NATACHA DEVANDA · MIS EN LIGNE LE 6 SEPTEMBRE 2020 · PARU DANS L'ÉDITION 1467 DU 2 SEPTEMBRE
Au pays du blasphème, le verdict tombe très vite. Blasphème si on clame : « Je chie sur Dieu.» Blasphème si on dit que Mahomet n'aurait pas aimé l'injustice. Blasphème encore si on chante des trucs pas franchement à la gloire de Dieu... Les motifs sont aussi nombreux que les sanctions. Celles-ci peuvent aller de la simple amende à la peine de mort, en passant par l'emprisonnement ou les coups de fouet. Mais où se trouve cet enfer sur terre ? Partout ou presque.
En terre d’islam, dans les théocraties où pouvoirs temporel et spirituel se confondent, les choses se compliquent encore, et l’interdiction du blasphème sert bien mieux les politiques répressives envers les minorités que la défense du sacré. Pour autant, aucun pays n’est à l’abri d’une « *affaire » de blasphème, quand bien même la loi ne reconnaît plus ce délit.
En une petite dizaine d’années, jamais on n’aura autant entendu parler de blasphème. Même en France. Un truc qui pourtant n’existe plus, juridiquement parlant, depuis la loi de 1881 sur la liberté de la presse. Une subtilité juridique qui aura sans doute échappé à Nicole Belloubet, ex-ministre de la Justice. Début 2020, en pleine affaire Mila, elle s’était illustrée en évoquant « l’insulte à la religion » pour les propos énervés de l’adolescente contre l’islam. Recensement non exhaustif des insultes envers Dieu et des délires des fanatiques de tout poil.
Pakistan
Être femme et chrétienne, c’est cumuler pas mal de tares au Paki*stan. En 2010, Asia Bibi est devenue tristement célèbre en un rien de temps. Et tout ça pour une histoire d’eau. En juin 2009, elle cueille des baies sauvages dans la campagne avec d’autres femmes. À leur demande, elle va chercher de l’eau dans un seau et en boit une gorgée. L’une des fausses copines d’Asia Bibi tape un scandale. Quoi, de la bave de chrétienne haram (« interdit », « impur ») dans le gobelet ?! Imbuvable ! Asia Bibi ne se laisse pas démonter. Elle réplique que le Prophète ne serait pas d’accord avec ça. Engueulade généralisée jusqu’à ce que les femmes hurlent au blasphème. S’ensuit une cascade de dingueries comme seuls les fanatiques religieux savent en faire : dépôt de plainte, descente de police chez Asia, qui manque de se faire lyncher par la populace. En 2010, Asia Bibi est condamnée à mort pour « blasphème envers l’islam ». Un verdict confirmé en appel, en 2014. Sous la pression internationale, la Cour *suprême finit par l’acquitter en 2018, puis en 2019, après les ultimes recours des ultras de la religion. Asia Bibi s’exile au Canada en mai 2019. Mais cette question du blasphème est une affaire qui n’en finit pas. D’abord parce que ses rares défenseurs – comme, en 2011, le gouverneur du Pendjab, Salman Taseer, puis, la même année, le ministre des Minorités religieuses, Shahbaz Bhatti, de confession catholique – se font assassiner par des illuminés islamistes. Ensuite parce que l’acquittement d’Asia Bibi a renforcé le parti radical islamiste Tehreek-e-Labaik Pakistan (TLP, Mouvement au service du Prophète) dans ses appels au meurtre des « blasphémateurs ». Certes, ces agités du Coran sont moins présents dans les prétoires (auparavant, ils hurlaient « À mort ! » durant les procès et menaçaient les juges), mais leur pouvoir de nuisance demeure intact. Les juges de première instance, au plus près de la population, flippent un max. Pour preuve, dans les juridictions supérieures, ils annulent régulièrement des sentences de mort pour blasphème. « La majorité [d’entre elles] sont fondées sur de fausses accusations liées à des problèmes fonciers ou à des vengeances personnelles », a reconnu la Cour suprême dans un arrêt de 2015.
