● Les procès des frères Kouninef et des deux anciens ministres de la Solidarité, Djamel Ould Abbès et Saïd Barkat, ont été reportés hier,
respectivement aux 2 et 9 septembre prochain ● Si l’affaire de Djamel Ould Abbès a connu son cheminement ordinaire, celle des frères Kouninef
laisse perplexe ● Transmis à la Cour suprême, les dossiers des deux ex-Premiers ministres et de douze ministres ont été mis sous le coude depuis
près de 15 mois ● Il y a quelques jours, ils ont été répartis entre les magistrats conseillers de 5 chambres de cette haute juridiction ● Une première
pour des affaires qui risquent de connaître encore des rebondissements.
Alors que beaucoup de magistrats ont pris leur
congé, deux importantes affaires étaient renvoyées pour être jugées hier par le tribunal
de Sidi M’hamed, à Alger.
La première est celle des deux anciens ministres de la Solidarité, Djamel Ould Abbès,
ex-secrétaire général du FLN, et Saïd Barkat,
qui comparaissaient avec l’ex-secrétaire général,
Kheladi Bouchenak, en détention, ainsi que plus
d’une vingtaine d’autres prévenus en liberté,
pour des faits liés au «détournement du fonds de
solidarité au profit d’associations fictives» ainsi
que de nombreux équipements, notamment des
bus, destinés aux communes déshéritées. Dès
9h30, Djamel Ould Abbès et Saïd Berkat font
leur apparition menottés et entourés de policiers
et d’agents de l’administration pénitentiaire. La
juge fait l’appel, une bonne partie des prévenus
en liberté sont absents, alors que de nombreux
avocats ne sont pas dans la salle. Visiblement, la
date du procès a été fixée dans la précipitation, ne
laissant pas le temps à la défense de se préparer
et même d’être informée. Me
Zakaria Dahlouk,
représentant le Trésor public, demande le renvoi
de l’affaire pour lui permettre de se préparer. La
juge décide d’ajourner le procès au 9 septembre
prochain. L’audience est levée. Vingt minutes
plus tard, les trois frères Kouninef, Noah-Tarek,
Abdelkader-Karim et Réda, ainsi que le gérant du
groupe KouGC, dont ils sont propriétaires, font
leur apparition, escortés par des policiers. Ils font
un signe de la main à leurs proches présents dans
la salle. Avec leur sœur Souad, en fuite à l’étranger,
les frères Kouninef sont poursuivis pour plusieurs
chefs d’inculpation dont «blanchiment d’argent»,
«enrichissement par des produits de crimes», «trafic d’influence», «incitation d’agents publics pour
l’obtention d’indus avantages», «financement
occulte de partis politiques», «obtention d’indus
avantages». Ils comparaissent avec dix autres
prévenus en liberté, essentiellement des cadres
des ministères de l’Industrie, de l’Agriculture,
de l’Hydraulique, de l’Energie et des Télécommunications ainsi que d’autres secteurs où le
groupe KouGC a obtenu des marchés. D’emblée,
la défense des Kouninef réclame une liste de 15
documents, dont un «rapport confidentiel», cités
par l’enquête judiciaire, mais auxquels elle n’a pas
eu accès. «Nous avons demandé ces documents
au juge d’instruction et au parquet, mais nous
n’avons jamais reçu de réponse. Nous ne sommes
pas là pour perturber le cours de la justice. Cependant, nous sommes en droit de consulter toutes
les pièces d’inculpation», déclarent les avocats. Le
procureur se sent dans l’obligation de répondre.
Il prend la parole. «Nous n’avons pas refusé de
mettre à la disposition les pièces du dossier à la
défense. Il se pourrait qu’au moment où certains
avocats ont pris des documents pour en faire des
copies, d’autres sont venus les demander mais ne
les ont pas trouvés», dit-il. La défense réplique :
«Il ne s’agit pas d’une simple histoire d’indisponibilité de ces copies au moment de la demande.
Nous avons déposé une demande d’une liste de 15
documents précis, avec accusé de réception et la
réponse ne nous a jamais été donnée, que ce soit
au niveau de l’instruction ou auprès du parquet.
Pourquoi parle-t-on de rapport secret ? Qui a-til de secret et pourquoi ces 15 pièces sont-elles
cachées ? Nous voulons des réponses. Nous insistons avec force pour avoir connaissance du contenu de ces documents et nous ne ferons pas marche
arrière.» La juge décide de renvoyer le procès au 2
septembre prochain, mais certains avocats expriment leur opposition, en estimant que la date est
«trop proche». La juge semble intransigeante. Elle
finit par lâcher : «Nous maintenons le 2 septembre
et le jour J on verra…», avant de lever l’audience.
Il faut dire que cette affaire est vraiment troublante
et suscite de nombreuses interrogations, et ce, depuis son éclatement au mois d’avril 2019, lorsque
les frères Kouninef ont été placés sous mandat de
dépôt, après avoir été entendus par les officiers de
la section de recherche de la gendarmerie de Bab
J’did, à Alger, et déférés devant le tribunal de Sidi
M’hamed.
