Cet article a été rédigé par un reporter d'AgoraVox, le journal média citoyen qui vous donne la parole.
Madame, vous avez plus de la soixantaine ou tout comme, et vous en avez un peu assez de ce qui vous entoure. Tous les jours, vous traversez des rues taguées. Tous les jours, vous prenez des bus ou des métros vandalisés, les vitres rayées à coups de bougie d'allumage (c'est du tungstène au bout !). Fatiguée de voir des voitures brûlées dans votre rue ou au milieu de la place du village. Ereintée par ces téléphones portables qui sonnent à tue-tête quand ce n'est pas aujourd'hui pour jouer des airs de techno à fond dans un bus bondé. Laminée par les injures, les mots grossiers et les gestes déplacés lancés par des jeunes au regard haineux. Vous êtes mûre pour voter Sarkozy, là. Mieux, vous venez déjà de le faire. Son fond de commerce est là, ses clients c'est vous. Pour vous, tout le mal vient de ses jeunes-là, cette "bande de mal élevés". Très bien, vous avez raison sans nul doute. Mais ça ne vous oblige pas à voter pour lui nécessairement, sauf votre respect.
Cette fois-ci, vous vous êtes déplacée pour aller voter. Ça faisait une paille que vous ne l'aviez fait. D'ailleurs, 2002, c'est bien un peu de votre faute aussi. Il faisait beau, votre petit-fils vous avait invité à un barbecue, il avait commencé tard, et à 18 heures, au pousse-café, trop tard pour y aller : le bureau de vote était déjà fermé "je te l'avais dit, mammy !" Comme d'ailleurs les fois précédentes. Vos amis du quartier, qui eux avaient pensé à y aller, avaient voté Le Pen, car c'est vrai ça, "la peine de mort, ça évite de recommencer". Pour les scrutins précédents, ouh là, vous ne saviez plus : s'il faisait beau ou s'il pleuvait. De toutes façons, vous n'y étiez pas allée non plus. En fait, ça fait depuis 1965 que vous n' y allez plus. Vous y êtes allée une seule fois dans votre vie, en réalité. "Les politiques", comme dit Jean-Marie, "c'est des pourris". En résumé, ça fait plus de quarante ans que vous ne participez pas à la vie du pays, mais que vous en dénoncez les tares tous les jours, en râlant en achetant au marché un poireau hors de prix . Mais cette fois, c'est différent : il y en a un, là, qui dit des choses "vraies", mieux encore que Jean-Marie, et en plus il fait plus jeune. Que les métros tagués, c'est la faute à des jeunes "racailles", que ce qu'"il faudrait c'est "plus de prisons", que si le pays ne va pas, c'est pas de sa faute mais "celle des autres", surtout d'ailleurs les "Noirs et les Maghrébins". Et en plus, il a raison, tenez, il n'y a pas un mois on a vu a la télévision des jeunes saccager une gare, c'est quand même un monde, ça ! Une gare, vous vous rendez compte ?! Et c'était des jeunes, je les ai vus, des "banlieusards" on a dit à la télé ! Qu'avec lui, donc, le lendemain même de son élection les rues vont voir leurs tags disparaître, les vitres poncées et les jeunes parler normalement et arrêter même d'écouter de la musique avec leur bidule blanc, là, dans les oreilles. Que demain, il n'y aura plus de chômage, tout le monde travaillera et sera payé... selon son travail, à savoir un salaire pour vivre à partir de 70 heures par semaine. Bref, la belle vie de nouveau : celle des années 60, des Peugeot 404 fabriquées par des Algériens venus en masse habiter dans des bidonvilles : "A l'époque ils ne les brûlaient pas les voitures, monsieur, ils les fabriquaient" ! Les fameuses Trente