Mauritanie
Enfin libre ! Après avoir été condamné pour blasphème, le blogueur mauritanien Mohamed Cheikh Ould Mohamed *Mkhaïtir – le « plus ancien journaliste-citoyen détenu en Afrique francophone », selon Reporters sans frontières – a été libéré en juillet 2019, après plus de cinq ans de détention. Dans un de ses articles, il critiquait l’utilisation de la religion pour justifier des discriminations envers sa communauté, les Maalmines (forgerons). Détenu depuis janvier 2014, il avait été condamné à mort pour apostasie, son texte étant jugé blasphématoire envers Mahomet. En novembre 2017, cette peine avait été ramenée en appel à deux ans de prison, en raison de son *repentir. Une *décision jugée trop clémente par les croyants les plus radicaux, qui réclamaient son exécution. Alors, au lieu d’être remis en liberté, comme cela aurait dû être le cas, le blogueur croupit en détention administrative. Les militants d’Amnesty International s’inquiètent alors « de son état de *santé physique et mentale » et réclament sa libération. Mais, pour être bien certains de la sincérité du repentir de Mkhaïtir, les « oulémas », ces théocrates locaux, exigent un rétropédalage public. Le prisonnier s’exécute : « Comme je l’avais annoncé au début de 2014 et comme je l’ai répété à toutes les occasions qui s’offraient à moi devant les tribunaux, je réaffirme ici mon repentir devant Allah, le Seigneur des Mondes », écrivait-il sur Facebook. Comment dit-on « chantage » en mauritanien ?
France
En janvier 2020, Mila, une adolescente de l’Isère fatiguée d’être lourdement draguée, puis traitée de tous les noms sur les réseaux sociaux, au motif qu’elle est lesbienne, s’emporte contre l’islam : « L’islam, c’est de la ***** […] votre Dieu, je lui mets un doigt dans le trou du *** », lâche-t-elle. Aussitôt, les menaces de mort pleuvent, et la jeune fille doit quitter son lycée. L’« affaire Mila » commence. Elle enfle avec les déclarations de la ministre de la Justice d’alors, Nicole Belloubet, pour qui « l’insulte à la religion, c’est évidemment une atteinte à la liberté de conscience », propos dont elle regrettera très vite « l’inexactitude ». La machine s’emballe. Emmanuel Macron doit monter au créneau pour réaffirmer le « droit au blasphème » et « à critiquer, à caricaturer les religions ». Mais, entre lâcheté et complaisance, la sphère politico-médiatique ne nous a pas déçus. Rappelons que le blasphème n’est pas un délit dans notre beau pays. Qu’est-ce que ça serait, sinon…
À LIRE AUSSI : Affaire Mila : le droit au blasphème fait fuir les lâches
Au pays du blasphème, le verdict tombe très vite. Blasphème si on clame : « Je chie sur Dieu.» Blasphème si on dit que Mahomet n'aurait pas aimé l'injustice. Blasphème encore si on chante des trucs pas franchement à la gloire de Dieu... Les motifs sont aussi nombreux que les sanctions. Celles-ci peuvent aller de la simple amende à la peine de mort, en passant par l'emprisonnement ou les coups de fouet. Mais où se trouve cet enfer sur terre ? Partout ou presque.
En terre d’islam, dans les théocraties où pouvoirs temporel et spirituel se confondent, les choses se compliquent encore, et l’interdiction du blasphème sert bien mieux les politiques répressives envers les minorités que la défense du sacré. Pour autant, aucun pays n’est à l’abri d’une « *affaire » de blasphème, quand bien même la loi ne reconnaît plus ce délit.
En une petite dizaine d’années, jamais on n’aura autant entendu parler de blasphème. Même en France. Un truc qui pourtant n’existe plus, juridiquement parlant, depuis la loi de 1881 sur la liberté de la presse. Une subtilité juridique qui aura sans doute échappé à Nicole Belloubet, ex-ministre de la Justice. Début 2020, en pleine affaire Mila, elle s’était illustrée en évoquant « l’insulte à la religion » pour les propos énervés de l’adolescente contre l’islam. Recensement non exhaustif des insultes envers Dieu et des délires des fanatiques de tout poil.
