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ABDENOUR ABDESLAM, MILITANT DE LA CAUSE AMAZIGHE “La Kabylie refuse d’être considérée comme un souffre-douleur”

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  • ABDENOUR ABDESLAM, MILITANT DE LA CAUSE AMAZIGHE “La Kabylie refuse d’être considérée comme un souffre-douleur”

    Militant de la cause amazighe, Abdenour Abdeslam livre, dans cet entretien, son point de vue sur plusieurs questions liées à la situation de tamazight en Algérie. Il souhaite que “les causes du malheureux Printemps noir subi par la Kabylie en 2001 avec les 127 jeunes assassinés, 2 000 handicapés à vie et 6 000 blessés ne se reproduisent plus. La Kabylie refuse dans l’absolu d’être le souffre-douleur des mauvaises situations et intentions.”

    Liberté : La Commission des droits de l’Homme de l’ONU a demandé au gouvernement algérien d’indemniser Messaoud Leftissi, emprisonné pour port de l’emblème amazigh. Quelle lecture faites-vous de cette demande et y a-t-il des chances de la voir aboutir auprès des autorités algériennes ?

    Abdenour Abdeslam : Je considère que la saisine du dossier de l’honorable citoyen Messaoud Leftissi par un organisme de l’ONU chargé de la protection des droits de l’Homme et de l’application du Pacte international relatif aux droits civils et politiques des peuples autochtones de l’Afrique du Nord est en soi et avant tout une reconnaissance officielle par cette même instance internationale du fondement de l’identité amaziɣe enfin reconnue.

    C’est une victoire éclatante contre le déni identitaire et l’hostilité historique développés et cultivés à l’égard de l’amazighité par tous les pays nord-africains. Il va de soi que cette condamnation couvre et dénonce de fait, par voie de conséquence et plus généralement, toutes les arrestations, les emprisonnements et les condamnations prononcés à l’encontre de tous les citoyens et citoyennes qui ont brandi l’emblème amaziɣ.

    Le verdict prononcé pour le dédommagement est une réparation légitime de la grave faute commise à l’endroit de tout citoyen privé injustement de sa liberté. Au pouvoir de prendre ses responsabilités.

    Au lendemain du début de la traque de l’emblème amazigh, vous aviez vous-même saisi l’ONU à ce sujet. Peut-on savoir quelles sont les suites réservées à votre action ?

    En effet, dès la prise de décision inattendue et surprenante du défunt général Ahmed Gaïd Salah d’interdire le port de l’emblème amaziɣ j’ai réfléchi immédiatement à une plainte à déposer auprès de l’organisme onusien chargé des droits de l’Homme dirigé par Mme Michelle Bachelet, ancienne présidente du Chili.

    Cette plainte a dûment été déposée par deux de mes amis convaincus et partie prenante de la nécessité de l’action, à savoir Ssi Ahmed Mennad et Nouar Bellil d’autant plus qu’ils résident à Vienne, en Autriche, et moi-même en Algérie. L’étude de cette plainte a pris beaucoup de temps, mais avec les autres dépôts de plainte qui ont suivi, comme ce fut le cas de Messaoud Leftissi, cela a permis au département onusien de prendre la mesure et la raison de ces démarches.

    Nous étions face à une flagrante contradiction, mais surtout une violation caractérisée et une atteinte directe de la Constitution du pays qui consacre pourtant et nominativement l’amazighité comme constante nationale. S’il est de droit que le pouvoir réclame au peuple le respect de la Constitution, il faudrait d’abord qu’il commence par le faire lui-même.

    Tout récemment, Louisa Hanoune a fait une révélation fracassante, à savoir que les Émirats ont fait pression quant à l’emblème amazigh. En quoi, à votre avis, l’emblème amazigh et tamazight en général pourraient déranger ce pays au point de s’immiscer dans les affaires internes de l’Algérie ?

    Je voudrais tout d’abord signaler que Mme Louisa Hanoune est une des personnalités politiques constante et claire dans ses déclarations et positions en faveur du fait amazigh dans son ensemble (identité, langue et culture). Je confirme que les Émirats et le Qatar ont engagé des démarches assumées publiquement avec proposition d’offres de millions de dollars proposées pour Microsoft, afin de ne pas introduire dans le circuit informatique le système Unicode qui permet l’usage de la transcription internationale directement en tamazight.

    Nous nous posons la question de savoir à quels desseins des pays arabes s’engouffrent dans l’étroite chambre noire où bouillonne l’hostilité face à la cause amazighe. Certainement pour sauver l’étendue du panarabisme, alors en rétrécissement géographique, et son corollaire l’islamisme. C’est une véritable vaine convulsion.

