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Mohand Cherif Sahli : Décolonisons l'Histoire

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  • Mohand Cherif Sahli : Décolonisons l'Histoire

    Mohand Cherif Sahli est né le 06 octobre 1906 à Tasga (Commune Souk ou Fella, Daïra de Chemini, Wilaya de Béjaia, Douar des Ath Waghlis). Il fait l’école de Sidi Aich, l’Ecole Normale de Bouzareah, puis le Lycée Bugeaud (actuel Lycée Emir Abdelkader)

    En 1932, il obtient son diplôme de philosophie à la prestigieuse université de la Sorbonne (Paris). Candidat à l’agrégation de philosophie, il écrit un opuscule intitulé « Théorie de la raison et de l’expérience dans la philosophie d’Emile Boutroux ». En préface, M. C. Sahli cite Leibnitz : « je voudrais bien savoir comment nous pourrions avoir l’idée de l’être si nous n’étions des êtres nous-mêmes et ne trouvions ainsi l’idée de l’être en nous ? ». Passionné de philosophie, M.C. Sahli devait faire paraitre en 1949 son essai philosophique sur «la théorie de la connaissance dans la philosophie » d’Emile Boutroux – non publié.

    Très tôt, M.C. Sahli est sympathisant de l’Etoile Nord Africaine car au fait de la question algérienne. En 1933-1957, il enseigne la philosophie dans différents lycées français (Collège de Chinon à Poitiers, Lycée Descartes à Tours, Collège Colbert à Paris,…). En septembre 1939, en vertu du décret du gouvernement Daladier, il est rayé des cadres (c’est-à-dire, « tous les fonctionnaires figurant au Carnet B »). En été 1940, se trouvant en Algérie et recherché à Paris, il prend un poste d’instituteur à l’école de Toudja (W . de Bejaia). Après un long procès contre l’Etat Français, il réintègre l’enseignement (Lycée de Cambrai, Lycée de Meaux, …).

    Proche du milieu estudiantin, il est élu en 1935-1936 Président des AEMAF (Association des étudiants musulmans algériens en France). Le bureau était composé de Hadj Said, Bouanami Allouache, Bouslama et Klouche). Il réalise l’unité d’action avec l’AEMAN (Association des étudiants musulmans d’Afrique du Nord) et permet ainsi grâce à cette fusion de « supprimer un foyer de particularisme et surtout un terrain de manœuvre pour l’administration coloniale qui à l’époque alléchait les faibles avec des espoirs de bourses, voyages gratuits etc.… ».Cette victoire de l’Union aura une profonde et lointaine résonnance politique.

    Dès 1932, il collabore au journal « El Ouma », organe de l’Etoile Nord-africaine, « porte-drapeau de toutes les forces vives des musulmans nord africains ». Ce journal a commencé à paraître à Paris dès 1930. M.C. Sahli fait partie du comité directeur de l’ENA, puis des responsables de sections du parti du PPA en France à partir de 1937.

    En Avril 1939, il fonde à Paris la revue « Ifrikia » où il écrit l’article intitulé : «le Moussabel Tarik ». Première revue de langue française et d’inspiration nationaliste, cette publication eu un grand écho au niveau de nos compatriotes et surtout de nos étudiants. Dans Paris occupée, M.C. Sahli édite un bulletin clandestin, antinazi et anti pétainiste intitulé « El Hayat ».La revue « Ifrikia », bien qu’ayant cessé de paraitre pendant la guerre ne reçut pas l’autorisation de réapparaitre au lendemain de la victoire alliée sous le
    prétexte avancé par le Quai d’Orsay : « tendance défavorable à la France ». A la fin des années quarante, il collabore avec plusieurs journaux de l’époque : Journal La réforme (articles « islam au cent visages » et « Le vrai visage de l’Islam »), Journal L’étoile algérienne (journal du MTLD lancé par A. Filali . article : « l’illusion reformiste » ). Dès la création du « Jeune musulman », journal de l’Association des Ulémas d’Algérie, M.C. Sahli publie plusieurs articles : « Histoire d’un enseignement colonialiste » (octobre 1952),
    « L’éclaireur Mohamed ibn Toumert » (novembre 1952)... De nombreux intellectuels des Ath Waghlis ont joué un rôle important dans l'animation du mouvement national tel Saïl Mohand Ameziane (1894 – 1953), anarchiste algérien qui a été l'un des pionniers de la lutte anti-coloniale. Né à Taourirt – Ath Waghlis. En 1923, il fonde le "comité de défense des indigènes algériens". En 1929, il est secrétaire du nouveau comité "de défense des Algériens contre la provocation du centenaire" (de la colonisation). Par la suite, Saïl adhère à la CGT-SR dans laquelle il créé la section des indigènes algériens. En janvier 1932, il devient le gérant de "L'éveil social, le journal du Peuple". Après le soulèvement franquiste et le début de la révolution espagnole. Saïl est l'un des premiers volontaires étrangers à rejoindre le groupe international de la colonne Durruti. Dès la libération, Saïl reconstitue le groupe d'Aulnay – sous – bois. Il essaye de réformer les comités d'anarchistes algériens.

