Par AuteurAlexandre del Valle / Mercredi 2 septembre 2020
L'intensification de la présence militaire turque en Méditerranée et en Libye vise avant tout à établir un protectorat néo-ottoman en Libye qui, sous couvert de “défense” des musulmans et des “descendants d'Ottomans”, masque en fait une volonté de s'accaparer le pétrole libyen et le gaz de Méditerranée orientale, analyse Alexandre del Valle.
Le maréchal Khalifa Haftar, à la tête de l'Armée Nationale Libyenne, soutenu par le Parlement de Tobrouk (Est), contrôle 70 % du pays ainsi que les principaux puits de pétrole. Son rival, Fayez al-Sarraj, soutenu par le Parlement illégal de Tripoli, mais reconnu (bizarrement) par l'ONU (puis maintenu en vie par l'argent du Qatar, le soutien turc et les milices islamistes), ne contrôle quant à lui que 10 % du territoire libyen. De ce fait, l'idée diffusée par maints médias occidentaux selon laquelle Haftar serait "fini", que le renforcement de la présence militaire turque (aidée de proxys islamistes et jihadistes exfiltrés de Syrie) va lui faire "perdre bientôt" la place ultra-stratégique de Syrte, et qu'il va donc "perdre la guerre" en raison du "lâchage" de ses parrains égyptien, russe, émiratis "déçus" de ses revers récents, ne correspond pas du tout à la réalité. Affirmer également qu'il aurait été désavoué par le Parlement de Tobrouk et par son président, Aguila Saleh, sous prétexte qu'il aurait rejeté l'accord de cessez-le-feu (consacrant sa "défaite"), conclu le 17 aout dernier par ce dernier avec le président du conseil, Fayez al-Sarraj, ce qui aurait contrarié ses soutiens égyptiens, ne reflète pas ce qui se passe sur le terrain. Certes, Khalifa Haftar a échoué, au printemps dernier, à s'emparer de la capitale, Tripoli, où les forces islamistes qui protègent Sarraj, appuyées par des légions jihadistes, ont bénéficié d'armements turcs (notamment des drones). L'armée turque s'apprêterait ainsi à prendre Syrte après avoir acquis une "supériorité" aérienne et navale. En réalité, les Émirats arabes unis, l'Egypte et la Russie défendent plus que jamais l'ANL et ne comptent aucunement laisser la Turquie régner sur le ciel libyen, pas plus qu'ils ne restent passifs face à l'afflux de jihadistes pro-turcs venus de Syrie. Et le fait que les Émirats, la France, la Russie et surtout l'Egypte aient soutenu le cessez le feu (précaire) et le plan d'accord inter libyen prévoyant des élections libres pour mars 2012 ne signifie aucunement qu'ils soutiennent la revendication irréaliste du camp Sarraj de "démilitariser" unilatéralement Syrte, à laquelle il est logique que Haftar s'oppose. Pourquoi? Parce qu'après l’échec de l'offensive sur Tripoli au printemps dernier, les troupes d'Haftar se sont repliées vers Syrte (ville natale de Kadhafi à 450 km à l’est de Tripoli), verrou stratégique sur le chemin des principaux sites pétroliers du pays et sur la base aérienne militaire d’al-Joufra, qui scelle la ligne de front à mi-chemin entre Tripoli (camp Sarraj) et Benghazi (bastion de Haftar). Syrte est également un ancien fief de l'Etat islamique et ne peut en aucun cas être désarmée sans garantie et donc risquée d'être offerte à l'armée Turque et à ses proxys jihadistes.
Présence militaire turque accrue
Le 17 aout dernier, un accord turco-libyen a été conclu pour intensifier et officialiser l'installation de forces turques en Libye et pour la formation des troupes libyennes pro-Sarraj par des "conseillers militaires" turcs. Les bases militaires d'Al-Wakiya et les ports de Tripoli, Misrata et Al-Quds sont ainsi ouverts aux forces d'Ankara et à leurs proxys jihadistes. C'est dans ce contexte qu'ont été repérées le 13 aout dernier des frégates turques de classe G puis trois patrouilles de bateaux militaires LNA postés près de Syrte. L’envoi de conseillers militaires turcs a permis aux forces de Tripoli au GNA de prendre le contrôle de plusieurs villes côtières à l’ouest de la capitale. Et le 17 mai 2020, les milices affiliées au GNA ont ainsi arraché la base d’Al-Watiyah à l’ANL de Haftar qui la tenait depuis 2014. Depuis, l’ANL s’est redéployée à Syrte, Joufra et Ras Lanouf. Al-Watiyah revêt un intérêt stratégique pour Ankara dans la perspective d'une attaque aérienne contre Syrte. Les fréquents vols entre la Turquie et les bases d’Al-Watiyah et Misrata, ainsi que l’apparition de systèmes de défense anti-aérienne attestent de la présence militaire croissante de la Turquie. Depuis mai 2020, Ankara a déployé des frégates et tiré des missiles contre des drones de l’ANL. Ses F-16 turcs patrouillent en Méditerranée près des côtes libyennes, et elle accroit son contrôle sur les flux de migrants clandestins transitant par la Libye, ce qui accroit sa capacité de pression et de chantage financier sur les pays de l'UE.
