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    Konstantin Severinov : "Sans données de la phase 3, impossible que le vaccin russe contre le coronavirus soit accepté partout dans le monde"



    Publié le 22.08.2020 à 12h58

    Le 11 août 2020, Vladimir Poutine annonçait que la Russie avait développé le premier vaccin contre le coronavirus. Mais l'absence de publications scientifiques comme d'essais cliniques de phase 3, où le traitement doit être testé sur des dizaines de milliers de volontaires, inquiète. Sciences et Avenir a interrogé à ce sujet le biologiste russe Konstantin Severinov. Depuis Moscou, correspondance particulière de Natalia Demina.



    EXCLUSIF. Konstantin Severinov est professeur au département de biologie moléculaire et de biochimie de l'université Rutgers (États-Unis) et à l'Institut Skoltech (Moscou, Russie). Cet entretien pour Sciences et Avenir a été réalisé par la journaliste Natalia Demina ; la traduction est d'Héloïse Chapuis. Interrogé sur le "candidat vaccin" Spoutnik-V présenté par Vladimir Poutine le 11 août 2020 comme étant le "premier vaccin contre le coronavirus", Severinov explique que ce vaccin "à base d'adénovirus" constitue "une bonne approche" mais qu'il comprend les craintes soulevée par l'absence de test sur des dizaines de milliers de volontaires (phase 3), précisant que "la législation nationale russe qui régit la procédure de développement des vaccins a été modifiée de telle façon à autoriser l'enregistrement d'un vaccin et à pouvoir en approuver la production et l'utilisation chez les humains sans même avoir besoin d'entamer les essais cliniques de phase 3. Seules les phases 1 et 2 des essais cliniques ont donc été menées, avec un nombre très limité de jeunes volontaires sains". "Il sera très difficile, voire impossible, que ce vaccin soit accepté partout sauf en Russie et dans certains pays clients des Russes" commente Severinov. Il insiste aussi sur la nécessité de développer plusieurs vaccins : "En général, tout vaccin particulier peut avoir ses inconvénients et, bien sûr, ses avantages. C'est pourquoi il est bon d'en avoir plusieurs différents à développer, à tester et, une fois approuvés, à utiliser". L'intégralité de l'entretien est à lire ci-dessous.

    Sciences et Avenir : Connaissez-vous les principes qui sont à l'origine du vaccin russe ?

    Konstantin Severinov : Il s'agit d'un vaccin à base d'adénovirus dans lequel deux adénovirus différents, non pathogènes et non réplicables, sont utilisés comme vecteurs. Les adénovirus recombinants ont été mis au point pour porter la protéine S du coronavirus, qui constitue la fameuse couronne du virus. L'idée est qu'une fois dans la circulation sanguine d'une personne vaccinée, ils provoquent une réponse immunitaire contre la protéine S (et, bien sûr, contre l'adénovirus). Par conséquent, le sang d'une personne immunisée contiendra des anticorps qui pourront neutraliser l'infection par ce coronavirus lorsqu'elle se produira. Dans l'ensemble, il s'agit donc d'une bonne approche.


    Pourquoi pensez-vous que ce vaccin suscite autant de craintes et d'inquiétudes ?

    Il existe des inquiétudes très légitimes quant au fait que le vaccin n'a pas été soumis à la procédure standard des essais cliniques, qui comprend une certaine séquence de phases. La phase la plus coûteuse et la plus longue est appelée “phase 3”. Au cours de celle-ci, un candidat vaccin est testé sur des dizaines de milliers de volontaires dont l'âge doit correspondre à celui des personnes qui seront finalement vaccinées quand le vaccin sera approuvé - s'il l'est.



    "La procédure russe de développement des vaccins a été modifiée"
    L'idée de ces essais est de montrer, grâce à une analyse statistique minutieuse, que le candidat vaccin testé est sûr et efficace, ce qui signifie que les personnes qui reçoivent le vaccin sont effectivement moins susceptibles d'être infectées par l'agent infectieux contre lequel le vaccin a été développé. Ou, si elles sont infectées, qu'elles présentent des symptômes qui sont moins graves que dans la cohorte témoin constituée de personnes qui n'auront pas été vaccinées. En l'absence d'une telle étude, il est pratiquement impossible de s'assurer que le vaccin remplit effectivement la fonction que les gens recherchent.


