Par REPORTERS .DZ-1 octobre 2020
Le Secrétaire d’Etat américain à la Défense Mark Thomas Esper est attendu aujourd’hui dans notre pays pour faire le point sur les questions de défense et de sécurité d’intérêt commun. Le chef du Pentagone a entamé hier sa tournée de travail nord-africaine par la Tunisie et se rendra demain à Rabat.
Par Arezki Ighemat*
Selon le Pentagone et autres sources, le but de cette rencontre américano-maghrébine est de «renforcer l’engagement pour la sécurité dans la région et discuter des moyens de renforcer la coopération contre les organisations terroristes, en particulier avec l’Algérie» (to affirm the commitment to the security of the region and discuss ways to strengthen cooperation against terrorist organizations, especially with Algeria, selon Saudi 24 News, A Maghreb Tour by the U.S. Secretary of Defense this week to discuss terrorist threats : One World-the Arabs, September 29, 2020).).
La visite de Mark Esper a débuté hier mercredi en Tunisie, où le Secrétaire à la Défense rencontrera le Président Qais Saeed et son homologue tunisien, Ibrahim Albertaji. Le but du voyage en Tunisie est de «renforcer les relations avec ce grand allié dans la région et discuter les menaces posées par les organisations terroristes telles que Isis et Al Qaeda, ainsi que de l’instabilité régionale dans le continent africain» (to strengthen relations with this ‘great’ ally in the region and discuss the threats posed to this country by terrorist organizations such as ISIS and Al Qaeda, in addition to ‘regional instability in the African continent. op.cit). Mark Esper a aussi prévu de faire un discours au cimetière américain de Carthage où des soldats américains tombés pendant la Seconde Guerre Mondiale sont enterrés.
Le Secrétaire américain se rendra ensuite, aujourd’hui jeudi, en Algérie où il aura des discussions avec le Président Tebboune en sa double qualité de Commandant en Chef des Forces armées algériennes et ministre de la Défense nationale. Selon la source citée ci-dessus, l’objectif de cette visite est similaire : «Approfondir la coopération avec l’Algérie dans les questions majeures de sécurité telles que les menaces posées par les groupes terroristes.» (To deepen cooperation with Algeria on major regional security issues such as threats posed by terrorist groups. op.cit). Il faut souligner que Mark Esper est le premier Secrétaire à la Défense à se rendre en Algérie depuis la visite de Donald Rumsfeld en 2006, soit près de quinze ans. Cette visite intervient aussi une semaine après celle de Stephen Townsend, le Commandant d’Africom (Commandement militaire américain en Afrique), à Alger. Elle intervient aussi au moment où l’Algérie s’apprête à inaugurer une nouvelle Constitution qui prévoit, entre autres, que l’Algérie pourra désormais intervenir dans la région et dans d’autres contrées pour établir la paix et cela sous les auspices et conformément aux traités des organisations internationales (ONU, Union Africaine…).
Le troisième pays que Mark Esper visitera vendredi est le Maroc. Le but, toujours selon la même source, est «renforcer les relations fondamentalement étroites» (strenghten the fundamentally close relations) avec le Maroc dans le domaine sécuritaire. Il faut souligner que le Maroc organise chaque année les «Lion Military Exercises» (Les exercices militaires géants) sous les auspices d’Africom, à l’exception de cette année où les exercices ont été annulés en raison de la pandémie de la Covid-19. La source ci-dessus citée n’indique pas cependant si Mark Esper rencontrera le roi Mohamed VI, mais confirme que des discussions auront lieu avec le ministre Délégué auprès du Chef du Gouvernement chargé de l’Administration de la Défense nationale, Abdellatif Loudiyi, et l’Inspecteur général des Forces armées royales, Abdelfattah Louarak. Il rencontrera aussi le Directeur général de la Sécurité nationale et de la Surveillance territoriale (DGST-DGSN), Abdellatif Hammouchi. Cette visite au Maroc intervient une semaine après que ce dernier a reçu l’ambassadeur américain à Rabat, David Fisher, qui a eu avec lui des discussions sur plusieurs sujets, notamment la sécurité nationale. Par ailleurs, dans son rapport annuel, le Département d’Etat américain a indiqué que les relations avec le Maroc dans le domaine sécuritaire sont un «modèle» de coopération. Le rapport indique aussi que toutes les instances marocaines de sécurité – Bureau Central d’investigation judiciaires (BCIJ), la DGSN, la DGST et la Gendarmerie royale – collaborent pour assurer la sécurité du Maroc.