Soutien d'Ankara aux Frères musulmans et au jihadisme
Les proxys islamistes pro-turcs venus combattre l'ANL de Haftar depuis le théâtre syrien seraient entre 4500 et 5500 jihadistes exfiltrés vers le front ouest-libyen depuis début 2020 par Ankara. Les compagnies aériennes qui ont assuré ce transfert sont Afriqiyah Airways et Al-Ajniha, dont le propriétaire a fait partie d'Al-Qaïda en Irak: le libyen Abdelhakim Belhaj, devenu "gouverneur militaire de Tripoli" après la chute de Kadhafi en 2011. Belhaj fait le lien entre les Frères musulmans et le jihadisme international, en plus d'être un relai d'influence de la Turquie, où il séjourne régulièrement. Il s'est par ailleurs enrichi depuis la chute de Kadhafi avec le trafic de migrants, amassant ainsi une fortune de 2 milliards de dollars. L'armée turque assure plusieurs centres de sélection et d'entraînement de mercenaires islamistes destinés au jihad libyen depuis les bases turques de Syrie à Afrin (nord d'Alep) sous la supervision d'Al-Jabha al-Shamiyyah, à Qibariyah, ou des Brigades Al-Mu'tasim à Al-Mahmoudiyah ou Al-Shamel. Citons également les brigades "Sultan Murad" et Suleiman Shah, composées de Turkmènes syriens; les légions Suqour al-Sham (Faucons du Levant), intégrant aussi des jihadistes européens; ou encore Faylaq al-Sham (Légion du Levant, 4 000 hommes), affiliées aux Frères-musulmans égyptiens. Pour la petite histoire, rappelons qu'au début de la guerre civile syrienne, l’Armée syrienne libre avait été alimentée en sens inverse par le Groupe islamique combattant en Libye (GICL) du précité Belhaj. Le double jeu de la Turquie d'Erdogan qui se veut le défenseur du Gouvernement Sarraj "reconnu par l'ONU", membre de l'OTAN et candidate à l'entrée dans l'UE, d'un côté, mais qui soutient l'islamisme international frériste ainsi que le jihadisme dans plusieurs zones, de l'autre, est patent. Ankara compose même avec des groupes liés à l'Etat islamique ou Al-Qaïda. Le nouveau chef de Daech est lui-même un Turkmène d'Irak, Amir Mohammed Said al-Salbi al-Mawla, alias Abou Omar al-Turkmani, ex-compagnon de cellule de l'ex-"calife" de DAECH, al-Baghdadi à la prison américaine de Bucca. Il a joué un rôle majeur dans l'extermination des Yézidis d'Irak, dans le trafic d'esclaves sexuelles yézidis aux côtés de proxys turkmènes jihadistes d'Ankara, puis dans la coopération entre les services turcs et Daech lorsque l'EI revendait son or noir syrien et irakien et du coton à la Turquie en échange d'appui logistique face aux Kurdes en Irak et en Syrie (2014 et 2016). Comme l'a révélé The Guardian, le frère aîné de ce nouveau "Calife serait lui-même réfugié en Turquie, à la tête d'un Front turkmène d'Irak. Ce front est une coalition de groupes islamistes turkmènes fondée en 1995 avec un appui d'Ankara. Jean-Yves Le Drian lui-même a affirmé qu'il est « vraisemblable que les forces jihadistes syriennes accompagnant les manoeuvres de la présence turque soient infiltrées par d’anciens responsables de groupes jihadistes qui soutenaient les Turcs à Idlib". Il a ainsi justifié les positions françaises en faveur de Haftar dès 2015 par le fait que l’ANL a été « internationalement reconnue pour son combat contre Daesh » puis qu'elle est légitimée par le Parlement libyen légitime de Tobrouk, alertant qu'il « peut y avoir des résurgences de Daesh au sud de la Libye, voire à Derna ». Or les forces du maréchal Haftar ont combattu les jihadistes du sud (Sahel), tandis que la Turquie et le GNA ont scellé des pactes avec les tribus extrémistes, des jihadistes et des Frères Musulmans de tout le Maghreb, de Mauritanie, de Somalie et du Soudan. On sait d'ailleurs que si Daesh reprend du poil de la bête en Irak, c'est parce que l'EI est protégé par des forces turkmènes anti-Kurdes soutenues par Ankara…
L'intensification de la présence militaire turque en Méditerranée et en Libye vise avant tout à établir un protectorat néo-ottoman en Libye qui, sous couvert de “défense” des musulmans et des “descendants d'Ottomans”, masque en fait une volonté de s'accaparer le pétrole libyen et le gaz de Méditerranée orientale, analyse Alexandre del Valle.
