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par Federico Pieraccini. publié le 11 janvier 2020.
Quelques jours après l’assassinat du Général Qasem Soleimani, de nouvelles informations importantes sont révélées par un discours prononcé par le Premier ministre irakien. L’histoire qui se cache derrière l’assassinat de Soleimani semble aller beaucoup plus loin que ce qui a été rapporté jusqu’à présent, impliquant le rapprochement entre l’Arabie Saoudite et l’Iran, l’avancée de la Chine sur la scène du Moyen-Orient ainsi que les dangers qui pèsent sur le dollar américain en tant que monnaie de réserve mondiale.
Dans un discours au parlement irakien, le Premier ministre irakien, Adil Abdul-Mahdi, a révélé les détails de ses interactions avec Trump dans les semaines précédant l’assassinat de Soleimani. Il a essayé d’expliquer à plusieurs reprises en direct à la télévision comment Washington l’avait rudoyé et intimidé, ainsi que d’autres parlementaires irakiens, pour qu’ils se soumettent à la ligne américaine, menaçant même de recourir à des opérations sous faux drapeau impliquant des tirs de snipers ciblant à la fois des manifestants et du personnel de sécurité afin d’aggraver la situation, ce qui rappelle les modes opératoires similaires observés au Caire en 2009, en Libye en 2011 et à Maidan (Ukraine) en 2014. Le but d’un tel cynisme était de plonger l’Irak dans le chaos.
Voici la reconstitution de l’histoire :
« [Le Président du Conseil des représentants de l’Iraq] Halbousi a assisté à la session parlementaire alors que presque aucun des députés sunnites ne l’a fait. En effet, les Américains avaient appris qu’Abdul-Mehdi prévoyait de révéler des secrets sensibles lors de la session et ont envoyé Halbousi pour l’en empêcher. Halbousi a interrompu Abdul-Mehdi au début de son discours, puis a demandé l’arrêt de la diffusion en direct de la session. Après cela, Halbousi, avec d’autres membres, s’est assis à côté d’Abdul-Mehdi, parlant ouvertement avec lui mais sans que l’échange soit enregistré.
Voilà ce qui a été discuté lors de cette session qui n’a pas été diffusée : Abdul-Mehdi a parlé avec colère de la façon dont les Américains avaient ravagé le pays et refusaient maintenant de mener à bien les projets d’infrastructure et de réseau électrique promis, exigeant en retour 50% des revenus pétroliers, ce qu’Abdul-Mehdi a refusé ».
Voici les mots complets (traduits) du discours d’Abdul-Mahdi au Parlement :
« C’est pourquoi j’ai visité la Chine et signé un accord important avec eux pour qu’ils entreprennent la reconstruction à la place des Etats-Unis. À mon retour, Trump m’a appelé pour me demander de rejeter cet accord. Quand j’ai refusé, il a menacé de déclencher d’énormes manifestations contre moi qui mettraient fin à mon poste de Premier ministre.
D’énormes manifestations contre moi se sont effectivement matérialisées, et Trump m’a appelé à nouveau pour me menacer : si je ne donnais pas suite à ses demandes, il ferait en sorte que des tireurs d’élite Marines juchés sur de hauts bâtiments ciblent les manifestants et le personnel de sécurité afin de faire pression sur moi.
J’ai de nouveau refusé, et j’ai présenté ma démission. À ce jour, les Américains insistent pour que nous annulions notre accord avec les Chinois.
Après cela, lorsque notre ministre de la Défense a déclaré publiquement qu’une tierce partie ciblait à la fois les manifestants et le personnel de sécurité (tout comme Trump avait menacé de le faire), j’ai reçu un nouvel appel de Trump menaçant de me tuer, ainsi que le ministre de la Défense, si nous continuions à parler publiquement de cette « tierce partie ».
Personne n’imaginait que la menace devait être appliquée au Général Soleimani, mais il était difficile pour le Premier ministre Adil Abdul-Mahdi de révéler la trame de fond qui s’était tissée depuis plusieurs semaines derrière l’attentat terroriste.