    Pour M.C Sahli, à cette époque, « une œuvre signée
    d’un algérien ne peut nous intéresser que d’un seul point de vue :
    quelle cause sert-elle ? Quelle est sa position dans la lutte qui oppose
    le mouvement national au colonialisme ?». Comment peut-on
    admirer s’interroge M.C Sahli « cette obstination à vouloir faire des
    Kabyles des traitres à la cause algérienne, alors que les faits les
    montrent toujours à l’avant-garde du mouvement national »
    .

    En 1955- 1956, M.C. Sahli est membre de la Commission de Presse et Propagande de la Fédération de France. Il travaille avec Salah Louanchi, et s’attèle à l’intensification du recrutement des militants parmi les étudiants algériens. Il collabore dans les journaux «La résistance », « El Moudjahid » et surtout «L’Algérie d’abord » que dirigeait Amar Ouzzegane à Alger. Dans ce journal, il publie le 02 août 1955, une étude sur l’histoire de l’Algérie qui, d’après Amar Ouzzegane, «a été particulièrement apprécié dans le milieu étudiant proche des Ulémas ».En mai 1955, dans la revue « Les temps modernes » que dirigeait Jean Paul Sartre, M .C Sahli rédige un article au titre catégorique «L’Algérie n’est pas la France » et «Colonialisme et racisme en Algérie » en collaboration avec Jean Cohen.

    En janvier 1957, M.C Sahli est membre du secrétariat permanent de la Fédération de France avec Harbi et Reda Malek. Ce secrétariat était sous l’égide du comité fédéral ou siégeait Salah Louanchi, Ahmed Boumendjel. Il semble que la fameuse «Lettre du FLN aux socialistes » soit de sa plume. Ce comité entreprit de mobiliser la population algérienne pour la grève des 8 jours décidée en février 1957.

    En mai 1957, il collabore avec le journal «L’étudiant » ou il écrit entre autre « la sainte alliance des colonialistes ». A la fin de 1957, il publie une étude sur la question algérienne qui sera présentée
    devant l’ONU : « le problème algérien devant l’ONU ».Dans cette étude, il remet en question avec pédagogie et preuve irréfutable à l’appui le manque de sérieux de la tactique de Jacques Soustelle qui dit que « le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes appartient aussi aux européens d’Algérie » (voir journal Carrefour du 09 /01/1957). M.C. Sahli met en garde quant à un partage de l’Algérie qui serait une source permanente de conflits, une catastrophe pour l’Algérie et une menace pour la paix dans la Méditerranée occidentale. Il souligne « l’urgence et la nécessité d’un règlement politique d’ensemble négocié sur la base d’une conciliation des intérêts français et des aspirations fondamentales du peuple algérien à la liberté ».


    MC Sahli écrivain
    En octobre 1945, M.C. Sahli fit la connaissance de Mostefa Lacheraf avec lequel s’établit une longue amitié basée sur l’engagement politique et l’amour qu’ils ont pour l’Histoire de l’Algérie. En 1947, au lendemain des événements du 08 mai 1945, préoccupé par la question nationale, toujours en France, il publie son premier livre« le message de Youghourta ».Lors de sa retraite à Alger , il disait souvent : « qu’à travers l’histoire de notre vieux pays, chaque fois que le malheur a voulu nous marquer de son sceau, nous
    avons toujours imprimé à notre destin, le chemin de la résistance et celui de l’honneur .

