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Tunisie : le top 5 des idées reçues sur l'économie tunisienne

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  • Tunisie : le top 5 des idées reçues sur l'économie tunisienne

    INTERVIEW. Poids écrasant de l’État, secteur informel… Cyril Grislain Karray, investisseur et essayiste, dresse pour Le Point Afrique la liste des clichés.

    1. "La Tunisie, le pays du capitalisme sauvage"
    Cyril Grislain Karray : Si l’ère Ben Ali a libéré certains sous-secteurs, souvent en faveur des familles et amis du pouvoir, cela reste au regard des grandes masses économiques des phénomènes très circonscrits. Mais qui ont fortement contribué à renforcer la perception erronée que la Tunisie serait devenue un pays du fameux capitalisme et libéralisme sauvage. Or, l’État, ses administrations, ses entreprises et établissements publics restent archi-dominants dans le tissu économique, en étant très largement premier employeur, premier producteur, premier client, premier gestionnaire et premier investisseur du pays. De plus, étant par ailleurs un État d’inspiration à la fois ottomane et française, il est extrêmement centralisateur et régulateur. Cela signifie qu'il est auto régulateur en tant que gestionnaire, donc un juge partial de sa propre performance en tant qu’acteur économique.

    2. "Le premier frein du pays est le manque d’investissement"
    Si l’on soustrait la croissance historique du PIB tunisien des entrées ponctuelles d’investissements pour privatisation (en particulier de Tunisie Telecom), notre soi-disant "miracle" de croissance résulte en très grande partie de la "formation brute de capital fixe" (le "hard"). Avec une part très importante de la construction, du très vif secteur du bâtiment. Cela implique que l’autre levier de croissance, par la production et la productivité du travail (le "soft"), levier bien plus capital pour ce pays dont les ressources sont essentiellement humaines, n’a que très faiblement contribué à la croissance. L’économie tunisienne souffre avant tout d’une très faible productivité. Idem pour la production des idées, de la sueur du front et de la force des bras des Tunisiens. Et si l’on ne convainc guère les investisseurs, nationaux et étrangers, c’est parce qu’ils savent bien qu’on ne travaille juste pas assez et pas assez bien. Alors, ils investissent, les nationaux et les étrangers, avant tout dans l’immobilier… Un cercle vicieux, qu’il faut d’urgence casser.

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    © DR
    3. "L’informel est l’ennemi numéro 1 du secteur privé"
    L'informel profite aux patrons qui le vilipendent. Ils le pratiquent aussi, en ne déclarant pas leurs femmes de ménage, en faisant des courses chez l’épicier du coin, en payant au noir le peintre qui refait leur cuisine… Évidemment, nous devons avoir l’ambition que toute notre économie soit formelle. Mais en comprenant bien que cet informel est, pour énormément de Tunisiens, la seule solution qui leur permette de s’en sortir. Parallèlement, cet informel participe à l’économie, en tant que consommateur et même investisseur. Tous les trafiquants, en plus de ceux qui sont obligés de vivre de manière pragmatique, savent le prix qu’ils paient d’être hors ou dans la loi. Ils savent le coût du racket par des policiers toute la semaine, celui d'être à la merci d’une fermeture de leur boutique, de ne pas pouvoir accéder au crédit pour changer d’Isuzu ou installer un petit dépôt derrière leur échoppe... Mais ce prix à payer leur est plus "supportable" que le niveau de bureaucratie, d’inquisition administrative, d’autorisations en tout genre, de ponction fiscale, etc., que leur propose le système formel. Alors ils restent informels.Si le "système" acceptait de libéraliser et de simplifier significativement l’auto-emploi et l’auto-entreprise, de lui faciliter massivement l’accès à la formalité, commerciale, légale et fiscale, un pan immense de l’économie rentrerait dans le formel. Et avec, des Tunisiens qui pourraient alors fuir la corruption et accéder aux crédits et ainsi, petit à petit, devenir des citoyens économiques "normaux". Mais encore faut-il que ceux qui les fustigent les acceptent comme des acteurs économiques à part entière.

    4. "La solution : favoriser l’entrepreneuriat"
    Le seul véritable "entrepreneuriat" de masse en Tunisie, c’est la vente d’essence de contrebande ! Tout le monde mélange allègrement les nomenclatures, qualifiant d’entrepreneuriat ce qui est de l’auto-emploi. Et pour, en réalité, se gargariser avec un concept façon Silicon Salley appliqué à ce qui n’est rien d’autre que "chacun se débrouille tout seul". Notamment pour des contingents de jeunes ayant des formations non propices à l’entrepreneuriat (la psychologie, l’histoire-géo, la comptabilité, etc.). Et quand quelqu’un se débrouille comme il peut, typiquement en achetant et revendant informellement quelque marchandise, le "système" lui tombe dessus en le qualifiant d’informel. Il ne faut pas qu'on oublie que le printemps arabe a commencé comme ça. Par un Bouazizi qui est allé se débrouiller tout seul comme il a pu, en vendant des fruits et légumes à la volée, et après on connaît la suite. Il faut aussi reconnaître que nos dizaines de milliers de "talents" ne le sont pas pour le marché du travail. Nos jeunes sont en très grande majorité inaptes à l’emploi structuré. Difficile d’attendre d’eux qu'ils réussissent, livrés à eux-mêmes dans l’entrepreneuriat…

    5. "Les grandes entreprises vont bien, mais les PME sont à la peine"
    Au sens de l’économie, et donc de la compétition mondiale, nous avons au mieux une dizaine des moyennes entreprises. Ce sont souvent des entreprises étatiques, quelques-unes sont privées. Leurs parcours et ambitions sont d'ailleurs à saluer. Mais toutes ces "grandes" dont on parle beaucoup ne sont que des petites entreprises à l'échelle du monde. Elles ont pris l’habitude de se comparer à l’échelle de leurs voisins dans le cocon douillet du protectionnisme et des cercles fermés tunisiens. C’est un drame économique national. Si nous sommes incapables d’imaginer, de construire, de gérer des champions privés qui soient au moins régionaux, si ce n’est mondial, alors nous continuerons à essayer en vain de tirer les wagons du secteur privé et de l’emploi, sans aucune locomotive.

    AFRIQUEECONOMIE
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