Je devais le rencontrer [Soleimani] plus tard dans la matinée quand il a été tué. Il venait délivrer un message de l’Iran en réponse au message que nous avions transmis aux Iraniens de la part des Saoudiens ».
Nous pouvons supposer, à en juger par la réaction de l’Arabie saoudite, qu’une sorte de négociation était en cours entre Téhéran et Riyad :
« La déclaration du Royaume concernant les événements en Iraq souligne l’opinion du Royaume sur l’importance de la désescalade pour sauver les pays de la région et leur peuple des risques de toute escalade ».
Surtout, la famille royale saoudienne a voulu faire savoir immédiatement au public qu’elle n’avait pas été informée de l’opération américaine :
« Le royaume d’Arabie saoudite n’a pas été consulté sur la frappe américaine. Compte tenu de l’évolution rapide de la situation, le Royaume souligne qu’il importe de faire preuve de retenue pour se prémunir contre tous les actes susceptibles de conduire à une escalade, qui aurait de graves conséquences ».
Et pour souligner sa réticence à la guerre, Mohammad bin Salman a envoyé une délégation aux États-Unis. Liz Sly, chef du bureau du Washington Post à Beyrouth, a tweeté:
« L’Arabie saoudite envoie une délégation à Washington pour exhorter à la retenue avec l’Iran au nom des États du golfe Persique. Le message sera : « Veuillez nous épargner la douleur de traverser une autre guerre ».
Ce qui ressortirait clairement est que le succès de l’opération contre Soleimani ne devrait rien à la collecte minutieuse de renseignements par les États-Unis ou Israël. Tout le monde savait que Soleimani se rendait à Bagdad dans une démarche diplomatique qui reconnaissait les efforts de l’Irak pour trouver une solution à la crise régionale avec l’Arabie saoudite.
Il semblerait que les Saoudiens, les Iraniens et les Irakiens étaient en bonne voie afin d’éviter un conflit régional impliquant la Syrie, l’Irak et le Yémen. La réaction de Riyad à la frappe américaine n’a manifesté ni joie ni célébration publiques. Le Qatar, tout en n’étant pas d’accord avec Riyad sur de nombreuses questions, a également immédiatement exprimé sa solidarité avec Téhéran, organisant une réunion à un haut niveau du gouvernement avec Mohammad Zarif Jarif, le ministre iranien des Affaires étrangères. Même la Turquie et l’Égypte, en commentant l’assassinat, ont employé un langage modérateur.
Cela pourrait refléter la crainte d’être la cible de représailles de l’Iran. Le Qatar, pays d’où serait parti le drone qui a tué Soleimani, n’est qu’à un jet de pierre de l’Iran, situé de l’autre côté du détroit d’Ormuz. Riyad et Tel-Aviv, les ennemis régionaux de Téhéran, savent tous deux qu’un conflit militaire avec l’Iran signifierait la fin de la famille royale saoudienne.
Lorsque les paroles du Premier ministre irakien sont reliées aux accords géopolitiques et énergétiques dans la région, l’image inquiétante d’une Amérique désespérée s’en prenant à un monde qui tourne le dos à un ordre mondial unipolaire en faveur de l’émergence multipolaire, sur lequel j’ai longtemps écrit, commence à émerger.
Les États-Unis, qui se considèrent désormais comme un exportateur net d’énergie à la suite de la révolution du pétrole de schiste (sur laquelle aucune décision finale n’a été prise), n’auraient plus besoin d’importer de pétrole du Moyen-Orient. Cependant, cela ne signifie pas que le pétrole peut désormais être échangé dans une autre devise que le dollar américain.
Le pétrodollar est ce qui garantit que le dollar américain conserve son statut de monnaie de réserve mondiale, accordant aux États-Unis une position monopolistique dont ils tirent d’énormes avantages en imposant une hégémonie régionale et même mondiale.
Cette position privilégiée de détention de la monnaie de réserve mondiale garantit également que les États-Unis peuvent facilement financer leur machine de guerre, une grande partie du monde étant obligée d’acheter ses bons du Trésor, que Washington est tout simplement capable de faire apparaître de nulle part. Menacer cet arrangement confortable, c’est menacer la puissance mondiale des États-Unis.
par Federico Pieraccini. publié le 11 janvier 2020.
