verre

    Et c'est ainsi qu'aux grandes tables gastronomiques, on a commencé par se décoincer avec les amuse-bouches. Et puis étape suivante, les chefs aventuriers ont décidé d'aller un peu plus loin. Fabrice Biasolo, chef étoilé dans le sud-ouest de la France, imagine en 2005 une soupe à déguster dans un verre Ricard ou encore la tartine de foie gras à tremper allégrement dans un bol de bouillon. Délices et malice se donnent rendez-vous, et les curieux se précipitent.

    À la même époque, l'équipe du Fooding entérine le concept. Alexandre Cammas, fondateur du mouvement, se souvient : «Le Fooding a mis en lumière le fait que la finger food était aujourd'hui devenue un terrain favorable à la créativité culinaire. En novembre 2005, quand nous demandions dans le cadre de la Semaine du Fooding à des chefs de palace de revisiter les recettes de marrons grillés, kebab, hot-dog... , nous imaginions déjà assez facilement que la presse style et art de vivre allait non seulement relayer l'événement insolite, mais également inscrire ces fast recettes au registre des tendances 2006. Ce qu'elle a fait...»

    L'affaire est effectivement lancée. «Ce qui est amusant avec la finger food, xplique Christophe Pascal, jeune créateur du restaurant Au bout des doigts, c'est que finalement on sert souvent les mêmes choses que dans un cocktail, mais le fait qu'on les serve assis, tout le monde en parle.» En trois ans, son restaurant ouvert à Lille exclusivement consacré à la finger food ne désemplit pas. Et bien que situé en province, Au bout des doigts a été mentionné dans tous les journaux.

    Mais qu'est-ce qu'on mange quand on n'a plus les couverts traditionnels ?

    On mange des plats classiques en petites portions. Gratins, quiches, soupes dans des verrines, mais aussi des choses totalement nouvelles inspirées des différentes cuisines du monde. On multiplie les petits plats avec une notion de dînette. On explore de nouvelles présentations. Et si on enlève le couteau et la fourchette, on autorise la cuiller et le cure-dent.

    De quoi parfois dérouter le client. Nathalie Fossati, propriétaire du restaurant Dans les Arbres, consacré à la finger food, se souvient : «Si à l'ouverture de notre restaurant l'été dernier le bouche à oreille a été excellent, nous nous sommes vite rendu compte qu'il fallait expliquer, voire éduquer, une certaines partie de la population. En effet, les plus âgés sont un peu déroutés et redoutent de ne pas manger assez.»

    Pas manger assez ? Peu de risque. Si dans la finger food le menu disparaît au profit d'une farandole de surprises, on n'en reste pas pour autant sur sa faim. Dix miniplats à l'excellent restaurant Transversal du Musée d'art contemporain le Mac Val. Neuf au Boudoir de Hélène Darroze (deux étoiles Michelin). Neuf également au restaurant Au bout des doigts, mais cette fois-ci pour un prix fixe de 15 euros (23 $).

    Pour Alexandre Cammas, ce courant est salvateur. «Jouer avec la nourriture n'est plus un péché, mais au contraire une obligation si l'on veut que nos enfants continuent de s'intéresser à la question. En ce sens, il est normal que la finger food trouve un certain écho auprès du public contemporain. Et auprès des jeunes chefs nourris, comme vous et moi, aux nems, aux hamburgers...»

    Mais qu'en est-il à la maison ? Le principe de l'apéritif dînatoire se généralise et de plus en plus de marques de grandes distributions proposent des miniportions, des minibrochettes, des minilégumes. Le tout agrémenté d'un peu d'exotisme.

    «Dans la finger food, on n'hésite plus à bousculer les goûts et les frontières, explique Christophe Pascal. Et dans ce jeu de mélange, on redécouvre le goût. On se laisse surprendre. Je fais une bouchée à partir de sardine grillée, de chèvre chaud, de pomme, de ratatouille à l'ancienne sur toast. Beaucoup n'aiment pas ces goûts séparément et adorent ce petit plat.»

    Alors quoi ? On va tous se mettre à manger avec les doigts ? Alexandre Cammas tempère l'emballement français pour ce plaisir régressif. «C'est une mode médiatique passagère (la roue doit tourner et elle tourne de toute façon), mais ce n'est ni une invention ni une révolution. Juste une remise au goût de l'époque d'une tradition culinaire aussi vieille que la première banane mangée par le premier singe.»

    À savoir
    Fooding
    Manger avec esprit. Concerne toute initiative visant à faire sortir la gastronomie de son carcan. On s'intéresse à ce qu'il y a dans l'assiette mais aussi tout le reste (déco, ambiance musicale, etc.) pour faire du repas un moment de plaisir et de découverte.

    De l'invention de la fourchette et de la finger food
    On attribue l'arrivée de la fourchette en France à Henri III, qui, revenant de Pologne, la découvre à Venise et s'en entiche. Idéal pour ne pas faire de tache sur les collerettes. On raconte que même si Louis XIV avait un bon coup de fourchette, c'est avec ses doigts qu'il mangeait. Plus récemment, on attribue l'invention du mot finger food à l'actrice Joan Collins, qui, pour ne pas abîmer son rouge à lèvres, exigeait de se nourrir de petites bouchées.

    - CyberP
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