Glorieuses, le twist, les yéyés, Claude François... une belle époque, où les jeunes allaient à l'école pour passer leur bac et trouvaient du travail tout de suite, c'est pas comme ces jeunes de maintenant qui ne fichent plus rien, là... Désolé de vous décevoir, chère madame, mais la peur que vous avez aujourd'hui du futur, que vous ne comprenez pas, vient du fait que vous n'avez pas cherché à comprendre ce qui se passait autour de vous pendant ses quarante dernières années. Les infos, à la télé, ça ne vous dit toujours rien : vous venez, à 65 ans, d'aller pour la première fois vérifier sur un atlas, avec votre petit-fils, où se trouvait la Chine. Il venait de retourner son dinosaure en plastique et voulait savoir ce qu'il y avait de marqué dessus. Le chômage, vous l'avez découvert quand on a fichu à la porte votre mari, qui en est mort deux ans après sans avoir pu prendre une seule journée de retraite. Votre vieux copain de quartier, lui, a vu son usine disparaître du jour au lendemain : le lundi il est allé travailler, comme chaque jour depuis trente ans, et il n'y avait plus rien : l'atelier avait disparu, comme si des Martiens avaient embarqué son hangar en soucoupe volante. Votre petite-fille vient d'abandonner ses études, car elle vient de tenter la Star Ac' et pense gagner des millions avec ça dans quelques années, ce qui vous désole complètement, bien sûr. Votre beau-fils vient de quitter son foyer avec une fille de la moitié de l'âge de la vôtre, laquelle se retrouve à élever seule trois gamines en bas âge. Vous ne comprenez plus rien... la vie vous fait peur, à vrai dire. L'avenir vous fait peur : alors celui qui vient de vous dire dans votre téléviseur de ne plus avoir peur, là, comme le pape, il vous plaît bien, c'est lui dont on a besoin pour que tout aille mieux du jour au lendemain, c'est une évidence. C'est pourquoi, cette fois-ci, vous y êtes allée, voter. Pour lui, bien entendu. En croyant bien faire pour votre fille, vos petites filles, votre vieux copain chômeur, la France entière... Désolé de vous le dire, madame, mais vous n'avez toujours pas compris comment fonctionne le monde. Vous avez quarante ans à rattraper, ça ne se fera pas en quinze jours entre deux tours d'élection. Le gars que vous aimez mieux que Jean-Marie, là, ne souhaite pas votre bonheur ni celui des autres. Il désire être président, lui, c'est tout et ça s'arrête là. Vous ne l'intéressez pas, avec vos histoires de poireaux trop chers.
Madame, vous avez plus de la soixantaine ou tout comme, et vous en avez un peu assez de ce qui vous entoure. Tous les jours, vous traversez des rues taguées. Tous les jours, vous prenez des bus ou des métros vandalisés, les vitres rayées à coups de bougie d'allumage (c'est du tungstène au bout !). Fatiguée de voir des voitures brûlées dans votre rue ou au milieu de la place du village. Ereintée par ces téléphones portables qui sonnent à tue-tête quand ce n'est pas aujourd'hui pour jouer des airs de techno à fond dans un bus bondé. Laminée par les injures, les mots grossiers et les gestes déplacés lancés par des jeunes au regard haineux. Vous êtes mûre pour voter Sarkozy, là. Mieux, vous venez déjà de le faire. Son fond de commerce est là, ses clients c'est vous. Pour vous, tout le mal vient de ses jeunes-là, cette "bande de mal élevés". Très bien, vous avez raison sans nul doute. Mais ça ne vous oblige pas à voter pour lui nécessairement, sauf votre respect.