Cependant, en dehors de la question principale à l’ordre du jour de cette rencontre, un certain nombre d’autres questions non prévues au programme des discussions restent posées. La première est la question relative aux accords récents passés entre certains pays arabes (les Emirats et Qatar) et Israël, avec l’intermédiation musclée de la Maison-Blanche et sous le parapluie personnel du Président Trump, dont l’objectif caché est de constituer une alliance arabe favorable à Israël contre les intérêts des Palestiniens. Beaucoup se posent, en effet, la question de savoir si le Secrétaire américain va aborder le sujet de l’éventuelle participation des pays du Maghreb à cette coalition.
Quid de la question de la normalisation avec Israël ?
Si l’Algérie et la Tunisie ont déjà exprimé leur refus de signer un accord avec Israël, le cas du Maroc n’est pas encore tranché. D’abord, le Maroc a une présence sur son territoire d’une importante communauté de Juifs et de Marocains de confession juive. Ensuite, des rumeurs couraient et certaines sources indiquaient que le Maroc voulait établir des relations de paix avec Israël depuis déjà longtemps. Il faut souligner que si le Maroc rejoignait le duo Emirats arabes unis/Qatar, non seulement l’avenir de la Palestine serait en danger, mais la sécurité même des deux autres pays du Maghreb, l’Algérie et la Tunisie, pourrait être menacée. Il faudra donc attendre les résultats des discussions que le Secrétaire américain aura avec les dirigeants marocains pour savoir si cette question sera évoquée.
La deuxième question que pose cette rencontre américano-maghrébine «est-ce que la lutte contre le terrorisme est actuellement une priorité pour les trois pays du Maghreb, et surtout pour l’Algérie ?». Le corollaire de celle question est «pourquoi les Etats-Unis sont-ils particulièrement intéressés par la région Maghreb pour mener la lutte contre le terrorisme ?» En effet, depuis la fin de la décennie noire en Algérie, le terrorisme ne sévit plus comme dans les années 1990-2000 au point que même les dirigeants algériens parlaient d’un «terrorisme résiduel» en phase finale. Le Maroc, quant à lui, n’a jamais connu le terrorisme sous sa forme la plus dure. Quant à la Tunisie, même si, de temps en temps, elle fait état d’actes terroristes, ces derniers n’ont jamais mis en jeu sa stabilité et sa sécurité nationale. Reste donc la question : «Pourquoi les Etats-Unis s’intéressent-ils à cette région en particulier pour sa lutte contre le terrorisme ?», alors que les dirigeants américains eux-mêmes, avec à leur tête le Président Trump, crient haut et fort et se vantent que «nous nous sommes débarrassés du terrorisme» (We got rid of terrorism) ou encore «nous avons combattu Isis et Al Qaeda» (we got rid of ISIS and Al Qaeda), «nous avons tué Ben Ladden et Abu Bakr Al Baghdadi» (We killed Ben Ladden and Abu Bakr Al Baghdadi). Ces questions restent donc posées.
La troisième question qui se pose avec cette rencontre américano-maghrébine est celle de savoir si la question de la coopération économique et culturelle sera abordée. En effet, en supposant et en admettant qu’un certain intérêt peut être reconnu à la lutte contre le terrorisme dans ses dimensions régionale et globale —ce qu’on appelle aux Etats-Unis «The War On Terror» (WOT)— les pays du Maghreb ont aussi des besoins importants, notamment dans les domaines économique, scientifique, technologique et culturel. Et il se trouve que les Etats-Unis sont le pays qui dispose des plus importantes capacités et ressources dans ces domaines. La question donc «Est-ce que les relations Maghreb-USA porteront essentiellement sur la lutte contre le terrorisme ou est-ce que leurs besoins dans les domaines cités sont plus importants ?» En d’autres termes, «est-ce que ces discussions vont aborder le sujet de l’élargissement des relations à ces domaines, qui sont aussi stratégiques pour la sécurité et la stabilité du Maghreb que la question de la lutte contre le terrorisme.
En effet, dans ces domaines, le Maghreb dépend à 95% de la France qui, paradoxalement, les a dominés aussi politiquement pendant des décennies, et dans le cas de l’Algérie, pendant 132 ans. Si le président Boumediène disait, de son vivant, que «nous ne choisissons pas entre le grand et le petit Impérialisme» (le grand étant constitué par les Etats-Unis et le petit par la France, selon Boumediène), cette thèse doit être revue en faveur d’un équilibre entre les relations du Maghreb et le reste du monde basé en priorité sur ses intérêts stratégiques, incluant les intérêts économiques, scientifiques, technologiques et culturels.
