«Pourquoi m’ont-ils mis au monde pour me jeter dans un centre ?» s’interroge tristement un enfant de douze ans, placé par le juge des mineurs dans le Centre de rééducation spécialisé (CRS) d’El Biar, à Alger, à la demande de ses propres parents divorcés.
Les enfants en danger moral
L’enfant est malheureux. Une souffrance profonde, mêlée à un grand sentiment de vengeance, emplit ses beaux yeux qui refusent de laisser couler une seule larme. Son langage est dur. Menaçant. Jamais il ne pardonnera à son père le fait de l’avoir jeté dans le centre. «Si je rencontre mon père, je le tuerai», ne cesse-t-il de répéter pour dire toute sa colère contre ce père «irresponsable» qui «roule avec une voiture de dernière génération», oubliant l’existence de son fils. «Les gens rient de moi. Mon père est riche et moi je suis dans un centre ! Si, au moins, je n’avais pas de parents», dit-il. Le jeune garçon a été placé dans le centre pour vol. Chose qu’il confirme lui-même. Pourquoi ? «Comme ça». «Et tu voles toujours ?» Pas de réponse. Ça devient un vice. «Je n’ai jamais vécu un moment de bonheur depuis que j’ai ouvert les yeux sur le monde. Mes parents se sont séparés après ma naissance. Depuis, c’est l’éternel déchirement. Mon père qui réclamait la garde juste pour ne pas payer la pension alimentaire -il m’a mené la vie dure chez lui. Il me battait et m’insultait-, ma mère ne savait pas à quel saint se vouer, partagée entre le devoir d’être à nos côtés, moi et mon frère, et les soucis d’argent» raconte-t-il. Le jeune garçon a dû quitter la maison plusieurs fois, fuyant la violence du père et le regard méprisant de ses oncles, en se réfugiant dans la rue. Et c’est là qu’il a appris à voler. «Là où je vais, on me regarde de travers. Je n’avais que la rue pour refuge… Je volais parce que je n’avais pas quoi manger.» Le cas de cet enfant n’est pas le seul.
Des centaines d’autres souffrent à travers le pays. En silence. La situation est critique, aggravée par la multiplication des problèmes sociaux (chômage, crise de logement, etc.) Ainsi, la maltraitance des enfants est un phénomène national qui prend de l’ampleur. Les services de police tirent la sonnette d’alarme.
Signaler les actes suspects
Selon Mme Messaoudene, commissaire principale, chef de bureau de la protection de l’enfance et de la délinquance juvénile, à la direction de la police judiciaire sise à Ben Aknoun, à Alger, 5 067 enfants ont été victimes de violences physiques et sexuelles durant l’année 2006. Un chiffre qui ne reflète pas encore la réalité, sachant que les familles ne dénoncent pas toujours les actes de violence subis par leurs enfants. Encore moins les riverains témoins d’actes suspects mais qui se montrent passifs. Par indifférence ou par lâcheté. Pourvu que cela n’arrive pas chez eux !
Les enfants aussi cachent leur mal lorsqu’il s’agit notamment de violences sexuelles. «C’est difficile de faire parler un enfant sur une agression sexuelle. Les enfants n’en parlent pas. Ce sont des choses intimes. Voilà pourquoi nous avons encore du mal à traiter ce genre d’affaires… Nous sommes en train de former des équipes spécialisées dans ce domaine» indique Mme Messaoudene. La représentante de la police judiciaire de la Direction générale de la sûreté nationale (DGSN) précise que les violences physiques viennent en première position, avec 2 992 cas. Les agressions sexuelles viennent en deuxième position, avec 1 474 cas. Les mauvais traitements en troisième position avec 475 cas. Les enfants victimes d’homicide volontaire étaient au nombre de 18 au niveau national.
Selon Mme Messaoudene, ce sont généralement les filles qui sont plus exposées aux violences sexuelles que les garçons et c’est souvent le contraire dans le cas de violences physiques. Les tranches d’âge vont de 16 à 18 ans pour les violences physiques, de 13 à 16 ans pour les violences sexuelles, et de 10 à 13 ans pour les mauvais traitements. Les wilayas les plus touchées par ce phénomène sont, évidemment, les grandes villes : Alger avec 389 victimes, Annaba avec 235 victimes et Oran avec 212 victimes. Dans le sud du pays, la wilaya de Biskra vient en tête de liste avec 106 victimes. Cela n’empêche pas le fait que la violence existe partout ailleurs dans le pays, à Skikda, à Mila, etc.
