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Saddam Hussein enterré à la va-vite

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  • Saddam Hussein enterré à la va-vite

    "Poussez-vous !" Un cheikh écarte les dizaines de mains qui agrippent le linceul, manquant de déséquilibrer le cadavre porté à travers la pièce. Au milieu des draps blancs, émerge le visage de Saddam Hussein, tuméfié après avoir heurté, deux heures plus tôt, la trappe qui s'était ouverte sous le gibet. L'ancien maître de l'Irak est mort pendu.
    Alors qu'à 180 kilomètres de là, les quartiers chiites de Bagdad célèbrent la nouvelle à coups de rafales de kalachnikov, le village d'Aouja, en lisière de Tikrit, récupère la dépouille de son fils le plus célèbre. "Poussez-vous tous !", répète le cheikh, "laissez-le filmer". Puis, fixant l'objectif : "Toi, filme ! Filme-le bien, fais de belles images !" Après la vidéo pirate de la pendaison, qui avait révélé qu'un garde masqué avait invectivé le condamné à mort en scandant le nom de l'imam chiite Moqtada Al-Sadr, ce film amateur, dont Le Monde a obtenu une copie et qui est ces derniers jours visible sur Internet, vient compléter l'ultime épisode de la saga Saddam Hussein, de la potence au tombeau familial, à l'aube du 30 décembre 2006.

    Devant la caméra, les hommes continuent à se bousculer pour toucher et embrasser le front du défunt. "Vite ! vite !", entend-on à l'arrière-plan. "Dieu et ses anges se penchent sur le Prophète, énonce le cheikh. Croyants, penchez-vous sur lui et saluez-le de vos salutations." Les hommes se sont alignés en silence. Avant, la vidéo a montré l'arrivée du corps dans un cercueil à l'arrière d'un pick-up blanc, qui paraît clignoter sous la lumière du gyrophare d'une voiture de police.

    Dans ce fief sunnite, où les habitants ont la réputation d'abuser de la gâchette pour exprimer leurs joies comme leurs peines, pas un coup de feu n'a été tiré ce matin-là. "L'ordre avait été donné de procéder le plus rapidement possible, sans faire de problème. Les soldats américains sont restés à l'écart, mais ils n'étaient pas loin", explique un Tikriti joint au téléphone et qui a assisté à la scène. Sur un fond sonore de cris et de lamentations, les images montrent en effet le désordre et l'improvisation. Sur le parking, une centaine d'hommes, visages souvent dissimulés dans un keffieh en signe de deuil, empoignent le cercueil, l'ouvrent, saisissent le corps et le transportent à bout de bras jusqu'à l'intérieur du hall de cérémonie.

    GRANDE SALLE GRISE


    Construit dans le centre d'Aouja par Saddam Hussein, du temps de sa toute-puissance, pour les visites de condoléances à sa famille, le bâtiment n'était pas destiné à devenir un tombeau. C'est pourtant au milieu de cette grande salle grise, seulement garnie de chaises et de sofas, qu'un trou a été creusé. Quand la peine de mort avait été prononcée, Rhagad, la fille aînée de l'ancien raïs exilée en Jordanie, avait exprimé le souhait d'organiser les funérailles en dehors de l'Irak, au Yémen. Le président Ali Abdallah Saleh devait à son père un soutien armé décisif dans la guerre civile yéménite de 1994. Mais après le 11 septembre 2001, Sanaa est également devenu un allié américain dans la guerre antiterroriste. A l'annonce de la mort de Saddam Hussein, un de ses avocats avait ensuite déclaré que l'enterrement aurait lieu à Ramadi, "capitale" de l'insurrection sunnite en Irak.

    Rien de flamboyant. Dans le hall d'Aouja, la cérémonie se déroule à la hâte sous l'oeil froid de la caméra. Dans la cohue générale, le corps glisse des mains des porteurs et tombe lourdement dans le caveau improvisé. Des pierres, de la terre jetée, un drapeau irakien. Pas de discours. C'est plus tard, en plein jour, dans les rues de Tikrit résonnant, maintenant, des coups de fusil rituels, que des habitants clameront, le poing brandi devant d'autres caméras : "Dieu est plus grand que tous les espions américains et iraniens. Nous vengerons la mort de Saddam Hussein, père des moudjahidins."