Ph. D en économie,Master of Francophone Literature (Purdue University, USA
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Le Secrétaire d’Etat américain à la Défense Mark Thomas Esper est attendu aujourd’hui dans notre pays pour faire le point sur les questions de défense et de sécurité d’intérêt commun. Le chef du Pentagone a entamé hier sa tournée de travail nord-africaine par la Tunisie et se rendra demain à Rabat.
Par Arezki Ighemat*
Selon le Pentagone et autres sources, le but de cette rencontre américano-maghrébine est de «renforcer l’engagement pour la sécurité dans la région et discuter des moyens de renforcer la coopération contre les organisations terroristes, en particulier avec l’Algérie» (to affirm the commitment to the security of the region and discuss ways to strengthen cooperation against terrorist organizations, especially with Algeria, selon Saudi 24 News, A Maghreb Tour by the U.S. Secretary of Defense this week to discuss terrorist threats : One World-the Arabs, September 29, 2020).).
La visite de Mark Esper a débuté hier mercredi en Tunisie, où le Secrétaire à la Défense rencontrera le Président Qais Saeed et son homologue tunisien, Ibrahim Albertaji. Le but du voyage en Tunisie est de «renforcer les relations avec ce grand allié dans la région et discuter les menaces posées par les organisations terroristes telles que Isis et Al Qaeda, ainsi que de l’instabilité régionale dans le continent africain» (to strengthen relations with this ‘great’ ally in the region and discuss the threats posed to this country by terrorist organizations such as ISIS and Al Qaeda, in addition to ‘regional instability in the African continent. op.cit). Mark Esper a aussi prévu de faire un discours au cimetière américain de Carthage où des soldats américains tombés pendant la Seconde Guerre Mondiale sont enterrés.
Le Secrétaire américain se rendra ensuite, aujourd’hui jeudi, en Algérie où il aura des discussions avec le Président Tebboune en sa double qualité de Commandant en Chef des Forces armées algériennes et ministre de la Défense nationale. Selon la source citée ci-dessus, l’objectif de cette visite est similaire : «Approfondir la coopération avec l’Algérie dans les questions majeures de sécurité telles que les menaces posées par les groupes terroristes.» (To deepen cooperation with Algeria on major regional security issues such as threats posed by terrorist groups. op.cit). Il faut souligner que Mark Esper est le premier Secrétaire à la Défense à se rendre en Algérie depuis la visite de Donald Rumsfeld en 2006, soit près de quinze ans. Cette visite intervient aussi une semaine après celle de Stephen Townsend, le Commandant d’Africom (Commandement militaire américain en Afrique), à Alger. Elle intervient aussi au moment où l’Algérie s’apprête à inaugurer une nouvelle Constitution qui prévoit, entre autres, que l’Algérie pourra désormais intervenir dans la région et dans d’autres contrées pour établir la paix et cela sous les auspices et conformément aux traités des organisations internationales (ONU, Union Africaine…).
Le troisième pays que Mark Esper visitera vendredi est le Maroc. Le but, toujours selon la même source, est «renforcer les relations fondamentalement étroites» (strenghten the fundamentally close relations) avec le Maroc dans le domaine sécuritaire. Il faut souligner que le Maroc organise chaque année les «Lion Military Exercises» (Les exercices militaires géants) sous les auspices d’Africom, à l’exception de cette année où les exercices ont été annulés en raison de la pandémie de la Covid-19. La source ci-dessus citée n’indique pas cependant si Mark Esper rencontrera le roi Mohamed VI, mais confirme que des discussions auront lieu avec le ministre Délégué auprès du Chef du Gouvernement chargé de l’Administration de la Défense nationale, Abdellatif Loudiyi, et l’Inspecteur général des Forces armées royales, Abdelfattah Louarak. Il rencontrera aussi le Directeur général de la Sécurité nationale et de la Surveillance territoriale (DGST-DGSN), Abdellatif Hammouchi. Cette visite au Maroc intervient une semaine après que ce dernier a reçu l’ambassadeur américain à Rabat, David Fisher, qui a eu avec lui des discussions sur plusieurs sujets, notamment la sécurité nationale. Par ailleurs, dans son rapport annuel, le Département d’Etat américain a indiqué que les relations avec le Maroc dans le domaine sécuritaire sont un «modèle» de coopération. Le rapport indique aussi que toutes les instances marocaines de sécurité – Bureau Central d’investigation judiciaires (BCIJ), la DGSN, la DGST et la Gendarmerie royale – collaborent pour assurer la sécurité du Maroc.
