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«Les incidents d’audience ne grandissent personne»

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  • «Les incidents d’audience ne grandissent personne»

    Propos recueillis par Abla Chérif
    Les procès liés à la corruption se suivent, la cadence s’accélère, des décisions prises par les instances judiciaires se succèdent aussi, annulation des juridictions de privilèges, transfert de Haddad, Tahkout et Ouyahia, et le tout se déroule aujourd’hui dans une ambiance marquée par la colère des avocats chargés de la défense de certaines anciennes personnalités qui contestent la dureté des juges à leur égard, ils ont le soutien de tous leurs confrères d’Alger, une sorte de rupture a été opérée… Ce sont des thèmes sur lesquels intervient ici Me Ksentini…

    Le Soir d’Algérie : La Cour suprême s’apprête à rendre son verdict dans l’affaire du général Toufik, Tartag et Saïd Bouteflika. Qu’attendez-vous de cette échéance ?
    Me Farouk Ksentini : Je suis l’avocat du général Toufik et le verdict des recours introduits par les prévenus a été fixé au 18 novembre prochain. Personnellement, j’attends que l’arrêt rendu par le tribunal militaire de Blida soit cassé car il y a de très importants motifs pouvant induire cette cassation et même obtenir un acquittement juridique. Mes propos s’inscrivent dans le cadre strict de la loi, je ne prends en compte aucune autre considération. Le tribunal militaire de Blida a émis un jugement que je respecte, mais en tant qu’homme de loi, je considère qu’il s’agit là d’une décision inappropriée.

    Quels sont les motifs pouvant conduire à cette cassation ?
    Ils sont très simples, évidents. Il y a d’abord la compétence du tribunal militaire de Blida. Dans cette affaire, tous les accusés n’ont pas le statut de militaires et il est donc anormal de les juger devant une juridiction militaire. En second lieu, il y a le fait que le lieu où s’est déroulée la fameuse réunion qui a conduit à leur arrestation, jugement et condamnation, ne relève pas du ministère de la Défense mais de la présidence de la République, elle a donc un caractère civil et non pas militaire. La dernière raison, et la plus importante sans doute, se situe dans les contradictions existant dans les motifs apportés au jugement des concernés. Ces contradictions sont fondamentales. Le tribunal militaire considère que le général Toufik et ses coaccusés ont comploté avec Louisa Hanoune, mais ils ont conclu que cette dernière n’a pas comploté. Je suis heureux pour elle, et la décision de sa libération est ce qu’il fallait faire, mais dans ce cas-là, il ne pouvait y avoir complot à sens unique, c’est inadmissible. La Cour suprême peut, cependant, avoir une autre opinion, il ne faut préjuger de rien.

    Vous avez aussi assuré la défense de l’ancien ministre de la Solidarité, Djamel Ould Abbès. Quel bilan faites-vous du procès qui vient de se dérouler ?
    C’est un procès qui m’a apporté une satisfaction, celle de voir mon client blanchi du principal chef d’accusation pour lequel il était poursuivi, à savoir le détournement d’argent. Ceci se traduit par la réalité suivante : la justice admet qu’il n’a pas mis un sou en poche. Il a géré maladroitement, c’est sûr, il est médecin, et un médecin n’est pas fait pour gérer et il n’est pas habilité à le faire. Ce sont ses collaborateurs indélicats qui ont imité sa signature pour retirer de l’argent contenu dans le compte bancaire des associations de Ould Abbès, il y avait des signatures conjointes sur un certain nombre de chèques contenant des sommes importantes. L’expertise a déterminé qu’il s’agissait d’un faux.
    Ce qui m’a chagriné dans cette affaire est que je ne m’attendais pas à ce que le magistrat instructeur mette en prison une personne âgée de 86 ans. Il pouvait le mettre sous contrôle judiciaire, son âge offre la meilleure garantie. La détention provisoire est une exception et elle aurait dû s’appliquer à ce moment, le magistrat s’est comporté avec lui de manière très élégante, avec doigté, mais c’est la première fois dans ma carrière que j’assistais à la mise sous mandat de dépôt d’une personne de cet âge.

