Par REPORTERS -20 août 2020
Badr’Eddine Mili vient de publier aux éditions APIC son nouvel essai intitulé Le système politique algérien, formation et évolution [1954-2020]. A l’occasion du 20 août, Reporters publie en document les extraits de l’ouvrage relatifs au Congrès de la Soummam de 1956.
I. Du 1er Novembre 1954 au 20 Août 1956
De sa création, sous cette appellation œcuménique, à sa transformation en parti au 4e congrès réuni en 1979, le FLN muta à quatre reprises. En vingt-cinq ans, il passa du statut de Front révolutionnaire, au faîte de sa gloire qui fut le sien entre 1954 et 1956, à celui de Front explosé en 1962, entre groupe de Tlemcen et groupe de Tizi Ouzou, puis de Front populaire de gauche en 1964, redressé et réduit à la portion congrue d’Exécutif/Appareil en 1965, pour ressusciter en 1979, après le décès du Président Houari Boumediène, dans le costume de Parti/État contrôlé par l’armée et la Haute Administration qui décrétèrent sa déchéance, une fois emporté par la débâcle d’Octobre 1988.
Il cumula, aussi bien pendant la Révolution qu’après l’indépendance, toutes les vicissitudes, des schismes et des mises à mort aux retours «gagnants», préservé, quand même, après 1962, en dépit de ses avanies, comme vitrine, fonds de commerce ou machine électorale par les différentes directions du pouvoir d’État qui n’ont à aucun moment rechigné, au nom de leurs intérêts, à utiliser son Histoire, son mythe, sa culture politique et ses chevaux de Troie, toujours aussi «fascinants», selon ses militants, même dans les phases de reflux et de crucifixion les plus noires qu’il connut.
La séquence qui va de la Proclamation du 1er Novembre 1954 au Programme de Tripoli de juin 1962 fut, pour lui, aussi longue qu’éprouvante, à cause, d’abord, de la guerre fratricide que lui livra le MNA à ses débuts, et dont il faudra un jour dresser l’effroyable bilan humain et, dans une autre mesure, à cause de la terrible répression coloniale, avec son hécatombe de morts, de disparitions et d’arrestations et, aussi, ses règlements de comptes internes qui ont lourdement impacté le fonctionnement, le rendement et la stabilité de ses effectifs et de son encadrement.
Il est possible de diviser cette séquence en deux temps forts :
– Le premier correspond à la prédominance des civils, et à sa tête, incarnée par les six, une direction partiellement reconduite, avec des modifications, par le congrès de la Soummam, congrès de l’élargissement et de la synthèse.
– Le second coïncide avec leur éviction du cercle de la décision par «les militants en uniforme», laquelle fut entièrement consommée par leur mise sous tutelle au congrès de Tripoli, congrès de la double option du parti unique et de la voie de développement socialiste.
A ces étapes succéderont après l’indépendance deux autres, au contenu et aux implications organiques et institutionnelles tout à fait opposées : celle du gouvernement de l’État par le parti et celle, consécutive au «réajustement» du 19 Juin 1965, qui imposa le gouvernement du parti par l’État, en attendant les suivantes qui lui feront subir les misères de son immersion dans le multipartisme, magiquement gommées par un retour en force sous le mandat de Abdelaziz Bouteflika, son Président d’honneur.
Le projet de fondation du FLN fut contemporain de la crise du MTLD qui le divisa, au début des années 50, en deux camps : «les Centralistes», membres du Comité Central, entrés sous la direction de Hocine Lahouel, son Secrétaire Général, en sédition ouverte contre leur Président, Messali Hadj, et «les Messalistes», conduits par un carré de fidèles s’appuyant sur une base militante inconditionnelle pour qui Messali Hadj devait rester le prophète intouchable, auréolé d’un culte de la personnalité proche de la divination ; un fait assez rare dans la courte Histoire des formations politiques de cette époque.
1.1. De l’Organisation Spéciale (l’OS) au 1er Novembre 1954
Plus tôt, en février 1947, fut réuni à Zeddine près de Rouina, dans la vallée de Chlef, dans une ambiance plus légaliste que révolutionnaire, le congrès extraordinaire du parti qui décida, dans une discrétion totale, de créer, à l’instigation insistante de Mohamed Belouizdad, Ahmed Ben Bella, Hocine Aït Ahmed et Mohamed Boudiaf, en dehors de ses structures, une organisation paramilitaire clandestine – l’OS (Organisation Spéciale) – composée, en majorité, de soldats démobilisés, choisis en raison de leur expérience au combat acquise au cours de la Seconde guerre mondiale, ainsi que de leur engagement tranché en faveur de l’action radicale contre la puissance occupante.
