La radicalisation de la répression et du pouvoir, l’armée, et la main de l’étranger.
Ce qui est inquiétant aujourd’hui, ce n’est pas seulement le raidissement sécuritaire et la brutalité de la répression. Ce qui est le plus inquiétant, c’est la perte du sens des réalités par le pouvoir, c’est sa perte de toute expertise et ingénierie politique. Y compris dans la répression. La répression n’est pas seulement implacable en s’étendant au-delà des activistes du Hirak et des journalistes à de simples facebookers sans réelle audience. Elle est paranoïaque et ne s’accompagne d’aucun simulacre d’ouverture y compris à l’égard de ceux qui ont fait des offres de service, tel Djilali Soufiane, qui n’ont reçu, en retour, aucun geste, même pas d’apaisement, pouvant les crédibiliser. L’épuration dans les médias publics s’étend y compris à ceux qui ne manifestent aucune hostilité à l’égard du pouvoir mais ont le défaut de ne pas le chanter avec zèle ou des émissions culturelles qui ont pour défaut de ne pas s’inscrire dans le monolithisme redondant. La dernière grande vague de mise au rebut de conseillers qui avaient pourtant répondu à l’appel des nouvelles autorités pour les servir et consolider leur pouvoir, illustre un raidissement et un repli sur les noyaux durs du pouvoir précédent. Il ne connait même plus les lignes rouges pour sa survie comme la tentation de mettre fin même au multipartisme de façade alors qu’il participe à sa régénération. Un raidissement qui met mal à l’aise et inquiète même certaines franges de sa clientèle qu’il veut contrôler de façon quasi-militaire comme l’obligation faite aux « personnalités nationales » (figures de proue du régime) de soumettre préalablement le contenu de leur allocution concernant le projet de constitution.
Cette radicalisation sécuritaire a été la seule option de l’armée aux premiers jours du Hirak. Il n’y a jamais eu la moindre velléité de dialogue de la part de l’armée pas même dans l’affichage. Elle a assigné le Hirak à un monologue tout en préparant les conditions à sa répression et en en créant, elle-même, les prétextes comme la soudaine criminalisation de l’emblème Amazigh. Elle a assigné le Hirak à un monologue sauf pour le sommer d’avaliser des solutions qui recyclaient exclusivement les anciennes clientèles du régime, jusqu’à l’intronisation forcée de Tebboune avec un taux d’abstention officiel (dont on sait à quel point il est loin de la réalité) qui indique qu’il n’a même pas obtenu les traditionnels votes en faveur de la stabilité du pays profond, rural.
Le pouvoir de Tebboune se présente ainsi sans masque comme un sous-produit du pouvoir de Bouteflika, sous- produit dans le sens de la filiation, sous-produit dans le sens de la dépréciation et sous-produit dans le sens d’une réduction à la seule dimension sécuritaire et à sa radicalisation. Mais surtout sous-produit dans le sens d’une perte même de la conscience pour soi, c’est-à-dire la conscience de ses intérêts et de la réalité dans laquelle inscrire ces intérêts. C’est au point qu’il a perdu la capacité de savoir et de pouvoir user de l’arme de la répression dans le sens de ses propres intérêts. C’est comme qui userait d’une arme trop lourde qu’il ne maitrise pas et qui finirait par la voir se retourner contre lui. Mais après un absurde carnage.
Comment ouvrir de ses propres mains, de l’intérieur, la porte à l’ingérence étrangère.
Mobiliser tous les moyens régaliens et symboliques de l’Etat algérien contre un simple journaliste, Khaled Drareni, aussi talentueux fut-il, aller jusqu’à user contre lui du plus fort du symbole et du pouvoir de l’Etat, celui de président, n’est pas seulement révoltant. C’est surtout sidérant. Et très inquiétant. Inquiétant pour ce qu’il dit de l’état d’esprit de l’Etat. Comment ne pas s’inquiéter en voyant la façon dont le Chef d’Etat en est arrivé à rabaisser sa fonction en poussant le ridicule et le désarroi jusqu’à improviser, dans la précipitation, son agenda pour le caler sur une chaine (M6) dont le très bas niveau d’audience la situe autour de 8% de téléspectateurs d’un pays étranger ? Cela dit qu’on ne prémunit pas son peuple contre l’influence étrangère en étouffant les libertés chez soi. Au contraire, on l’offre en pâture. Au lieu de laisser le débat se faire en Algérie, le pouvoir a contraint les Algériens à chercher leur propre vérité dans des yeux étrangers, n’importe lesquels, il a permis à ce que le tempo en soit donné de l’étranger et il y a participé lui-même. En fermant la porte au débat en Algérie, le pouvoir l’a ouvert toute grande à l’étranger. Lui qui n’arrête pas d’agiter l’épouvantail de la main étrangère, il a permis à une insignifiante petite chaine étrangère de devenir un acteur majeur du débat des Algériens sur leur devenir, il lui a permis de peser sur ce débat alors qu’elle est insignifiante dans son propre pays.
