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Maroc : «Les précarités chez l’enfant ne s’additionnent pas, elles se multiplient»

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  • Maroc : «Les précarités chez l’enfant ne s’additionnent pas, elles se multiplient»

    Le coût de l'occupation du Sahara Occidental par la dictature marocaine est la conséquence directe de la situation d'extrême indigence vécue par la jeunesse marocaine.

    - Le journaliste et écrivain Hicham Houdaïfa vient de publier «Enfance au Maroc : une précarité aux multiples visages» aux éditions En Toutes Lettres, dont il est le co-fondateur. Sous forme de neuf enquêtes et reportages, il aborde la multiplicité des défis de la protection de l’enfance en situation difficile.

    Quel est le constat qui vous a décidé à dédier votre livre à la protection de l’enfance ?

    J’ai prévu de faire cet ouvrage il y a quelques années, après mon livre-enquête «Dos de femmes, dos de mulets». C’était pour moi une évidence de travailler sur la précarité de l’enfance, après celle des femmes. Mais l’actualité m’a poussé à intercaler ce projet par celui sur «Extrémisme religieux – Plongée dans les milieux radicaux au Maroc», avant de revenir à la préparation de ce dernier livre.

    Il a été motivé principalement par la volonté de traiter de la précarité de petits êtres, qui sont sous la protection de leurs parents et de l’Etat, mais qui subissent différentes formes de violences et qui n’ont parfois ni la possibilité, ni la capacité de se défendre. Il a donc fallu faire une série de reportages et d’enquêtes, pour mesurer, à travers un travail de terrain, le degré de cette précarité.

    Quels sont les axes des enquêtes qu’on peut lire dans ce livre ?

    Ce livre s’articule autour de huit enquêtes et reportages, en plus d’une interview avec Fatima El Ouafi, présidente de l’association Ousrati, qui a parlé de la Kafala et des pratiques adoptives dans notre pays. L’idée a été aussi d’analyser de grands sujets comme le préscolaire et les agressions sexuelles sur les mineurs.

    L’ouvrage inclut deux grands reportages à Casablanca. Le premier a été fait à la gare d’Ouled Ziane, où se trouvent nombre d’enfants en situation de rue. C’était important de se rendre sur place, surtout que cet endroit est aussi l’un des principaux points où des mères célibataires arrivent de différentes régions du Maroc. Le second a été réalisé à Lahraouiyne, une zone casablancaise très marginalisée.

    J’ai traité aussi la question de l’état civil et de son absence pour les enfants à Taroudant et dans les environs d’Agadir, ou encore les petites bonnes en faisant le portrait d’Omar Saâdoune [assistant social et chargé de projet au sein de l’association INSAF, ndlr], mais aussi en faisant un travail de terrain au niveau de Taza, Ouazzane ou encore Tétouan, à travers les associations actives là-bas.

    Un axe du livre parle des centres de protection de l’enfance, qui s’avèrent un dépotoir pour des enfants abandonnés ou en conflit avec la justice. Il s’agit également d’analyser la question des enfants en situation de handicap, en suivant le travail d’associations dans des zones reculées et précaires.

    Vous décrivez une «précarité aux multiples visages». Quelles sont les formes des précarités que vous avez observées sur le terrain ?

    Pour parler de quelques exemples, il y a d’abord la non-qualité du service scolaire et préscolaire public, des problématiques liées aux violences sexuelles contre les enfants, en plus de pères démissionnaires, en prison ou inexistants, des mères au bout du rouleau, sans oublier l’état indigne et inacceptable des centres de protection de l’enfance.

    Dans le cadre des enquêtes sur lesquelles j’ai travaillé à Casablanca et dans les environs d’Agadir, ces questions et celles des enfants en situation de rue étaient saillantes. Comme l’un des spécialistes me l’a dit, les précarités chez l’enfant ne s’additionnent pas, elles se multiplient. Elle sont beaucoup plus accentuées puisqu’il s’agit de mineurs, confrontés par ailleurs à un accès limité à la santé, aux services de base.