Le maréchal Khalifa Haftar, à la tête de l'Armée Nationale Libyenne, soutenu par le Parlement de Tobrouk (Est), contrôle 70 % du pays ainsi que les principaux puits de pétrole. Son rival, Fayez al-Sarraj, soutenu par le Parlement illégal de Tripoli, mais reconnu (bizarrement) par l'ONU (puis maintenu en vie par l'argent du Qatar, le soutien turc et les milices islamistes), ne contrôle quant à lui que 10 % du territoire libyen. De ce fait, l'idée diffusée par maints médias occidentaux selon laquelle Haftar serait "fini", que le renforcement de la présence militaire turque (aidée de proxys islamistes et jihadistes exfiltrés de Syrie) va lui faire "perdre bientôt" la place ultra-stratégique de Syrte, et qu'il va donc "perdre la guerre" en raison du "lâchage" de ses parrains égyptien, russe, émiratis "déçus" de ses revers récents, ne correspond pas du tout à la réalité. Affirmer également qu'il aurait été désavoué par le Parlement de Tobrouk et par son président, Aguila Saleh, sous prétexte qu'il aurait rejeté l'accord de cessez-le-feu (consacrant sa "défaite"), conclu le 17 aout dernier par ce dernier avec le président du conseil, Fayez al-Sarraj, ce qui aurait contrarié ses soutiens égyptiens, ne reflète pas ce qui se passe sur le terrain. Certes, Khalifa Haftar a échoué, au printemps dernier, à s'emparer de la capitale, Tripoli, où les forces islamistes qui protègent Sarraj, appuyées par des légions jihadistes, ont bénéficié d'armements turcs (notamment des drones). L'armée turque s'apprêterait ainsi à prendre Syrte après avoir acquis une "supériorité" aérienne et navale. En réalité, les Émirats arabes unis, l'Egypte et la Russie défendent plus que jamais l'ANL et ne comptent aucunement laisser la Turquie régner sur le ciel libyen, pas plus qu'ils ne restent passifs face à l'afflux de jihadistes pro-turcs venus de Syrie. Et le fait que les Émirats, la France, la Russie et surtout l'Egypte aient soutenu le cessez le feu (précaire) et le plan d'accord inter libyen prévoyant des élections libres pour mars 2012 ne signifie aucunement qu'ils soutiennent la revendication irréaliste du camp Sarraj de "démilitariser" unilatéralement Syrte, à laquelle il est logique que Haftar s'oppose. Pourquoi? Parce qu'après l’échec de l'offensive sur Tripoli au printemps dernier, les troupes d'Haftar se sont repliées vers Syrte (ville natale de Kadhafi à 450 km à l’est de Tripoli), verrou stratégique sur le chemin des principaux sites pétroliers du pays et sur la base aérienne militaire d’al-Joufra, qui scelle la ligne de front à mi-chemin entre Tripoli (camp Sarraj) et Benghazi (bastion de Haftar). Syrte est également un ancien fief de l'Etat islamique et ne peut en aucun cas être désarmée sans garantie et donc risquée d'être offerte à l'armée Turque et à ses proxys jihadistes.
Présence militaire turque accrue
Le 17 aout dernier, un accord turco-libyen a été conclu pour intensifier et officialiser l'installation de forces turques en Libye et pour la formation des troupes libyennes pro-Sarraj par des "conseillers militaires" turcs. Les bases militaires d'Al-Wakiya et les ports de Tripoli, Misrata et Al-Quds sont ainsi ouverts aux forces d'Ankara et à leurs proxys jihadistes. C'est dans ce contexte qu'ont été repérées le 13 aout dernier des frégates turques de classe G puis trois patrouilles de bateaux militaires LNA postés près de Syrte. L’envoi de conseillers militaires turcs a permis aux forces de Tripoli au GNA de prendre le contrôle de plusieurs villes côtières à l’ouest de la capitale. Et le 17 mai 2020, les milices affiliées au GNA ont ainsi arraché la base d’Al-Watiyah à l’ANL de Haftar qui la tenait depuis 2014. Depuis, l’ANL s’est redéployée à Syrte, Joufra et Ras Lanouf. Al-Watiyah revêt un intérêt stratégique pour Ankara dans la perspective d'une attaque aérienne contre Syrte. Les fréquents vols entre la Turquie et les bases d’Al-Watiyah et Misrata, ainsi que l’apparition de systèmes de défense anti-aérienne attestent de la présence militaire croissante de la Turquie. Depuis mai 2020, Ankara a déployé des frégates et tiré des missiles contre des drones de l’ANL. Ses F-16 turcs patrouillent en Méditerranée près des côtes libyennes, et elle accroit son contrôle sur les flux de migrants clandestins transitant par la Libye, ce qui accroit sa capacité de pression et de chantage financier sur les pays de l'UE.