«Il faut prendre très au sérieux les chiffres. Non pas pour alarmer les citoyens, mais pour leur rappeler leur devoir qui consiste à dénoncer les criminels. Arrêtons d’être passifs !» lance encore Mme Messaoudene. Et d’insister : «Un enfant est un enfant. C’est un être vulnérable.» Pour Mme Messaoudene, la société civile doit s’impliquer dans la protection de l’enfance à tous les niveaux : la famille, l’école, les associations… et tout l’environnement. Il faut sensibiliser à tous les niveaux et à différentes occasions. De manière continue. Surtout en ce qui concerne les violences sexuelles qui tendent à être banalisées sous l’invasion des chaînes de télévision occidentales et l’utilisation incontrôlée des téléphones portables.
«Il faut signaler les actes suspects. Il faut que cette notion de signalisation soit une culture» insiste encore la représentante de la police judiciaire.
Eloigner les enfants des querelles des adultes
Pour M. Titem Ali, éducateur principal au Centre de rééducation spécialisé d’El Biar -41 ans d’expérience dans le domaine- «la responsabilité première incombe aux parents. Il ne faut pas mêler les enfants aux problèmes de famille. Bien au contraire, il faut les éloigner au maximum des cris et querelles qui éclatent entre les adultes. L’enfant a besoin de s’amuser, de jouer… et de rire. Pas de s’angoisser». Les enfants accueillis dans le centre semblent être bien pris en charge. «Nous ne manquons de rien ici. C’est la paix», disent-ils. «Ils disent qu’ils ne manquent de rien parce qu’ils retrouvent ici ce dont ils étaient privés ailleurs. Le calme, la bonne nourriture, etc. Mais, ce n’est pas tout. Rien ne pourra remplacer la chaleur familiale. C’est une grande frustration pour eux.»
En effet, avons-nous constaté, les enfants aspirent réellement retrouver leurs familles. «Ma mère m’a promis d’acheter un logement où on vivra tous les deux ensemble» affirme un autre enfant, douze ans également, né d’une relation illégitime. Le pauvre enfant ignore que sa mère n’a ni emploi ni diplôme. Elle-même SDF. «Ma mère s’est remariée dans une autre wilaya. Son mari m’aime beaucoup et vient me rendre visite. Ils ont promis de me ramener bientôt chez eux» dit un autre. «Je vais retourner vivre avec mon père. Ma mère n’est plus à la maison, elle a été placée dans un centre pour personnes âgées, dans une autre wilaya» déclare son camarade, en se plaignant des coups et blessures de sa mère qui souffrait d’une maladie mentale. Là aussi, le jeune garçon ignore que les responsables du centre ont tout fait pour trouver la nouvelle adresse du père, mais sans résultat. «Nous avons envoyé une lettre à l’adresse qu’il nous a indiquée, mais elle nous a été renvoyée par la poste. Ce n’était pas la bonne adresse» explique M. Titem. Des situations complexes et compliquées.
«Heureusement qu’il y a l’Etat pour me prendre en charge» dit un autre, dans un geste de désespoir. L’enfant appelle les parents à plus de considération pour leurs enfants : «Je demande à tous les parents de ne pas laisser leurs enfants dans la rue. Il n’y a rien de bon dans la rue. Je leur demande aussi d’avoir autant d’affection que d’autorité à leur égard. Si j’avais reçu un minimum d’affection de la part de mon père, je ne fuguerais jamais de la maison. Si ma mère m’avait frappé la première fois qu’elle a découvert que je volais, je ne referais jamais ce geste.» M. Titem Ali conforte ces propos : «Les enfants ont besoin d’autorité autant que d’affection. Ce sont deux éléments élémentaires pour leur équilibre physique et mental.» Interrogés sur les violences subis dans la rue, les enfants ne font pas la moindre allusion à une agression sexuelle. «Ils n’en parlent pas» commente M. Titem.