    Au lendemain de l’indépendance, Sahli publia son maître -ouvrage : « Décoloniser l’histoire ». Au terme d’une mûre réflexion, il avait compris que la domination coloniale, en introduisant une nouvelle dialectique sociale et culturelle, avait donné naissance à une « «école historique » qui a voulu imposer l’idée que le Maghreb n’avait jamais connue d’unité politique et qu’il fallait remonter à la domination romaine pour découvrir le faste que la France prétendait ressusciter. Même les historiens les plus honnêtes, les plus ouverts n’ont pu échapper à cette vision coloniale à cette filiation de « l’Algérie française » avec la « pax romana ».

    L’ouvrage de Sahli n’est pas tant une réfutation de cette vision coloniale qu’un appel aux futurs historiens algériens pour prendre en charge l’histoire de leur pays sur des bases scientifiques objectives.
    Dernière modification par zwina, 20 septembre 2020, 07h44.
    Les libertés ne se donnent pas, elles se prennent

  • #2
    Dans sa revue L’Ifrikya qu’il fonda à Paris en 1939, Mohand Cherif Sahli publia plusieurs articles sur l’histoire d’Algérie. Son nom commence à s’imposer le jour où il édita «Le Message de Jougourtha» en 1947. C’est le début d’une série d’ouvrages sur des thèmes ciblés qui lui a fait acquérir une place du choix au sein de l’élite algérienne du 20ème siècle. Décoloniser l’Histoire, une étude sur l’historiographie coloniale demeure néanmoins son œuvre de référence. Au temps présent, il reste l’historien algérien le moins connu. Des spécialistes en histoire disaient pourtant qu’il a laissé son empreinte dans son domaine. Mohammed Harbi rappelle dans ses mémoires que la démarche de Sahli l’a « marqué et s’est frayé un chemin dans son esprit ». De nombreux hommes de savoir lui avaient rendu hommage à sa mort. Sahli est qualifié d’historien nationaliste.

    Ses écrits faisaient passer des messages, vis-à-vis de ses compatriotes et envers le colonisateur. A l’adresse de son peuple, il fait l’éloge du passé glorieux de l’Algérie et ressortit les étapes historiques héroïques pour valoriser le présent ; envers le colonisateur, il mit à plat les affabulations tendant à sous estimer par exemple la capacité de l’Algérien à vivre dans l’indépendance. Son ouvrage « Décoloniser l’Histoire » est plein d’exemples sur ces dérapages de ses historiens de la colonisation qui ne rataient pas l’occasion pour rappeler le statut inférieur des Algériens.

    M.C. Sahli souligne la continuité de l’histoire en soutenant que « le visage de notre peuple n’a pas changé au cours des siècles ». Le message de Yougourtha a eu un écho au sein de quelques nationalistes notamment kabyles puisque le roi berbère est repris comme le symbole même de la lutte pour la liberté et par extension pour l’indépendance. Yougourtha devient alors un des personnages à travers lesquels l’histoire est reconvoquée pour replacer la société dans l’historicité. « Tombé en pleine lutte, il reste pour nous l’émouvant messager de cette grande espérance du cœur humain, qui se nomme liberté ». Pour M.C. Sahli, il s’agit de rappeler que le passé n’est pas fait uniquement de légendes, il représente une Histoire qu’il convient de restaurer. L’auteur célèbre dans son livre la lutte contre l’impérialisme romain pour mobiliser autour du thème de la lutte contre le colonialisme.

    Décoloniser l’histoire doit d’abord se comprendre comme la construction d’un savoir historique qui nous aide à sortir des visions de la période coloniale sans s’enfermer dans les incantations idéologiques qui ne sont en fait que l’inversion de l’histoire coloniale. Décoloniser l’histoire, c’est surtout réhabiliter scientifiquement les traces archivistiques et archéologiques de notre passé proche et lointain. C’est cette démarche qui seule pourra permettre non seulement de comprendre, d’analyser et de démonter ce « vol de l’histoire » par l’européocentrisme qu’a dénoncé J. Goody (2010), mais surtout qui pourra aider l’émergence d’un discours historien autonome des discours politiques et démagogiques.

