ar Maâmar Farah
[email protected]
Sur ce livre sorti dans une conjoncture difficile qui a empêché un rayonnement mérité, sur le style et le fond de ces pages noircies par un journaliste chevronné, je ne dirai pas grand-chose. Je laisse le soin aux gars de la Culturelle de décortiquer ces révélations qui bousculent — et de quelle manière ! — tant de vérités. Je parlerai plus de Omar Touati qui vient de nous pondre ce livre polémique remettant en cause la thèse officielle de l'assassinat du Président Boudiaf au Palais de la culture de Annaba, le 29 juin 1992.
Je parlerai des évènements de cette journée noire tels qu'ils furent perçus par les responsables du Soir d'Algérie dont Omar était le correspondant local et le chef du bureau régional à Annaba. Ce 29 juin est une journée que je n'oublierai jamais. Pas seulement à cause de l'assassinat du Président Boudiaf. Ce jour-là, on devait fermer officiellement le quotidien sportif Match, l'un des premiers sur la scène nationale. Les affaires n'ont pas bien marché. Nous avions loué une belle villa de trois étages située sur un chemin vicinal à la sortie de Draria. Le garage a été aménagé en salle de rédaction avec espace PAO selon la formule «open», mais pour les réunions de rédaction, nous disposions d'un espace où fut installée une belle table de réunion. Pour les rencontres plus intimes, comme celle des actionnaires, nous utilisions le beau studio du troisième étage. Les deux autres niveaux étaient occupés par deux familles des journalistes associés. C'est là que nous devions nous réunir pour tirer un trait définitif sur Match.
Il y avait Zoubir Souissi, Djamel Saïfi et nos amis disparus Mohamed Bederina et Fouad Boughanem et moi-même. J'étais triste parce que ce journal avait pourtant bien marché au début. Il était notamment prisé par les supporters des petites équipes de football.
Cependant, depuis l'arrêt du processus électoral et les évènements qui lui ont succédé, il n'y avait plus de compétitions sportives. Allez faire un quotidien sportif avec zéro actualité !
Un titre en très gros caractères : RIDEAU !
Sur la table, traînait le numéro du jour de Match, le dernier... Un titre en caractères immenses barrait la une : RIDEAU ! Nous tirions le rideau sur une belle aventure et j'étais triste à la place de tous ces jeunes qui s'étaient complètement investis dans cette expérience unique. Mais le quotidien perdait beaucoup d'argent et comme Le Soir d'Algérie, la maison mère, n'était pas riche, il fallait arrêter les dégâts. À propos du titre du jour, «Rideau !», il était quelque peu prémonitoire parce que, quelques heures plus tard, un assassin va sortir d'un rideau rouge pour abattre le père de la Révolution.
Le planton de service nous avait servi les cafés et s'était retiré. Il faisait très chaud et nous avions ouvert le balcon sur la belle terrasse fleurie remplie de roses écarlates. On parlait de tout et de rien après avoir épuisé l'ordre du jour, quand le planton tapa à la porte. Il nous apprit que notre correspondant à Annaba voulait nous parler. Nous n'avions pas de téléphone au troisième étage et toutes les lignes se trouvaient au rez-de-chaussée. On demanda au gardien de redescendre et, au cas où Omar rappelait à nouveau, de le faire patienter. Mais, quelques minutes plus tard, il revint pour nous signaler l'urgence du coup de fil. C'est feu Fouad Boughanem qui se proposa de dévaler les trois étages pour savoir de quoi il en retournait.
Il était onze heures passées... Fouad revint rapidement. Il était blême. C'est comme s'il venait de voir le diable en personne : «mes chers amis, j'ai une mauvaise nouvelle à vous annoncer. On vient d'assassiner le président !» Interloqués, nous restâmes quelques minutes sans réaction. Puis l'un de nous demanda : «Comment ?» Fouad n'avait aucun élément à nous fournir à part la certitude que Mohamed Boudiaf venait de perdre la vie à Annaba à 11h25 exactement.