Soutien d'Ankara aux Frères musulmans et au jihadisme
Les proxys islamistes pro-turcs venus combattre l'ANL de Haftar depuis le théâtre syrien seraient entre 4500 et 5500 jihadistes exfiltrés vers le front ouest-libyen depuis début 2020 par Ankara. Les compagnies aériennes qui ont assuré ce transfert sont Afriqiyah Airways et Al-Ajniha, dont le propriétaire a fait partie d'Al-Qaïda en Irak: le libyen Abdelhakim Belhaj, devenu "gouverneur militaire de Tripoli" après la chute de Kadhafi en 2011. Belhaj fait le lien entre les Frères musulmans et le jihadisme international, en plus d'être un relai d'influence de la Turquie, où il séjourne régulièrement. Il s'est par ailleurs enrichi depuis la chute de Kadhafi avec le trafic de migrants, amassant ainsi une fortune de 2 milliards de dollars. L'armée turque assure plusieurs centres de sélection et d'entraînement de mercenaires islamistes destinés au jihad libyen depuis les bases turques de Syrie à Afrin (nord d'Alep) sous la supervision d'Al-Jabha al-Shamiyyah, à Qibariyah, ou des Brigades Al-Mu'tasim à Al-Mahmoudiyah ou Al-Shamel. Citons également les brigades "Sultan Murad" et Suleiman Shah, composées de Turkmènes syriens; les légions Suqour al-Sham (Faucons du Levant), intégrant aussi des jihadistes européens; ou encore Faylaq al-Sham (Légion du Levant, 4 000 hommes), affiliées aux Frères-musulmans égyptiens. Pour la petite histoire, rappelons qu'au début de la guerre civile syrienne, l’Armée syrienne libre avait été alimentée en sens inverse par le Groupe islamique combattant en Libye (GICL) du précité Belhaj. Le double jeu de la Turquie d'Erdogan qui se veut le défenseur du Gouvernement Sarraj "reconnu par l'ONU", membre de l'OTAN et candidate à l'entrée dans l'UE, d'un côté, mais qui soutient l'islamisme international frériste ainsi que le jihadisme dans plusieurs zones, de l'autre, est patent. Ankara compose même avec des groupes liés à l'Etat islamique ou Al-Qaïda. Le nouveau chef de Daech est lui-même un Turkmène d'Irak, Amir Mohammed Said al-Salbi al-Mawla, alias Abou Omar al-Turkmani, ex-compagnon de cellule de l'ex-"calife" de DAECH, al-Baghdadi à la prison américaine de Bucca. Il a joué un rôle majeur dans l'extermination des Yézidis d'Irak, dans le trafic d'esclaves sexuelles yézidis aux côtés de proxys turkmènes jihadistes d'Ankara, puis dans la coopération entre les services turcs et Daech lorsque l'EI revendait son or noir syrien et irakien et du coton à la Turquie en échange d'appui logistique face aux Kurdes en Irak et en Syrie (2014 et 2016). Comme l'a révélé The Guardian, le frère aîné de ce nouveau "Calife serait lui-même réfugié en Turquie, à la tête d'un Front turkmène d'Irak. Ce front est une coalition de groupes islamistes turkmènes fondée en 1995 avec un appui d'Ankara. Jean-Yves Le Drian lui-même a affirmé qu'il est « vraisemblable que les forces jihadistes syriennes accompagnant les manoeuvres de la présence turque soient infiltrées par d’anciens responsables de groupes jihadistes qui soutenaient les Turcs à Idlib". Il a ainsi justifié les positions françaises en faveur de Haftar dès 2015 par le fait que l’ANL a été « internationalement reconnue pour son combat contre Daesh » puis qu'elle est légitimée par le Parlement libyen légitime de Tobrouk, alertant qu'il « peut y avoir des résurgences de Daesh au sud de la Libye, voire à Derna ». Or les forces du maréchal Haftar ont combattu les jihadistes du sud (Sahel), tandis que la Turquie et le GNA ont scellé des pactes avec les tribus extrémistes, des jihadistes et des Frères Musulmans de tout le Maghreb, de Mauritanie, de Somalie et du Soudan. On sait d'ailleurs que si Daesh reprend du poil de la bête en Irak, c'est parce que l'EI est protégé par des forces turkmènes anti-Kurdes soutenues par Ankara…
Commentaire