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Liban, Niger, Turquie, l'activisme diplomatique de la France devient-il de l'aventurisme?

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  • Liban, Niger, Turquie, l'activisme diplomatique de la France devient-il de l'aventurisme?

    Emmanuel Macron va devoir faire preuve d’une approche plus modeste.

    La France est au centre de l’activité diplomatique mondiale de cet été 2020, qu’elle l’ait voulu ou pas. L’assassinat des militants humanitaires dans le sud-ouest du Niger dimanche 9 août, rappelle que lorsqu’un pays est à la pointe de la lutte contre le terrorisme, ses ressortissants sont par ricochet particulièrement visés par les agressions et actes terroristes.

    La France à la pointe de la lutte contre le terrorisme

    Si l’on ne connaît pas encore les circonstances exactes de l’attaque mortelle contre les ressortissants français (était-ce un acte crapuleux fortuit ou un guet-apens fomenté par des terroristes qui auraient été informés par des complicités au sein des populations locales), le fait est que la France est évidemment visée compte tenu de son rôle essentiel dans l’opération Barkhane au Sahel (Mauritanie, Mali, Niger, Burkina-Faso et Tchad).

    La France constitue la cheville ouvrière de ce regroupement destiné à éliminer les forces terroristes dans cette partie de l’Afrique. Toutefois si des succès ont été enregistrés, force est de constater que cette opération semble marquer le pas. Trop de militaires jusqu’à présent y ont laissé la vie sans que l’on puisse tirer un vrai bilan indépendant coûts/avantages de cette intervention qui tente de rallier d’autres pays plus ou moins réticents à s’y engager, notamment l’Allemagne qui avait refusé précisément de prêter son concours à l’opération dite “Takuba” qui devait intensifier les activités de Barkhane dans la région.

    Le développement d’un sentiment anti-français

    Le G5 Sahel avait pour vocation initiale de lutter contre le terrorisme mais il comportait aussi un volet développement économique et durable qui jusqu’à présent a les plus grandes difficultés à se concrétiser sur le terrain. Le conseil de sécurité des Nations-Unies a récemment tiré la sonnette d’alarme en attirant l’attention de la communauté internationale sur l’augmentation du risque sécuritaire et humanitaire dans cette partie de l’Afrique. Par ailleurs, les gouvernements de ces États, dont certains sont minés par la corruption, manquent cruellement de structures administratives et judiciaires, ce qui rendra très difficile l’enquête sur ces meurtres.

    Enfin, l’action de la France continue à être perçue par une partie de la population et des gouvernements comme une politique néo-colonialiste attisant le sentiment anti-français qui s’est développé sur place depuis un certain temps, notamment lors du sommet du G5-Sahel de Pau au mois de janvier 2020, des manifestations ayant eu lieu notamment contre la France au Burkina Faso et au Mali.


    Après ces meurtres sauvages et la mort de trop nombreux militaires français (presque 50 depuis le début de l’opération Barkhane), la France ne peut plus faire l’économie d’un bilan sérieux de cette opération sous la supervision du parlement pour envisager les suites à donner à cette intervention miliaire.

    Emmanuel Macron, proconsul du Liban?

    S’agissant du Liban, si Emmanuel Macron a eu raison de se rendre à Beyrouth pour apporter un soutien aux victimes de la terrible explosion qui a eu lieu le 4 août dans un hangar du port où étaient entreposé 2750 tonnes de nitrate d’ammonium, ses propos et ses injonction politiques ont été mal acceptés et regardés comme une ingérence inacceptable dans les affaires intérieures du Liban. Que ce pays soit corrompu est une vérité. Qu’un chef d’État étranger prenne partie avec la population contre le gouvernement a constitué une maladresse qui a tourné à la crise diplomatique.

    Le chef de l’État s’est en l’espèce conduit comme un proconsul du Liban portant injonction d’opérer des réformes en annonçant son retour sur place au début du mois de septembre pour valider les avancées. Or le système institutionnel du Liban est éminemment complexe avec un chef de l’État chrétien-maronite, un chef de gouvernement musulman sunnite, un président de l’Assemblée nationale musulman chiite, un vice-président du conseil chrétien orthodoxe. Il faut aussi compter avec la présence du Hezbollah, organisation terroriste qui n’a guère l’intention de céder du terrain avec en arrière-plan l’Iran et la Syrie pour qui l’Iran représente un intérêt stratégique évident.

