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La contrefaçon est-elle une fatalité?

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  • La contrefaçon est-elle une fatalité?

    Elle l’est, car en l’absence d’une enquête officielle, nul ne peut évaluer les pertes financières subies par le Trésor public.

    L’Algérie est l’un des pays où la contrefaçon s’exerce à grande échelle. Il est vrai que cette réalité n’est qu’un secret de polichinelle; néanmoins, cette vérité devient plus que jamais cinglante lorsqu’on apprend que notre pays occupe la quatrième place dans le monde. Ces derniers temps, les choses prennent une tournure plus préoccupante. Et ce qui est effrayant, c’est que le phénomène touche toutes les formes de la production, industrielle ou intellectuelle.

    Du piratage de films aux logiciels, en passant par les chaînes télé, et le livre. Oui, le livre. A première vue, la chose paraît peut-être insignifiante, mais, en y regardant bien, on se rend compte que les contrefacteurs brassent des milliards. Si, de par le monde, le phénomène du piratage du livre consiste en le téléchargement de copies à partir des sites Internet, dans notre pays, par contre, on n’en est pas encore là. Les contrefacteurs scannent carrément le livre et l’impriment par centaines, voire par milliers d’exemplaires.

    Selon une enquête réalisée par Smaïl M’hand, libraire, éditeur et membre de l’Association des libraires algériens (Aslia), pas moins de 500 titres ont été piratés.
    Le chiffre s’avère peut-être infime au regard des livres qui sont annuellement édités de par le monde, «mais ce n’est que la face visible de l’iceberg», a souligné M.Smaïl. Ce n’est, en effet, là, que le décompte fait par notre interlocuteur qui a pris à son compte ce travail qu’il a réalisé en sillonnant certaines librairies qui existent à travers le territoire national. Pour se rendre compte de l’ampleur de ce phénomène, nous n’avons qu’à faire une simple opération arithmétique qui est à la portée de tout le monde.

    La saveur du gain facile

    Le prix du piratage d’un simple livre de 250 pages, revient en moyenne à 100DA. Le livre, après la confection, est vendu aux libraires à un prix, disons de 300DA. Le contrefacteur gagne donc 200DA pour chaque copie vendue. Multiplions maintenant ce chiffre par 1000 exemplaires tirés. Cela nous donne 200.000DA de bénéfice net, soit 20 millions de centimes; alors que les frais de confection reviennent à deux fois moins!
    Et dans l’opération que nous venons de faire, nous avons minimisé les quantités, car certains livres sont tirés à plus de 20.000 exemplaires! Pensez aux bestsellers planétaires du Brésilien, au succès phénoménal, Paulo Coelho. Mis à part son roman L’Alchimiste, dont les droits de reproduction ont été achetés par Casbah éditions, toutes les oeuvres dudit écrivain, qui en compte une dizaine, se vendent comme des petits pains. A en croire certaines sources, rien qu’en Algérie, les romans de cet écrivain sont imprimés à près de deux millions d’exemplaires. Dans les librairies, on peut se les offrir avec la modique somme de 250DA l’unité.
    La belle affaire! Pensez encore aux oeuvres de Amin Malouf, Gabriel Garcia Marquez, ou encore les classiques de la littérature universelle, à l’instar de Hugo, Stendhal, Shakespeare....

    Il faut savoir que, piratés, ces livres se vendent à un prix cinq fois inférieur comparativement au tarif des versions originales.
    Néanmoins, la qualité laisse à désirer. Pour mieux étayer ce constat, il suffit de citer le dernier livre de Amin Malouf, Origines. A sa sortie, en 2004, la version originale du livre se vendait à 2500DA, alors que la version piratée a été cédée à 400DA!

    En outre, les amateurs de piratage ne s’arrêtent pas à ce point, puisque même les écrivains algériens éditant à l’étranger sont touchés par ce phénomène. Il convient de citer dans ce sens, les livres des écrivains comme Mohamed Dib, Mouloud Feraoun, Mouloud Mammeri, Kateb Yacine. Tenez, le roman Le Fils du pauvre de Feraoun, roman traduit dans plusieurs langues, est piraté et se vend dans toutes les libraires d’Algérie.
    La piètre qualité de l’édition mérite bien qu’on sy arrête et qu’on s’interroge si ces mercenaires ont pensé à cet écrivain qui s’est donné à fond et sans relâche pour produire une oeuvre d’une telle dimension.

    La question nous ne l’avons pas posée à nous-mêmes, mais à un de ces contrefacteurs, implanté à Béjaïa. «Je sais bien que Feraoun a souffert pour produire une oeuvre pareille, mais le travail que j’ai fait, je l’ai réalisé pour que justement, cet écrivain soit connu en Algérie» nous a expliqué ce contrefacteur qui préfère garder l’anonymat. «Pour cela c’est bien. Mais savez-vous que vous volez les droits de cet auteur?» lui avons-nous fait savoir. «La loi ne me l’interdit pas» confirme-t-il. Comment? «La loi stipule que, passé 25 ans du décès de l’écrivain, ses oeuvres tombent dans le domaine public», se justifie-t-il. Néanmoins, il faut savoir que cette loi a été amendée, et cette durée est portée à 50 ans après le décès de l’auteur.

    En sus, cette situation nous amène à nous interroger sur la responsabilité des uns et des autres.

    L’Office national des droits d’auteur et des droits voisins (Onda), le principal organisme chargé de contrecarrer ce phénomène, avoue son impuissance à s’imposer devant les «barons» de la contrefaçon. Avec ses 45 agents chargés de lutter contre ce fléau à travers le territoire national, l’Onda semble avoir déposé les armes depuis bien longtemps. Et puis, ce n’est pas seulement le livre qui est grignoté par ce fléau mais l’ensemble de l’oeuvre intellectuelle, artistique, et industrielle.

