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Azeffoun, mère de La Casbah d’Alger, mer de l’art et du châabi

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  • Azeffoun, mère de La Casbah d’Alger, mer de l’art et du châabi

    Publié par Noureddine Khelassi
    le 25.08.2020

    Revisiter Azeffoun, c’est inévitablement dire encore que la cité et l’arrière-pays, produits alchimiques de la montagne et de la mer, sont la mère de La Casbah d’Alger, de l’art et, bien entendu, du chaâbi ! Azeffoun, ah Azeffoun ! C’est d’abord un nom qui chante. Toponyme musical d’une définition de ce que la coquette ville et sa région sont la spécificité historique, la caractéristique géographique et l’originalité culturelle.
    Terroir de culture fertile, dont le nom berbère dériverait, dit-on, du phénicien. Du nom uzaff, la colline conique qui descend, en perpendiculaire, du mont Tamgout vers la Méditerranée. Port Gueydon la française et, bien avant, Ruzasus la phénicienne et Rusasu la romaine, est une kabyle de ville sur un cap surélevée. Un comptoir, une escale et un relais. Le point convergent des quatre vents. Des plages d’or en poudre et de galets polis. Des montagnes giboyeuses et, tels des écrins, cinquante-deux villages qui sont autant de sentinelles encerclées par les forêts de Yakouren et de Mizrana.
    C’est, après tout, plus de 5 000 ans d’Histoire, comme en témoignent, dans le dur de la roche, les monuments mégalithiques d’Aït Rhouna. Dans cette ville bénie par son saint tutélaire Sidi Ahmed Ouyoussef, entre ciel, terre, mer et montagne, s’entrechoquent les influences humaines. Des empreintes aux accents amazighs, phéniciens, romains, andalous, ottomans et français. Triste paradoxe, Azeffoun n’est plus aujourd’hui une ville de culture comme elle fut hier un terreau artistique. Les temps changent, Azeffoun aussi.
    Il est vrai que la cité et ses villages-satellites ont tant donné à la culture algérienne. Singulièrement à la musique. Particulièrement au châabi. Et spécifiquement au théâtre, à la littérature et au cinéma. Sans oublier le martyrologe de la guerre de Libération, avec ses chahid Didouche Mourad et Taleb Abderrahmane, entre autres.
    Azeffoun, c’est surtout un mariage d’amour fusionnel avec La Casbah d’Alger. Épousailles en justes noces artistiques qui fertiliseront le châabi. Musique des tripes, du cœur et du cortex qui est à l’âme d’Alger ce que sont le fado pour Lisbonne et le flamenco pour l’Andalousie. C’est comme si l’ancienne Ruzasus en était le père géniteur et La Casbah la mère porteuse avec ses gènes amazigh et andalou ! La Casbah, mère affectueuse des montagnards d’Azeffoun, notamment les Iflissen et les Ath Djennad, premiers Kabyles à y faire souche. Ah ces pionniers qui magnifiaient les percussions et qui taquinaient dans ses dédales et sous ses passages voûtés (sabbats) l’envoûtant quart de ton !
    La suite de l’histoire est une fabuleuse lignée d’astres scintillants dans la constellation du châabi et dans d’autres champs de la création. Avec, comme étoile polaire, Hadj Mhamed El Anka, de son vrai nom Aït Ouarab Mohamed Idir, dit Halo, né à Taguercift, au cœur d’Aghrib. Et, derrière le Cardinal du châabi, d’autres noms que le halo de lumières de l’astre des astres n’a pas éclipsés. Parmi eux, Hadj Mrizek, la voix de miel et d’huile d’olive émulsionnés, qui a chanté «El Qahwa wallatay» pour arbitrer un match épique mais convivial entre le thé et le café. Mrizek, l’Arezki Chaïb de Kanis et de la rue de Thèbes à La Casbah d’Alger, le footeux qui a débuté dans le hawzi ! Sans égaler El Anka, il est quand même, et à son image d’ailleurs, inimitable, incomparable et inégalable. Les deux sont incontestablement inoubliables. Bref, immortels.
