Par Lyas Hallas, 22 octobre 2020. Twala.info
Le FMI alerte sur le risque de faillite qu’encourt des banques en Algérie deux semaines après les visites du commandant de l’AFRICOM et du secrétaire américain à la défense Mark Epser. Y aurait-il une quelconque corrélation entre ces faits ?
Abderrahmane Hadj Nacer. On peut rajouter d’autres corrélations. La campagne de presse sur la mort du Hirak par exemple, laquelle se déroule en même temps à Paris et à Alger mais, qui n’est pas gérée de la même façon à New York. Pendant que le New York Times dit qu’il y a « deux Algéries », la presse française et francophone dit qu’il n’y a plus de Hirak. Le fait qu’il y ait deux américains qui sont venus à Alger et non pas un est le signe que la notion d’unicité ou d’alignement est aujourd’hui caduque. Les Etats-Unis sont aujourd’hui subdivisés en moult tendances. Nous le voyons à travers leurs élections.
Et donc, si nous voulons comprendre pourquoi avions-nous reçu deux responsables Américains presque en même temps, il faut dire que ce n’était pas forcément les mêmes logiques en œuvre. Il en va de même aujourd’hui, quel que soit le pays auquel nous devons faire face, il n’y a plus de convergence et les états profonds sont éclatés.
Je tiens à rappeler pour l’histoire que le président Obama avait créé une commission composée de huit personnes pour essayer de réunifier l’Etat profond américain. Non seulement il n’y a pas réussi, mais, nous avons aujourd’hui une quasi-guerre civile à l’intérieur des Etats-Unis qui se répercute en quasi-guerres civiles à l’échelle mondiale.
Or, l’Algérie est un pays très impliqué dans les différents mouvements tectoniques. C’est un véritable laboratoire. Nous aurions remarqué qu’au cours de l’Histoire, nous n’avons pas été en phase avec nos voisins mais, plutôt avec les grands mouvements de l’histoire. Ce qui s’était passé en Algérie, que ce soit lors de l’occupation française ou de la libération du pays, ne ressemble pas à ce qui s’était passé par ailleurs. C’est très important de le rappeler parce que c’est aussi le cas aujourd’hui.
Qu’est-ce qui fait cette particularité de l’Algérie ?
D’abord, nous étions colonisés parce que nous étions très riches. Il faut rappeler que nous étions en paix totale avec la France et nous étions liées à elle par de puissants accords depuis François 1er en vertu desquels nous l’aidions contre ceux qui l’ont toujours manipulée à savoir, les Anglais. La France, exsangue après sa révolution, savait par le biais de ses espions que l’Algérie était riche parce qu’elle l’approvisionnait en blé et lui prêtait de l’argent. Mais, elle avait aussi remarqué que c’est un pays très vaste, très peu peuplé, et dont la direction avait pris l’habitude de la rente au lieu de développer sa capacité de projection militaire et d’anticipation stratégique.
Ainsi, il était très facile de corrompre le Khaznadji (trésorier, ndlr) et il était très facile de comprendre comment fonctionnait la régence d’Alger. Ses espions ont remarqué que le Dey était devenu un potentat oriental et n’était plus le chef de la taifa des Raïs (corporation des corsaires, ndlr), et que par ailleurs il avait confié la défense de la ville d’Alger à un parent à lui qui était un pleutre et un incompétent.
Elle avait également compris qu’elle pouvait s’acheter et s’attacher certaines catégories comme le Makhzen. Et, c’est ce qu’elle fît, en ayant recours à l’humiliation, à la violence génocidaire et à l’effacement de la mémoire longue.
Quand ils ont conquis l’Algérie, les Français ont d’ailleurs organisé toute une mise en scène de l’humiliation. Ils ont tenu à ce qu’elle soit spectaculaire. C’était un 5 juillet et vous remarquerez que nous commémorons chaque année cette date alors que l’indépendance du pays date du 3 juillet. En réalité, ils nous ont imposé et nous avons accepté, pour des raisons que je n’ai jamais pu déterminer, de fêter chaque année l’humiliation publique de l’Algérie.
Le problème du Hirak est qu’il est dans le sens de l’Histoire alors que les dirigeants locaux et mondiaux sont pour la plupart à contre-sens.
Pour revenir à votre question, ce qui n’était pas en phase avec les autres est le fait que l’Algérie conquise par les Français était un pays assez structuré, éduqué et gérant positivement ses diversités cultuelles et culturelles qui n’a pas été colonisé par les Turcs lesquels se contentaient de prélever l’impôt au titre du califat comme lorsque les rois de France payaient l’écot au pape. C’est la raison pour laquelle ils sont intervenus avec une violence ultime parce que pour vaincre un pays, le plus important est d’ôter la mémoire de son peuple. Quand un peuple n’a plus de mémoire, il devient sujet à toutes les expérimentations.
