FRANÇOIS CHAUVANCY 15 JUILLET 2020
En cette journée anniversaire de l’échec du coup d’État mené contre R. Erdogan le 15 juillet 2016, un éclairage approfondi sur la Turquie d’aujourd’hui semble opportun dans le contexte géopolitique actuel.
Dans l’après-Seconde Guerre mondiale, les États-Unis ont arrimé la Turquie à l’Europe au sein de l’OTAN face à l’URSS. Les élites éclairées de l’Union européenne par la suite, dans leur grand angélisme, ont voulu à tout prix intégrer la Turquie cette fois dans un cadre politique, démocratique et économique en lui imposant de multiples changements intérieurs. Ainsi l’armée turque, pourtant garante de la laïcité y compris en conduisant des coups d’Etat, devait être éloignée du pouvoir. Cela a été fait. Aujourd’hui, Recep Tayyid Erdogan est élu sans intervalle depuis 2003 et gouverne la Turquie avec un gouvernement islamo-conservateur proche des Frères musulmans et de plus en plus agressif vis-à-vis du monde occidental.
Pour autant, la Turquie, d’une superficie de 780 000 km² et peuplée de 83 millions d’habitants, à la jonction de l’Europe et de l’Asie, est-elle devenue à nos frontières une menace militaire pour l’Union européenne ?
Après l’échec de son adhésion à l’Union européenne, la Turquie d’Erdogan revendique désormais le leadership de l’islam sunnite dans sa variante proche des Frères musulmans qui se sont notamment construits contre la domination de l’Occident. Elle affirme son identité néo-ottomane y compris à travers le recours à la force militaire au Moyen-Orient et dans le bassin méditerranéen.
Cette situation s’explique par une Turquie sous une même autorité politique de plus en plus autoritaire depuis 2003. Le contexte international lui a permis d’affirmer son autonomie et finalement de représenter une menace potentielle militaire aux frontières de l’Union européenne, bien en difficulté pour apporter des réponses crédibles et pourtant nécessaires.
LA TURQUIE D’ERDOGAN, LA NOSTALGIE D’UNE PUISSANCE PASSÉE.
En raison d’une part de son évolution intérieure, d’autre part du rejet notamment par la France d’une puissance musulmane au sein de l’Union européenne, la Turquie revendique désormais le leadership de l’islam sunnite dans sa variante proche des Frères musulmans, c’est-à-dire en opposition avec la domination de l’Occident.
Cette évolution est favorisée par le maintien au pouvoir de R. Erdogan.
En effet, la personnalisation progressive du pouvoir autour d’Erdogan et sa présidentialisation conduisent aujourd’hui à une fuite politique en avant aussi bien à l’intérieur de la Turquie qu’à l’extérieur. Cet État rejoint la cohorte des régimes autoritaires comme en Russie, en Chine, en Inde mais aussi dans l’Est de l’Union européenne. Au pouvoir depuis 2003, R. Erdogan a islamisé son pouvoir d’autant plus après la tentative du coup d’état militaire du 15 juillet 2016 qui a profondément marqué le président turc et entraîné une répression paranoïaque pour rester au pouvoir. En 17 ans passés à la tête du pays, d’abord comme premier ministre puis comme président, l’homme est parvenu à prendre le contrôle de toutes les institutions. Le changement de constitution en 2018, remettant les « compteurs à zéro » lui permet de rester au pouvoir pendant deux mandats de cinq ans jusqu’en 2028 et lui laisse donc une grande liberté de manœuvre en politique étrangère à la différence des démocraties occidentales.
Le régime s’est surtout durci sur la question religieuse imposant un islam qui associe une identité ottomane islamo-conservatrice à une approche nationaliste sinon revancharde de la splendeur passée et perdue. L’héritage laïc et occidentalisée de Kemal Atatürk a été peu à peu écarté de la mémoire collective. Le dernier exemple de cette « reconquête identitaire » est celui de la basilique sainte-Sophie redevenue en juillet 2020 une mosquée de plus parmi les quelque 84 684 mosquées existant en Turquie. Pourtant, un grand nombre de Turcs reste fidèle à sa mémoire comme en a témoigné l’élection en 2019 au grand dam de Recep Erdogan du Kémaliste Ekrem Imamoglu comme maire d’Istanbul, l’ancienne Constantinople, la ville la plus peuplée et la plus riche de Turquie.