C’est cela la leçon de M6 : L’autoritarisme, c’est l’appel d’air par excellence à l’ingérence étrangère. L’autoritarisme, c’est la porte ouverte, de l’intérieur, par ceux chargés de la garder, à l’ingérence étrangère.
La grande et dangereuse solitude du noyau sécuritaire de l’armée
A l’intérieur et à l’international, le pouvoir a déjà payé un prix fort l’incarcération de Drareni. Et il est inquiétant, y compris pour lui-même, de le voir persister dans cet acharnement, par aveuglement, et même l’élargir. Cet aveuglement est la conséquence d’un péché originel : sa fragilité. Le pouvoir réprime à tout va parce qu’il n’a plus la capacité de négocier. Il n’a plus la capacité de négocier car il n’a rien sur quoi s’appuyer pour négocier. Il s’est rétracté sur un noyau sécuritaire réduit sans prolongement politique et civil.
L’armée a toujours constitué le cœur du pouvoir. Mais elle n’a jamais gouverné seule. Elle a gouverné voire délégué la gouvernance à des partenaires de fractions, même très minoritaires, de la société politique et civile. Mais aujourd’hui l’armée n’a plus les capacités de tisser de tels partenariats. Elle en a épuisé toutes les possibilités alors qu’elle-même est exsangue. Aucun des 5 candidats adoubés par l’armée n’avait l’étoffe d’un partenaire, même lesté d’allégeance. Tous avaient plutôt le profil du caporal et de l’exécutant docile. Aucun ministre n’a d’envergure politique et les ministères de souveraineté sont détenus par de simples hauts fonctionnaires. Détentrice du pouvoir, l’armée a maintenant pris tous les pouvoirs. Y compris exécutifs.
Jamais l’armée n’a été autant en première ligne face à la société. Mais une armée qui n’a jamais été autant déstabilisée et fragilisée et où les luttes internes, conséquence de son trop fort adossement aux luttes de clans et de son infiltration par la corruption et la criminalité internationales, l’ont vidée de beaucoup de ses compétences et favorisé la main- mise de noyaux sécuritaires sans mémoire ni expertise politique. Sans relai et interface crédibles dans la population, ils n’ont que leur culture policière et complotiste pour appréhender et « gérer » une société complexe. C’est ce qui explique cette débauche de répression. Ce repli de l’armée sur elle-même et sur son noyau sécuritaire est en train d’évoluer en fracture et conflictualité ouvertes avec la société. Mais aussi en régressions, en appauvrissement de l’expertise et en craquèlements au sein même de l’armée qui n’a toujours pas retrouvé une centralité alors qu’elle est affaiblie par les luttes de clans et l’emprise de la corruption qui lui ont fait perdre sa crédibilité et sa fiabilité sécuritaire.
C’est parce que l’armée s’est enfermée et a été enfermée dans le statut d’un corps à part, loin de la société, renfermé sur lui-même, ne respirant que son propre air renfermé, qu’elle est devenue vulnérable à la contamination de la corruption et de la criminalité internationale. Il faut quand même regarder le désastre en face. C’est, parmi ceux officiellement inculpés, plus de deux dizaines d’officiers ayant les grades les plus élevés, les patrons de secteurs stratégiques, patrons de régions militaires, patrons de la police, de la gendarmerie et des services de renseignements de l’armée. L’armée s’est engluée dans un vaste marécage de la corruption et de la criminalité internationale sans avoir par elle-même les capacités pour s’en défendre et sans qu’il puisse y avoir un quelconque recours possible des institutions ou de la société pour y mettre fin. Un système fermé sur lui-même et sur ses propres failles, inaccessible à toute autre intervention, étatique ou citoyenne.