Pakistan
Être femme et chrétienne, c’est cumuler pas mal de tares au Paki*stan. En 2010, Asia Bibi est devenue tristement célèbre en un rien de temps. Et tout ça pour une histoire d’eau. En juin 2009, elle cueille des baies sauvages dans la campagne avec d’autres femmes. À leur demande, elle va chercher de l’eau dans un seau et en boit une gorgée. L’une des fausses copines d’Asia Bibi tape un scandale. Quoi, de la bave de chrétienne haram (« interdit », « impur ») dans le gobelet ?! Imbuvable ! Asia Bibi ne se laisse pas démonter. Elle réplique que le Prophète ne serait pas d’accord avec ça. Engueulade généralisée jusqu’à ce que les femmes hurlent au blasphème. S’ensuit une cascade de dingueries comme seuls les fanatiques religieux savent en faire : dépôt de plainte, descente de police chez Asia, qui manque de se faire lyncher par la populace. En 2010, Asia Bibi est condamnée à mort pour « blasphème envers l’islam ». Un verdict confirmé en appel, en 2014. Sous la pression internationale, la Cour *suprême finit par l’acquitter en 2018, puis en 2019, après les ultimes recours des ultras de la religion. Asia Bibi s’exile au Canada en mai 2019. Mais cette question du blasphème est une affaire qui n’en finit pas. D’abord parce que ses rares défenseurs – comme, en 2011, le gouverneur du Pendjab, Salman Taseer, puis, la même année, le ministre des Minorités religieuses, Shahbaz Bhatti, de confession catholique – se font assassiner par des illuminés islamistes. Ensuite parce que l’acquittement d’Asia Bibi a renforcé le parti radical islamiste Tehreek-e-Labaik Pakistan (TLP, Mouvement au service du Prophète) dans ses appels au meurtre des « blasphémateurs ». Certes, ces agités du Coran sont moins présents dans les prétoires (auparavant, ils hurlaient « À mort ! » durant les procès et menaçaient les juges), mais leur pouvoir de nuisance demeure intact. Les juges de première instance, au plus près de la population, flippent un max. Pour preuve, dans les juridictions supérieures, ils annulent régulièrement des sentences de mort pour blasphème. « La majorité [d’entre elles] sont fondées sur de fausses accusations liées à des problèmes fonciers ou à des vengeances personnelles », a reconnu la Cour suprême dans un arrêt de 2015.
Mauritanie
Enfin libre ! Après avoir été condamné pour blasphème, le blogueur mauritanien Mohamed Cheikh Ould Mohamed *Mkhaïtir – le « plus ancien journaliste-citoyen détenu en Afrique francophone », selon Reporters sans frontières – a été libéré en juillet 2019, après plus de cinq ans de détention. Dans un de ses articles, il critiquait l’utilisation de la religion pour justifier des discriminations envers sa communauté, les Maalmines (forgerons). Détenu depuis janvier 2014, il avait été condamné à mort pour apostasie, son texte étant jugé blasphématoire envers Mahomet. En novembre 2017, cette peine avait été ramenée en appel à deux ans de prison, en raison de son *repentir. Une *décision jugée trop clémente par les croyants les plus radicaux, qui réclamaient son exécution. Alors, au lieu d’être remis en liberté, comme cela aurait dû être le cas, le blogueur croupit en détention administrative. Les militants d’Amnesty International s’inquiètent alors « de son état de *santé physique et mentale » et réclament sa libération. Mais, pour être bien certains de la sincérité du repentir de Mkhaïtir, les « oulémas », ces théocrates locaux, exigent un rétropédalage public. Le prisonnier s’exécute : « Comme je l’avais annoncé au début de 2014 et comme je l’ai répété à toutes les occasions qui s’offraient à moi devant les tribunaux, je réaffirme ici mon repentir devant Allah, le Seigneur des Mondes », écrivait-il sur Facebook. Comment dit-on « chantage » en mauritanien ?
France
En janvier 2020, Mila, une adolescente de l’Isère fatiguée d’être lourdement draguée, puis traitée de tous les noms sur les réseaux sociaux, au motif qu’elle est lesbienne, s’emporte contre l’islam : « L’islam, c’est de la ***** […] votre Dieu, je lui mets un doigt dans le trou du *** », lâche-t-elle. Aussitôt, les menaces de mort pleuvent, et la jeune fille doit quitter son lycée. L’« affaire Mila » commence. Elle enfle avec les déclarations de la ministre de la Justice d’alors, Nicole Belloubet, pour qui « l’insulte à la religion, c’est évidemment une atteinte à la liberté de conscience », propos dont elle regrettera très vite « l’inexactitude ». La machine s’emballe. Emmanuel Macron doit monter au créneau pour réaffirmer le « droit au blasphème » et « à critiquer, à caricaturer les religions ». Mais, entre lâcheté et complaisance, la sphère politico-médiatique ne nous a pas déçus. Rappelons que le blasphème n’est pas un délit dans notre beau pays. Qu’est-ce que ça serait, sinon…
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