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  • d’«Alger, capitale de la révolution, de Fanon aux Black Panthers» : Elaine Mokhtefi

    d’«Alger, capitale de la révolution, de Fanon aux Black Panthers» : Elaine Mokhtefi, l’autobiographie comme œuvre d’histoire
    Par Halim Midouni -27 août 202017

    reporters.dz

    Avant qu’elle ne publie son libre chez Barzakh, l’été 2019, peu de gens connaissaient Elaine Mokhtefi, militante née en 1928 à New York d’une famille de la classe ouvrière américaine, engagée pour l’indépendance de l’Algérie où elle a travaillée comme journaliste et interprète. Aujourd’hui, elle est, pour nous, l’auteure d’un essai autobiographique des plus passionnants sur l’action diplomatique du FLN de guerre aux Nations unies et sur cette période qui va de 1962 au début des années 1970 : une séquence décisive qu’elle restitue à grand renfort d’informations et d’anecdotes inédites et qu’elle éclaire d’un jour nouveau en rendant ses lettres de noblesse à un genre de récit défraichi par une pléthore d’auteurs qui n’ont rien de spécial à raconter…

    Depuis que la nouvelle et jeune édition lui a ouvert grandes ses portes, il y a plus d’une vingtaine d’années, le récit autobiographique à caractère mémoriel a repris chez nous de la vigueur sous la plume d’anciens militants à l’ambition affichée de raconter au crépuscule de leur vie ce qu’ils ont vu et vécu de moments décisifs des luttes contre la domination coloniale à partir de la Seconde guerre mondiale jusqu’à la fin de la Guerre de libération et l’été 1962, essentiellement.
    Quelques-uns de ces acteurs nous ont laissé de précieux témoignages et sont passés à la postérité par l’authenticité et la valeur de leurs éclairages dont certains sont aujourd’hui versés au corpus des ouvrages de contribution à l’écriture de l’histoire algérienne contemporaine.
    La majorité, en revanche, reste constituée d’auteurs de textes généraux sur des évènements déjà bien documentés et analysés par les historiens, livrés dans une narration très éloignée des règles du genre que sont entre autres l’information et l’observation personnelles, l’emploi du «je» et la capacité à utiliser sa voix propre afin de faire entendre, singulièrement, celle d’une époque et de son importance pour le roman national.
    A rebours de cette tendance, ce que retrace l’ancienne journaliste Elaine Mokhtefi dans «Alger, capitale de la révolution, de Fanon aux Black Panthers», publié en 2019 chez Barzakh en co-édition avec La fabrique éditions, est un bijou mémoriel qu’il faut absolument lire et garder dans sa bibliothèque.
    Dans un récit qui marie parfois l’intime au public, la petite et la grande histoires, son auteure, de nationalité américaine veuve de Mokhtar Mokhtefi (ancien de l’ALN et lui aussi rédacteur pour Barzakh en 2016 de mémoires percutantes «J’étais Français-Musulman»), restitue quelques faits majeurs des grandes circonstances qu’elle a vécues durant sa vie algérienne comme militante puis comme journaliste, interprète et organisatrice efficace, pour l’Algérie, d’évènements internationaux.
    La lecture de son livre est une invitation à partager avec elle la traversée féconde de trois périodes distinctes : les années 1950 et le combat diplomatique du personnel du bureau du GPRA près des Nations unies à New York où elle a travaillé avec Abdelkader Chanderli, Mohamed Sahnoun, M’hamed Yazid… Tous ces gens qui ont porté, avec peu de moyens, une volonté de fer et un talent fou la voix du pays pour son indépendance partout dans le monde et dans cette Afrique qui brillait des «soleils des indépendances».
    Une première partie courte, mais truffée d’anecdotes comme celle relative au congrès de l’Assemblée mondiale de la jeunesse en 1960 à Accra où elle rencontre pour la première fois Frantz Fanon qu’elle décrit sous un aspect nouveau. Des faits qu’on voudrait qu’ils soient débattus dans nos facultés d’histoire, qui peuvent susciter des dizaines de sujets de recherche.