    Quel regard portez-vous sur les procès liés à la corruption qui se déroulent actuellement ?
    Je ne connais pas les détails de ces procès, j’en ai un aperçu global, mais cette question est pour moi l’occasion de rappeler le principe que les avocats ne sont pas les adversaires de la justice et que cette dernière n’est pas également l’adversaire des avocats et que tous deux doivent évoluer dans un respect mutuel. L’incident qui s’est produit dernièrement durant une audience à la cour est déplorable. Certains discours peuvent électriser l’atmosphère et conduire à des situations comme celle qui se déroule actuellement. Ce n’est pas bon pour les prévenus, l’avocat doit s’exprimer avec modération, c’est la loi qui le dit, les incidents d’audience ne grandissent personne. Lorsque le président entre dans la salle, il a le pouvoir absolu, c’est encore la loi qui le dit, mais ce dernier ne doit pas en abuser. Je regrette l’incident qui s’est produit, la rupture.
    Il y a aussi danger car ce sont des procès massifs, je m en méfie car ils ont mauvaise presse, on nous observe de l’extérieur, ce genre d’incidents donne l’impression que ces procès sont inéquitables, les pays qui nous observent peuvent donc refuser d’extrader les personnes contre lesquelles des mandats d’arrêt ont été lancés et refuser de collaborer dans le cadre du processus mis en place pour la récupération des biens se trouvant à l’étranger. Les résultats de ces incidents sont donc très dangereux, nous sommes tenus d’entamer une réflexion sur le sujet.

    Vous avez adhéré à la grève…
    J’ai affectivement adhéré à cette grève par discipline, mais elle aura des conséquences sur le déroulement des affaires de justice, tout sera reporté durant une semaine, ce retard s’ajoute à celui qui s’est accumulé durant le confinement dû à la situation sanitaire, Durant une semaine, tout sera reporté, des personnes qui n’ont rien à voir avec les dossiers de corruption vont devoir attendre et on sait que lorsqu’il y a surcharge, certaines décisions énoncées peuvent être hâtives, inappropriées et c’est déplorable.

    Les juridictions de privilège ont été annulées et les personnalités et hauts responsables de l’État relèvent désormais des juridictions ordinaires. Est-ce une bonne chose à votre avis ?
    C’est une très bonne chose, il n’y a pas de raison d’attribuer des juridictions spéciales à une certaine catégorie de personnes, j’estime que les juridictions administratives doivent être, elles aussi, supprimées. Tout ce qui relève de l’État, conflit de wilaya, daïra… avec des citoyens est porté devant ces instances, or, ces juridictions ne sont là que pour donner raison à l’État contre le justiciable, pourquoi des juges particuliers, pourquoi des instances spéciales ? Il faut les supprimer et revenir au droit commun.

    L’affaire du transfert de Haddad, Tahkout et Ouyahia dans des pénitenciers très éloignés et réputés pour la dureté de leur système a fait couler beaucoup d’encre. Qu’est-ce qui a, selon vous, justifié ces décisions ?
    Je ne soupçonnais pas, et personne ne le soupçonnait, l’ampleur de la corruption. Tout était secret, mais les chiffres qu’on découvre aujourd’hui donnent le tournis, les privilèges donnés à ces gens-là sont effarants. Je ne souhaite la prison à personne, mais il y a eu une atteinte considérable à l’économie nationale, ces procès devraient même se dérouler devant des juridictions criminelles car c’est un crime qui a été commis. Cela étant, il faut demeurer dans le respect de la présomption d’innocence pour les personnes qui n’ont pas encore fait l’objet de condamnation définitive, en raison de l’ampleur des dégâts et de la qualité de ces personnes. Certains peuvent aussi penser qu’il s’agit là de règlements de comptes, il faut donc que ce soit des procès équitables. Ils constituent une épreuve nationale qui s’est ajoutée à toutes les épreuves que nous avons traversées, nous avons tellement de choses à faire, à construire.

    La question est devenue traditionnelle lorsque des hommes de loi sont invités à s’exprimer : le jugement de Abdelaziz Bouteflika doit-il avoir lieu ?
    Il n’est ni mort, ni vivant, il n’y a aucune raison de le traîner devant la justice dans cet état car il ne peut pas se défendre, il ne peut pas parler, il est réduit à un stade végétatif, que voulez-vous juger dans une telle situation ? Lorsque Moubarak a été jugé, il était dans un meilleur état physique, il avait de meilleures capacités, mais Abdelaziz Bouteflika ne peut ni réagir ni se défendre, à quoi bon donc le juger ?


    Le soir d'algerie
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