Ce fut à ces assises que Hocine Aït Ahmed présenta son fameux exposé sur la guerre de guérilla, un texte de polémologie, d’une acuité prospective saisissante, inspiré par la prise de conscience aigüe du peuple et des militants, face à l’horreur des massacres du 8 Mai 1945.
Emmenés – dans sa première direction – par Mohamed Belouizdad secondé par un responsable militaire, Abdelkader Belhadj Djilali – une répartition des taches reconduite dans l’organigramme du FLN de 1954 – les membres de l’Organisation furent, pour des motifs de sécurité, séparés des militants civils qui continuaient, eux, à activer dans le cadre des statuts et du règlement intérieur en vigueur.
Le démantèlement de l’Organisation par la police française, le 18 Mars 1950, sur dénonciation de l’un des siens, Khiari Abdelkader, se plaignant d’avoir fait l’objet de sévices de la part de ses responsables, changea la donne du tout au tout.
La direction du parti, fidèle à sa ligne électoraliste et tenant à demeurer en règle avec l’administration coloniale, la dissout, en 1951, en invitant ses membres à réintégrer les rangs ; un appel auquel ces derniers disciplinés répondront positivement, en dehors de ceux qui étaient poursuivis par la police ou sous le coup d’une condamnation par contumace.
Il faut remarquer que l’OS – plus sourcée à l’esprit du PPA de 1937, du temps de la direction du DR Mohamed Lamine Debaghine, qu’à celui du MTLD, mené par des dirigeants de moindre envergure – était restée, avant et après son échec, à l’écart des dissensions entre les factions concurrentes, plutôt focalisée sur l’intérêt qu’il y avait à rétablir en priorité l’unité du parti, même si ses responsables étaient pressés d’aller au feu, de peur que le train des évènements d’Indochine, de Tunisie et du Maroc ne les relègue à l’arrière, et ne les abandonne sur le quai du combat anticolonial qui avait pris une longueur d’avance à l’échelle internationale.
Badr’Eddine Mili vient de publier aux éditions APIC son nouvel essai intitulé Le système politique algérien, formation et évolution [1954-2020]. A l’occasion du 20 août, Reporters publie en document les extraits de l’ouvrage relatifs au Congrès de la Soummam de 1956.
I. Du 1er Novembre 1954 au 20 Août 1956
De sa création, sous cette appellation œcuménique, à sa transformation en parti au 4e congrès réuni en 1979, le FLN muta à quatre reprises. En vingt-cinq ans, il passa du statut de Front révolutionnaire, au faîte de sa gloire qui fut le sien entre 1954 et 1956, à celui de Front explosé en 1962, entre groupe de Tlemcen et groupe de Tizi Ouzou, puis de Front populaire de gauche en 1964, redressé et réduit à la portion congrue d’Exécutif/Appareil en 1965, pour ressusciter en 1979, après le décès du Président Houari Boumediène, dans le costume de Parti/État contrôlé par l’armée et la Haute Administration qui décrétèrent sa déchéance, une fois emporté par la débâcle d’Octobre 1988.
Il cumula, aussi bien pendant la Révolution qu’après l’indépendance, toutes les vicissitudes, des schismes et des mises à mort aux retours «gagnants», préservé, quand même, après 1962, en dépit de ses avanies, comme vitrine, fonds de commerce ou machine électorale par les différentes directions du pouvoir d’État qui n’ont à aucun moment rechigné, au nom de leurs intérêts, à utiliser son Histoire, son mythe, sa culture politique et ses chevaux de Troie, toujours aussi «fascinants», selon ses militants, même dans les phases de reflux et de crucifixion les plus noires qu’il connut.
La séquence qui va de la Proclamation du 1er Novembre 1954 au Programme de Tripoli de juin 1962 fut, pour lui, aussi longue qu’éprouvante, à cause, d’abord, de la guerre fratricide que lui livra le MNA à ses débuts, et dont il faudra un jour dresser l’effroyable bilan humain et, dans une autre mesure, à cause de la terrible répression coloniale, avec son hécatombe de morts, de disparitions et d’arrestations et, aussi, ses règlements de comptes internes qui ont lourdement impacté le fonctionnement, le rendement et la stabilité de ses effectifs et de son encadrement.