Omar Touati, comme tous les journalistes et cadres ayant assisté au dernier discours du Président, était retenu à l'intérieur de la salle par les services de sécurité. Mais on ne retient pas Omar ! Il se faufila rapidement dans la cohue générale, dévala la pente jouxtant la prison et le vieux tribunal et se retrouva au bureau régional qui était à l'époque près de l'agence Air Algérie — ancien Select, café chic de la jeunesse dorée des années soixante-dix. Son premier réflexe fut d'avertir les responsables de son journal.
«Boudiaf vient d'être assassiné !»
Nous arrêtâmes la réunion illico presto. En rentrant chez moi à midi, par la route d'El Achour rejoignant celle de Chéraga, je me posais des tas de questions. J'habitais à Beni Messous et, en descendant de voiture, la première personne que je rencontrai fut le président d'APC, assassiné par les terroristes quelques années plus tard.
Ce dernier était tout heureux de m'apprendre que la mairie préparait un programme festif imposant pour le 30e anniversaire de l'indépendance. Je lui dit d'arrêter tout car il n'y aura pas de célébration. Comment ? Pourquoi ?
- Boudiaf vient d'être assassiné !
Grâce à Omar et à son sens journalistique poussé, nous étions les rares personnes à Alger au courant de l'événement tragique. La télévision poursuivait son programme normal mais, en début d'après-midi, la nouvelle se répandit comme une traînée de poudre après son annonce par l'Unique.
En 1993, je quittais Alger pour Annaba. L'aventure de Match m'avait marqué. Je ne voulais pas retourner à la rédaction du Soir. Depuis Horizons, je volais de succès en succès et c'était la première grande désillusion.
À Annaba, je sortais souvent avec Omar Touati qui occupait toujours le poste de chef de bureau. Personnage typique, il m'a accompagné depuis les premiers numéros d'Horizons. Journaliste de terrain, il abhorrait ce que j'avais appelé à l'époque «le journalisme assis». Il excellait dans le fait divers et les couvertures judiciaires. Mais pas à la manière d'aujourd'hui où l'on se contente souvent d'arranger un PV de police ou de reprendre mot à mot les déclarations d'un communicateur de la gendarmerie. Omar faisait ses propres enquêtes, interrogeait des témoins, s'intéressait à tous les détails et tirait ses conclusions personnelles. Comme on le faisait au bon vieux temps, comme nous l'avaient enseigné nos prédécesseurs.
À Annaba justement où j'ai commencé ma carrière au quotidien An Nasr, paraissant à l'époque en langue française, j'eus à accompagner feu Kadour Merabet dans ses enquêtes sur le meurtre de la petite Khamsa qui avait défrayé la chronique avant de me lancer moi-même dans les reportages. Je fis également la connaissance de feu Mohammed Mansouri, imbattable sur les faits divers, qui venait couvrir, pour El Moudjahid, les grands procès comme le détournement du vol Annaba-Alger ou ceux des grands crimes de l'époque.
Omar était de cette trempe-là. Annaba, c'est plus que la ville où il habite. C'est sa passion et sa raison de vivre. Il vivait au rythme de ses pulsions, de ses joies colorées de rouge quand la vieille USM An glanait des titres (championnat en 63/64 et coupe en 1972), mais aussi de ses peines, de ses déconvenues. Comme tous les vrais Bônois, il la voyait dépérir, souffrir, sangloter, prise en étau entre la bureaucratie et la maffia du foncier et des barons de toutes les affaires louches possibles et imaginables. Le jour où la construction d'une mosquée VIP fit s'écrouler le mur de soutènement du vieux cimetière, il fit publier des photos montrant des tombes emportées par le glissement de terrain. Il appela à un rassemblement citoyen car, disait-il, ces malfrats, les Tliba et compagnie, s'en prenaient aux restes de ma famille, de ma pauvre mère enterrée de ce côté-ci du cimetière. Il fut présent au sit-in. Il était seul. Seul contre tous.