Nous nous en sommes sortis grâce à notre résilience et à l’intelligence collégiale en évitant le makhzen résiduel et le zaimisme.
Qu’est-ce qui aurait poussé alors au soulèvement populaire du 22 février 2019 ?
Les juifs d’Algérie comprennent mieux l’Algérie que beaucoup d’analystes de salon ou de télé. Je cite Jacques Attali, Julien Dray et Benjamin Stora qui ont dit que ce qui se passe en Algérie n’est pas à comparer avec le printemps arabe et ont dit que l’Algérie est un peuple qui fait « corps » et qui fait « nation ». Ce sont des attributs qu’on ne peut coller qu’à quelques rares pays dans le monde.
Si nous nous comparons à nos voisins, ils étaient sous protectorat alors que nous étions sous une colonisation violente. Le génocide était une pratique courante de la soldatesque française en Algérie.
Or, le Maroc, c’était seulement 35 ans de protectorat plutôt soft. Cela ne veut pas dire que les colons français n’avaient pas commis des exactions dans ce pays, mais, c’est un protectorat qui se voulait le contraire de ce qu’était la colonisation en Algérie. Il y a eu des violences en Syrie, mais pas avec la même intensité ni la même durée.
La seule influence de longue durée que nous constatons au Moyen-Orient était l’investissement opéré par les Britanniques depuis le 17e siècle dans le désert mythique pour le contrôle de l’islam et ont parié sur le wahhabisme et la famille des Saoud avant la naissance de l’alliance officielle de ces deux forces et qui n’ont pu mettre le shérif turc dehors qu’après la manipulation symbolisée par Laurence d’Arabie et la première guerre mondiale. C’est pourquoi je dis que nous ne sommes pas dans le même temps de l’Histoire.
Mais, notre peuple conscient de son histoire subit aussi le wahhabisme…
Ce n’est pas parce que nous avions subi le wahhabisme qu’il n’y a pas eu conscience de soi et de l’impasse historique des choix opérés après la guerre de libération. Vous remarquerez que depuis que le Hirak s’est mis à se mouvoir, il n’y a jamais eu d’erreurs dans ses références historiques. Avez-vous remarqué qu’il avait cité Larbi Ben M’Hidi, Ali La Pointe et avait même entonné les chants patriotiques du PPA, de l’Etoile nord-africaine, mais, n’a jamais évoqué quiconque dont il doute de sa fidélité à la patrie.
Comment se fait-il que des jeunes de 25 ans continuent à se remémorer des chants de leurs grands-parents ? Cette sensibilité historique chez le Hirak pourrait-elle s’expliquer par la manipulation ? Je trouve amusant les conclusions de ceux qui disent que le Hirak est une préfabrication des services de renseignement. Mais, les services de quel pays ?
Si le hirak reste une nécessité pour combler l’absence d’arbitrage et d’anticipation, il est logique que les services de renseignement surfent sur un tel mouvement. C’est dans la nature des manipulateurs que de manipuler. Il ne faut pas avoir d’états d’âme en la matière.
Mais, ce n’est pas parce qu’il n’était pas spontané que le Hirak n’a pas démontré son autonomie dès les premiers jours. Au contraire, il a prouvé une intelligence intrinsèque très supérieure à la spontanéité et à toute manipulation. Il s’était auto-construit avec une intelligence telle qu’il s’était interdit toute représentation et toute proposition de programme quel qu’il soit.
Pourquoi ? Parce qu’il y a cette intuition très forte à travers ce slogan scandé systématiquement « Djeich Chaab Khawa Khawa » que l’armée était la colonne vertébrale de l’Etat algérien, qu’il ne faut pas trop la brusquer, qu’il faut lui laisser le temps de se réformer, d’aller à sa vitesse à elle, pour qu’elle propose quelque chose à la population et pour qu’enfin la légitimité populaire proposée par le Hirak rencontre le besoin de légitimité exprimé par l’armée.
Le pouvoir en place fait la promotion d’une nouvelle Constitution qui sera soumise au référendum le 1er novembre prochain. Bien qu’elle n’apporte techniquement rien d’extraordinaire, elle conditionne l’intervention de l’armée par une autorisation du Parlement. Est-il un garde-fou suffisant pour la protéger contre d’éventuelles pressions externes ou des décisions hasardeuses d’élites politiques aventurières ou soumises à des forces externes ?