    Dans le cas du vaccin russe, la législation nationale qui régit la procédure de développement des vaccins a été modifiée de telle façon à autoriser l'enregistrement d'un vaccin et à pouvoir en approuver la production et l'utilisation chez les humains sans même avoir besoin d'entamer les essais cliniques de phase 3. Seules les phases 1 et 2 des essais cliniques ont donc été menées, avec un nombre très limité de jeunes volontaires sains auxquels le vaccin a été administré et chez qui la présence d'anticorps reconnaissant le coronavirus a été détectée (ce qui est bien sûr un bon résultat mais ne suffit pas à prouver que ces personnes sont réellement protégées contre la maladie).

    Ainsi, le fait que le vaccin n'ait pas été correctement testé, et le fait même qu'il ait été fabriqué par les Russes, dont les contributions aux avancées biomédicales modernes sont quasi inexistantes, font douter de la viabilité, de la sécurité et de l'efficacité de cette solution. Bien sûr, tout le monde veut un vaccin efficace et le vaccin russe pourrait être au moins une des réponses au problème, mais jusqu'à ce que les données de la troisième phase d'essai soient disponibles, il sera très difficile, voire impossible, que ce vaccin soit accepté partout sauf en Russie et dans certains pays clients des Russes.

    Pourriez-vous commenter le manque de publications scientifiques sur ce vaccin ?

    Je n'en dirais pas grand chose car il est clair que tout le monde travaille sous la pression de la pandémie en cours. Il y a eu quelques publications sur les vaccins développés par Oxford, les Chinois et Moderna, mais elles ont certainement été précipitées et en aucun cas les résultats de la phase 3, celle qui change la donne, n'ont été présentés - ces essais sont toujours en cours. Au final, ce n'est pas une publication dans une revue scientifique qui détermine l'efficacité du vaccin ni sa viabilité des points de vue économique, de la production et de la distribution.

    "Il s'agit de savoir si le vaccin fonctionne ou non. C'est ce qui compte"
    Je me fais ici l'avocat du diable, mais les Russes ont été les premiers à introduire le vaccin contre la polio pendant l'ère soviétique, à la fin des années 50. Ils ont pris une souche candidate aux États-Unis, ont effectué des essais cliniques et ont organisé la production. Cela s'est fait sous la direction de Michael Chumakov (1909-1993) qui, le premier, s'est administré le vaccin à lui-même et à ses jeunes fils, pour convaincre les autorités. Et la décision de l'administration soviétique de lancer une production de masse du vaccin, qui a été utilisé en Union soviétique et dans le monde entier, n'a certainement pas été fondée sur des articles publiés dans des revues internationales. En fin de compte, il s'agit de savoir si le vaccin fonctionne ou non. C'est ce qui compte. Avec le vaccin russe contre le coronavirus, ou avec tout autre vaccin en cours de développement, nous ne connaissons pas encore la réponse.

  • #2
    Selon vous, qu'est-ce que le travail sur le MERS a apporté à l'élaboration du vaccin russe ?

    L'institut Gamaleya était impliqué dans le développement de deux vaccins adénoviraux avant la pandémie actuelle. L'un d'entre eux était contre Ebola, un virus qui n'a aucun lien avec la pandémie. L'autre était contre le MERS, qui est étroitement lié au coronavirus. Aucun de ces vaccins n'a été approuvé, mais les recherches antérieures montrent clairement que ces chercheurs possèdent la technologie et le savoir-faire qui leur ont permis de fabriquer des adénovirus recombinants avec des protéines de coronavirus par simple procédure de coupe et de collage une fois que la séquence génomique du coronavirus est devenue disponible. Cela revient vraiment à une question de technicité pour produire un virus qui contiendrait la protéine S Covid-19 plutôt que la protéine correspondante du MERS. Il est clair que les recherches qu'ils ont menées auparavant les ont aidés à obtenir l'adénovirus qui pourrait servir de candidat vaccin contre le coronavirus. Bien sûr, vous pouvez faire valoir que ni le vaccin contre Ebola, ni le vaccin contre le MERS de l'institut Gamaleya n'ont été approuvés pour une large utilisation. Mais d'un autre côté, il n'a jamais été nécessaire ou urgent de développer sérieusement ces vaccins car la propagation des virus MERS et Ebola est restée limitée. Il est clair que leur priorité était la rapidité et leur expérience antérieure les a aidés de manière significative.

    Quels problèmes pourraient survenir avec ce type de vaccin et comment devraient-ils être surveillés ?