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Sur ce livre sorti dans une conjoncture difficile qui a empêché un rayonnement mérité, sur le style et le fond de ces pages noircies par un journaliste chevronné, je ne dirai pas grand-chose. Je laisse le soin aux gars de la Culturelle de décortiquer ces révélations qui bousculent — et de quelle manière ! — tant de vérités. Je parlerai plus de Omar Touati qui vient de nous pondre ce livre polémique remettant en cause la thèse officielle de l'assassinat du Président Boudiaf au Palais de la culture de Annaba, le 29 juin 1992.
Je parlerai des évènements de cette journée noire tels qu'ils furent perçus par les responsables du Soir d'Algérie dont Omar était le correspondant local et le chef du bureau régional à Annaba. Ce 29 juin est une journée que je n'oublierai jamais. Pas seulement à cause de l'assassinat du Président Boudiaf. Ce jour-là, on devait fermer officiellement le quotidien sportif Match, l'un des premiers sur la scène nationale. Les affaires n'ont pas bien marché. Nous avions loué une belle villa de trois étages située sur un chemin vicinal à la sortie de Draria. Le garage a été aménagé en salle de rédaction avec espace PAO selon la formule «open», mais pour les réunions de rédaction, nous disposions d'un espace où fut installée une belle table de réunion. Pour les rencontres plus intimes, comme celle des actionnaires, nous utilisions le beau studio du troisième étage. Les deux autres niveaux étaient occupés par deux familles des journalistes associés. C'est là que nous devions nous réunir pour tirer un trait définitif sur Match.
Il y avait Zoubir Souissi, Djamel Saïfi et nos amis disparus Mohamed Bederina et Fouad Boughanem et moi-même. J'étais triste parce que ce journal avait pourtant bien marché au début. Il était notamment prisé par les supporters des petites équipes de football.
Cependant, depuis l'arrêt du processus électoral et les évènements qui lui ont succédé, il n'y avait plus de compétitions sportives. Allez faire un quotidien sportif avec zéro actualité !
Un titre en très gros caractères : RIDEAU !
Sur la table, traînait le numéro du jour de Match, le dernier... Un titre en caractères immenses barrait la une : RIDEAU ! Nous tirions le rideau sur une belle aventure et j'étais triste à la place de tous ces jeunes qui s'étaient complètement investis dans cette expérience unique. Mais le quotidien perdait beaucoup d'argent et comme Le Soir d'Algérie, la maison mère, n'était pas riche, il fallait arrêter les dégâts. À propos du titre du jour, «Rideau !», il était quelque peu prémonitoire parce que, quelques heures plus tard, un assassin va sortir d'un rideau rouge pour abattre le père de la Révolution.
Le planton de service nous avait servi les cafés et s'était retiré. Il faisait très chaud et nous avions ouvert le balcon sur la belle terrasse fleurie remplie de roses écarlates. On parlait de tout et de rien après avoir épuisé l'ordre du jour, quand le planton tapa à la porte. Il nous apprit que notre correspondant à Annaba voulait nous parler. Nous n'avions pas de téléphone au troisième étage et toutes les lignes se trouvaient au rez-de-chaussée. On demanda au gardien de redescendre et, au cas où Omar rappelait à nouveau, de le faire patienter. Mais, quelques minutes plus tard, il revint pour nous signaler l'urgence du coup de fil. C'est feu Fouad Boughanem qui se proposa de dévaler les trois étages pour savoir de quoi il en retournait.
Il était onze heures passées... Fouad revint rapidement. Il était blême. C'est comme s'il venait de voir le diable en personne : «mes chers amis, j'ai une mauvaise nouvelle à vous annoncer. On vient d'assassiner le président !» Interloqués, nous restâmes quelques minutes sans réaction. Puis l'un de nous demanda : «Comment ?» Fouad n'avait aucun élément à nous fournir à part la certitude que Mohamed Boudiaf venait de perdre la vie à Annaba à 11h25 exactement.