Ce qui m’a frappé dans cette Constitution, c’est qu’elle vise à remplacer la charte de novembre 1954. Quand vous faites une publicité pour dire « novembre 1954 la Révolution/novembre 2020 le changement », cela veut dire que vous comptez faire oublier novembre 1954. Mais, le peuple n’oublie pas. C’est impossible d’oublier ! « li yahsseb wahdou ychitlou (celui qui compte tout seul dégage des surplus, ndlr) ». Quelle que ce soit la violence que subirait le peuple, il ne se trompera pas, il ne se trompera jamais par essence.
Deux choses. D’abord, une bonne Constitution, ce n’est que l’énoncé de principes fondamentaux et d’une vision de l’avenir, comme la charte de 1954 d’ailleurs. Une constitution compliquée est faite pour ne pas être mise en œuvre. Et, sur la base de ces deux principes, moi, personnellement, en tant que citoyen algérien, je suis gêné.
Ensuite, l’armée algérienne n’a jamais été interdite de sortie du territoire algérien. Il n’y a pas d’ISTN contre l’armée algérienne. Sinon, nous n’avons jamais eu un vrai Parlement. Je dirais même que les parlementaires de l’époque du parti unique avaient beaucoup plus de qualités techniques que ceux d’aujourd’hui.
La vraie question soumise par-là est de savoir pourquoi a-t-on organisé ce tapage ou cette pression sur l’armée. L’armée n’a pas demandé à être exposée de la sorte.
L’armée, c’est la photographie du peuple algérien. Nous avons de la chance de ne pas avoir une armée de caste. Il faut l’analyser à la lumière d’autres armées. Les armées égyptienne, marocaine et notamment française par exemple, sont des armées de castes. Ce ne sont pas des armées issues de la nation dans sa diversité. Et quand je dis armée, j’entends dire du plus petit soldat jusqu’au plus grand des maréchaux.
Chez nous, même les plus hauts gradés sont d’essence populaire. Que certains d’entre eux se soient enrichis illicitement, c’est une donnée statistique non représentative de l’ADN de l’armée. Ce qu’il faut retenir est qu’il y a une espèce de parthénogenèse entre les besoins du peuple, la façon dont il les exprime et la compréhension automatique que s’en font les éléments de l’armée qui font tout simplement partie du peuple.
Le FMI alerte sur le risque de faillite qu’encourt des banques en Algérie deux semaines après les visites du commandant de l’AFRICOM et du secrétaire américain à la défense Mark Epser. Y aurait-il une quelconque corrélation entre ces faits ?
Abderrahmane Hadj Nacer. On peut rajouter d’autres corrélations. La campagne de presse sur la mort du Hirak par exemple, laquelle se déroule en même temps à Paris et à Alger mais, qui n’est pas gérée de la même façon à New York. Pendant que le New York Times dit qu’il y a « deux Algéries », la presse française et francophone dit qu’il n’y a plus de Hirak. Le fait qu’il y ait deux américains qui sont venus à Alger et non pas un est le signe que la notion d’unicité ou d’alignement est aujourd’hui caduque. Les Etats-Unis sont aujourd’hui subdivisés en moult tendances. Nous le voyons à travers leurs élections.
Et donc, si nous voulons comprendre pourquoi avions-nous reçu deux responsables Américains presque en même temps, il faut dire que ce n’était pas forcément les mêmes logiques en œuvre. Il en va de même aujourd’hui, quel que soit le pays auquel nous devons faire face, il n’y a plus de convergence et les états profonds sont éclatés.
Je tiens à rappeler pour l’histoire que le président Obama avait créé une commission composée de huit personnes pour essayer de réunifier l’Etat profond américain. Non seulement il n’y a pas réussi, mais, nous avons aujourd’hui une quasi-guerre civile à l’intérieur des Etats-Unis qui se répercute en quasi-guerres civiles à l’échelle mondiale.
Or, l’Algérie est un pays très impliqué dans les différents mouvements tectoniques. C’est un véritable laboratoire. Nous aurions remarqué qu’au cours de l’Histoire, nous n’avons pas été en phase avec nos voisins mais, plutôt avec les grands mouvements de l’histoire. Ce qui s’était passé en Algérie, que ce soit lors de l’occupation française ou de la libération du pays, ne ressemble pas à ce qui s’était passé par ailleurs. C’est très important de le rappeler parce que c’est aussi le cas aujourd’hui.
Qu’est-ce qui fait cette particularité de l’Algérie ?
