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On ne vote pas mais on peut quand même regarder !

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  • On ne vote pas mais on peut quand même regarder !

    Une tradition éditoriale veut que les médias français cultivent un intérêt passablement exotique, politiquement intéressé pour les réactions d'opinions de leurs anciennes colonies autour de leurs propres événements politiques.

    « Comment a été réceptionné et suivi le premier tour de la course à Elysée en Algérie ? » est la question du jour. Réponse : avec intérêt, assiduité parfois, et en temps réel souvent. La rue, les cafés maures et les journaux en ont parlé. Le seul malentendu entre les deux parties est que l'explication de cet intérêt n'est pas celui que l'on croit de l'autre côté de la méditerranée.

    Aujourd'hui, aux yeux des Algériens, la France est désormais un pays « dissous » dans la géographie de l'Occident d'en face, à peine visible dans l'ordre dessiné après l'invasion de l'Irak, le 11 septembre et la montée des islamismes et des conservatismes autochtones. La France semble être plus dessinée à travers les courants forts de l'immigration ou des clivages idéologiques que perçue à travers le passif colonial par exemple et l'histoire de la guerre de Libération.

    Un intérêt vif pour les présidentielles en cours dans ce pays ne s'explique presque ni par le poids mort de l'Algérie française qui ne fait plus opinion que chez des générations vieillissantes ou intellectuellement coupées, ni par le poids mort de la « France algérienne » de communauté immigrée qui, après la décennie 90 et sa guerre locale, semble avoir immigré plus radicalement et ne songe plus ni au retour ni à la courtoisie, ni au rapatriement des corps. Le lien n'est plus organique et semble devoir sa dose d'audimat à la sociologie du spectacle plus qu'à la parenté politique.

    Signe fort d'un changement d'époque, la rue algérienne a suivi ces présidentielles, les a commentées, en a écouté les arguments et les propositions de programmes et en a consommé les débats et les sondages avec le même intérêt qu'elle accorde à l'évolution d'une équipe de foot espagnole ou à un championnat du ballon rond en Europe.

    Et comme pour un match du FC Barcelone, les raisons de cet intérêt sont d'abord ceux de la compensation, de la misère locale et du spectacle de remplacement, par défaut de vraie politique à regarder chez soi.

    On aura compris que l'audimat de la campagne française en Algérie a été beaucoup plus important que l'audimat décroché par les prochaines élections législatives algériennes et leurs comptoirs de distributions de burnous. Et on aura compris que c'est après avoir désespéré de voir le football renaître chez eux que les Algériens suivent les championnats d'Europe avec une vigilance de clubs de fans clandestins et que c'est pour les mêmes raisons qu'ils ont suivi les présidentielles françaises avec un souci du détail qui laisse songeur.

    On aura compris en dernier, que c'est faute de voir chez eux s'installer des débats de qualité, de distinguer dans leur pays une différence de programmes et d'hommes entre le FLN, le MSP et le RND et faute de pouvoir croire que les élections vont être vraiment décisives, nourries par un véritable suspens sur les scores et faute de pouvoir voter réellement, que les Algériens se sont précipités sur les élections françaises comme on se précipite aux fenêtres de ses cages pour voir le monde d'autrui et jouir de son spectacle.

    Comme pour le foot, les spectacles des présidentielles françaises ont fait oublier, ont fait rêver et ont permis de suspendre le réel par la télécommande. Un détail psychologique que nos confrères d'ailleurs ne doivent pas négliger pour ne pas se tromper sur la nationalité de voyeurs : ce n'est pas en s'intéressant au FC Barcelone que les Algériens acquièrent la nationalité espagnole ou prouvent qu'ils aiment ce pays ou le déteste. S'ils le font, c'est parce qu'ils n'ont pas de foot chez eux et parce que cela permet un peu d'oublier ce sinistre national.

    Par Kamel Daoud, Le QO
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