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De Fanon à... Fanon

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  • De Fanon à... Fanon

    Une rencontre, un prétexte dans un décor royal, dans un espace privé loin de toute institution récupératrice à la mesure de l'évènement.

    A la mesure de «NORA» perdue dans ses quatre lettres à la recherche d'un Oran des poètes de la Hogra. Avril pleut inhabituellement sur Fanon ressuscité par Avempace pour tenter une refondation de la pensée. Avempace institution. Deux exils, une seule voix, une seule voie. L'exil s'acharne à n'habiter que la parole pure, celle qui sait faire voyager même en silence et qui revient à chaque fois qu'elle est sollicitée. Celle de la douleur aussi.

    Peut-on parler Fanon sans pleurer? Sans pleurer l'Algérie? Ambivalence, installes-toi et attends, le jour de gloire est encore loin. Son chemin est pourtant tellement court qu'on hésite à y croire, à le voir. Sortir Frantz Fanon de ses oeuvres et l'interroger par procuration légitime de ceux qui l'ont connu, approché, sans douter un seul instant de son combat, de sa force à provoquer la question, la seule question que chaque enfant de l'Algérie devrait lui poser, juste pour déranger sa pensée refoulée à Alger, comme à Paris. «Frère Fanon sommes-nous condamnés à demeurer ces éternels sous-développés?». Pas de réponse. Ou bien si. Quelques balbutiements du fond de sa tombe «je ne sais pas pourquoi ton masque ne ressemble pas à ta peau? Pourquoi tu défies la blancheur alors qu'elle se trouve en toi. Enfouie dans tes dires, parce que tu acceptes ton mutisme. Inutile combat, ta guerre est ailleurs mais tu ne peux la faire car tes armes sont rouillées. Commences d'abord par comprendre pourquoi le ciel est bleu en interrogeant la Science, pourquoi tu es si fatigué en interrogeant l'Histoire. Toute l'Histoire». Toute l'Histoire et l'avenir aussi. Ce que serait devenu Fanon s'il n'était pas mort à la fleur de l'âge avant même de connaître l'issue de son combat pour l'indépendance de l'Algérie?

    Un compagnon de Ché Guevara nous dit à demi-mot et presque instantanément Hamit Bozarslan, pendant que Claudine Chaulet écrase une larme rouge-sang tombée à terre, de son regard interrogateur. Elle conserve la beauté des anciens en faisant semblant de tourner les pages qui collent à ses doigts pour la contraindre à dire plus qu'elle ne sait. De les dire jusqu'aux bouts des ongles. Pourquoi El Ché ? Peut-être parce que les médecins savent dépasser la connaissance de nos corps mortels pour se propulser dans l'action, lorsque l'intelligence les contamine, enfin. Harbi reprend son sourire d'adolescent mais souffle une autre question pour mettre à l'abri les quelques fragments des bousculades semées entre la naissance du PPA et la mort du FLN.

    Ces fragments qu'il a durement recollés pour faire en sorte que les anciens et les futurs anciens, aient quelque chose à raconter à une génération perdue entre le cauchemar du kamikaze et celui de mourir en pleine mer. Puis il se tait comme seul un adulte sait le faire, parce qu'il sait. De l'index droit, il montre un chemin invisible tellement il l'a emprunté.

    Il sait combien la guerre essouffle les guerriers. Et qu'au moment du repos d'autres guerres restent à gagner. Fanon interroge et interroge encore dès qu'un début de réponse paraît pointer à l'horizon, sans attendre de réponses.

    Il interroge tout autant la guerre coloniale que les troubles mentaux qui lui succèdent, l'aliénation mentale, la torture. Sans arrêt. Il interroge le pacificateur et le pacifié, le maître et l'esclave. Ce que l'«identité nationale» nous prépare comme violence. Interroge l'essence de la violence et laisse à Ouadah la lecture provocatrice du «psychisme et de son aliénation» dans une société où le débat paraît à peine commencer. Un débat sur le sens de la vie, à l'ombre des indépendances confisquées. Le sens de l'Etat paysan et du rôle de l'intelligentsia.