    Le développement des vaccins se poursuit depuis plus de cent ans et des règles très strictes ont été élaborées sur la base d'essais et d'erreurs pour s'assurer que les vaccins, une fois introduits, sont sûrs et efficaces. Ces règles ont été élaborées non pas pour rendre tous les chercheurs malheureux ou pour ralentir le processus de développement, mais pour éviter que surviennent des problèmes, parfois très graves. Comme les maladies infectieuses ne connaissent pas de frontières nationales et que de nombreux vaccins doivent être administrés à l'échelle mondiale, différents pays se sont mis d'accord sur des normes communes de développement, avec l'aide de divers organismes internationaux, comme l'OMS.

    "Un scénario serait que le vaccin est sûr mais ne fonctionne pas"
    Bien entendu, un vaccin efficace et sûr est le meilleur scénario possible recherché au stade de la R&D. Un autre scénario serait que le vaccin est sûr mais ne fonctionne pas. En bref, une personne qui a été vaccinée ne se porte pas mieux qu'une personne qui ne l'a pas été. C'est peut-être le cas du vaccin russe et, étonnamment, ce n'est peut-être pas le pire résultat. Même si le nombre de personnes infectées par le coronavirus augmente jour après jour, le nombre réel de personnes qui en meurent diminue. Bien sûr, nous ne savons pas ce qui va se passer à l'automne, la mortalité peut augmenter à nouveau en raison des effets saisonniers, mais pour l'instant, vous pouvez imaginer un scénario selon lequel si quelqu'un, c'est-à-dire les Russes, produit quelque chose qu'il appelle un vaccin et fait en sorte que les gens l'utilisent, la situation épidémiologique continuera de s'améliorer. Cela ne se produira pas à cause du vaccin, mais pour d'autres raisons. Après tout, en Russie ou dans d'autres pays, il y a beaucoup de médicaments qui ne fonctionnent pas. Il y a, par exemple, un médicament russe qui se vend comme des petits pains, Arbidol (un traitement contre la grippe, NDLR), qui, selon des études indépendantes, n'est pas efficace ; cela ne semble pas affecter ses ventes. Quelque chose de similaire pourrait se produire avec le vaccin, du moins en Russie où la mortalité due au Covid-19 n'est pas si élevée, du moins la mortalité officielle.

    Le mauvais scénario se produit si le vaccin n'est pas sûr et que vous commencez à vacciner des dizaines de millions de personnes, car il y aura des complications, éventuellement graves, sans rapport avec l'infection Covid, causées par le vaccin. Même si de telles complications surviennent, par exemple, chez 1 personne sur 10.000 vaccinées, une fréquence qui n'aurait pas pu être déterminée avec les essais très limités menés jusqu'à présent, des milliers de personnes en souffriront. Il peut se produire un bien pire scénario, selon lesquels en plus des problèmes potentiels de sécurité du vaccin en soi, il peut y avoir des complications lorsque les personnes vaccinées présentent des symptômes de la maladie Covid-19 plus graves que les personnes non vaccinées, en d'autres termes, l'effet serait à l'opposé de ce que nous essayons d'obtenir...

    "Des complications surviennent toujours. Il est naïf de s'attendre à ce qu'il n'y en ait pas"
    Par exemple, une campagne de vaccination massive contre le virus de la dengue (DENV) aux Philippines s'est soldée par la mort de plusieurs centaines d'enfants parce que les anticorps développés après la vaccination ont exacerbé leur réaction à l'infection (cette campagne avait été menée par le laboratoire français Sanofi, NDLR). Ce problème potentiel n'est pas unique au vaccin russe et seuls des essais, y compris une surveillance à long terme après la large utilisation du vaccin, peuvent dire si c'est quelque chose dont il faut s'inquiéter. Des complications surviennent toujours. Il est naïf de s'attendre à ce qu'il n'y en ait pas. Il y en aura, qu'il s'agisse du vaccin russe ou de ceux du Royaume-Uni, des États-Unis ou de la Chine. C'est normal, cela fait partie du jeu. Lorsqu'un vaccin est approuvé et commence à être utilisé, ses créateurs suivent toujours de près ce qui se passe avec les personnes vaccinées et introduisent des changements et des ajustements si nécessaire.

    Êtes-vous au courant des travaux chinois sur le vaccin anti-Covid-19 ?

