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Memoria
Les relations tumultueuses entre l’Algérie et la France, c’est aussi un canon de 12 tonnes, de presque 7 mètres de long et de 4,872 km de portée. Il a même, de part et d’autre, un nom significatif du lien des Algériens et des Français à leurs mémoires respectives. Baba Merzoug pour les uns, La Consulaire pour les autres. Deux visions divergentes de l’histoire commune mais point partagée. Et un élément, un de plus, du contentieux bilatéral. Objet de discorde ou canon d’une future concorde, Baba Merzoug est séquestré dans l’Arsenal de Brest depuis presque deux siècles, trois ans après son rapatriement d’Alger, le 5 juillet 1830. Il aura fallu donc attendre cinquante ans après l’Indépendance pour voir l’Algérie demander solennellement sa restitution à ses primo-propriétaires, les Algériens. La requête officielle a été adressée à la diplomatie française au cours de la première semaine de juillet 2012. Il était temps. Et il n’est pas trop tard pour appuyer de nouveau dans ce sens les deux demandes d’associations algériennes, dont celle de l’historien Belkacem Babaci, restées à ce jour sans suite.
Ce n’est pas encore la réconciliation historique franco-algérienne moyennant le salut au canon, loin s’en faut ! Les relations entre l’ex-puissance coloniale et son ancienne colonie émancipée depuis 1962 traversent de nouveau une sérieuse zone de turbulences ! La récente campagne médiatique menée en France par des organes publics, en dehors de toute connexion éditoriale logique avec l’actualité, a en effet eu en Algérie l’effet de l’essence que l’on jette, délibérément ou pas, sur des braises toujours ardentes sous la cendre de la mémoire coloniale. C’est que, cinquante-huit ans après l’Indépendance, le passé colonial ne passe pas, alors même que les relations entre l’ancienne puissance coloniale et sa colonie libérée suivent une courbe d’évolution en ligne sinusoïdale ! Une relation bilatérale portée par des intérêts pas toujours mutuellement bien compris. Des rapports fortement indexés sur la mémoire coloniale. L’anamnèse coloniale est à la fois une donnée de base et une variable d’ajustement dans l’histoire de la relation franco-algérienne. Tandis que les contentieux divers se nourrissent aussi de la mémoire du passé douloureux dont l’Algérie et la France n’ont pas encore fait le solde de tout compte, à l’image des deux anciennes puissances ennemies historiques que sont Paris et Berlin. Dans la panière riche des litiges bilatéraux, figure en bonne place le mythique canon algérois Baba Merzoug qui fut une terreur militaire des siècles durant en Méditerranée sous domination de la Régence d’Alger.
Dans les annales historiques de la Régence ottomane, il s’agit de cette pièce d’artillerie, unique en son genre, que la France officielle garde par devers elle et refuse obstinément de restituer à l’Algérie. La Préfecture maritime de Brest n’envisage toujours pas de se séparer du célèbre canon. Et elle le répète à chaque fois : « Nous n’avons reçu à ce jour aucune demande officielle concernant le canon La Consulaire», ainsi baptisé par les Français, lors de la prise d’Alger, le 5 juillet 1830. Baba Merzoug est toujours planté au milieu d’un parking de la zone militaire du port de Brest. Son retour à l’Amirauté d’Alger, son ancien lieu d’accueil, n’est pas encore pour demain. Le combat pour sa restitution, mené sans tambour ni trompette, par un comité ad hoc, créé en 1999 par le défunt historien algérois Abdelkrim Babaci, non sans discrétion, n’a jamais abouti.
Baba Merzoug, le père fortuné des Algérois qu’il protégeait en leur apportant chance et baraka, est, par certains aspects, avant d’être le combat de militants algériens de la mémoire, une histoire singulièrement bretonne. Le célèbre canon fut en effet transféré dans la capitale du Finistère par Victor-Guy Duperré, amiral en chef breton de la marine coloniale. En juillet 1830, dès les premiers jours de la chute d’Alger, le fameux canon est saisi et expédié comme précieux trophée de guerre à Brest, pour être installé dans l’arsenal militaire de la ville. «C’est la part de prise à laquelle l’armée attache le plus grand prix», écrit-il alors. Un autre Breton, homme d’affaires de son état, milite activement depuis 2003 pour sa restitution à l’Algérie. Encouragé par le précédent du sceau du Dey Hussein, remis par le président Jacques Chirac à son homologue Abdelaziz Bouteflika, Domingo Friand, passionné d’histoire, humaniste et altruiste s’il en est, a mené une campagne assidue en faveur du retour de Baba Merzoug à Alger. Il a souhaité que le canon, érigé à l’affût et à la verticale, soit transféré aux autorités algériennes. Il a promis alors une cérémonie œcuménique à Alger, avec un imam et un évêque, «en mémoire des victimes de la colonisation et en lieu et place du Traité d’amitié franco-algérien qui n’a jamais été signé».
