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Les balles du 14 juillet 1953

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  • Les balles du 14 juillet 1953

    Les balles du 14 juillet 1953, c’est le titre de votre livre et de votre documentaire. Cet événement historique, qui avait eu lieu avant le déclenchement de la lutte armée, n’est pas encore connu chez de très nombreux Algériens. Comment l’expliquer ?

    Vaste question ! Ce massacre n’est pas connu en France, car la reconnaissance de massacres ou des pages sombres de la France, comme la collaboration avec les nazis, se fait toujours dans un «affrontement de mémoire». L’Etat n’allait bien évidemment pas le faire et les militants opposants au gouvernement, ceux qui pouvaient perpétuer cette mémoire ne l’ont pas fait, car à l’époque il y avait surtout la guerre d’Indochine en France. D’autre part, je pense aussi que d’une manière générale, le massacre de gens issus des colonies françaises ne soulève pas trop de réactions dans la population française…

    Généralement, c’est à la suite de long combat pour la vérité historique comme celui mené sur le 17 octobre 1961 par Jean-Luc Einaudi que l’on arrive à ce que l’Etat français reconnaisse un massacre (François Hollande en 2012, soit 51 ans après). Aujourd’hui, avec des associations comme la Ligue des droits de l’homme, on a réussi à contribuer à la pose d’une plaque sur la place de la Nation et on a fait deux années de suite des commémorations suivies d’un bal populaire…

    En Algérie, ce massacre a été oublié aussi parce que les nationalistes de l’époque (le MTLD-PPA) n’avaient pas la force numérique d’entretenir la mémoire et puis aussi parce qu’ils étaient profondément divisés. La scission allait intervenir en décembre 1953 et à peine un an après, il y a eu le déclenchement de la guerre de Libération nationale qui allait tout changer…

    Cela dit, depuis 1962, on aurait pu croire à une reconnaissance et bien non, parce qu’ils sont morts avant le 1 er Novembre 1954 et du coup, ils ne sont pas reconnus comme martyrs. Je pense que ce qui a aussi contribué aussi, à son effacement, c’est le fait que le leader du mouvement nationaliste algérien en 1953 s’appelait Messali Hadj (qui deviendra plus tard, l’ennemi du FLN) et que tous les militants du 14 juillet 1953 défilaient derrière son portrait. Bref, l’histoire de l’Algérie semble commencer pour certains qu’à partir du 1er Novembre 54…

    -Dans l’une de vos interventions, vous déclarez que c’est un mensonge de l’Etat français ? Eclairez-nous sur ce sujet ?

    C’est un mensonge d’Etat, car j’ai pu consulter le dossier de l’instruction et je peux affirmer (ce que je développe dans mon livre) que le juge a tout fait pour «classer l’affaire» et déclarer un non-lieu dans ce début d’enquête, en écartant notamment tous les témoignages des manifestants et en ne prenant en compte que les faux témoignages des policiers…

    -C’est un travail de recherches qui avait exigé des années de labeur. Pouvez-vous nous donner plus de détails ?

    Nous les documentaristes, nous ne sommes pas liés aux contraintes de temps comme les journalistes. Nous pouvons rechercher pendant plusieurs mois… Aussi, quand on cherche dans certains milieux, on arrive toujours à trouver des témoins. Cela dit, on est toujours plus ou moins aidé par des amis, des contacts, etc. Par exemple, on m’a aidé (gratuitement) en passant dans El Watan et dans Alger Républicain, plusieurs annonces de recherche de témoins. Ainsi, j’ai retrouvé toutes les familles des victimes et plusieurs blessés de cette manifestation… En France, j’ai été aidé par trois personnes qui ont écrit sur cette répression.