Cette fois-ci, vous vous êtes déplacée pour aller voter. Ça faisait une paille que vous ne l'aviez fait. D'ailleurs, 2002, c'est bien un peu de votre faute aussi. Il faisait beau, votre petit-fils vous avait invité à un barbecue, il avait commencé tard, et à 18 heures, au pousse-café, trop tard pour y aller : le bureau de vote était déjà fermé "je te l'avais dit, mammy !" Comme d'ailleurs les fois précédentes. Vos amis du quartier, qui eux avaient pensé à y aller, avaient voté Le Pen, car c'est vrai ça, "la peine de mort, ça évite de recommencer". Pour les scrutins précédents, ouh là, vous ne saviez plus : s'il faisait beau ou s'il pleuvait. De toutes façons, vous n'y étiez pas allée non plus. En fait, ça fait depuis 1965 que vous n' y allez plus. Vous y êtes allée une seule fois dans votre vie, en réalité. "Les politiques", comme dit Jean-Marie, "c'est des pourris". En résumé, ça fait plus de quarante ans que vous ne participez pas à la vie du pays, mais que vous en dénoncez les tares tous les jours, en râlant en achetant au marché un poireau hors de prix . Mais cette fois, c'est différent : il y en a un, là, qui dit des choses "vraies", mieux encore que Jean-Marie, et en plus il fait plus jeune. Que les métros tagués, c'est la faute à des jeunes "racailles", que ce qu'"il faudrait c'est "plus de prisons", que si le pays ne va pas, c'est pas de sa faute mais "celle des autres", surtout d'ailleurs les "Noirs et les Maghrébins". Et en plus, il a raison, tenez, il n'y a pas un mois on a vu a la télévision des jeunes saccager une gare, c'est quand même un monde, ça ! Une gare, vous vous rendez compte ?! Et c'était des jeunes, je les ai vus, des "banlieusards" on a dit à la télé ! Qu'avec lui, donc, le lendemain même de son élection les rues vont voir leurs tags disparaître, les vitres poncées et les jeunes parler normalement et arrêter même d'écouter de la musique avec leur bidule blanc, là, dans les oreilles. Que demain, il n'y aura plus de chômage, tout le monde travaillera et sera payé... selon son travail, à savoir un salaire pour vivre à partir de 70 heures par semaine. Bref, la belle vie de nouveau : celle des années 60, des Peugeot 404 fabriquées par des Algériens venus en masse habiter dans des bidonvilles : "A l'époque ils ne les brûlaient pas les voitures, monsieur, ils les fabriquaient" ! Les fameuses Trente Glorieuses, le twist, les yéyés, Claude François... une belle époque, où les jeunes allaient à l'école pour passer leur bac et trouvaient du travail tout de suite, c'est pas comme ces jeunes de maintenant qui ne fichent plus rien, là... Désolé de vous décevoir, chère madame, mais la peur que vous avez aujourd'hui du futur, que vous ne comprenez pas, vient du fait que vous n'avez pas cherché à comprendre ce qui se passait autour de vous pendant ses quarante dernières années. Les infos, à la télé, ça ne vous dit toujours rien : vous venez, à 65 ans, d'aller pour la première fois vérifier sur un atlas, avec votre petit-fils, où se trouvait la Chine. Il venait de retourner son dinosaure en plastique et voulait savoir ce qu'il y avait de marqué dessus. Le chômage, vous l'avez découvert quand on a fichu à la porte votre mari, qui en est mort deux ans après sans avoir pu prendre une seule journée de retraite. Votre vieux copain de quartier, lui, a vu son usine disparaître du jour au lendemain : le lundi il est allé travailler, comme chaque jour depuis trente ans, et il n'y avait plus rien : l'atelier avait disparu, comme si des Martiens avaient embarqué son hangar en soucoupe volante. Votre petite-fille vient d'abandonner ses études, car elle vient de tenter la Star Ac' et pense gagner des millions avec ça dans quelques années, ce qui vous désole complètement, bien sûr. Votre beau-fils vient de quitter son foyer avec une fille de la moitié de l'âge de la vôtre, laquelle se retrouve à élever seule trois gamines en bas âge. Vous ne comprenez plus rien... la vie vous fait peur, à vrai dire. L'avenir vous fait peur : alors celui qui vient de vous dire dans votre téléviseur de ne plus avoir peur, là, comme le pape, il vous plaît bien, c'est lui dont on a besoin pour que tout aille mieux du jour au lendemain, c'est une évidence. C'est pourquoi, cette fois-ci, vous y êtes allée, voter. Pour lui, bien entendu. En croyant bien faire pour votre fille, vos petites filles, votre vieux copain chômeur, la France entière... Désolé de vous le dire, madame, mais vous n'avez toujours pas compris comment fonctionne le monde. Vous avez quarante ans à rattraper, ça ne se fera pas en quinze jours entre deux tours d'élection. Le gars que vous aimez mieux que Jean-Marie, là, ne souhaite pas votre bonheur ni celui des autres. Il désire être président, lui, c'est tout et ça s'arrête là. Vous ne l'intéressez pas, avec vos histoires de poireaux trop chers.
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