Cependant, R. Erdogan veut stabiliser le pouvoir islamo-conservateur. Depuis le putsch avorté du 15 juillet 2016, les autorités traquent sans relâche les opposants dans le cadre de purges d’une ampleur sans précédent dans l’histoire moderne de la Turquie. 217 971 personnes soupçonnées d’appartenance au mouvement ont été interpellées. Plus de 50 000 ont été condamnées, dont une majorité de gülénistes. Les universités, les écoles, les associations liées au prédicateur ont été fermées. De nombreuses entreprises liées au mouvement ont été saisies par l’État. Plus de 150 journalistes ont été emprisonnés. Les étrangers et les bi-nationaux, la loi turque ne reconnaissant pas la double nationalité, ne sont pas épargnés. Ainsi, plus d’une vingtaine de citoyens américains ont été emprisonnés pour des accusations de terrorisme pendant une longue durée depuis l’été 2016, notamment le pasteur Brunson.
Nul ne peut douter aujourd’hui de la présidentialisation autoritaire de Recep Erdogan.
Cette instabilité politique a accru les difficultés de l’économie turque
En effet, après un développement économique positif lors des dernières décennies qui en a fait la 19e puissance économique mondiale, la Turquie subit une crise majeure depuis 2015, aggravée désormais par la pandémie Covid-19. Elle y répond à la fois par des actions légales et illégales.
D’une part, le nouveau programme économique turc lancé en 2018 n’a pas permis de redresser l’économie d’autant que le président Erdogan a renforcé son contrôle sur l’institution bancaire dont il nomme désormais le gouverneur. Le ministre de l’économie est par ailleurs son gendre. L’inflation s’élevait à 10,5% en 2019. La croissance de la Turquie devrait se contracter de 5% en 2020. Le chômage a grimpé à 17,2% de la population active. La livre turque maintient sa dépréciation en perdant 17% de sa valeur par rapport au dollar. Depuis le début de l’année 2020, les investisseurs étrangers ont retiré plus de 7,3 milliards d’euros.
D’autre part, les recettes du tourisme représentent 3,7% du PIB (2017). La Turquie, sixième destination touristique mondiale, a attiré un nombre record de 51,7 millions de visiteurs en 2019, et visait pour 2020 un total de 60 millions. Le tourisme emploie plus d’un million de salariés. Les revenus touristiques du pays ont atteint 34,5 milliards de dollars en 2019. L’Union européenne est enfin le premier partenaire commercial alors que la Chine et l’Allemagne sont les premiers clients et les premiers fournisseurs de la Turquie.
Cependant, cette faiblesse économique est compensée partiellement par des actions illégales persistantes. Pendant la guerre en Irak, elle importait le pétrole contrôlé par les Irakiens kurdes au détriment de l’État irakien. La Turquie contribue aujourd’hui à contourner les sanctions américaines contre l’Iran suscitant par exemple une amende sur la banque turque Halkbank. Elle vend la nationalité turque depuis octobre 2018 notamment aux Iraniens s’ils ouvrent un compte bancaire de 445 000 euros ou investissent 250 000 dollars en Turquie, permettant ainsi la création de sociétés iranienne « sous couverture turque ». Naturellement, des sanctions essentiellement américaines ont été imposées à la Turquie. Le Qatar apporte en revanche son soutien économique à cet allié dans la crise qui l’oppose aux EAU et à l’Arabie saoudite avec la promesse d’investir 15 milliards d’euros dans l’économie turque pour finalement atteindre 22 milliards en 2019.
L’économie turque n’est pas pour autant sortie d’affaire d’autant que les guerres à l’étranger, étroitement liées par ailleurs à des questions énergétiques, finissent aussi par coûter.
L’indépendance énergétique est devenue un axe majeur de la stratégie régionale menée par la Turquie.
Elle s’appuie sur plusieurs facteurs : des relations privilégiées avec la Russie, un accaparement turc des ressources régionales en Méditerranée, enfin l’accès aux ressources libyennes pour l’instant sous le contrôle du maréchal Haftar.
En novembre 2018, la Turquie, second client de Gazprom, le géant du gaz russe, a renforcé sa dépendance au gaz russe qui constitue 50% de son approvisionnement. Turkstream achevé en 2019 vise aussi à accroître et à assurer la fourniture de gaz russe aux Européens, renforçant ainsi l’influence énergétique et donc le poids géopolitique de la Russie sur le continent. 36 % du gaz consommé dans l’Union européenne est russe.