    Les Chinois ont publié plusieurs candidats vaccins et l'un d'entre eux est basé sur une technologie, testée depuis longtemps maintenant, et qui consiste à utiliser une version affaiblie du virus - c'est une approche similaire à celle utilisée par Chumakov lors du développement du vaccin contre la polio. En théorie, il s'agirait du meilleur vaccin possible, sauf en ce qui concerne la réponse immunitaire qu'il suscite. Le problème est que le virus affaibli peut revenir à une forme active.

    Par ailleurs, l'approche du vaccin adénoviral développé en Russie et au Royaume-Uni présente aussi des inconvénients : il peut ne pas fonctionner dans certains cas parce que de nombreuses personnes possèdent des anticorps contre les adénovirus. Ces anticorps élimineront l'adénovirus recombinant et ne permettront donc pas le développement d'une immunité contre la protéine S du coronavirus. En général, tout vaccin particulier peut avoir ses inconvénients et, bien sûr, ses avantages. C'est pourquoi il est bon d'en avoir plusieurs différents à développer, à tester et, une fois approuvés, à utiliser.

    "Que le monde entier discute sérieusement du vaccin russe peut déjà être considéré comme une réussite, non pas scientifique, mais politique"
    Pensez-vous que l'annonce du vaccin russe pourrait, au final, nuire à la réputation de la science russe ?

    On dit qu'il n'y a pas de mauvaise publicité. À vrai dire, les scientifiques russes ne peuvent pas faire grand-chose qui puisse aggraver leur position. Dans les sciences de la vie, la position des Russes est de toute façon faible. Dans ce contexte, le fait que le monde entier discute sérieusement du vaccin russe peut déjà être considéré comme une réussite, non pas scientifique, mais politique. Au moins pour un court moment, les Russes - les décideurs politiques, pas les scientifiques - sont aux commandes, ce sont eux qui fixent l'agenda et le reste du monde est sur la défensive. Cela ne veut pas dire que leur vaccin fonctionnera, seul le temps nous le dira - mais la réussite n'est pas à exclure.

    De nombreux enseignants et médecins russes, du moins dans les réseaux professionnels, expriment leur profonde inquiétude et craignent même d'être contraints de subir ce vaccin aux conséquences inconnues. Pensez-vous que leurs craintes soient justifiées ?


    Leurs craintes sont certainement justifiées car si le vaccin n'a pas été correctement testé, ces enseignants ou médecins, s'ils sont effectivement vaccinés, serviraient de cobayes sur lesquels les éventuels effets négatifs du vaccin seront examinés. Normalement, cela se fait avec des volontaires. D'autre part, ce n'est pas toujours noir ou blanc. Du point de vue de la bioéthique normale, nous savons que ce n'est pas la bonne façon de procéder. Du point de vue du contrôle de la pandémie, c'est peut-être la meilleure et la plus efficace (encore une fois, si le vaccin protège finalement ces personnes, car les médecins et les enseignants sont les plus exposés au risque et peuvent être de forts vecteurs de propagation de l'infection).

    "Le virus ne planifie rien, il est juste là"
    Par exemple, pendant la deuxième guerre mondiale, les antibiotiques ont été largement utilisés. Si les circonstances n'avaient pas été aussi désastreuses et si les normes d'approbation actuelles avaient été appliquées, les antibiotiques n'auraient pas été approuvés et d'innombrables personnes seraient mortes. En fin de compte, cela dépend vraiment de la gravité de la pandémie. Si nous commençons tous à tomber comme des mouches, je suis sûr que les gens choisiront de se faire vacciner même si la sécurité de ce vaccin n'est pas connue. Heureusement, il me semble que nous n'en sommes pas encore là. Mais seul le temps nous le dira.

    Considérez-vous la situation de pandémie comme une sorte de guerre entre l'humanité, les scientifiques et un virus inconnu ?

    S'il y avait une guerre, il y aurait deux camps qui planifieraient et comploteraient chacun contre l'autre. Le virus ne planifie certainement rien, il est juste là. Il finira par s'adapter à nous (ou l'humanité s'adaptera à lui). Et il y aura de nouveaux virus à l'avenir. Cela fait partie de la vie normale. Des choses se produisent dans la nature sans tenir compte de ce que les gens pensent d'elles. Que pensez-vous lorsqu'un tremblement de terre se produit ? Vous suivez Forrest Gump et vous concluez que "des merdes arrivent". C'est clairement la situation dans laquelle nous nous trouvons en ce moment.

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