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Louise Glück

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  • Louise Glück

    Bravo

    L’IRIS SAUVAGE

    Au bout de ma douleur
    il y avait une porte.

    Écoute-moi bien : ce que tu appelles la mort,
    je m’en souviens.

    En haut, des bruits, le bruissement des branches de pin.
    Puis plus rien. Le soleil pâle
    vacilla sur la surface sèche.

    C’est une chose terrible que de survivre
    comme conscience
    enterrée dans la terre sombre.

    Puis ce fut terminé : ce que tu crains, être
    une âme et incapable
    de parler prenant brutalement fin, la terre raide
    pliant un peu. Et ce que je crus être
    des oiseaux sautillant dans les petits arbustes.

    Toi qui ne te souviens pas
    du passage depuis l’autre monde
    je te dis que je pouvais de nouveau parler : tout ce qui
    revient de l’oubli revient
    pour trouver une voix :

    du centre de ma vie surgit
    une grande fontaine, ombres
    bleu foncé sur eau marine azurée.


    MATINES

    Je vois qu’il en va avec toi comme avec les bouleaux :
    je ne te parlerai pas
    personnellement. Beaucoup
    de choses se sont passées entre nous. Ou
    était-ce seulement
    de mon côté ? Je suis
    fautif, fautif, je t’ai demandé
    d’être humain – je ne suis pas plus demandeur
    d’affection que d’autres. Mais l’absence
    de tout sentiment, de la moindre
    préoccupation à mon égard – je pourrais aussi bien continuer
    de m’adresser aux bouleaux,
    comme dans une autre vie : laisse-les
    faire le pire, laisse-les
    m’enterrer avec les romantiques,
    leurs feuilles d’or acérées
    me recouvrant dans leur chute.


    CHANT

    Comme un cœur protégé,
    la fleur
    rouge sang
    de la rose sauvage commence
    à éclore à la branche la plus basse,
    soutenue par la masse
    nidifiée d’un gros buisson :
    elle fleurit sur l’ombre,
    toile de fond
    perpétuelle du cœur,
    alors que les fleurs
    plus en hauteur se sont flétries ou ont moisi ;
    pour survivre,
    l’adversité
    approfondit simplement
    sa couleur. Mais John
    n’est pas d’accord : il pense que
    si ce n’était pas un poème mais
    un vrai jardin, alors
    la rose rouge ne devrait
    pouvoir ressembler à
    rien d’autre, ni à
    une autre fleur, ni à
    un cœur ombragé dont
    le pouls bat, au niveau du sol,
    tantôt bordeaux, tantôt cramoisi.


    AMOUR AU CLAIR DE LUNE

    Parfois, un homme ou une femme impose son désespoir
    à une autre personne, ce qui s’appelle
    mettre son cœur à nu, ou alors mettre son âme à nu –
    ce qui pour l’instant signifie qu’ils ont reçu une âme –
    dehors, un soir d’été, un monde entier
    relégué sur la lune : des groupes de formes argentées
    pouvant bien être des bâtiments ou des arbres, le jardin étroit
    où le chat se cache, se roulant dans la poussière sur le dos,
    la rose, le coréopsis, et dans les ténèbres, le dôme doré du capitole
    converti en un alliage de clair de lune, forme
    dépourvue de détails, le mythe, l’archétype, l’âme
    pleine d’un feu, vrai clair de lune, tiré
    d’une autre source, et qui, brièvement
    luit comme luit la lune : pierre ou pas,
    la lune a encore tout d’un être vivant.



    LES HERBES FOLLES

    Quelque chose
    vient au monde sans y avoir été invité
    provoquant le désordre, le désordre –

    Si tu me hais tant,
    ne t’embête pas à me donner
    un nom : as-tu besoin
    d’une autre insulte
    dans ta langue, une autre
    façon de blâmer
    une tribu pour tout –

    comme nous le savons tous les deux,
    pour adorer
    un seul dieu, on a besoin
    d’un seul ennemi –

    Je ne suis pas l’ennemi.
    Seulement une ruse qui te permet de te détourner
    de ce que tu vois en train de se passer
    ici même, dans ce lit,
    petit paradigme
    de l’échec. Ici, presque chaque jour
    l’une de tes précieuses fleurs
    meurt et tu ne trouveras le repos
    qu’après avoir assailli la raison, en d’autres termes :
    tout ce qui reste, tout ce qui se sera
    avéré plus robuste
    que ta passion personnelle –

    Ce n’était pas supposé
    durer éternellement dans le monde réel.
    Mais pourquoi l’admettre alors que tu peux continuer
    à faire ce que tu as toujours fait,
    le deuil et les reproches,
    toujours les deux ensemble.

    Je n’ai pas besoin de tes louanges
    pour survivre. J’étais là en premier,
    avant toi, avant
    même que tu aies planté le jardin.
    Et je serai là, alors qu’il ne restera que le soleil, la lune,
    la mer et la grande prairie.

    Je serai la prairie.


    L’ÉCHELLE DE JACOB

    Piégé dans la terre,
    ne souhaiterais-tu pas, toi aussi, aller
    au paradis ? Je vis
    dans le jardin d’une dame. Pardonnez-moi, madame,
    si rêver m’a ravi. Je
    ne suis pas ce que vous vouliez. Mais
    tout comme hommes et femmes semblent
    se désirer les uns les autres, je désire moi aussi
    la connaissance du paradis – et maintenant
    ton chagrin, une tige nue
    élancée vers la fenêtre du porche.
    Et à la fin, quoi donc ? Une petite fleur bleue
    comme une étoile. Ne jamais
    quitter le monde ! N’est-ce pas
    ce que tes larmes signifient ?