Ce qui est inquiétant aujourd’hui, ce n’est pas seulement le raidissement sécuritaire et la brutalité de la répression. Ce qui est le plus inquiétant, c’est la perte du sens des réalités par le pouvoir, c’est sa perte de toute expertise et ingénierie politique. Y compris dans la répression. La répression n’est pas seulement implacable en s’étendant au-delà des activistes du Hirak et des journalistes à de simples facebookers sans réelle audience. Elle est paranoïaque et ne s’accompagne d’aucun simulacre d’ouverture y compris à l’égard de ceux qui ont fait des offres de service, tel Djilali Soufiane, qui n’ont reçu, en retour, aucun geste, même pas d’apaisement, pouvant les crédibiliser. L’épuration dans les médias publics s’étend y compris à ceux qui ne manifestent aucune hostilité à l’égard du pouvoir mais ont le défaut de ne pas le chanter avec zèle ou des émissions culturelles qui ont pour défaut de ne pas s’inscrire dans le monolithisme redondant. La dernière grande vague de mise au rebut de conseillers qui avaient pourtant répondu à l’appel des nouvelles autorités pour les servir et consolider leur pouvoir, illustre un raidissement et un repli sur les noyaux durs du pouvoir précédent. Il ne connait même plus les lignes rouges pour sa survie comme la tentation de mettre fin même au multipartisme de façade alors qu’il participe à sa régénération. Un raidissement qui met mal à l’aise et inquiète même certaines franges de sa clientèle qu’il veut contrôler de façon quasi-militaire comme l’obligation faite aux « personnalités nationales » (figures de proue du régime) de soumettre préalablement le contenu de leur allocution concernant le projet de constitution.
Cette radicalisation sécuritaire a été la seule option de l’armée aux premiers jours du Hirak. Il n’y a jamais eu la moindre velléité de dialogue de la part de l’armée pas même dans l’affichage. Elle a assigné le Hirak à un monologue tout en préparant les conditions à sa répression et en en créant, elle-même, les prétextes comme la soudaine criminalisation de l’emblème Amazigh. Elle a assigné le Hirak à un monologue sauf pour le sommer d’avaliser des solutions qui recyclaient exclusivement les anciennes clientèles du régime, jusqu’à l’intronisation forcée de Tebboune avec un taux d’abstention officiel (dont on sait à quel point il est loin de la réalité) qui indique qu’il n’a même pas obtenu les traditionnels votes en faveur de la stabilité du pays profond, rural.
Le pouvoir de Tebboune se présente ainsi sans masque comme un sous-produit du pouvoir de Bouteflika, sous- produit dans le sens de la filiation, sous-produit dans le sens de la dépréciation et sous-produit dans le sens d’une réduction à la seule dimension sécuritaire et à sa radicalisation. Mais surtout sous-produit dans le sens d’une perte même de la conscience pour soi, c’est-à-dire la conscience de ses intérêts et de la réalité dans laquelle inscrire ces intérêts. C’est au point qu’il a perdu la capacité de savoir et de pouvoir user de l’arme de la répression dans le sens de ses propres intérêts. C’est comme qui userait d’une arme trop lourde qu’il ne maitrise pas et qui finirait par la voir se retourner contre lui. Mais après un absurde carnage.
Comment ouvrir de ses propres mains, de l’intérieur, la porte à l’ingérence étrangère.
Mobiliser tous les moyens régaliens et symboliques de l’Etat algérien contre un simple journaliste, Khaled Drareni, aussi talentueux fut-il, aller jusqu’à user contre lui du plus fort du symbole et du pouvoir de l’Etat, celui de président, n’est pas seulement révoltant. C’est surtout sidérant. Et très inquiétant. Inquiétant pour ce qu’il dit de l’état d’esprit de l’Etat. Comment ne pas s’inquiéter en voyant la façon dont le Chef d’Etat en est arrivé à rabaisser sa fonction en poussant le ridicule et le désarroi jusqu’à improviser, dans la précipitation, son agenda pour le caler sur une chaine (M6) dont le très bas niveau d’audience la situe autour de 8% de téléspectateurs d’un pays étranger ? Cela dit qu’on ne prémunit pas son peuple contre l’influence étrangère en étouffant les libertés chez soi. Au contraire, on l’offre en pâture. Au lieu de laisser le débat se faire en Algérie, le pouvoir a contraint les Algériens à chercher leur propre vérité dans des yeux étrangers, n’importe lesquels, il a permis à ce que le tempo en soit donné de l’étranger et il y a participé lui-même. En fermant la porte au débat en Algérie, le pouvoir l’a ouvert toute grande à l’étranger. Lui qui n’arrête pas d’agiter l’épouvantail de la main étrangère, il a permis à une insignifiante petite chaine étrangère de devenir un acteur majeur du débat des Algériens sur leur devenir, il lui a permis de peser sur ce débat alors qu’elle est insignifiante dans son propre pays.