    Plus de 50 ans après sa parution chez Maspero en 1965, trois ans seulement après l’Indépendance, le petit livre de Mohand Sahli, Décoloniser l’histoire, garde tout son sens et son utilité. En donnant tout d’abord sur des citations bien choisies (et assez ahurissantes) de grands historiens d’époque coloniale, puis en examinant en détail un certain nombre de faits historiques et leur interprétation à la même époque, il montre combien la colonisation a tendu à dépersonnaliser, voire à nier, l’Algérie et à priver les Algériens d’une large partie de leur histoire. Le sous-titre : Introduction à l’histoire du Maghreb, rend bien compte de l’intention de l’auteur, permettre aux Algériens (mais aussi de manière plus large aux historiens du Maghreb) de construire à l’avenir une histoire qui soit vraiment celle de leur pays. Contrairement à certains de ses collègues post - indépendances, Sahli ne s’est pas contenté d’inverser des jugements de valeur (ce qui a produit des ‘histoires inversées’ maintenant périmées) mais a construit ce qui apparaît aujourd’hui comme une véritable méthode historique. Remettre son ouvrage dans son contexte des années 60-70, permet de mieux comprendre la nouveauté et la fécondité de la démarche, dont les historiens d’aujourd’hui peuvent utilement s’inspirer.
    Dernière modification par zwina, 20 septembre 2020, 08h01.
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    • #3
      L’organisation tribale a été à la base de la société kabyle à travers les siècles. C’est ce qui explique l’intérêt des chercheurs internationaux pour les tribus. Parmi ces dernières, celle des Ath Waghlis a toujours jouit d’un prestige . De nombreux documents publiés mettent en avant la spécificité de ses savoirs-faires, ainsi que sa légendaire résistance aux occupations.

      Ses Uléma ont marqué l’histoire intellectuelle du Maghreb et du Monde musulman : Ibn Ibrahim al-Waghlisi (13e siècle), Abderrahmane al-Waghlisi (14e siècle), Ahmed Zerruq al-Barnusi (15e siècle), Salah et Tahar al-Djaza’iri al-Sam`uni (19e siècle), Saïd Abahlul (m. 1945), El-Hadi Zerrouki (m. 1959), Mohamed Ameziane Saïl (m. 1953), Mohand Cherif Sahli,…

      En effet, dès l’époque médiévale, les Ath Waghlis avaient déjà acquis la réputation d’une tribu vouée aux études et aux sciences, comme le témoigne le grand nombre de savants médiévaux exerçant dans la ville de Béjaïa qui portent le surnom al-Waghlîsî. Deuxpersonnages de premier plan vont jouer un rôle essentiel : Ibn Ibrahimal-Waghlisi (13Pe P siècle) et `Ab dar-Rahman al-Waghlisi (14Pe P siècle). Comme l’a souligné Ibn Sa‘âd al-Andalusi (15Pe P siècle) : « Béjaïa a devancé Alger et Tlemcen par l’école de ‘Abd al-Rahmân al-Waghlîsî, qui a formé tout un ensemble de ‘Ulamâ’, parmi lesquels Muhammad al-Huwârî (Oran), al-Tha‘âlibî (Alger), ‘Isa b. Salama al-Biskrî… ».

      Par la suite, ses Zawiyya historiques (Sidi Moussa, Izzerukan,…) acquièrent une telle réputation qu’elles seront même fréquentées par les enfants des dignitaires de grandes Cités (Béjaia, Constantine,…).