    Il y a aussi le petit El Anka, de son nom artistique propre Boudjemâa El Ankis, Boudjemaâ Arezki d’Aït Rhouna, né au châabi sous les fez accueillants d’El Anka et Mrizek qui est lui-même le résultat émulatif du génie ankaoui. Dans le châabi, le nom de Hadj n’est pas seulement une référence religieuse. C’est aussi un titre de noblesse artistique porté par ailleurs, comme une clé de sol, par Omar Mekraza, longtemps chef d’orchestre de Hadj El Anka. Le fils d’Oumadhen se fera un nom, plus modeste certes, mais synonyme de voix grave d’un bluesman et de rigueur métrique d’un maestro. Si le châabi est à Azeffoun ce que le blues ou le jazz sont aux Noirs d’Amérique, la région est aussi une fascinante terre d’inspiration artistique et de création culturelle. Cette mère nourricière a donné au pays quelque chose comme au moins dix fois les doigts d’un Mrizek, dans la musique, la chanson, la littérature, le théâtre, le cinéma et la comédie. Dans le spectre des lumières, il y a également la diva de la chanson kabyle Hnifa d’Ighil Mahni. Et plus brillamment encore la divine Fadhila Dziriya, fille de La Casbah d’Alger, mais dont les racines berbères plongent dans l’humus de Ruzasus.
    Dans un tout autre registre, celui des couleurs, des traits et des formes, il y a notamment Mohamed Issiakhem, fils des Aït Djennad du côté d’Aghrib, terre des racines d’El Anka. Génie des peintres algériens, ce créateur volcanique est venu précisément de Taboudoucht. Créateur éruptif, polychrome flamboyant, élève d’Omar Racim, il tissa avec Kateb Yacine une amitié qu’il aurait lui-même vécue comme une peinture de la folie des génies perpétuels. Et avant même que Mohand Saïd Fellag d’Aït Illoul ne promène brillamment le nom d’Azeffoun de planches en planches, d’écrans en écrans et de pages en pages de livres, Mohamed Iguerbouchène, enfant d’Aït Ouchène, permit déjà à la région d’atteindre l’universalité en éparpillant entre Paris, Londres et Hollywood ses notes d’harmonie et en contrepoints. Ce fils d’Aït Ouchène dans la localité d’Aghrib et de Soustara à Alger, qui deviendra plus tard Igor Bouchène de Londres, aura composé cinq cents œuvres. Parmi elles, Rapsodie Kabilia, Rapsodie Arabic et la musique de Pépé Le Moko où Jean Gabin éclaboussa l’écran pour l’éternité cinématographique.
    Dans le panthéon de la création artistique et littéraire, brillent également de mille feux les noms du demi-frère de Mrizek, Rouiched de Kanis, celui du poète et homme politique Bachir Hadj Ali des Aït Hammad, et du chercheur d’os, l’écrivain et journaliste Tahar Djaout. On n’oubliera pas de sitôt Ahmed Ayad, alias Rouiched, le Charlot algérien. C’est lui, avant tout, qui donna à Fellag le goût sucré-salé de la comédie, la saveur épicée des monologues et la sapidité des mots polis comme les galets des plages du Caroubier, d’Amoutour ou du Petit-Paradis qui ont la côte sur le littoral d’Azeffoun.
    Ajoutez encore les noms des cinéastes Mustapha Badie et Mohamed Ifticène, du chanteur Abderrahmane Aziz et des frères humoristes Mohamed et Saïd Hilmi. Et n’oubliez pas, dans la foulée, le (ré)animateur culturel, l’éclateur des mots, l’exploseur des verbes, le roi du «RacontArt». Vous ne savez pas qui c’est ? Allez, on vous le dira tout de suite : c’est le tsar du calembour, l’émir de l’homophonie, le roi de l’homographie, le prince de la polysémie, le bachagha de la néosémie, c’est, mesdames et messieurs, Abderrahmène Lounès ! Et vous pigerez alors pourquoi Azeffoun est en Méditerranée la mère kabyle de l’art et la mer azuréenne du châabi.
    N. K.
    The truth is incontrovertible, malice may attack it, ignorance may deride it, but in the end; there it is.” Winston Churchill
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