Dès leur incarcération, et après les premières
auditions, le procureur général près la cour
d’Alger a transmis à la Cour suprême les dossiers
de 14 hauts fonctionnaires de l’Etat, les deux
ex-Premiers ministres, Ahmed Ouyahia et Abdelmalek Sellal, les ex-ministres de la Promotion
de l’Investissement, Abdelhamid Temmar, de
l’Industrie, Abdessalem Bouchouareb (en fuite),
des Télécommunications, Houda Imane Feraoun,
et Amar Tou des Travaux publics, Ammar Ghoul
de l’Hydraulique, Hocine Necib des Finances,
Mohamed Loukal (en tant que PDG de la BEA et
non de la BNA comme annoncé par erreur dans
notre édition d’hier), mais aussi Mohamed Arkab
(actuel ministre de l’Energie) en tant qu’ancien
responsable de Sonelgaz et Arezki Berraki (actuel
ministre des Ressources en eau) en tant qu’exdirecteur général des barrages et des transferts,
et trois ex-walis, Abdelkader Zoukh, Bachir Far
et Ali Bedrisi, qui bénéficient du privilège de
juridiction. Au niveau de Sidi M’hamed, le magistrat instructeur a fini par clôturer l’enquête et la
renvoyer, à la fin du mois de juillet dernier, devant
le tribunal. L’ordonnance de renvoi implique nommément les 14 hauts fonctionnaires, alors que leur
dossier a été mis sous le coude au niveau de cette
haute juridiction. Il y a quelques jours, des magistrats conseillers de cinq chambres ont été désignés
pour entamer l’instruction. Pour la première fois
depuis le début de ces affaires, le dossier de la
Cour suprême risque d’être jugé séparément de
celui instruit par le tribunal, contrairement à ce qui
s’est passé auparavant, avec la jonction entre les
dossiers des deux juridictions.
Certains avocats y voit plutôt un «cafouillage»
dans la gestion de ces dossiers, qui «tantôt sont
traités avec une célérité incroyable et tantôt laissés sous le coude». L’affaire des frères Kouninef,
liés au Président déchu et à son frère conseiller
Saïd, risque de connaître de nombreux rebondissements, surtout que dans son volet lié à l’exministre Houda Feraoun, il y a l’ombre de l’expatron de la Sécurité intérieure, le général Wassini
Bouazza, incarcéré à la prison militaire de Blida.
Salima Tlemcani
L’ACTUALITÉ
El Watan - Jeudi 20 août 2020
respectivement aux 2 et 9 septembre prochain ● Si l’affaire de Djamel Ould Abbès a connu son cheminement ordinaire, celle des frères Kouninef
laisse perplexe ● Transmis à la Cour suprême, les dossiers des deux ex-Premiers ministres et de douze ministres ont été mis sous le coude depuis
près de 15 mois ● Il y a quelques jours, ils ont été répartis entre les magistrats conseillers de 5 chambres de cette haute juridiction ● Une première
pour des affaires qui risquent de connaître encore des rebondissements.
Alors que beaucoup de magistrats ont pris leur
congé, deux importantes affaires étaient renvoyées pour être jugées hier par le tribunal
de Sidi M’hamed, à Alger.
La première est celle des deux anciens ministres de la Solidarité, Djamel Ould Abbès,
ex-secrétaire général du FLN, et Saïd Barkat,
qui comparaissaient avec l’ex-secrétaire général,
Kheladi Bouchenak, en détention, ainsi que plus
d’une vingtaine d’autres prévenus en liberté,
pour des faits liés au «détournement du fonds de
solidarité au profit d’associations fictives» ainsi
que de nombreux équipements, notamment des
bus, destinés aux communes déshéritées. Dès
9h30, Djamel Ould Abbès et Saïd Berkat font
leur apparition menottés et entourés de policiers
et d’agents de l’administration pénitentiaire. La
juge fait l’appel, une bonne partie des prévenus
en liberté sont absents, alors que de nombreux
avocats ne sont pas dans la salle. Visiblement, la
date du procès a été fixée dans la précipitation, ne
laissant pas le temps à la défense de se préparer
et même d’être informée. Me
Zakaria Dahlouk,
représentant le Trésor public, demande le renvoi
de l’affaire pour lui permettre de se préparer. La
juge décide d’ajourner le procès au 9 septembre
prochain. L’audience est levée. Vingt minutes
plus tard, les trois frères Kouninef, Noah-Tarek,
Abdelkader-Karim et Réda, ainsi que le gérant du
groupe KouGC, dont ils sont propriétaires, font
leur apparition, escortés par des policiers. Ils font
un signe de la main à leurs proches présents dans
la salle. Avec leur sœur Souad, en fuite à l’étranger,
les frères Kouninef sont poursuivis pour plusieurs
chefs d’inculpation dont «blanchiment d’argent»,
«enrichissement par des produits de crimes», «trafic d’influence», «incitation d’agents publics pour
l’obtention d’indus avantages», «financement
occulte de partis politiques», «obtention d’indus
avantages». Ils comparaissent avec dix autres
prévenus en liberté, essentiellement des cadres
des ministères de l’Industrie, de l’Agriculture,
de l’Hydraulique, de l’Energie et des Télécommunications ainsi que d’autres secteurs où le
groupe KouGC a obtenu des marchés. D’emblée,
la défense des Kouninef réclame une liste de 15
documents, dont un «rapport confidentiel», cités
par l’enquête judiciaire, mais auxquels elle n’a pas
eu accès. «Nous avons demandé ces documents
au juge d’instruction et au parquet, mais nous
n’avons jamais reçu de réponse. Nous ne sommes
pas là pour perturber le cours de la justice. Cependant, nous sommes en droit de consulter toutes
les pièces d’inculpation», déclarent les avocats. Le
procureur se sent dans l’obligation de répondre.