Militant de l’ancienne UMP, parti du président Nicolas Sarkozy, Domingo Friand a d’abord plaidé la cause de Baba Merzoug auprès de la députée UMP du Finistère Marcelle Ramonet, qui a notamment évoqué l’affaire, en 2004, avec Alain Juppé, alors ministre des Affaires étrangères. La députée a ensuite transmis le dossier à la ministre de la Défense de l’époque, Michelle Alliot-Marie, en mars 2005. Cette cacique de l’UMP a vite opposé un refus certes poli mais qui exhalait un parfum de la loi scélérate de février 2005 glorifiant la colonisation : « Ce canon fait partie intégrante de notre patrimoine historique de la défense (…). De plus, le personnel de la marine manifeste un attachement particulier à ce monument qui commémore la participation des marins à un épisode glorieux de l’histoire de nos armées.»
Baba Merzoug avant la Grosse Bertha
Le canon Baba Merzoug
L’homme d’affaires breton a réussi par ailleurs, miraculeusement, à susciter l’intérêt de l’ambassade d’Algérie à Paris. Cette dernière a transmis le dossier au ministère de la Culture à Alger, tandis que l’Elysée « ne se dit pas opposé à une restitution, sous la forme d’un prêt à long terme ». Un bail emphytéotique gracieux et susceptible de renouvellement. Le tenace Breton semblait s’inscrire dans l’esprit d’une pétition d’anciens officiers de l’armée coloniale qui, en 1912, réclamaient déjà le retour au bercail de Baba Merzoug.
Invité de la chaine publique française TV5 Monde, Yves Bonnet, patron de l’ex-DST de 1982 à 1985, a déclaré qu’il a écrit à Jean-Yves Le Drian, ministre des Affaires étrangères, pour lui demander de remettre à l’Algérie Baba Merzoug. L’ex-député, ami de l’Algérie assumé et président du Centre international de recherches et d’études sur le terrorisme et l’aide aux victimes du terrorisme (CIRET-AVT), a encore dit que ce serait de la part de l’ancien ministre de la Défense un « geste d’amitié » envers les Algériens dont c’est le bien historique ».
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Les relations tumultueuses entre l’Algérie et la France, c’est aussi un canon de 12 tonnes, de presque 7 mètres de long et de 4,872 km de portée. Il a même, de part et d’autre, un nom significatif du lien des Algériens et des Français à leurs mémoires respectives. Baba Merzoug pour les uns, La Consulaire pour les autres. Deux visions divergentes de l’histoire commune mais point partagée. Et un élément, un de plus, du contentieux bilatéral. Objet de discorde ou canon d’une future concorde, Baba Merzoug est séquestré dans l’Arsenal de Brest depuis presque deux siècles, trois ans après son rapatriement d’Alger, le 5 juillet 1830. Il aura fallu donc attendre cinquante ans après l’Indépendance pour voir l’Algérie demander solennellement sa restitution à ses primo-propriétaires, les Algériens. La requête officielle a été adressée à la diplomatie française au cours de la première semaine de juillet 2012. Il était temps. Et il n’est pas trop tard pour appuyer de nouveau dans ce sens les deux demandes d’associations algériennes, dont celle de l’historien Belkacem Babaci, restées à ce jour sans suite.
Ce n’est pas encore la réconciliation historique franco-algérienne moyennant le salut au canon, loin s’en faut ! Les relations entre l’ex-puissance coloniale et son ancienne colonie émancipée depuis 1962 traversent de nouveau une sérieuse zone de turbulences ! La récente campagne médiatique menée en France par des organes publics, en dehors de toute connexion éditoriale logique avec l’actualité, a en effet eu en Algérie l’effet de l’essence que l’on jette, délibérément ou pas, sur des braises toujours ardentes sous la cendre de la mémoire coloniale. C’est que, cinquante-huit ans après l’Indépendance, le passé colonial ne passe pas, alors même que les relations entre l’ancienne puissance coloniale et sa colonie libérée suivent une courbe d’évolution en ligne sinusoïdale ! Une relation bilatérale portée par des intérêts pas toujours mutuellement bien compris. Des rapports fortement indexés sur la mémoire coloniale. L’anamnèse coloniale est à la fois une donnée de base et une variable d’ajustement dans l’histoire de la relation franco-algérienne. Tandis que les contentieux divers se nourrissent aussi de la mémoire du passé douloureux dont l’Algérie et la France n’ont pas encore fait le solde de tout compte, à l’image des deux anciennes puissances ennemies historiques que sont Paris et Berlin. Dans la panière riche des litiges bilatéraux, figure en bonne place le mythique canon algérois Baba Merzoug qui fut une terreur militaire des siècles durant en Méditerranée sous domination de la Régence d’Alger.