    Les éditeurs algériens, de leur côté, à part quelques-uns qui tirent, d’ores et déjà, la sonnette d’alarme, les autres minimisent l’effet de ce phénomène qui, au fil des années, prendra des proportions alarmantes. Le chargé de la communication aux éditions Chihab, M.Abdallah Benadouda, avertit: «Il est vrai que, pour l’instant, il n’y a que les éditeurs étrangers qui sont touchés, mais si on ne fait rien pour contrecarrer ce fléau, nous finirons, nous aussi, par subir les conséquences désastreuses qui ne seront que la suite directe du laisser-aller.» Notre interlocuteur fait remarquer, en outre, que ceux qui pratiquent la contrefaçon sont des professionnels mêmes du livre. «Néanmoins, poursuit-il, ils évitent de pirater les livres dont nous détenons les droits de la réédition parce qu’ils savent pertinemment que nous les poursuivrons en justice. Donc, les seuls perdants dans cette affaire, du moins pour le moment, sont les éditeurs étrangers», constate Benadouda.

  • #2
    Les libraires, de leur côté, renvoient la balle aux éditeurs. «Nous ne pouvons rien faire tant que les éditeurs pâtissant de ce phénomène n’ont rien fait pour arrêter ce vol», souligne la présidente de l’Association des libraires algériens (Aslia), Mme Fatiha Soual. «En tant que présidente de Aslia, je ne peux pas défendre les étrangers, et je n’ai aucun droit d’interdire aux libraires de vendre les livres piratés tant que les principaux concernés (les éditeurs, Ndlr) ne se manifestent pas», signale Mme Soual.
    «C’est un mal nécessaire dans la mesure où le lecteur algérien, devant la cherté du livre, trouvera son compte et pourra, de ce fait, étancher sa soif» précise la présidente de l’Association des libraires algériens. Il faut noter, par ailleurs, que l’Etat algérien a, et pour longtemps, soutenu l’industrie du livre. Cette subvention a duré jusqu’en 1986. Et à partir de cette année, l’Etat a délaissé ce secteur. Comme une personne tributaire de l’appui de ses parents, le lecteur algérien s’est rendu compte, du jour au lendemain, que l’accès au livre n’est pas une sinécure. Les prix flambent. Le livre devient un produit qu’on ne peut acquérir sans se sacrifier. Et il ne faut surtout pas oublier que l’époque où l’Etat a arrêté de subventionner la confection du livre, coïncidait avec le choc pétrolier.
    Le pays s’est retrouvé soudainement en pleine chute. La catastrophe économique qu’a subie de plein fouet le pays était telle que l’ensemble des secteurs ont été touchés. Le livre ne fut pas en reste dans cette affaire.

    Et c’est à partir de cette époque-même que les Algériens commencèrent petit à petit à se détourner du livre. Alors, actuellement, on voit tous où on en est. A-t-on le droit maintenant de parler de lecture? Certains croient dur comme fer que le rétablissement de la situation n’est pas pour demain. Selon les observateurs, l’Etat ferme les yeux sur le piratage du livre pour justement permettre au lecteur algérien de «se cultiver». Mais cette thèse est vite écartée, notamment lorsqu’on apprend que l’une des conditions imposées à l’Algérie pour son adhésion à l’OMC (Organisation mondiale du commerce) est d’éradiquer, un tant soit peu, le phénomène du piratage.

    D’autant plus que notre pays est classé actuellement parmi les quatre premiers pays du monde pratiquant le piratage. Mais que fait-on pour contrecarrer ce phénomène dévastateur? Rien ou presque. Pourtant, l’arsenal juridique ne fait pas défaut.

    Un mal nécessaire?

    En effet, l’article 151 de l’ordonnance du 19 juillet 2003 relative aux droits d’auteur et droits voisins stipule: «Est coupable du délit de contrefaçon quiconque: -reproduit une oeuvre ou une prestation par quelque procédé que ce soit sous forme d’exemplaires contrefaits. -importe ou exporte des exemplaires contrefaits d’une oeuvre ou d’une prestation. -vend des exemplaires contrefaits d’une oeuvre ou prestation. -loue ou met en circulation des exemplaires contrefaits d’une oeuvre ou prestation.»
    Dans l’article 153, il est souligné: «Le coupable du délit de contrefaçon...est puni d’un emprisonnement de six (06) mois à trois (03) ans et d’une amende de 500.000,00DA à 1000.000,00DA, que la publication ait lieu en Algérie ou à l’étranger.» Notons qu’en cas de récidive, la peine sera doublée. Il est vrai que pour contrecarrer le phénomène du piratage, l’Algérie possède un arsenal juridique. Ce qui manque, par contre, c’est l’application de ces mesures pourtant drastiques.

    D’autant plus que le phénomène coûte annuellement à l’Etat plus de 600 millions de dinars. Remarquons, en ce sens, que les autorités concernées ne donnent jamais les coûts exacts. «C’est évident, puisque l’Onda ne dispose que de 45 contrôleurs répartis à travers le territoire national», ne cesse de clamer le directeur général de l’Office national des droits d’auteur et des droits voisins, Hakim Taousser.

    Ainsi donc, en dépit de la sonnette d’alarme tirée depuis fort longtemps, le phénomène du piratage ne cesse de gagner du terrain. A quand un vrai plan de lutte contre ce fléau?

    - L'EXPRESSION

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