Omar Touati, comme tous les journalistes et cadres ayant assisté au dernier discours du Président, était retenu à l'intérieur de la salle par les services de sécurité. Mais on ne retient pas Omar ! Il se faufila rapidement dans la cohue générale, dévala la pente jouxtant la prison et le vieux tribunal et se retrouva au bureau régional qui était à l'époque près de l'agence Air Algérie — ancien Select, café chic de la jeunesse dorée des années soixante-dix. Son premier réflexe fut d'avertir les responsables de son journal.
«Boudiaf vient d'être assassiné !»
Nous arrêtâmes la réunion illico presto. En rentrant chez moi à midi, par la route d'El Achour rejoignant celle de Chéraga, je me posais des tas de questions. J'habitais à Beni Messous et, en descendant de voiture, la première personne que je rencontrai fut le président d'APC, assassiné par les terroristes quelques années plus tard.
Ce dernier était tout heureux de m'apprendre que la mairie préparait un programme festif imposant pour le 30e anniversaire de l'indépendance. Je lui dit d'arrêter tout car il n'y aura pas de célébration. Comment ? Pourquoi ?
- Boudiaf vient d'être assassiné !
Grâce à Omar et à son sens journalistique poussé, nous étions les rares personnes à Alger au courant de l'événement tragique. La télévision poursuivait son programme normal mais, en début d'après-midi, la nouvelle se répandit comme une traînée de poudre après son annonce par l'Unique.
En 1993, je quittais Alger pour Annaba. L'aventure de Match m'avait marqué. Je ne voulais pas retourner à la rédaction du Soir. Depuis Horizons, je volais de succès en succès et c'était la première grande désillusion.
À Annaba, je sortais souvent avec Omar Touati qui occupait toujours le poste de chef de bureau. Personnage typique, il m'a accompagné depuis les premiers numéros d'Horizons. Journaliste de terrain, il abhorrait ce que j'avais appelé à l'époque «le journalisme assis». Il excellait dans le fait divers et les couvertures judiciaires. Mais pas à la manière d'aujourd'hui où l'on se contente souvent d'arranger un PV de police ou de reprendre mot à mot les déclarations d'un communicateur de la gendarmerie. Omar faisait ses propres enquêtes, interrogeait des témoins, s'intéressait à tous les détails et tirait ses conclusions personnelles. Comme on le faisait au bon vieux temps, comme nous l'avaient enseigné nos prédécesseurs.
À Annaba justement où j'ai commencé ma carrière au quotidien An Nasr, paraissant à l'époque en langue française, j'eus à accompagner feu Kadour Merabet dans ses enquêtes sur le meurtre de la petite Khamsa qui avait défrayé la chronique avant de me lancer moi-même dans les reportages. Je fis également la connaissance de feu Mohammed Mansouri, imbattable sur les faits divers, qui venait couvrir, pour El Moudjahid, les grands procès comme le détournement du vol Annaba-Alger ou ceux des grands crimes de l'époque.
Omar était de cette trempe-là. Annaba, c'est plus que la ville où il habite. C'est sa passion et sa raison de vivre. Il vivait au rythme de ses pulsions, de ses joies colorées de rouge quand la vieille USM An glanait des titres (championnat en 63/64 et coupe en 1972), mais aussi de ses peines, de ses déconvenues. Comme tous les vrais Bônois, il la voyait dépérir, souffrir, sangloter, prise en étau entre la bureaucratie et la maffia du foncier et des barons de toutes les affaires louches possibles et imaginables. Le jour où la construction d'une mosquée VIP fit s'écrouler le mur de soutènement du vieux cimetière, il fit publier des photos montrant des tombes emportées par le glissement de terrain. Il appela à un rassemblement citoyen car, disait-il, ces malfrats, les Tliba et compagnie, s'en prenaient aux restes de ma famille, de ma pauvre mère enterrée de ce côté-ci du cimetière. Il fut présent au sit-in. Il était seul. Seul contre tous.
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