    Tout d’abord, il y a le regretté, Maurice Rajsfus, écrivain, qui a écrit le seul livre sur cette histoire (édition Agnès Viennot, 2003, ndlr). Il m’a donné de grandes informations sur le contexte, sur les débats à l’Assemblée nationale et sur la tentative de procès. Ensuite, il y a eu l’historienne Danielle Tartakowsky, qui avait écrit un gros chapitre très documenté sur cette manifestation dans son livre sur les manifestations de rue à Paris. Enfin, il y a eu le livre de l’historien Emmanuel Blanchard sur la police parisienne et les Algériens entre 1944 et 1962 où là également, il y a un gros travail sur cette manifestation. D’ailleurs, c’est lui qui m’a conseillé d’aller aux archives de la police et de Paris, où il y avait un certain nombre de documents.

    -En dehors de ce tragique événement du 14 juillet 1953, vous êtes vous intéressé à d’autres faits marquants qui illustrent le combat mené par l’émigration algérienne en France durant la colonisation ?

    En dehors des Balles du 14 juillet 1953, j’ai réalisé deux autres films qui tournent autour de ces questions. En fait, il s’agit de deux autres massacres parisiens. Le premier, c’est «17 octobre 1961, Dissimulation d’un massacre (2001). Ce film explique pourquoi et comment cette histoire a été cachée pendant près de 35 ans… Ensuite j’ai fait un film sur la répression au métro Charonne le 8 février 1962, Mourir à Charonne, pourquoi ? (2010). Il ne s’agit pas d’un film sur les Algériens, mais sur les Français (des syndicalistes et des communistes) qui protestaient contre les attentats de l’OAS (organisation de l’armée secrète) en France et qui se sont fait violemment chargés par la police au métro Charonne… Ce jour-là, il y a eu 9 morts… En fait, j’ai fait ce film pour expliquer les différences entre la manifestation d’octobre 1961 et celle de Charonne, mais aussi pour parler des ressemblances, car les assassins sont les mêmes, sous les ordres du même préfet de police.

    -Quand est-ce-que vous êtes venu en Algérie, pourquoi et comptez-vous retourner un jour ?

    Je suis venu filmer et recueillir les témoignages pour mon film en 2012. Et je suis retourné l’année dernière à Alger et en Kabylie pour revoir mes amis et ceux que j’avais filmés… Malheureusement, certains n’étaient plus là ou très affaiblis. Cela dit, on a fait plusieurs projections (même si, à chaque fois, c’était un peu compliqué pour avoir les autorisations) et j’ai pu constater que cette histoire n’était toujours pas connue en dehors du cercle des familles.

    -A présent, avez-vous un projet en cours de réalisation, un livre ou un documentaire ? Nous sommes curieux d’avoir plus de détails… ?

    J’ai fini l’année dernière un film sur les juifs de France qui sont contre la politique d’Israël, notamment vis-à-vis des Palestiniens. Il va passer cet automne dans des salles de cinéma si la pandémie ne reprend pas. Sinon, je termine actuellement un film sur le lycée expérimental de St Nazaire (un lycée où les profs et les élèves font tout ensemble, cours, ménage, repas, etc.) et il existe depuis plus de 35 ans…

    -Le Président Tebboune vient de déclarer que le Président Macron est honnête, ce qui ne semble pas être le cas pour ses prédécesseurs français. Pensez-vous que la France sous Macron reconnaîtra enfin les crimes de la colonisation, afin d’instaurer une relation apaisée entre les deux pays ?

    Je n’en sais rien (n’étant pas très au fait des stratégies et des politiques gouvernementales). Cela dit, il serait temps de reconnaître les crimes de la colonisation, car c’est le seul moyen pour qu’une nation puisse grandir et peut-être pour que l’on ne revive pas un jour ce type de domination insupportable… A ce niveau, je pense qu’il y a encore du boulot, en France, en Algérie et ailleurs…

    -La France vient de remettre à l’Algérie les crânes mortuaires des martyrs algériens tués au XIXe siècle durant l’occupation. Quelle est votre interprétation pour ce geste ?

    C’est une bonne chose, mais il y a, comme je l’ai dit, encore beaucoup de choses à faire.