D’abord, nous étions colonisés parce que nous étions très riches. Il faut rappeler que nous étions en paix totale avec la France et nous étions liées à elle par de puissants accords depuis François 1er en vertu desquels nous l’aidions contre ceux qui l’ont toujours manipulée à savoir, les Anglais. La France, exsangue après sa révolution, savait par le biais de ses espions que l’Algérie était riche parce qu’elle l’approvisionnait en blé et lui prêtait de l’argent. Mais, elle avait aussi remarqué que c’est un pays très vaste, très peu peuplé, et dont la direction avait pris l’habitude de la rente au lieu de développer sa capacité de projection militaire et d’anticipation stratégique.
Ainsi, il était très facile de corrompre le Khaznadji (trésorier, ndlr) et il était très facile de comprendre comment fonctionnait la régence d’Alger. Ses espions ont remarqué que le Dey était devenu un potentat oriental et n’était plus le chef de la taifa des Raïs (corporation des corsaires, ndlr), et que par ailleurs il avait confié la défense de la ville d’Alger à un parent à lui qui était un pleutre et un incompétent.
Elle avait également compris qu’elle pouvait s’acheter et s’attacher certaines catégories comme le Makhzen. Et, c’est ce qu’elle fît, en ayant recours à l’humiliation, à la violence génocidaire et à l’effacement de la mémoire longue.
Quand ils ont conquis l’Algérie, les Français ont d’ailleurs organisé toute une mise en scène de l’humiliation. Ils ont tenu à ce qu’elle soit spectaculaire. C’était un 5 juillet et vous remarquerez que nous commémorons chaque année cette date alors que l’indépendance du pays date du 3 juillet. En réalité, ils nous ont imposé et nous avons accepté, pour des raisons que je n’ai jamais pu déterminer, de fêter chaque année l’humiliation publique de l’Algérie.
Le problème du Hirak est qu’il est dans le sens de l’Histoire alors que les dirigeants locaux et mondiaux sont pour la plupart à contre-sens.
Pour revenir à votre question, ce qui n’était pas en phase avec les autres est le fait que l’Algérie conquise par les Français était un pays assez structuré, éduqué et gérant positivement ses diversités cultuelles et culturelles qui n’a pas été colonisé par les Turcs lesquels se contentaient de prélever l’impôt au titre du califat comme lorsque les rois de France payaient l’écot au pape. C’est la raison pour laquelle ils sont intervenus avec une violence ultime parce que pour vaincre un pays, le plus important est d’ôter la mémoire de son peuple. Quand un peuple n’a plus de mémoire, il devient sujet à toutes les expérimentations.
Nous nous en sommes sortis grâce à notre résilience et à l’intelligence collégiale en évitant le makhzen résiduel et le zaimisme.
Qu’est-ce qui aurait poussé alors au soulèvement populaire du 22 février 2019 ?
Les juifs d’Algérie comprennent mieux l’Algérie que beaucoup d’analystes de salon ou de télé. Je cite Jacques Attali, Julien Dray et Benjamin Stora qui ont dit que ce qui se passe en Algérie n’est pas à comparer avec le printemps arabe et ont dit que l’Algérie est un peuple qui fait « corps » et qui fait « nation ». Ce sont des attributs qu’on ne peut coller qu’à quelques rares pays dans le monde.
Si nous nous comparons à nos voisins, ils étaient sous protectorat alors que nous étions sous une colonisation violente. Le génocide était une pratique courante de la soldatesque française en Algérie.
Or, le Maroc, c’était seulement 35 ans de protectorat plutôt soft. Cela ne veut pas dire que les colons français n’avaient pas commis des exactions dans ce pays, mais, c’est un protectorat qui se voulait le contraire de ce qu’était la colonisation en Algérie. Il y a eu des violences en Syrie, mais pas avec la même intensité ni la même durée.
La seule influence de longue durée que nous constatons au Moyen-Orient était l’investissement opéré par les Britanniques depuis le 17e siècle dans le désert mythique pour le contrôle de l’islam et ont parié sur le wahhabisme et la famille des Saoud avant la naissance de l’alliance officielle de ces deux forces et qui n’ont pu mettre le shérif turc dehors qu’après la manipulation symbolisée par Laurence d’Arabie et la première guerre mondiale. C’est pourquoi je dis que nous ne sommes pas dans le même temps de l’Histoire.