Dans les annales historiques de la Régence ottomane, il s’agit de cette pièce d’artillerie, unique en son genre, que la France officielle garde par devers elle et refuse obstinément de restituer à l’Algérie. La Préfecture maritime de Brest n’envisage toujours pas de se séparer du célèbre canon. Et elle le répète à chaque fois : « Nous n’avons reçu à ce jour aucune demande officielle concernant le canon La Consulaire», ainsi baptisé par les Français, lors de la prise d’Alger, le 5 juillet 1830. Baba Merzoug est toujours planté au milieu d’un parking de la zone militaire du port de Brest. Son retour à l’Amirauté d’Alger, son ancien lieu d’accueil, n’est pas encore pour demain. Le combat pour sa restitution, mené sans tambour ni trompette, par un comité ad hoc, créé en 1999 par le défunt historien algérois Abdelkrim Babaci, non sans discrétion, n’a jamais abouti.
Baba Merzoug, le père fortuné des Algérois qu’il protégeait en leur apportant chance et baraka, est, par certains aspects, avant d’être le combat de militants algériens de la mémoire, une histoire singulièrement bretonne. Le célèbre canon fut en effet transféré dans la capitale du Finistère par Victor-Guy Duperré, amiral en chef breton de la marine coloniale. En juillet 1830, dès les premiers jours de la chute d’Alger, le fameux canon est saisi et expédié comme précieux trophée de guerre à Brest, pour être installé dans l’arsenal militaire de la ville. «C’est la part de prise à laquelle l’armée attache le plus grand prix», écrit-il alors. Un autre Breton, homme d’affaires de son état, milite activement depuis 2003 pour sa restitution à l’Algérie. Encouragé par le précédent du sceau du Dey Hussein, remis par le président Jacques Chirac à son homologue Abdelaziz Bouteflika, Domingo Friand, passionné d’histoire, humaniste et altruiste s’il en est, a mené une campagne assidue en faveur du retour de Baba Merzoug à Alger. Il a souhaité que le canon, érigé à l’affût et à la verticale, soit transféré aux autorités algériennes. Il a promis alors une cérémonie œcuménique à Alger, avec un imam et un évêque, «en mémoire des victimes de la colonisation et en lieu et place du Traité d’amitié franco-algérien qui n’a jamais été signé».
Militant de l’ancienne UMP, parti du président Nicolas Sarkozy, Domingo Friand a d’abord plaidé la cause de Baba Merzoug auprès de la députée UMP du Finistère Marcelle Ramonet, qui a notamment évoqué l’affaire, en 2004, avec Alain Juppé, alors ministre des Affaires étrangères. La députée a ensuite transmis le dossier à la ministre de la Défense de l’époque, Michelle Alliot-Marie, en mars 2005. Cette cacique de l’UMP a vite opposé un refus certes poli mais qui exhalait un parfum de la loi scélérate de février 2005 glorifiant la colonisation : « Ce canon fait partie intégrante de notre patrimoine historique de la défense (…). De plus, le personnel de la marine manifeste un attachement particulier à ce monument qui commémore la participation des marins à un épisode glorieux de l’histoire de nos armées.»
Baba Merzoug avant la Grosse Bertha
Le canon Baba Merzoug
L’homme d’affaires breton a réussi par ailleurs, miraculeusement, à susciter l’intérêt de l’ambassade d’Algérie à Paris. Cette dernière a transmis le dossier au ministère de la Culture à Alger, tandis que l’Elysée « ne se dit pas opposé à une restitution, sous la forme d’un prêt à long terme ». Un bail emphytéotique gracieux et susceptible de renouvellement. Le tenace Breton semblait s’inscrire dans l’esprit d’une pétition d’anciens officiers de l’armée coloniale qui, en 1912, réclamaient déjà le retour au bercail de Baba Merzoug.
Invité de la chaine publique française TV5 Monde, Yves Bonnet, patron de l’ex-DST de 1982 à 1985, a déclaré qu’il a écrit à Jean-Yves Le Drian, ministre des Affaires étrangères, pour lui demander de remettre à l’Algérie Baba Merzoug. L’ex-député, ami de l’Algérie assumé et président du Centre international de recherches et d’études sur le terrorisme et l’aide aux victimes du terrorisme (CIRET-AVT), a encore dit que ce serait de la part de l’ancien ministre de la Défense un « geste d’amitié » envers les Algériens dont c’est le bien historique ».
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