Quelques jours après l’assassinat du Général Qasem Soleimani, de nouvelles informations importantes sont révélées par un discours prononcé par le Premier ministre irakien. L’histoire qui se cache derrière l’assassinat de Soleimani semble aller beaucoup plus loin que ce qui a été rapporté jusqu’à présent, impliquant le rapprochement entre l’Arabie Saoudite et l’Iran, l’avancée de la Chine sur la scène du Moyen-Orient ainsi que les dangers qui pèsent sur le dollar américain en tant que monnaie de réserve mondiale.
Dans un discours au parlement irakien, le Premier ministre irakien, Adil Abdul-Mahdi, a révélé les détails de ses interactions avec Trump dans les semaines précédant l’assassinat de Soleimani. Il a essayé d’expliquer à plusieurs reprises en direct à la télévision comment Washington l’avait rudoyé et intimidé, ainsi que d’autres parlementaires irakiens, pour qu’ils se soumettent à la ligne américaine, menaçant même de recourir à des opérations sous faux drapeau impliquant des tirs de snipers ciblant à la fois des manifestants et du personnel de sécurité afin d’aggraver la situation, ce qui rappelle les modes opératoires similaires observés au Caire en 2009, en Libye en 2011 et à Maidan (Ukraine) en 2014. Le but d’un tel cynisme était de plonger l’Irak dans le chaos.
Voici la reconstitution de l’histoire :
« [Le Président du Conseil des représentants de l’Iraq] Halbousi a assisté à la session parlementaire alors que presque aucun des députés sunnites ne l’a fait. En effet, les Américains avaient appris qu’Abdul-Mehdi prévoyait de révéler des secrets sensibles lors de la session et ont envoyé Halbousi pour l’en empêcher. Halbousi a interrompu Abdul-Mehdi au début de son discours, puis a demandé l’arrêt de la diffusion en direct de la session. Après cela, Halbousi, avec d’autres membres, s’est assis à côté d’Abdul-Mehdi, parlant ouvertement avec lui mais sans que l’échange soit enregistré.
Voilà ce qui a été discuté lors de cette session qui n’a pas été diffusée : Abdul-Mehdi a parlé avec colère de la façon dont les Américains avaient ravagé le pays et refusaient maintenant de mener à bien les projets d’infrastructure et de réseau électrique promis, exigeant en retour 50% des revenus pétroliers, ce qu’Abdul-Mehdi a refusé ».
Voici les mots complets (traduits) du discours d’Abdul-Mahdi au Parlement :
« C’est pourquoi j’ai visité la Chine et signé un accord important avec eux pour qu’ils entreprennent la reconstruction à la place des Etats-Unis. À mon retour, Trump m’a appelé pour me demander de rejeter cet accord. Quand j’ai refusé, il a menacé de déclencher d’énormes manifestations contre moi qui mettraient fin à mon poste de Premier ministre.
D’énormes manifestations contre moi se sont effectivement matérialisées, et Trump m’a appelé à nouveau pour me menacer : si je ne donnais pas suite à ses demandes, il ferait en sorte que des tireurs d’élite Marines juchés sur de hauts bâtiments ciblent les manifestants et le personnel de sécurité afin de faire pression sur moi.
J’ai de nouveau refusé, et j’ai présenté ma démission. À ce jour, les Américains insistent pour que nous annulions notre accord avec les Chinois.
Après cela, lorsque notre ministre de la Défense a déclaré publiquement qu’une tierce partie ciblait à la fois les manifestants et le personnel de sécurité (tout comme Trump avait menacé de le faire), j’ai reçu un nouvel appel de Trump menaçant de me tuer, ainsi que le ministre de la Défense, si nous continuions à parler publiquement de cette « tierce partie ».
Personne n’imaginait que la menace devait être appliquée au Général Soleimani, mais il était difficile pour le Premier ministre Adil Abdul-Mahdi de révéler la trame de fond qui s’était tissée depuis plusieurs semaines derrière l’attentat terroriste.