      On peut avoir une idée du niveau atteint à Timεemmert de Sidi Moussa au début du XXPe P siècle en analysant le parcours de Said Abahlul (1860– 1945), maître de Fodil al- Wartilani et de El Hadi Zerrouki, tous deux de l’Association des Uléma. En poste au début du siècle à Izzerukan, puis à Sidi Rezeg (Akfadou), il va passer 35 ans de sa vie à Sidi Moussa (il y est d’ailleurs enterré)
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      • #4
        « L’honnêteté, c’est la meilleure politique, j’ai essayé les deux ! »

        Il y a quelques mois, le regretté Abdelhamid Mehri, qui nous recevait chez lui, évoquant les difficultés d’intégration des intellectuels dans le mouvement national traversé par divers courants, mettait en avant la rigueur, voire la rugosité des dirigeants qui n’avaient pas généralement le même profil que ces militants sortis des universités.

        Dans la foulée, il n’avait pas manqué de mettre en relief le parcours de Mohand Cherif Sahli : «Un homme de vaste culture qui a su se mouvoir dans la Révolution en la servant avec sincérité. Vous devriez en parler, car j’estime que cette personnalité aux multiples facettes n’a pas eu la considération qu’il mérite», nous avait-il suggéré.

        Mehri eut à prononcer l’éloge funèbre de Sahli au cimetière d’El Alia, le 5 juillet 1989, précisant que cette date historique, pour un patriote comme Mohand Cherif, «est un don du ciel, en tous cas une coïncidence heureuse.» Il faut savoir, comme l’a écrit Abdelkader Djeghloul, que «lorsque le mouvement national algérien plébéien prend en charge les élites algériennes, c’est avec tous leurs stigmates, toutes les insuffisances de leur formation autant intellectuelles que politiques, avec toutes leurs contradictions».

        On en est arrivé à un phénomène de soumission, d’instrumentation et de marginalisation des intellectuels algériens.

        D’ailleurs, notre ami Aïssa Kadri, sociologue, ne dit pas autre chose : «Les lettrés n’étaient pas nombreux. Si la colonisation et la conjoncture étaient les principaux freins au poids numérique, il faut ajouter leurs ambiguïtés d’identification, les contradictions qui les ont traversés et séparés et les difficultés qu’ils ne cesseront de rencontrer dans leur affirmation. De plus, il y avait une relative distanciation envers l’action politique, et la jonction avec le mouvement national s’est toujours faite dans un rapport de subordination.»
        Sahli s’inscrit dans cette trajectoire, où les intellectuels algériens au début du siècle dernier n’étaient pas légion. En parler aujourd’hui, c’est forcément se pencher sur l’équation politique de Salhi avec la résistance, son engagement et sa quête d’identité. Sahli a su refléter un monde tourmenté, difficile, où une vision profondément tragique de l’existence le dispute à la vitalité des sentiments et des manifestations paradoxales d’espérance.

        L’écriture de ses ouvrages consacrés à Jugurtha et l’émir Abdelkader ne sont-ils pas non seulement une prémunition contre le travestissement de l’histoire par la colonisation, mais aussi une manière d’affirmer l’identité algérienne authentique ?

        Aussi, il y a plusieurs raisons d’actualité de se ré-intéresser à lui. Sa vie, ses œuvres présentent en soi un constant intérêt. Proche parent de Mohand Cherif, Zahir Ihadaden, historien et journaliste, a bien connu le regretté pour l’avoir côtoyé.
        «Lorsqu’il a été prié de quitter Paris en 1940 où il enseignait la philo, Sahli est retourné à Toudja où il a prodigué des cours en qualité d’instituteur. Il y a vécu, et mon frère compte parmi ses disciples», se souvient Zahir qui nous apprend que Sahli faisait le trajet reliant Toudja à Oued Ghir (12 km) à pied. «Là, il prenait le train pour joindre sa famille à Sidi Aïch. Au lendemain de l’indépendance, nous nous voyions souvent. Un jour, alors que j’étais attablé au café Coq Hardi près de la Faculté d’Alger, Sahli qui exerçait au ministère des Affaires étrangères passait par là. Il me pria de transmettre un message à Ferhat Abbas qui résidait non loin de mon domicile.

        ‘‘Va et préviens-le, qu’il va être incessamment arrêté ! Qu’il prenne ses dispositions’’. Je me suis présenté chez Abbas et lui fit part du message. La réponse du vieux politicien a été cinglante : ‘‘Ils veulent m’arrêter ; ils n’ont qu’à venir !’’.