    Alice Cherki lance un clin d'oeil à Touati en guise de témoignage de ce 18 avril 2007, puis répond lentement, pesant chaque mot et le plaçant dans la phrase qu'il faut en toute modestie, en toute humilité propre à ceux qui n'attendent aucune récompense du devoir accompli; à ceux qui savent dire «je ne sais pas moi... ». Parce qu'ils savent réellement.

    Alice sait faire le «lien entre l'aliénation individuelle et l'aliénation collective». Cette aliénation vécue comme une damnation qui nous poursuit depuis l'aube de notre terre. Pourtant, Fanon n'est pas qu'une monumentalisation tout juste bonne à y déposer une couronne de fleurs par quelques hâbleurs de passage dans notre Histoire et qui oublient jusqu'au nom de celui qui a servi de prétexte par routine politicienne. La routine politicienne exigerait aussi que l'on aille chercher chez cet enfant de Martinique les raisons qui l'ont poussé à rejoindre un peuple en lutte pour son indépendance et à mettre à sa disposition les questions utiles à sa meilleure connaissance, à la meilleure connaissance de ses ennemis, pour ne pas se tromper de cible. La routine politique ne consiste pas à réduire un peuple et son intelligentsia à de simples êtres indépendants, mais à se débarrasser de l'obsession morbide de reproduire les causes pour lesquelles ce peuple et son intelligentsia ont porté les armes. Pour qu'ils n'aient plus à porter les armes contre eux-mêmes.

    Pour couronner l'intelligentsia de son vivant déjà et maintenir le lien qu'elle tisse pour la poursuite de l'oeuvre, après sa mort. Pour qu'une société ne soit plus compartimentée comme une étable, ou une écurie. Edward Saïd nous dit de Fanon: «si j'ai tant cité Fanon, c'est parce qu'il exprime en termes plus tranchés et décisifs que tout autre, un immense basculement culturel, du terrain de l'indépendance nationale au champ théorique de la libération. (...) Fanon est inintelligible si l'on ne voit pas que son oeuvre est une réaction à des constructions théoriques produites par la culture du capitalisme occidental tardif, reçue par l'intellectuel indigène du tiers monde comme une culture d'oppression et d'asservissement colonial». Edward Saïd a lu Fanon et en a retenu la leçon du veilleur de nuit: ne jamais dormir tant que le danger peut nous surprendre en plein sommeil. Comment peut-on nous expliquer que ceux qui ont connu l'auteur des «Damnés de la terre» pour avoir été soignés par lui ou pour l'avoir aidé à dactylographier son oeuvre, puissent s'écarter de sa pensée en ne point lui permettre d'intégrer les espaces stratégiques de la politique, de la réflexion? Ils sont pourtant aux commandes du pays mais ratent l'occasion pour se réconcilier avec la démarche du penseur. Parce qu'elle est vraie et que la vérité aujourd'hui ne sort plus de la bouche de ceux qui savent.

    Ceux-là ont fini par se taire pendant qu'un autre bruit vient des rues nauséabondes, livrées à la violence et à la perversion, loin des palais lézardés qui servent de temples à de nouveaux pharaons. Successifs? Successifs! Qu'est-ce que la guerre d'indépendance? D'abord qu'est-ce que l'indépendance? Apprenons à poser les questions dans l'ordre qui nous permet d'aller relire Fanon ou de revenir vers ce qu'il nous a transmis pour éviter une aliénation collective. Juste pour commencer. Les choses viendront d'elles-mêmes. Revenons ensuite à la «troisième voie», la seule qui pourra peut-être nous sauver à l'heure de la globalisation et du «tout américain».

    Par Le Quotidien d'Oran
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