Par la Tribune
Les enfants en danger moral
L’enfant est malheureux. Une souffrance profonde, mêlée à un grand sentiment de vengeance, emplit ses beaux yeux qui refusent de laisser couler une seule larme. Son langage est dur. Menaçant. Jamais il ne pardonnera à son père le fait de l’avoir jeté dans le centre. «Si je rencontre mon père, je le tuerai», ne cesse-t-il de répéter pour dire toute sa colère contre ce père «irresponsable» qui «roule avec une voiture de dernière génération», oubliant l’existence de son fils. «Les gens rient de moi. Mon père est riche et moi je suis dans un centre ! Si, au moins, je n’avais pas de parents», dit-il. Le jeune garçon a été placé dans le centre pour vol. Chose qu’il confirme lui-même. Pourquoi ? «Comme ça». «Et tu voles toujours ?» Pas de réponse. Ça devient un vice. «Je n’ai jamais vécu un moment de bonheur depuis que j’ai ouvert les yeux sur le monde. Mes parents se sont séparés après ma naissance. Depuis, c’est l’éternel déchirement. Mon père qui réclamait la garde juste pour ne pas payer la pension alimentaire -il m’a mené la vie dure chez lui. Il me battait et m’insultait-, ma mère ne savait pas à quel saint se vouer, partagée entre le devoir d’être à nos côtés, moi et mon frère, et les soucis d’argent» raconte-t-il. Le jeune garçon a dû quitter la maison plusieurs fois, fuyant la violence du père et le regard méprisant de ses oncles, en se réfugiant dans la rue. Et c’est là qu’il a appris à voler. «Là où je vais, on me regarde de travers. Je n’avais que la rue pour refuge… Je volais parce que je n’avais pas quoi manger.» Le cas de cet enfant n’est pas le seul.
Des centaines d’autres souffrent à travers le pays. En silence. La situation est critique, aggravée par la multiplication des problèmes sociaux (chômage, crise de logement, etc.) Ainsi, la maltraitance des enfants est un phénomène national qui prend de l’ampleur. Les services de police tirent la sonnette d’alarme.
Signaler les actes suspects
Selon Mme Messaoudene, commissaire principale, chef de bureau de la protection de l’enfance et de la délinquance juvénile, à la direction de la police judiciaire sise à Ben Aknoun, à Alger, 5 067 enfants ont été victimes de violences physiques et sexuelles durant l’année 2006. Un chiffre qui ne reflète pas encore la réalité, sachant que les familles ne dénoncent pas toujours les actes de violence subis par leurs enfants. Encore moins les riverains témoins d’actes suspects mais qui se montrent passifs. Par indifférence ou par lâcheté. Pourvu que cela n’arrive pas chez eux !
Les enfants aussi cachent leur mal lorsqu’il s’agit notamment de violences sexuelles. «C’est difficile de faire parler un enfant sur une agression sexuelle. Les enfants n’en parlent pas. Ce sont des choses intimes. Voilà pourquoi nous avons encore du mal à traiter ce genre d’affaires… Nous sommes en train de former des équipes spécialisées dans ce domaine» indique Mme Messaoudene. La représentante de la police judiciaire de la Direction générale de la sûreté nationale (DGSN) précise que les violences physiques viennent en première position, avec 2 992 cas. Les agressions sexuelles viennent en deuxième position, avec 1 474 cas. Les mauvais traitements en troisième position avec 475 cas. Les enfants victimes d’homicide volontaire étaient au nombre de 18 au niveau national.
Selon Mme Messaoudene, ce sont généralement les filles qui sont plus exposées aux violences sexuelles que les garçons et c’est souvent le contraire dans le cas de violences physiques. Les tranches d’âge vont de 16 à 18 ans pour les violences physiques, de 13 à 16 ans pour les violences sexuelles, et de 10 à 13 ans pour les mauvais traitements. Les wilayas les plus touchées par ce phénomène sont, évidemment, les grandes villes : Alger avec 389 victimes, Annaba avec 235 victimes et Oran avec 212 victimes. Dans le sud du pays, la wilaya de Biskra vient en tête de liste avec 106 victimes. Cela n’empêche pas le fait que la violence existe partout ailleurs dans le pays, à Skikda, à Mila, etc.