    MATINES

    Quelle importance mon cœur a-t-il pour toi,
    que tu te sentes obligé de le briser encore et encore
    comme un jardinier testerait
    sa nouvelle espèce ? Entraîne-toi
    sur quelque chose d’autre : comment puis-je vivre
    en colonies, comme tu le souhaites, si tu m’imposes
    une quarantaine d’affliction, me séparant
    des membres vaillants de
    ma propre tribu : dans le jardin,
    tu ne peux écarter
    la rose malade ; laisse-la balancer ses
    feuilles aguicheuses et infestées au
    visage des autres, laisse les minuscules pucerons
    sauter de pied en pied, preuve une fois encore
    que je suis la plus vile de tes créatures, venant après
    le puceron prospère et la rose grimpante – mon Père,
    toi qui as fait ma solitude, soulage
    au moins ma culpabilité ; lève
    le stigmate de l’isolement, à moins
    qu’il ne soit dans ton projet de me rendre
    à nouveau et pour toujours sain, comme je l’étais,
    sain et achevé dans l’erreur de mon enfance,
    ou bien encore sous le poids léger
    du cœur de ma mère, ou bien encore
    en rêve, premier
    moi qui ne voudrais jamais mourir.


    LE COQUELICOT ROUGE

    Le grand avantage
    est de ne pas avoir
    d’esprit. Des sentiments ?
    Oh, ça, j’en ai ; ce sont eux
    qui me gouvernent. J’ai
    un seigneur au paradis
    appelé le soleil, et je m’ouvre
    à lui, lui montrant
    le feu de mon propre cœur, feu
    semblable à sa présence.
    Que pourrait être une telle gloire
    si ce n’est un cœur ? Oh, mes frères et sœurs,
    avez-vous un jour été comme moi, il y a longtemps,
    avant que vous ne soyez humains ? Vous êtes
    vous permis
    de vous ouvrir une fois seulement, vous qui ne
    vous ouvrirez jamais plus ? Car en vérité,
    je parle là
    de la même façon que vous. C’est parce que
    je suis détruit que
    je parle.


    MATINES

    Le soleil n’est pas le seul à briller, il y a aussi
    la terre, feu opalin
    gravissant les majestueuses montagnes
    et la route plane
    étincelant au petit matin : cela est-il exclusivement
    à notre intention, afin de provoquer
    une réponse, ou es-tu toi aussi
    perturbé, incapable
    de te contrôler
    en présence de la terre – j’ai honte
    à l’idée d’avoir pensé que tu étais
    loin de nous, que tu nous considérais
    comme une expérience : c’est
    une chose terrible et triste que d’être
    l’animal superflu,
    une chose terrible. Mon cher ami,
    cher compagnon inquiet, qu’est-ce qui
    te surprend le plus dans tes sentiments,
    la magnificence de la terre ou ton ravissement ?
    Pour toujours et pour moi,
    le plaisir et l’étonnement.


    CIEL ET TERRE

    Là où l’un s’arrête, l’autre commence.
    Au-dessus, une bande de bleu, en dessous,
    une bande de vert et d’or, de vert et de rose profond.

    John se tient au bord de l’horizon : il veut
    les deux à la fois, il veut
    tout à la fois.
    Les extrêmes, c’est facile. Il n’y a
    que le milieu qui soit un problème. Le milieu de l’été –
    tout est possible.

    En d’autres termes : jamais plus la vie n’aura de fin.

    Comment puis-je laisser mon mari
    planté là, dans le jardin,
    à rêver ce genre de choses, tenant
    victorieusement son râteau et
    s’apprêtant à annoncer cette découverte

    alors que le feu du soleil estival
    s’obstine à rester au point mort,
    entièrement contenu par
    les érables en feu
    au bord du jardin.


    AU SEUIL DE LA PORTE

    Je voulais rester comme j’étais,
    immobile, comme le monde ne l’est jamais,
    pas au cœur de l’été mais l’instant précédant
    l’éclosion de la première fleur, l’instant
    où rien ne s’est encore passé –
    non pas au cœur de l’été, le stupéfiant,
    mais au printemps tardif, l’herbe pas encore
    haute au bord du jardin, les tulipes
    pas encore tout à fait écloses –

    comme un enfant hésitant au seuil de la porte, observant les autres,
    ceux qui partent les premiers,
    amas de membres roides, à l’affût de
    l’échec des autres, à l’affût des hésitations publiques,

    doué de l’implacable assurance des enfants avant l’attaque imminente,
    s’apprêtant à vaincre
    ces faiblesses, à ne succomber
    à rien, l’instant juste

    avant la floraison, l’ère de la maîtrise

    avant l’apparition du don,
    avant la possession.


    (Louise Glück, The Wild Iris. New York : Ecco Press, 1992)
    source :https://www.cairn.info/revue-poesie-...age-46.htm#pa8
    Dernière modification par Aloha, 08 octobre 2020, 17h11.

  • #2
    Merci aloha .
    Bravo à ce prix nobel de littérature
    La patience n'a l'air de rien, c'est tout de même une énergie.

    Commentaire


    • #3
      Joyna



      content de te croiser aussi

      tu as vu !

      bellissime n'est ce pas ?



      "...du centre de ma vie surgit
      une grande fontaine, ombres
      bleu foncé sur eau marine azurée..."

      Commentaire

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