    Pour l'heure, même les prières sont courtes. Avant les dernières récitations du cheikh, quelqu'un a crié : "S'il te plaît, dis qu'il est notre héros mort en martyr." "Dans cette terre bénie, termine le cheikh, nous déposons cet homme courageux, le défunt martyr héroïque Saddam Hussein Al-Majid. En attendant que nous le transportions dans un autre endroit, garde le précieusement..."

    Avant la guerre, les Tikritis pensaient que la dépouille présidentielle finirait près de celle de sa mère, Sabha Al-Tulfah, dans le mausolée qui domine le cimetière d'Aouja. Non loin de là, ont ensuite été enterrés ses deux fils, Oudaï et Qoussaï, ainsi que son petit-fils Moustafa, tous trois tués à Mossoul dans un assaut américain, le 22 juillet 2003. Le gardien des lieux, un certain Felah Chemari, rencontré à l'époque, avait observé avec scepticisme le mouvement des forces américaines embusquées tout autour. "Ils espèrent que Saddam aura la bêtise de venir se recueillir sur leurs tombes, disait-il, ils le connaissent mal." C'est dans un autre trou, dissimulé en bordure du village, que le fugitif a finalement été capturé, le 13 décembre de la même année.

    EFFARANT "MUSÉE"

    Dans le hall, la déchéance du héros local est presque totale. Le portrait du défunt accroché au mur est dénué d'atours présidentiels ou militaires. Les habitants se sont réapproprié le personnage de façon plus personnelle : il pose avec la longue coiffe blanche ceinte de noir qu'arborent traditionnellement ici les chefs de tribus. En attendant l'hypothétique réalisation du voeu émis par le cheikh - le transfert du corps -, c'est toute la famille qui a peu à peu été rapatriée dans le jardin derrière le hall, en une sorte de "musée" effarant de la violence qui caractérisa le pouvoir et la chute du clan.

    Barzan Al-Tikriti, ancien chef des renseignements, reconnu coupable, comme son beau-frère Saddam Hussein, d'avoir exécuté 148 chiites du village de Doujaïl en 1982, condamné à être pendu mais qui fut, en fait, décapité par la corde, le 15 janvier 2007. Le cousin Taha Yassine Ramadan, ex-vice-président, exécuté par pendaison le 20 mars. Vers la même date fut rapatriée la dépouille d'Oudaï, fils aîné de Saddam Hussein, dont la brutalité reste ancrée dans les mémoires irakiennes, ainsi que celle du cadet, Qoussaï. Egalement reconnu coupable dans le procès de Doujaïl, Awad Al-Bandar, extérieur à la famille mais qui en avait émis le souhait avant sa pendaison, fut inhumé dans le jardin. Le corps du cousin Kheirallah Al-Tulfah, puissant ministre de la défense et dangereux rival du raïs quand il périt, en 1989, dans un crash aérien jamais élucidé, a récemment été déterré pour rejoindre le reste du clan. Reste Ali Hassan Al-Majid, plus connu sous le nom d'"Ali le Chimique", qui est actuellement jugé pour génocide contre les Kurdes.

    D'autres morts ont refait surface, de façon inattendue. Selon une rumeur délirante, la famille des deux gendres de Saddam Hussein, assassinés à leur retour à Bagdad en 1996 après une courte défection en Jordanie, aurait réussi à se venger en dérobant la dépouille de l'ancien tyran pour la donner en pâture à des chiens. La rumeur persistant, le vice-gouverneur de la province, Abdallah Hassan Jebara, a vigoureusement démenti, le 19 avril, sur la chaîne de télévision Al-Arabiya. Un proche du clan Saddam a ajouté que cette vengeance était impossible, vu que "toute la famille (des gendres) était décédée".

    Par Le Monde
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