Cependant, en dehors de la question principale à l’ordre du jour de cette rencontre, un certain nombre d’autres questions non prévues au programme des discussions restent posées. La première est la question relative aux accords récents passés entre certains pays arabes (les Emirats et Qatar) et Israël, avec l’intermédiation musclée de la Maison-Blanche et sous le parapluie personnel du Président Trump, dont l’objectif caché est de constituer une alliance arabe favorable à Israël contre les intérêts des Palestiniens. Beaucoup se posent, en effet, la question de savoir si le Secrétaire américain va aborder le sujet de l’éventuelle participation des pays du Maghreb à cette coalition.
Quid de la question de la normalisation avec Israël ?
Si l’Algérie et la Tunisie ont déjà exprimé leur refus de signer un accord avec Israël, le cas du Maroc n’est pas encore tranché. D’abord, le Maroc a une présence sur son territoire d’une importante communauté de Juifs et de Marocains de confession juive. Ensuite, des rumeurs couraient et certaines sources indiquaient que le Maroc voulait établir des relations de paix avec Israël depuis déjà longtemps. Il faut souligner que si le Maroc rejoignait le duo Emirats arabes unis/Qatar, non seulement l’avenir de la Palestine serait en danger, mais la sécurité même des deux autres pays du Maghreb, l’Algérie et la Tunisie, pourrait être menacée. Il faudra donc attendre les résultats des discussions que le Secrétaire américain aura avec les dirigeants marocains pour savoir si cette question sera évoquée.
La deuxième question que pose cette rencontre américano-maghrébine «est-ce que la lutte contre le terrorisme est actuellement une priorité pour les trois pays du Maghreb, et surtout pour l’Algérie ?». Le corollaire de celle question est «pourquoi les Etats-Unis sont-ils particulièrement intéressés par la région Maghreb pour mener la lutte contre le terrorisme ?» En effet, depuis la fin de la décennie noire en Algérie, le terrorisme ne sévit plus comme dans les années 1990-2000 au point que même les dirigeants algériens parlaient d’un «terrorisme résiduel» en phase finale. Le Maroc, quant à lui, n’a jamais connu le terrorisme sous sa forme la plus dure. Quant à la Tunisie, même si, de temps en temps, elle fait état d’actes terroristes, ces derniers n’ont jamais mis en jeu sa stabilité et sa sécurité nationale. Reste donc la question : «Pourquoi les Etats-Unis s’intéressent-ils à cette région en particulier pour sa lutte contre le terrorisme ?», alors que les dirigeants américains eux-mêmes, avec à leur tête le Président Trump, crient haut et fort et se vantent que «nous nous sommes débarrassés du terrorisme» (We got rid of terrorism) ou encore «nous avons combattu Isis et Al Qaeda» (we got rid of ISIS and Al Qaeda), «nous avons tué Ben Ladden et Abu Bakr Al Baghdadi» (We killed Ben Ladden and Abu Bakr Al Baghdadi). Ces questions restent donc posées.
La troisième question qui se pose avec cette rencontre américano-maghrébine est celle de savoir si la question de la coopération économique et culturelle sera abordée. En effet, en supposant et en admettant qu’un certain intérêt peut être reconnu à la lutte contre le terrorisme dans ses dimensions régionale et globale —ce qu’on appelle aux Etats-Unis «The War On Terror» (WOT)— les pays du Maghreb ont aussi des besoins importants, notamment dans les domaines économique, scientifique, technologique et culturel. Et il se trouve que les Etats-Unis sont le pays qui dispose des plus importantes capacités et ressources dans ces domaines. La question donc «Est-ce que les relations Maghreb-USA porteront essentiellement sur la lutte contre le terrorisme ou est-ce que leurs besoins dans les domaines cités sont plus importants ?» En d’autres termes, «est-ce que ces discussions vont aborder le sujet de l’élargissement des relations à ces domaines, qui sont aussi stratégiques pour la sécurité et la stabilité du Maghreb que la question de la lutte contre le terrorisme.
En effet, dans ces domaines, le Maghreb dépend à 95% de la France qui, paradoxalement, les a dominés aussi politiquement pendant des décennies, et dans le cas de l’Algérie, pendant 132 ans. Si le président Boumediène disait, de son vivant, que «nous ne choisissons pas entre le grand et le petit Impérialisme» (le grand étant constitué par les Etats-Unis et le petit par la France, selon Boumediène), cette thèse doit être revue en faveur d’un équilibre entre les relations du Maghreb et le reste du monde basé en priorité sur ses intérêts stratégiques, incluant les intérêts économiques, scientifiques, technologiques et culturels.
Ph. D en économie,Master of Francophone Literature (Purdue University, USA
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