    «Pacte autobiographique»
    A travers eux, Elaine Mokhtefi montre que la révolution, c’est d’abord une affaire de conviction, des tonnes d’incertitude, des paris fous et un entêtement à renverser des rapports de force qui ne sont pas en votre faveur, selon Abdelhamid Benzine qu’elle raconte avoir rencontré au cours d’une des nombreuses rencontres internationales progressistes auxquelles elle a participé durant les années 1960 notamment .
    Une décennie dionysiaque pour une Algérie qui respirait à pleins poumons de sa révolution anticoloniale victorieuse, de ses jours éclatants de terre d’accueil des mouvements de libération, dont celui des Black Panthers qui y trouvèrent durant une brève, mais intense période refuge et reconnaissance, du panafricanisme et de son apothéose en cet été algérois de 1969, façonné par des hommes comme Mohamed Benyahia auquel elle rend un bel hommage. Qui s’effrayait de ses nuits troubles, aussi ; assombries par les luttes de pouvoir fratricides.
    Puis, les années 1970 et l’empreinte politique partout croissante du coup de force de juin 1965, qui forcera Elaine Mokhtefi au départ imposé par une police politique qui entendait faire d’elle une surveillante et une moucharde des faits et gestes de l’épouse de Ben Bella en prison, sa consœur à l’APS et amie Zohra Sellami.
    Ce que raconte Elaine Mokhtefi sur tout ce temps passé pour l’Algérie et en Algérie où elle vivra douze années de sa riche vie, c’est du souvenir pur, à contre-courant de ces modèles autobiographiques à la peau dure que sont dans notre socio-culture la prudence, l’évocation euphémique, la discrétion, l’occultation, l’oubli organisé, voire l’autocensure. C’est un «pacte autobiographique» au travers duquel elle rend honnêtement de ce qu’elle a vu, entendu et compris au plus près des évènements qu’elle a vécus et des personnes qu’elle a côtoyées, désirées et aimées .«Je raconte ce que j’ai vécu, c’est tout», confie-t-elle dans l’échange qu’elle a eu avec Reporters. En faisant ainsi, elle touche aux mythes de l’époque pour en dévoiler l’humanité. Elle fait œuvre d’histoire.

    Elaine Mokhtefi, «Alger, capitale de la révolution – De Fanon aux Black Panthers», Alger, Barzakh, juillet 2019. Prix : 800 DA
    Dernière modification par nacer-eddine06, 27 août 2020, 13h22.
    The truth is incontrovertible, malice may attack it, ignorance may deride it, but in the end; there it is.” Winston Churchill

  • #2
    Entretien avec Elaine Mokhtefi «J’ai l’impression étrange de confondre mes amours et l’Algérie»
    Par Nordine azzouz -27 août 2020

    Reporters : La première question sur votre livre porte sur votre témoignage et l’écriture que vous en faites ; vous n’enjolivez pas, vous ne noircissez pas non plus ce que vous avez vu et vécu dans cette Algérie des années 1960 et début des années 1970. D’où vous vient cette aptitude à raconter cette époque avec distance ?

    Elaine Mokhtefi : Je ne suis pas une intellectuelle. Je ne rapporte pas les faits pour tirer des conclusions. Je raconte ce que j’ai vu et senti, c’est tout. Et j’essaie d’être honnête, de rapporter exactement. C’est difficile. J’ai plein de photos dans la tête, qui ne se sont pas estompées. Par exemple, Krim Belkacem toujours englouti dans son imperméable noir trop long, M’hamed Yazid avec sa démarche lourde et déterminée, Mohamed Benyahia aux yeux qui clignotaient perpétuellement, et d’autres encore, du Dr. Francis, d’Ahmed Boumendjel à l’écart. Ali Yahia Abdenour que j’ai amené déjeuner dans Hamburger Heaven à New York pour qu’il ait un aperçu de la vie américaine. Je vois encore Benyoussef Benkhedda, dans l’escalier de l’immeuble du bureau, en face de Boudjakdji, Sahnoun et moi, en train de nous dire que l’Algérie serait socialiste…

    Ce que vous dites-là se rapporte en grande partie à l’époque où vous étiez au bureau du GPRA à New York. Vous n’étiez pas la seule Américaine à y travailler. Qui était Marianne Davis dont on n’a jamais entendu parler auparavant ? Qui, dans ce bureau, rencontrait et «briefait» Tom Brady du New York Times ?

    Tom Brady était sûrement renseigné par des membres dirigeants du GPRA, tels Yazid à Tunis. Chanderli à New York. Marianne Davis était une jeune Américaine qui a appris le français et a travaillé au bureau algérien, qui est aussi venue chez moi à Alger après l’Indépendance.

    Concernant votre «parcours onusien», une impression, à vrai dire, s’impose : l’histoire pourtant si importante de ce bureau de l’Algérie combattante à New York n’a pas encore été écrite, n’est-ce pas ?

    Je suis totalement d’accord avec vous que l’histoire du bureau de New York et l’histoire de la contribution de l’Algérie pour la libération de l’Afrique restent à écrire. Il faudrait inclure son rôle dans l’élimination du fascisme, en particulier son soutien des organisations antifascistes espagnole et portugaise à l’époque de Franco et Salazar. Ça peut se faire. Beaucoup de participants sont morts, mais les documents, les journaux existent. Si par votre question, vous suggérez que ce soit mon devoir, je dois vous rappeler que j’ai 91 ans.

    Vous avez connu Fanon, une référence majeure pour l’histoire du nationalisme algérien et des mouvements anticoloniaux puis antiracistes, aujourd’hui. Qui de l’homme ou de ses idées vous a-t-il le plus influencée après votre première rencontre à Accra en 1960 ?