En cette journée anniversaire de l’échec du coup d’État mené contre R. Erdogan le 15 juillet 2016, un éclairage approfondi sur la Turquie d’aujourd’hui semble opportun dans le contexte géopolitique actuel.
Dans l’après-Seconde Guerre mondiale, les États-Unis ont arrimé la Turquie à l’Europe au sein de l’OTAN face à l’URSS. Les élites éclairées de l’Union européenne par la suite, dans leur grand angélisme, ont voulu à tout prix intégrer la Turquie cette fois dans un cadre politique, démocratique et économique en lui imposant de multiples changements intérieurs. Ainsi l’armée turque, pourtant garante de la laïcité y compris en conduisant des coups d’Etat, devait être éloignée du pouvoir. Cela a été fait. Aujourd’hui, Recep Tayyid Erdogan est élu sans intervalle depuis 2003 et gouverne la Turquie avec un gouvernement islamo-conservateur proche des Frères musulmans et de plus en plus agressif vis-à-vis du monde occidental.
Pour autant, la Turquie, d’une superficie de 780 000 km² et peuplée de 83 millions d’habitants, à la jonction de l’Europe et de l’Asie, est-elle devenue à nos frontières une menace militaire pour l’Union européenne ?
Après l’échec de son adhésion à l’Union européenne, la Turquie d’Erdogan revendique désormais le leadership de l’islam sunnite dans sa variante proche des Frères musulmans qui se sont notamment construits contre la domination de l’Occident. Elle affirme son identité néo-ottomane y compris à travers le recours à la force militaire au Moyen-Orient et dans le bassin méditerranéen.
Cette situation s’explique par une Turquie sous une même autorité politique de plus en plus autoritaire depuis 2003. Le contexte international lui a permis d’affirmer son autonomie et finalement de représenter une menace potentielle militaire aux frontières de l’Union européenne, bien en difficulté pour apporter des réponses crédibles et pourtant nécessaires.
LA TURQUIE D’ERDOGAN, LA NOSTALGIE D’UNE PUISSANCE PASSÉE.
En raison d’une part de son évolution intérieure, d’autre part du rejet notamment par la France d’une puissance musulmane au sein de l’Union européenne, la Turquie revendique désormais le leadership de l’islam sunnite dans sa variante proche des Frères musulmans, c’est-à-dire en opposition avec la domination de l’Occident.
Cette évolution est favorisée par le maintien au pouvoir de R. Erdogan.
En effet, la personnalisation progressive du pouvoir autour d’Erdogan et sa présidentialisation conduisent aujourd’hui à une fuite politique en avant aussi bien à l’intérieur de la Turquie qu’à l’extérieur. Cet État rejoint la cohorte des régimes autoritaires comme en Russie, en Chine, en Inde mais aussi dans l’Est de l’Union européenne. Au pouvoir depuis 2003, R. Erdogan a islamisé son pouvoir d’autant plus après la tentative du coup d’état militaire du 15 juillet 2016 qui a profondément marqué le président turc et entraîné une répression paranoïaque pour rester au pouvoir. En 17 ans passés à la tête du pays, d’abord comme premier ministre puis comme président, l’homme est parvenu à prendre le contrôle de toutes les institutions. Le changement de constitution en 2018, remettant les « compteurs à zéro » lui permet de rester au pouvoir pendant deux mandats de cinq ans jusqu’en 2028 et lui laisse donc une grande liberté de manœuvre en politique étrangère à la différence des démocraties occidentales.
Le régime s’est surtout durci sur la question religieuse imposant un islam qui associe une identité ottomane islamo-conservatrice à une approche nationaliste sinon revancharde de la splendeur passée et perdue. L’héritage laïc et occidentalisée de Kemal Atatürk a été peu à peu écarté de la mémoire collective. Le dernier exemple de cette « reconquête identitaire » est celui de la basilique sainte-Sophie redevenue en juillet 2020 une mosquée de plus parmi les quelque 84 684 mosquées existant en Turquie. Pourtant, un grand nombre de Turcs reste fidèle à sa mémoire comme en a témoigné l’élection en 2019 au grand dam de Recep Erdogan du Kémaliste Ekrem Imamoglu comme maire d’Istanbul, l’ancienne Constantinople, la ville la plus peuplée et la plus riche de Turquie.