    Le travail des enfants et l’abandon scolaire font encore partie des réalités de l’enfance au Maroc, puisqu’on enregistre 400 000 à 500 000 élèves qui quittent l’école chaque année. Beaucoup d’entre eux se retrouvent à faire des métiers, les petites filles sont réduites à l’esclavage dans les maisons, des petits garçons travaillent dans les champs agricoles ou dans l’artisanat. Le mariage précoce et coutumier continue aussi à être pratiqué dans différentes régions de notre pays.

    Avez-vous touché concrètement le déphasage entre les pratiques et la législation en termes de protection de l’enfance ?

    Enormément. D’ailleurs, le texte sur les agressions sexuelles contre les enfants dans ce livre l’illustre d’une manière importante. Cette problématique démontre en effet des lacunes flagrantes au niveau des lois, mais également dans les pratiques et le degré de conscience sur cette question, à travers les absences de signalements, les interventions limitées…

    Au niveau législatif et institutionnel, il existe également une multitude d’intervenants en termes de protection de l’enfance : les ministères du Développement social, de la Justice, de l’Education, de la Santé, de la Jeunesse et sports, de l’Intérieur, de l’Emploi, sans oublier l’Entraide nationale qui gère plusieurs orphelinats, ainsi que les associations de la société civile.

    La responsabilité de la protection de l’enfance se perd donc entre différents intervenants et instances. Ceci rend sa gestion encore plus difficile, d’autant plus que nous n’avons pas une Politique publique intégrée pour la protection de l’enfance au Maroc mise en œuvre, malgré son adoption en juin 2015. Nous n’en voyons pas les effets sur le terrain, parce qu’elle n’est tout simplement pas encore lancée.

    La dernière action dans ce cadre remonte à décembre 2019, lorsque le ministère de tutelle a annoncé le lancement du dispositif territorial intégré de protection de l’enfance, mais rien de concret n’a suivi sur le terrain. Nous avons d’ailleurs beaucoup de programmes gouvernementaux censés servir la cause de l’enfant, mais sans complémentarité entre les différents mécanismes, sans synergie efficace entre les acteurs concernés.

    C’est la triste réalité de la protection de l’enfance aujourd’hui, qui reste surtout tributaire de bonnes volontés de quelques personnes : il n’existe pas de psychologues dans les écoles publiques, les assistantes sociales sont peu nombreuses et n’ont pas encore de statut, ce qui place l’enfant dans une précarité extrême et la responsabilité de l’Etat y est flagrante.

    En plus de la précarisation de l’enfant, il y a celle des acteurs eux-mêmes censés garantir leur protection...

    Nous avons une société civile qui fait un travail considérable pour que la situation de l’enfance soit moins catastrophique. Si ce livre a vu le jour, c’est d’ailleurs grâce à ces acteurs de terrain qui m’ont aidé à mieux comprendre ce qui se passe et à réaliser le travail que j’ai fait.

    Mais les acteurs sociaux n’ont pas de statut. Par exemple, l’activité des éducateurs et des éducatrices du préscolaire public n’est pas encadrée. Le secteur est géré par des associations, avec un personnel payé entre 800 et 1 000 DH par mois ou parfois non-rémunéré. Ces personnes sont marginalisées et vivent même dans des conditions misérables.

    Un effort a été fait au niveau des tribunaux, qui ont recruté des assistantes sociales, mais ces dernières sont submergées par le travail. Et pour les enfants victimes d’abus sexuels, la prise en charge n’inclut pas systématiquement un psychologue. Au niveau judiciaire pour les mineurs en conflit avec la loi, ces derniers sont souvent traités au même degré que les adultes, sans l’accompagnement nécessaire non plus.

    Globalement, l’absence de statuts fait que les intervenants en première ligne de la gestion de la protection de l’enfance sont eux-mêmes précarisés. Ils ne peuvent pas travailler dans les règles de l’art, surtout avec des procédés qui n’obéissent pas à une logique harmonisée entre les différents services.

    Ya...bi
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