Il prend la parole. «Nous n’avons pas refusé de
mettre à la disposition les pièces du dossier à la
défense. Il se pourrait qu’au moment où certains
avocats ont pris des documents pour en faire des
copies, d’autres sont venus les demander mais ne
les ont pas trouvés», dit-il. La défense réplique :
«Il ne s’agit pas d’une simple histoire d’indisponibilité de ces copies au moment de la demande.
Nous avons déposé une demande d’une liste de 15
documents précis, avec accusé de réception et la
réponse ne nous a jamais été donnée, que ce soit
au niveau de l’instruction ou auprès du parquet.
Pourquoi parle-t-on de rapport secret ? Qui a-til de secret et pourquoi ces 15 pièces sont-elles
cachées ? Nous voulons des réponses. Nous insistons avec force pour avoir connaissance du contenu de ces documents et nous ne ferons pas marche
arrière.» La juge décide de renvoyer le procès au 2
septembre prochain, mais certains avocats expriment leur opposition, en estimant que la date est
«trop proche». La juge semble intransigeante. Elle
finit par lâcher : «Nous maintenons le 2 septembre
et le jour J on verra…», avant de lever l’audience.
Il faut dire que cette affaire est vraiment troublante
et suscite de nombreuses interrogations, et ce, depuis son éclatement au mois d’avril 2019, lorsque
les frères Kouninef ont été placés sous mandat de
dépôt, après avoir été entendus par les officiers de
la section de recherche de la gendarmerie de Bab
J’did, à Alger, et déférés devant le tribunal de Sidi
M’hamed.
Dès leur incarcération, et après les premières
auditions, le procureur général près la cour
d’Alger a transmis à la Cour suprême les dossiers
de 14 hauts fonctionnaires de l’Etat, les deux
ex-Premiers ministres, Ahmed Ouyahia et Abdelmalek Sellal, les ex-ministres de la Promotion
de l’Investissement, Abdelhamid Temmar, de
l’Industrie, Abdessalem Bouchouareb (en fuite),
des Télécommunications, Houda Imane Feraoun,
et Amar Tou des Travaux publics, Ammar Ghoul
de l’Hydraulique, Hocine Necib des Finances,
Mohamed Loukal (en tant que PDG de la BEA et
non de la BNA comme annoncé par erreur dans
notre édition d’hier), mais aussi Mohamed Arkab
(actuel ministre de l’Energie) en tant qu’ancien
responsable de Sonelgaz et Arezki Berraki (actuel
ministre des Ressources en eau) en tant qu’exdirecteur général des barrages et des transferts,
et trois ex-walis, Abdelkader Zoukh, Bachir Far
et Ali Bedrisi, qui bénéficient du privilège de
juridiction. Au niveau de Sidi M’hamed, le magistrat instructeur a fini par clôturer l’enquête et la
renvoyer, à la fin du mois de juillet dernier, devant
le tribunal. L’ordonnance de renvoi implique nommément les 14 hauts fonctionnaires, alors que leur
dossier a été mis sous le coude au niveau de cette
haute juridiction. Il y a quelques jours, des magistrats conseillers de cinq chambres ont été désignés
pour entamer l’instruction. Pour la première fois
depuis le début de ces affaires, le dossier de la
Cour suprême risque d’être jugé séparément de
celui instruit par le tribunal, contrairement à ce qui
s’est passé auparavant, avec la jonction entre les
dossiers des deux juridictions.
Certains avocats y voit plutôt un «cafouillage»
dans la gestion de ces dossiers, qui «tantôt sont
traités avec une célérité incroyable et tantôt laissés sous le coude». L’affaire des frères Kouninef,
liés au Président déchu et à son frère conseiller
Saïd, risque de connaître de nombreux rebondissements, surtout que dans son volet lié à l’exministre Houda Feraoun, il y a l’ombre de l’expatron de la Sécurité intérieure, le général Wassini
Bouazza, incarcéré à la prison militaire de Blida.
Salima Tlemcani
L’ACTUALITÉ
El Watan - Jeudi 20 août 2020