«Il faut prendre très au sérieux les chiffres. Non pas pour alarmer les citoyens, mais pour leur rappeler leur devoir qui consiste à dénoncer les criminels. Arrêtons d’être passifs !» lance encore Mme Messaoudene. Et d’insister : «Un enfant est un enfant. C’est un être vulnérable.» Pour Mme Messaoudene, la société civile doit s’impliquer dans la protection de l’enfance à tous les niveaux : la famille, l’école, les associations… et tout l’environnement. Il faut sensibiliser à tous les niveaux et à différentes occasions. De manière continue. Surtout en ce qui concerne les violences sexuelles qui tendent à être banalisées sous l’invasion des chaînes de télévision occidentales et l’utilisation incontrôlée des téléphones portables.
«Il faut signaler les actes suspects. Il faut que cette notion de signalisation soit une culture» insiste encore la représentante de la police judiciaire.
Eloigner les enfants des querelles des adultes
Pour M. Titem Ali, éducateur principal au Centre de rééducation spécialisé d’El Biar -41 ans d’expérience dans le domaine- «la responsabilité première incombe aux parents. Il ne faut pas mêler les enfants aux problèmes de famille. Bien au contraire, il faut les éloigner au maximum des cris et querelles qui éclatent entre les adultes. L’enfant a besoin de s’amuser, de jouer… et de rire. Pas de s’angoisser». Les enfants accueillis dans le centre semblent être bien pris en charge. «Nous ne manquons de rien ici. C’est la paix», disent-ils. «Ils disent qu’ils ne manquent de rien parce qu’ils retrouvent ici ce dont ils étaient privés ailleurs. Le calme, la bonne nourriture, etc. Mais, ce n’est pas tout. Rien ne pourra remplacer la chaleur familiale. C’est une grande frustration pour eux.»
En effet, avons-nous constaté, les enfants aspirent réellement retrouver leurs familles. «Ma mère m’a promis d’acheter un logement où on vivra tous les deux ensemble» affirme un autre enfant, douze ans également, né d’une relation illégitime. Le pauvre enfant ignore que sa mère n’a ni emploi ni diplôme. Elle-même SDF. «Ma mère s’est remariée dans une autre wilaya. Son mari m’aime beaucoup et vient me rendre visite. Ils ont promis de me ramener bientôt chez eux» dit un autre. «Je vais retourner vivre avec mon père. Ma mère n’est plus à la maison, elle a été placée dans un centre pour personnes âgées, dans une autre wilaya» déclare son camarade, en se plaignant des coups et blessures de sa mère qui souffrait d’une maladie mentale. Là aussi, le jeune garçon ignore que les responsables du centre ont tout fait pour trouver la nouvelle adresse du père, mais sans résultat. «Nous avons envoyé une lettre à l’adresse qu’il nous a indiquée, mais elle nous a été renvoyée par la poste. Ce n’était pas la bonne adresse» explique M. Titem. Des situations complexes et compliquées.
«Heureusement qu’il y a l’Etat pour me prendre en charge» dit un autre, dans un geste de désespoir. L’enfant appelle les parents à plus de considération pour leurs enfants : «Je demande à tous les parents de ne pas laisser leurs enfants dans la rue. Il n’y a rien de bon dans la rue. Je leur demande aussi d’avoir autant d’affection que d’autorité à leur égard. Si j’avais reçu un minimum d’affection de la part de mon père, je ne fuguerais jamais de la maison. Si ma mère m’avait frappé la première fois qu’elle a découvert que je volais, je ne referais jamais ce geste.» M. Titem Ali conforte ces propos : «Les enfants ont besoin d’autorité autant que d’affection. Ce sont deux éléments élémentaires pour leur équilibre physique et mental.» Interrogés sur les violences subis dans la rue, les enfants ne font pas la moindre allusion à une agression sexuelle. «Ils n’en parlent pas» commente M. Titem.
Par la Tribune
Commentaire