C’est cela la leçon de M6 : L’autoritarisme, c’est l’appel d’air par excellence à l’ingérence étrangère. L’autoritarisme, c’est la porte ouverte, de l’intérieur, par ceux chargés de la garder, à l’ingérence étrangère.
La grande et dangereuse solitude du noyau sécuritaire de l’armée
A l’intérieur et à l’international, le pouvoir a déjà payé un prix fort l’incarcération de Drareni. Et il est inquiétant, y compris pour lui-même, de le voir persister dans cet acharnement, par aveuglement, et même l’élargir. Cet aveuglement est la conséquence d’un péché originel : sa fragilité. Le pouvoir réprime à tout va parce qu’il n’a plus la capacité de négocier. Il n’a plus la capacité de négocier car il n’a rien sur quoi s’appuyer pour négocier. Il s’est rétracté sur un noyau sécuritaire réduit sans prolongement politique et civil.
L’armée a toujours constitué le cœur du pouvoir. Mais elle n’a jamais gouverné seule. Elle a gouverné voire délégué la gouvernance à des partenaires de fractions, même très minoritaires, de la société politique et civile. Mais aujourd’hui l’armée n’a plus les capacités de tisser de tels partenariats. Elle en a épuisé toutes les possibilités alors qu’elle-même est exsangue. Aucun des 5 candidats adoubés par l’armée n’avait l’étoffe d’un partenaire, même lesté d’allégeance. Tous avaient plutôt le profil du caporal et de l’exécutant docile. Aucun ministre n’a d’envergure politique et les ministères de souveraineté sont détenus par de simples hauts fonctionnaires. Détentrice du pouvoir, l’armée a maintenant pris tous les pouvoirs. Y compris exécutifs.
Jamais l’armée n’a été autant en première ligne face à la société. Mais une armée qui n’a jamais été autant déstabilisée et fragilisée et où les luttes internes, conséquence de son trop fort adossement aux luttes de clans et de son infiltration par la corruption et la criminalité internationales, l’ont vidée de beaucoup de ses compétences et favorisé la main- mise de noyaux sécuritaires sans mémoire ni expertise politique. Sans relai et interface crédibles dans la population, ils n’ont que leur culture policière et complotiste pour appréhender et « gérer » une société complexe. C’est ce qui explique cette débauche de répression. Ce repli de l’armée sur elle-même et sur son noyau sécuritaire est en train d’évoluer en fracture et conflictualité ouvertes avec la société. Mais aussi en régressions, en appauvrissement de l’expertise et en craquèlements au sein même de l’armée qui n’a toujours pas retrouvé une centralité alors qu’elle est affaiblie par les luttes de clans et l’emprise de la corruption qui lui ont fait perdre sa crédibilité et sa fiabilité sécuritaire.
C’est parce que l’armée s’est enfermée et a été enfermée dans le statut d’un corps à part, loin de la société, renfermé sur lui-même, ne respirant que son propre air renfermé, qu’elle est devenue vulnérable à la contamination de la corruption et de la criminalité internationale. Il faut quand même regarder le désastre en face. C’est, parmi ceux officiellement inculpés, plus de deux dizaines d’officiers ayant les grades les plus élevés, les patrons de secteurs stratégiques, patrons de régions militaires, patrons de la police, de la gendarmerie et des services de renseignements de l’armée. L’armée s’est engluée dans un vaste marécage de la corruption et de la criminalité internationale sans avoir par elle-même les capacités pour s’en défendre et sans qu’il puisse y avoir un quelconque recours possible des institutions ou de la société pour y mettre fin. Un système fermé sur lui-même et sur ses propres failles, inaccessible à toute autre intervention, étatique ou citoyenne.
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