        Pour revenir à Sahli, je pense qu’il luttait pour une Algérie indivisible et son intérêt pour les héros nationaux à des époques différentes est un attachement sans équivoque à son pays et à ses cultures multidimensionnelles».

        Pour Tahar Gaïd, syndicaliste, moudjahid et ancien ambassadeur, Sahli aura été de ces hommes qui ont marqué leur époque. «Etudiant, il passait ses vacances à Sidi Aïch, dans son village natal. Il aimait se retremper dans son milieu, aimant aller au marché hebdomadaire. C’est ainsi qu’une fois, habillé d’une gandoura et portant un chapeau de paille, il s’était assis sur un trottoir un couffin entre les jambes. Une femme pied-noir l’a interpellé en ces termes : ‘‘Eh Mokhamed, qu’est-ce que tu vends ?’’. Je vends la politesse, madame…», lui avait-il répondu.

        C’est dire qu’il ne supportait pas cet esprit de supériorité que les colons affichaient. Cette anecdote et bien d’autres peuplent le parcours de Mohand Cherif, humaniste, pacifiste, bon vivant, amateur de bons mots et qui n’hésitait pas à l’instar du célèbre humoriste Francis Blanche à sortir sa culture lorsqu’il entendait le mot revolver !

        «C’est en 1952, à la création du Jeune Musulman, que je pris contact pour la première fois avec Sahli (en même temps qu’avec Malek Bennabi et Mostefa Lacheraf) que je considérais déjà comme l’un des théoriciens du nationalisme algérien. Il avait déjà publié trois ouvrages Le message de Jugurtha, L’Algérie accuse et Le complot contre les peuples africains, où il démontait avec lucidité la machinerie coloniale dans sa double action de spoliation des terres et de destruction des âmes. Ces écrits furent à la fois un appel à l’enracinement de la jeunesse algérienne dans son histoire et la démonstration que la lutte armée était préférable aux joutes électoralistes des factions. Durant deux années, il assura une collaboration régulière au Jeune Musulman qui dans ses colonnes lança le quatrième ouvrage de Sahli, consacré à Abdelkader Chevalier de la foi. Après le déclenchement de la révolution, Sahli, enseignant à Paris, fut toujours en compagnie de Lacheraf, le mentor des jeunes Algériens, qui à l’initiative du FLN, fondèrent l’Union générale des étudiants musulmans algériens. Et lorsque un plus tard, à la demande de Abane Ramdane la Fédération de France du FLN chargea un comité d’intellectuels algériens de ‘‘travailler’’ l’opinion française, Sahli en fit partie. Et la fameuse ‘‘Lettre du FLN aux socialistes’’ est de sa plume. A partir de 1957, il représente le FLN, puis le GPRA dans les pays scandinaves.»

        Dans sa longue préface du livre de Sahli Décoloniser l’histoire, l’éminent historien Lacheref écrit : «Les textes de Sahli s’intègrent à un courant de pensée nationaliste de l’Algérie pré-révolutionnaire, avec des pointes de rappel ou de confirmation idéologique que l’auteur a bien fait de poser dans le mouvement succédant à l’indépendance politique et à la libération des esprits et des mentalités. Notre historien, sans jamais tomber dans l’utopie ne peut concevoir une responsabilité nationale de direction des hommes en-dehors d’une austère éthique de sens moral, d’esprit de sacrifice et de renoncement aux honneurs sous toutes leurs formes.

        Qu’ajouter après cela qui donne au lecteur un avant-goût salubre des œuvres publiées. Seulement l’espoir que notre jeunesse trouvera autant de plaisir et de profit intellectuel à découvrir un vieux maître algérien à travers ses écrits de combat.

        Lounis Mehalla, cadre à la retraite et ancien élu de Tizi Ouzou, témoigne : «La passion de l’histoire m’a été surtout inoculée par le regretté Mohand Cherif Sahli, militant du PPA/MTLD, professeur d’histoire à la Sorbonne et qui avait édité à l’époque un petit livre sur l’Emir Abdelkader sous le titre Abdelkader, le Chevalier de la foi. Ce livre a été publié par épisodes dans le journal L’Algérie libre que je suivais avec passion. Il écrivait aussi dans le même journal une série d’articles sous le thème «Les hommes illustres du Maghreb».