Il est possible de diviser cette séquence en deux temps forts :
– Le premier correspond à la prédominance des civils, et à sa tête, incarnée par les six, une direction partiellement reconduite, avec des modifications, par le congrès de la Soummam, congrès de l’élargissement et de la synthèse.
– Le second coïncide avec leur éviction du cercle de la décision par «les militants en uniforme», laquelle fut entièrement consommée par leur mise sous tutelle au congrès de Tripoli, congrès de la double option du parti unique et de la voie de développement socialiste.
A ces étapes succéderont après l’indépendance deux autres, au contenu et aux implications organiques et institutionnelles tout à fait opposées : celle du gouvernement de l’État par le parti et celle, consécutive au «réajustement» du 19 Juin 1965, qui imposa le gouvernement du parti par l’État, en attendant les suivantes qui lui feront subir les misères de son immersion dans le multipartisme, magiquement gommées par un retour en force sous le mandat de Abdelaziz Bouteflika, son Président d’honneur.
Le projet de fondation du FLN fut contemporain de la crise du MTLD qui le divisa, au début des années 50, en deux camps : «les Centralistes», membres du Comité Central, entrés sous la direction de Hocine Lahouel, son Secrétaire Général, en sédition ouverte contre leur Président, Messali Hadj, et «les Messalistes», conduits par un carré de fidèles s’appuyant sur une base militante inconditionnelle pour qui Messali Hadj devait rester le prophète intouchable, auréolé d’un culte de la personnalité proche de la divination ; un fait assez rare dans la courte Histoire des formations politiques de cette époque.
1.1. De l’Organisation Spéciale (l’OS) au 1er Novembre 1954
Plus tôt, en février 1947, fut réuni à Zeddine près de Rouina, dans la vallée de Chlef, dans une ambiance plus légaliste que révolutionnaire, le congrès extraordinaire du parti qui décida, dans une discrétion totale, de créer, à l’instigation insistante de Mohamed Belouizdad, Ahmed Ben Bella, Hocine Aït Ahmed et Mohamed Boudiaf, en dehors de ses structures, une organisation paramilitaire clandestine – l’OS (Organisation Spéciale) – composée, en majorité, de soldats démobilisés, choisis en raison de leur expérience au combat acquise au cours de la Seconde guerre mondiale, ainsi que de leur engagement tranché en faveur de l’action radicale contre la puissance occupante.
Ce fut à ces assises que Hocine Aït Ahmed présenta son fameux exposé sur la guerre de guérilla, un texte de polémologie, d’une acuité prospective saisissante, inspiré par la prise de conscience aigüe du peuple et des militants, face à l’horreur des massacres du 8 Mai 1945.
Emmenés – dans sa première direction – par Mohamed Belouizdad secondé par un responsable militaire, Abdelkader Belhadj Djilali – une répartition des taches reconduite dans l’organigramme du FLN de 1954 – les membres de l’Organisation furent, pour des motifs de sécurité, séparés des militants civils qui continuaient, eux, à activer dans le cadre des statuts et du règlement intérieur en vigueur.
Le démantèlement de l’Organisation par la police française, le 18 Mars 1950, sur dénonciation de l’un des siens, Khiari Abdelkader, se plaignant d’avoir fait l’objet de sévices de la part de ses responsables, changea la donne du tout au tout.
La direction du parti, fidèle à sa ligne électoraliste et tenant à demeurer en règle avec l’administration coloniale, la dissout, en 1951, en invitant ses membres à réintégrer les rangs ; un appel auquel ces derniers disciplinés répondront positivement, en dehors de ceux qui étaient poursuivis par la police ou sous le coup d’une condamnation par contumace.
Il faut remarquer que l’OS – plus sourcée à l’esprit du PPA de 1937, du temps de la direction du DR Mohamed Lamine Debaghine, qu’à celui du MTLD, mené par des dirigeants de moindre envergure – était restée, avant et après son échec, à l’écart des dissensions entre les factions concurrentes, plutôt focalisée sur l’intérêt qu’il y avait à rétablir en priorité l’unité du parti, même si ses responsables étaient pressés d’aller au feu, de peur que le train des évènements d’Indochine, de Tunisie et du Maroc ne les relègue à l’arrière, et ne les abandonne sur le quai du combat anticolonial qui avait pris une longueur d’avance à l’échelle internationale.
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