    -Votre travail de mémoire vous a permis de consulter des archives en France. Afin de connaître plus l’histoire de ces deux pays, alors pourquoi fait-on la rétention sur les archives ? Chaque partie veut connaître les faits réels de cette triste et tragique période ?

    C’est toujours difficile pour un Etat de se pencher sur ses zones sombres… Souvent, les Etats reconstruisent une histoire officielle qui les arrange.

    -Dans le passé, des émigrés militaient en France pour l’indépendance de l’Algérie, certains avaient été assassinés, d’autres torturés, aujourd’hui nous assistons à l’installation de hauts responsables civils et militaires en France.Comment interprétez-vous ce retour et l’installation de ces individus sur les terres du pays colonisateur, alors qu’ils le critiquaient quand ils étaient au pouvoir ?

    Le pouvoir, le fric et les ego traversent sans problème les pays, les frontières et les hommes… Là aussi, il y a beaucoup de choses à changer.

    -Beaucoup de Français avaient épousé la cause algérienne durant la colonisation, on a l’impression qu’on n’en parle pas assez. D’autres sympathisants d’origine française avaient contribué au développement social et économique en participant avec leurs compétences durant les premières années de l’indépendance. Quel est votre commentaire ?

    Il n’y avait pas (malheureusement) beaucoup de Français qui avaient épousé la cause algérienne. C’était un petit nombre de militants, mais ils représentaient tout un symbole… Comme en France, pendant la Seconde Guerre mondiale, des Allemands antifascistes combattaient aux côtés des Résistants français… contre l’armée d’occupation allemande. Eux aussi, ils étaient peu nombreux…

    -Monsieur Daniel, un sujet qui demeure encore inconnu auprès de l’opinion publique, c’est la question de la déportation des Algériens durant le XIXe siècle, vers les prisons des lointaines colonies françaises. Il y a eu un réalisateur algérien qui avait fait un travail. Dans le cadre de la mémoire, allons-nous assister un jour à une véritable enquête pour éclairer le cas et l’histoire de ces familles algériennes qui vivent dans les îles lointaines ?

    Oui, j’ai vu un film sur les Algériens en Nouvelle-Calédonie… C’était très intéressant et je pense qu’il en faudrait d’autres… De mon côté, je suis dans la préparation d’un autre film et cela va me prendre presque un an.

    -Ce sera ma dernière. Je vous remercie pour avoir accordé ce temps pour notre journal. Mais je veux conclure cet entretien, en vous laissant le dernier mot et votre message à nos lectrices et nos lecteurs qui demeurent en quête de vérité sur le passé douloureux des militants nationalistes émigrés algériens ?

    Il n’y a pas de mémoire sans porteur de mémoire. Alors il faut recueillir la mémoire de vos parents, grands-parents (même avec un téléphone portable). Je pense revenir en Algérie mais du côté de l’Ouest (Oran, Tlemcen, Aïn Sefra), peut-être l’année prochaine.

    Propos recueillis par M’hamed Houaoura
    Les libertés ne se donnent pas, elles se prennent

  • #2
    C’est un mensonge d’Etat, car j’ai pu consulter le dossier de l’instruction et je peux affirmer (ce que je développe dans mon livre) que le juge a tout fait pour «classer l’affaire» et déclarer un non-lieu dans ce début d’enquête, en écartant notamment tous les témoignages des manifestants et en ne prenant en compte que les faux témoignages des policiers
    Ce n'est pas le seul mensonge d'état que la France camoufle, même sur des périodes plus récentes. A vouloir titiller l'intelligence des algériens en utilisant le lobby des nostalgiques des colonies, la France pourrait perdre gros si la nouvelle commission sur la mémoire dirigée par Abelmadjid Chikhi met en lumière ces autres mensonges qui sont incontestablement des crimes contre l'humanité et même contre une démocratie naissante qui ne sont couverts par aucune loi d'amnistie...
    Les libertés ne se donnent pas, elles se prennent

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