        Pour moi, c’est cet homme et tant d’autres héros de la révolution qui ont façonné notre histoire contemporaine.» Pour l’historien Daho Djerbal, «Sahli et Lacheraf développaient leurs essais respectifs d’infirmation des thèses coloniales à partir d’une grille de lecture qui est occidentale, une grille analytique forte d’un bagage qui est celui de la modernité de l’Etat nation.»
        C’est par ce biais de lecture fouillée des écrits coloniaux et de leur propre expérience de militants à l’intérieur du mouvement national que tous les deux ont essayé de sortir de l’historiographie coloniale française et de mettre en place l’historiographie algérienne. A partir de là, les icônes comme Massinissa, Jugurtha, l’Emir Abdelkader vont constituer pour ces essayistes des référents dans l’affirmation d’un combat, d’une identité séculaire, montrant par ces figures emblématiques l’existence d’un embryon d’Etat qui était pourvu de souveraineté interne et externe.


        Le livre de Sahli consacré à Abdelkader n’est nullement une compilation apologique et panégyrique comme certains pourraient le croire, en pensant que l’auteur n’aurait pas ménagé sa brosse à luire. Sahli s’en explique : «Il est naturel que ma qualité d’Algérien me porte à évoquer avec piété la mémoire d’Abdelkader. On aurait tort de croire qu’elle puisse me pousser à l’exagération. Le trait dominant de la personnalité d’Abdelkader, c’est la foi. Je n’entends pas la foi religieuse, qui chez un tel homme était d’une intensité et d’une élévation rares. C’est la conviction profonde que la vie est une chose sérieuse, c’est l’élan généreux qui fait sortir l’être de lui-même, à la recherche de cette république de personnes dont rêvent les philosophes.»

        Mourad Sahli, neveu du défunt, gardien de la mémoire, nous en livre un pedigree édifiant. «Mohand Cherif a quitté son village Tasga dans la daïra de Sidi Aïch très tôt, dans sa prime adolescence. Il est issu de la fière tribu des Aït Ouaghlis. Après ses études primaires dans la région, il rallie Alger où il réussit grâce à ses compétences à entrer à l’Ecole normale des instituteurs de Bouzaréah, qui était une véritable institution à l’époque. Orphelin de mère dès 11 ans, il eut des difficultés à s’entendre avec sa marâtre. C’est pourquoi, sans doute, il a totalement rompu avec son milieu d’origine car, ainsi qu’il l’écrit lui-même, sa seule famille était l’Algérie, puis, en tant qu’intellectuel, il a affirmé son anticolonialisme sans ambages. Il fut l’ami de Naït Belkacem Mouloud, et avait des liens très forts avec Nelson Mandela. Quand ce dernier est venu en Algérie en 1990, il a demandé à le voir.

        J’ai lu ses ouvrages et je reste persuadé qu’il est le précurseur dans l’affirmation de la cause berbère fondue dans l’exigence suprême de la libération de l’Algérie. Durant toute sa vie, toute sa carrière d’ambassadeur, il n’a possédé aucun bien, ni terre ni appartement. Il s’est totalement voué à la cause nationale. De plus, il ne s’est jamais marié. A ce propos, il répondait : ‘‘je suis marié avec l’ Algérie’’. Mieux, il a cédé ses droits d’auteur à la fondation Ifri, où s’est déroulé le congrès de la Soummam.»

        Après sa retraite, malade, seul, il a été recueilli par un de ses neveux, Sahli Djamel, chirurgien-dentiste à Alger. Sa voix posée filtre habilement ses mots et sa diction parfaite témoigne de ses certitudes. Il a vécu dans cet univers opprimé, anachronique, traversé par des luttes discontinues. Si certains se hasardent à l’affubler du titre d’historien, il s’en offusque presque. Ce n’est pas aux politiques et aux historiens de dire l’histoire, «l’historien ne doit fournir que les éléments du débat», prévient-il. Sahli s’est voulu un passeur, un trait d’union, un artisan entre le savoir et la culture en quête d’un improbable bonheur…
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