Cependant, R. Erdogan veut stabiliser le pouvoir islamo-conservateur. Depuis le putsch avorté du 15 juillet 2016, les autorités traquent sans relâche les opposants dans le cadre de purges d’une ampleur sans précédent dans l’histoire moderne de la Turquie. 217 971 personnes soupçonnées d’appartenance au mouvement ont été interpellées. Plus de 50 000 ont été condamnées, dont une majorité de gülénistes. Les universités, les écoles, les associations liées au prédicateur ont été fermées. De nombreuses entreprises liées au mouvement ont été saisies par l’État. Plus de 150 journalistes ont été emprisonnés. Les étrangers et les bi-nationaux, la loi turque ne reconnaissant pas la double nationalité, ne sont pas épargnés. Ainsi, plus d’une vingtaine de citoyens américains ont été emprisonnés pour des accusations de terrorisme pendant une longue durée depuis l’été 2016, notamment le pasteur Brunson.
Nul ne peut douter aujourd’hui de la présidentialisation autoritaire de Recep Erdogan.
Cette instabilité politique a accru les difficultés de l’économie turque
En effet, après un développement économique positif lors des dernières décennies qui en a fait la 19e puissance économique mondiale, la Turquie subit une crise majeure depuis 2015, aggravée désormais par la pandémie Covid-19. Elle y répond à la fois par des actions légales et illégales.
D’une part, le nouveau programme économique turc lancé en 2018 n’a pas permis de redresser l’économie d’autant que le président Erdogan a renforcé son contrôle sur l’institution bancaire dont il nomme désormais le gouverneur. Le ministre de l’économie est par ailleurs son gendre. L’inflation s’élevait à 10,5% en 2019. La croissance de la Turquie devrait se contracter de 5% en 2020. Le chômage a grimpé à 17,2% de la population active. La livre turque maintient sa dépréciation en perdant 17% de sa valeur par rapport au dollar. Depuis le début de l’année 2020, les investisseurs étrangers ont retiré plus de 7,3 milliards d’euros.
D’autre part, les recettes du tourisme représentent 3,7% du PIB (2017). La Turquie, sixième destination touristique mondiale, a attiré un nombre record de 51,7 millions de visiteurs en 2019, et visait pour 2020 un total de 60 millions. Le tourisme emploie plus d’un million de salariés. Les revenus touristiques du pays ont atteint 34,5 milliards de dollars en 2019. L’Union européenne est enfin le premier partenaire commercial alors que la Chine et l’Allemagne sont les premiers clients et les premiers fournisseurs de la Turquie.
Cependant, cette faiblesse économique est compensée partiellement par des actions illégales persistantes. Pendant la guerre en Irak, elle importait le pétrole contrôlé par les Irakiens kurdes au détriment de l’État irakien. La Turquie contribue aujourd’hui à contourner les sanctions américaines contre l’Iran suscitant par exemple une amende sur la banque turque Halkbank. Elle vend la nationalité turque depuis octobre 2018 notamment aux Iraniens s’ils ouvrent un compte bancaire de 445 000 euros ou investissent 250 000 dollars en Turquie, permettant ainsi la création de sociétés iranienne « sous couverture turque ». Naturellement, des sanctions essentiellement américaines ont été imposées à la Turquie. Le Qatar apporte en revanche son soutien économique à cet allié dans la crise qui l’oppose aux EAU et à l’Arabie saoudite avec la promesse d’investir 15 milliards d’euros dans l’économie turque pour finalement atteindre 22 milliards en 2019.
L’économie turque n’est pas pour autant sortie d’affaire d’autant que les guerres à l’étranger, étroitement liées par ailleurs à des questions énergétiques, finissent aussi par coûter.
L’indépendance énergétique est devenue un axe majeur de la stratégie régionale menée par la Turquie.
Elle s’appuie sur plusieurs facteurs : des relations privilégiées avec la Russie, un accaparement turc des ressources régionales en Méditerranée, enfin l’accès aux ressources libyennes pour l’instant sous le contrôle du maréchal Haftar.
En novembre 2018, la Turquie, second client de Gazprom, le géant du gaz russe, a renforcé sa dépendance au gaz russe qui constitue 50% de son approvisionnement. Turkstream achevé en 2019 vise aussi à accroître et à assurer la fourniture de gaz russe aux Européens, renforçant ainsi l’influence énergétique et donc le poids géopolitique de la Russie sur le continent. 36 % du gaz consommé dans l’Union européenne est russe.
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