Mais, notre peuple conscient de son histoire subit aussi le wahhabisme…
Ce n’est pas parce que nous avions subi le wahhabisme qu’il n’y a pas eu conscience de soi et de l’impasse historique des choix opérés après la guerre de libération. Vous remarquerez que depuis que le Hirak s’est mis à se mouvoir, il n’y a jamais eu d’erreurs dans ses références historiques. Avez-vous remarqué qu’il avait cité Larbi Ben M’Hidi, Ali La Pointe et avait même entonné les chants patriotiques du PPA, de l’Etoile nord-africaine, mais, n’a jamais évoqué quiconque dont il doute de sa fidélité à la patrie.
Comment se fait-il que des jeunes de 25 ans continuent à se remémorer des chants de leurs grands-parents ? Cette sensibilité historique chez le Hirak pourrait-elle s’expliquer par la manipulation ? Je trouve amusant les conclusions de ceux qui disent que le Hirak est une préfabrication des services de renseignement. Mais, les services de quel pays ?
Si le hirak reste une nécessité pour combler l’absence d’arbitrage et d’anticipation, il est logique que les services de renseignement surfent sur un tel mouvement. C’est dans la nature des manipulateurs que de manipuler. Il ne faut pas avoir d’états d’âme en la matière.
Mais, ce n’est pas parce qu’il n’était pas spontané que le Hirak n’a pas démontré son autonomie dès les premiers jours. Au contraire, il a prouvé une intelligence intrinsèque très supérieure à la spontanéité et à toute manipulation. Il s’était auto-construit avec une intelligence telle qu’il s’était interdit toute représentation et toute proposition de programme quel qu’il soit.
Pourquoi ? Parce qu’il y a cette intuition très forte à travers ce slogan scandé systématiquement « Djeich Chaab Khawa Khawa » que l’armée était la colonne vertébrale de l’Etat algérien, qu’il ne faut pas trop la brusquer, qu’il faut lui laisser le temps de se réformer, d’aller à sa vitesse à elle, pour qu’elle propose quelque chose à la population et pour qu’enfin la légitimité populaire proposée par le Hirak rencontre le besoin de légitimité exprimé par l’armée.
Le pouvoir en place fait la promotion d’une nouvelle Constitution qui sera soumise au référendum le 1er novembre prochain. Bien qu’elle n’apporte techniquement rien d’extraordinaire, elle conditionne l’intervention de l’armée par une autorisation du Parlement. Est-il un garde-fou suffisant pour la protéger contre d’éventuelles pressions externes ou des décisions hasardeuses d’élites politiques aventurières ou soumises à des forces externes ?
Ce qui m’a frappé dans cette Constitution, c’est qu’elle vise à remplacer la charte de novembre 1954. Quand vous faites une publicité pour dire « novembre 1954 la Révolution/novembre 2020 le changement », cela veut dire que vous comptez faire oublier novembre 1954. Mais, le peuple n’oublie pas. C’est impossible d’oublier ! « li yahsseb wahdou ychitlou (celui qui compte tout seul dégage des surplus, ndlr) ». Quelle que ce soit la violence que subirait le peuple, il ne se trompera pas, il ne se trompera jamais par essence.
Deux choses. D’abord, une bonne Constitution, ce n’est que l’énoncé de principes fondamentaux et d’une vision de l’avenir, comme la charte de 1954 d’ailleurs. Une constitution compliquée est faite pour ne pas être mise en œuvre. Et, sur la base de ces deux principes, moi, personnellement, en tant que citoyen algérien, je suis gêné.
Ensuite, l’armée algérienne n’a jamais été interdite de sortie du territoire algérien. Il n’y a pas d’ISTN contre l’armée algérienne. Sinon, nous n’avons jamais eu un vrai Parlement. Je dirais même que les parlementaires de l’époque du parti unique avaient beaucoup plus de qualités techniques que ceux d’aujourd’hui.
La vraie question soumise par-là est de savoir pourquoi a-t-on organisé ce tapage ou cette pression sur l’armée. L’armée n’a pas demandé à être exposée de la sorte.
L’armée, c’est la photographie du peuple algérien. Nous avons de la chance de ne pas avoir une armée de caste. Il faut l’analyser à la lumière d’autres armées. Les armées égyptienne, marocaine et notamment française par exemple, sont des armées de castes. Ce ne sont pas des armées issues de la nation dans sa diversité. Et quand je dis armée, j’entends dire du plus petit soldat jusqu’au plus grand des maréchaux.
Chez nous, même les plus hauts gradés sont d’essence populaire. Que certains d’entre eux se soient enrichis illicitement, c’est une donnée statistique non représentative de l’ADN de l’armée. Ce qu’il faut retenir est qu’il y a une espèce de parthénogenèse entre les besoins du peuple, la façon dont il les exprime et la compréhension automatique que s’en font les éléments de l’armée qui font tout simplement partie du peuple.
Commentaire