Je devais le rencontrer [Soleimani] plus tard dans la matinée quand il a été tué. Il venait délivrer un message de l’Iran en réponse au message que nous avions transmis aux Iraniens de la part des Saoudiens ».
Nous pouvons supposer, à en juger par la réaction de l’Arabie saoudite, qu’une sorte de négociation était en cours entre Téhéran et Riyad :
« La déclaration du Royaume concernant les événements en Iraq souligne l’opinion du Royaume sur l’importance de la désescalade pour sauver les pays de la région et leur peuple des risques de toute escalade ».
Surtout, la famille royale saoudienne a voulu faire savoir immédiatement au public qu’elle n’avait pas été informée de l’opération américaine :
« Le royaume d’Arabie saoudite n’a pas été consulté sur la frappe américaine. Compte tenu de l’évolution rapide de la situation, le Royaume souligne qu’il importe de faire preuve de retenue pour se prémunir contre tous les actes susceptibles de conduire à une escalade, qui aurait de graves conséquences ».
Et pour souligner sa réticence à la guerre, Mohammad bin Salman a envoyé une délégation aux États-Unis. Liz Sly, chef du bureau du Washington Post à Beyrouth, a tweeté:
« L’Arabie saoudite envoie une délégation à Washington pour exhorter à la retenue avec l’Iran au nom des États du golfe Persique. Le message sera : « Veuillez nous épargner la douleur de traverser une autre guerre ».
Ce qui ressortirait clairement est que le succès de l’opération contre Soleimani ne devrait rien à la collecte minutieuse de renseignements par les États-Unis ou Israël. Tout le monde savait que Soleimani se rendait à Bagdad dans une démarche diplomatique qui reconnaissait les efforts de l’Irak pour trouver une solution à la crise régionale avec l’Arabie saoudite.
Il semblerait que les Saoudiens, les Iraniens et les Irakiens étaient en bonne voie afin d’éviter un conflit régional impliquant la Syrie, l’Irak et le Yémen. La réaction de Riyad à la frappe américaine n’a manifesté ni joie ni célébration publiques. Le Qatar, tout en n’étant pas d’accord avec Riyad sur de nombreuses questions, a également immédiatement exprimé sa solidarité avec Téhéran, organisant une réunion à un haut niveau du gouvernement avec Mohammad Zarif Jarif, le ministre iranien des Affaires étrangères. Même la Turquie et l’Égypte, en commentant l’assassinat, ont employé un langage modérateur.
Cela pourrait refléter la crainte d’être la cible de représailles de l’Iran. Le Qatar, pays d’où serait parti le drone qui a tué Soleimani, n’est qu’à un jet de pierre de l’Iran, situé de l’autre côté du détroit d’Ormuz. Riyad et Tel-Aviv, les ennemis régionaux de Téhéran, savent tous deux qu’un conflit militaire avec l’Iran signifierait la fin de la famille royale saoudienne.
Lorsque les paroles du Premier ministre irakien sont reliées aux accords géopolitiques et énergétiques dans la région, l’image inquiétante d’une Amérique désespérée s’en prenant à un monde qui tourne le dos à un ordre mondial unipolaire en faveur de l’émergence multipolaire, sur lequel j’ai longtemps écrit, commence à émerger.
Les États-Unis, qui se considèrent désormais comme un exportateur net d’énergie à la suite de la révolution du pétrole de schiste (sur laquelle aucune décision finale n’a été prise), n’auraient plus besoin d’importer de pétrole du Moyen-Orient. Cependant, cela ne signifie pas que le pétrole peut désormais être échangé dans une autre devise que le dollar américain.
Le pétrodollar est ce qui garantit que le dollar américain conserve son statut de monnaie de réserve mondiale, accordant aux États-Unis une position monopolistique dont ils tirent d’énormes avantages en imposant une hégémonie régionale et même mondiale.
Cette position privilégiée de détention de la monnaie de réserve mondiale garantit également que les États-Unis peuvent facilement financer leur machine de guerre, une grande partie du monde étant obligée d’acheter ses bons du Trésor, que Washington est tout simplement capable de faire apparaître de nulle part. Menacer cet arrangement confortable, c’est menacer la puissance mondiale des États-Unis.
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