    Le Hezbollah en embuscade?

    Il ne sera donc pas possible de tout renverser d’un coup au Liban sauf à rendre possible par un processus de dégagisme politico-confessionnel l’accession du Hezbollah au pouvoir directement ou par l’intermédiaire de sa vitrine politique au parlement. Les autres dignitaires étrangers qui se sont rendus au Liban dans la suite d’Emmanuel Macron, tout en exigeant la fin de la corruption, n’ont formulé aucune injonction politique, ce qui est bien sûr plus prudent. La France va devoir donc faire preuve d’une approche plus modeste et Emmanuel Macron ne pourra se rendre de nouveau dans ce pays pour superviser la réforme politique, le président Michel Aoun le lui ayant signifié très clairement. En d’autres termes, c’est bien au peuple libanais de décider de son avenir et celui-ci ne doit être téléguidé par aucune puissance étrangère, fût-ce la France.

    Les 4 fautes face à Recep Tayyip Erdoğan

    S’agissant enfin de la Turquie, les exactions d’Erdoğan ne sont pas nouvelles. Depuis quatre ans et la tentative de coup d’État avortée, le président a clairement installé une dictature: enseignants, magistrats, députés, journalistes et dissidents sont licenciés voire enfermés en prison, outre la persécution du peuple kurde. Les pays occidentaux dont les États-Unis et la France ont fermé les yeux au motif qu’il s’agissait d’un pays membre de l’OTAN. Première faute.

    L’Union européenne a, sous la supervision d’Angela Merkel, conclu un accord de dupes avec Erdoğan pour la supervision du contrôle des flux migratoires sous promesse d’une manne financière de plus de 6 milliards d’euros. Le dirigeant turc n’a fait qu’agiter la menace d’ouvrir les frontières. Deuxième faute. Les Occidentaux n’ont commencé à s’inquiéter des faits et gestes d’Erdoğan que lorsque son activisme diplomatique a commencé à contrarier les plans des grandes puissances, notamment la France, en Libye. Troisième faute. Manifestement, Erdoğan n’en fait qu’à sa tête et rien ne semble devoir l’arrêter. La tension en Méditerranée orientale a enfin ouvert les yeux de l’Europe sur les desseins funestes du dirigeant turc.

    Le fait que la France intervienne en envoyant des avions miliaires pour contrer l’insertion des navires turcs dans les eaux territoriales de la Grèce est courageux mais place le pays dans une situation isolée au sein de l’Union européenne, qui souhaite avant tout qu’une solution diplomatique soit trouvée, d’autant plus que la France ne dispose pas d’eaux territoriales dans cette partie de la Méditerranée. Le règlement de la limite des eaux territoriales ne peut être réalisé qu’au niveau des deux pays et de l’ONU, voire de l’Union européenne si toutefois cette dernière est capable d’avoir une vision commune. L’Allemagne et l’Union européenne ont enfin prévu une réunion à la fin du mois à Berlin pour continuer à entretenir des relations apaisées avec la Turquie. Quatrième faute. Aujourd’hui, le processus d’adhésion de ce pays à l’Union européenne doit être purement et simplement suspendu jusqu’à nouvel ordre.

    Il est difficile d’assumer ses responsabilités de grande puissance. Mais aujourd’hui, tout conflit ne peut être réglé que par la voie internationale. Si la force militaire doit intervenir, elle ne peut l’être que par décision de l’ONU malgré la faiblesse de cette institution. Un seul pays ne peut plus désormais justifier une intervention militaire, sauf peut-être précisément les grandes puissances que sont les États-Unis et la Russie dans cette partie du monde. La France devra donc se ranger aux décisions prises par l’OTAN et par suite, presque exclusivement par les États-Unis.

    Patrick Martin-GenierEnseignant à Sciences Po et à l'INALCO, spécialiste de l'Europe

    Le HuffPost
    Dernière modification par zek, 14 août 2020, 22h10.
    Si vous ne trouvez pas une prière qui vous convienne, inventez-la.” Saint Augustin
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