    Fanon connaissait les hommes et les femmes. Il était avant tout psychiatre. Comment aurait-il réagi devant les événements de juin-juillet 62, devant le coup d’Etat de 65 ? Devant les déportations, les emprisonnements, la torture ? Imaginez… Aurait-il été écouté ? On a bien vu quel a été le sort de Mohammed Harbi, de Bachir Hadj Ali et de bien d’autres. J’aime penser que sa voix aurait été forte, qu’il aurait condamné l’arbitraire, la force, la violence…

    Le coup d’Etat du 19 juin 1965 a-t-il été, selon vous, le basculement qui a tout a changé – et durablement – en Algérie ?

    Pour ce qui est du coup d’Etat, l’avant et l’après, j’ai l’impression que le virus était bien entré dans l’animal pendant la guerre de libération. Il suffit de lire le Mémoire de mon mari pour s’en rendre compte («J’étais français-musulman», éditeur Barzakh). Il y raconte avec ferveur et quel courage comment était mené cette guerre, les qualités et défauts de ses dirigeants… On voit bien le manque de démocratie, la violence, comment les décisions étaient prises.

    La partie essentielle de votre livre est consacrée au séjour de membres importants des Black Panthers dont Eldridge Cleaver et son groupe en Algérie. On sait à quel point la pensée de Fanon était importante pour le mouvement, on savait moins la difficulté pour ces membres à séjourner dans cet Alger de la fin des années 1960 et du début des années 1970…

    En ce qui concerne l’influence de Fanon sur les Panthers, il est clair qu’elle était grande. Chaque section à travers le pays devait faire l’étude de ses livres et si possible chaque militant les lire. Il s’agissait de «Les Damnés de la Terre» et «Peaux Noirs, Masqués Blancs» tous les deux… Les Panthers n’avaient jamais séjourné dans un pays du Tiers-Monde. Ils ne connaissaient pas le sous-développement profond, même s’ils se voyaient faisant partie de ce Tiers-Monde. Quoi qu’on dise, ils étaient ressortissants du monde développé, possédaient une technicité, une intelligence formées dans le monde développé. Ils faisaient partie d’un monde croyant, aussi bien musulman que chrétien, mais c’était des religions adaptées à leur façon de vivre. L’Algérie sur ce plan-là était certainement une révélation difficilement captée et absorbée.

    Votre relation à l’Algérie, à sa révolution anticoloniale, ainsi qu’à ses jeunes années d’indépendance, aurait-elle été différente si vous n’aviez pas eu dans ce pays des liens personnels, connu le «désir» comme vous dites puis, plus tard, l’amour de votre vie ?

    J’ai l’impression étrange de confondre mes amours et l’Algérie. L’un se fond dans l’autre. En cherchant l’idéal, quelle est la différence entre la passion qu’on peut ressentir pour un pays, une cause, un partenaire ? Même quand on se quitte, il reste de la braise, de ce qu’aurait été possible. Je reste convaincue, comme je le dis dans le texte, que j’ai épousé une cause, celle de l’indépendance de l’Algérie. J’y ai vécue dix ans avant de rencontrer mon mari, en 1972.

    Etes-vous encore nostalgique de cette époque ?

    Evidemment, c’était ma jeunesse, c’était une époque. J’ai vu la guerre d’Algérie comme un événement essentiel, comme fondamental. Est-ce qu’on se rend compte que les Algériens ont libéré l’Afrique ? Que la France a accordé l’indépendance à plus de vingt pays, y compris le Maroc et la Tunisie, pour garder l’Algérie française ? Que dans son maquis, l’Algérie a formé les combattants de l’Angola, du Mozambique, de Guinée Bissau, de l’Afrique du Sud, du Sud-Ouest Africain ? Même Nelson Mandela est passé par là. Comment ne pas reconnaître ? Comment oublier ? Les acteurs de cette ère sont presque tous morts, mais les chercheurs, les historiens ?

    Pour une mise en perspective avec l’actualité, pensez-vous que le combat des Black Panthers fait encore sens aujourd’hui aux Etats-Unis ?

    Je suis convaincue que le souvenir de l’activité des Panthers reste vivant dans la mémoire des Noirs Américains, que cela a joué dans la création de nombreuses organisations militantes dont Black Lives Matter.

    Restons dans la mise en perspective et parlons encore de l’Algérie. Le pays est, à nouveau, en situation d’ouvrir ou non un autre chapitre de son histoire depuis le mouvement du «22 Février». Là aussi, quelle rupture et quelle continuité percevez-vous dans ce mouvement ?


    J’ai vu l’Algérie s’ouvrir, se retrouver dans le Hirak. J’y ai même pu prendre part en octobre et novembre 2019. Qui entrevoyait une telle ouverture, une telle explosion pour la démocratie et la justice, un tel ras-le-bol. L’avenir, qui peut nous dire de quoi il sera fait ? Je croise les doigts et je respire longuement…
    reporters.dz
    The truth is incontrovertible, malice may attack it, ignorance may deride it, but in the end; there it is.” Winston Churchill

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