    Ces pays ont, cependant, le mérite d’afficher publiquement leur hostilité envers la cause amazighe pendant que d’autres, à l’instar de la France, où vivent plus de 7 millions d’Amazighs (regroupant ceux d’Algérie, du Maroc, de la Tunisie et de la Libye), qui n’a jamais réalisé la moindre institution culturelle amazighe, alors qu’elle a érigé pour la langue et la culture arabes l’Institut du Monde arabe, un laboratoire de langue arabe dit Inalco et qu’elle s’affaire actuellement à préparer l’introduction de l’enseignement de la langue arabe dans ses établissements scolaires.

    Pourquoi pas ? dirions-nous bien sûr. Mais nous ne comprenons pas pourquoi la deuxième langue parlée et avérée en France, qu’est tamazight, ne bénéficie pas des mêmes avantages. Je considère cela comme étant une hostilité non assumée publiquement.

    Mais force est de constater que les attaques contre l’identité amazighe ne sont pas l’apanage du seul pouvoir puisque nous assistons depuis quelque temps à une levée de boucliers des islamistes. Que dénotent pour vous ces tirs croisés sur tous les symboles de l’amazighité en ce moment ?

    Ce n’est pas une levée de boucliers des islamistes, mais plutôt des appels au meurtre vociférés à travers plusieurs canaux radiophoniques et télévisuels bien connus. Le cas de la tristement célèbre Naïma Salhi est en soi édifiant.

    Plutôt à dire pourquoi le pouvoir algérien qui s’empresse d’arrêter de jeunes manifestants arborant l’emblème amazigh n’intervient-il pas devant ces faits aussi graves que dangereux pour le pays ?

    J’espère que les causes du malheureux Printemps noir subi par la Kabylie en 2001 avec les 127 jeunes assassinés, 2 000 handicapés à vie et 6 000 blessés ne se reproduiront pas. La Kabylie refuse dans l’absolu d’être le souffre-douleur des mauvaises situations et intentions.

    Il y a, toutefois, lieu de relever que c’est au moment où ces attaques ne cessent de se multiplier que le pouvoir s’échine à renforcer la place de tamazight dans sa nouvelle Constitution. À votre avis, s’agit-il d’une stratégie visant à susciter l’adhésion de la Kabylie à ce projet de Constitution, ou bien une volonté réelle de redonner à tamazight la place qui lui revient de droit ?
    En reconnaissant tamazight comme langue nationale dans la Constitution de 2016, mais en prenant soin de ne pas l’assortir des protections institutionnalisées dont bénéficie la langue arabe, le pouvoir d’alors tenait en vérité à éviter à l’Algérie le risque de subir elle aussi son printemps (arabe).


    En effet, la Kabylie bouillonnait en ces temps-là. Ce qui m’amène à dire que tout acte conjoncturel, toute tactique et astuce de circonstance finiront toujours par apparaître, ce qui n’est pas souhaitable encore une fois.

    Les hésitations politiques, l’atmosphère contraignante dans laquelle baigne l’enseignement de tamazight, les mille et une “marches-arrières”, les contingences d’incertitudes ne marcherons pas. Tamazight a besoin d’actes concrets, réels, vérifiables, de décisions franches, vives et débarrassées des leurres habituels. Pour le reste, le temps nous donnera la réponse.

    Lorsqu’on observe la réalité de près, on constate que sur le terrain plusieurs questions liées à l’épanouissement de tamazight ne sont pas encore prises en charge, à l’instar de la nomenclature des prénoms amazigh, la généralisation de l’enseignement de cette langue, l’Académie de la langue amazighe… cela ne traduit-il pas une absence de volonté réelle de promouvoir tamazight ?

    À l’instar du HCA qui, depuis particulièrement l’installation de son nouveau secrétaire général en la personne d’El-Hachemi Assad (qui devrait plutôt être nommé commissaire, ce qui est une urgence), s’attelle réellement et promptement à travailler dans le cadre des larges dispositions et missions retenues dans le décret de sa création, tout le reste fonctionne au “provisoire” non pas en raison de l’absence de volonté des acteurs, tels que les enseignants tous domaines et secteurs confondus, mais en raison des multiples blocages institutionnels et administratifs où campent les véritables acteurs de tous les blocages.

    Ces auteurs des blocages tardent ou ne veulent pas que cela travaille dans l’intérêt réel de la promotion de tamazight. Une académie mort-née, ou en souffrance, des programmes scolaires très en dessous de l’acceptable, de curieux programmes télévisuels sur la 4 qui ne frisent même pas l’à-peu-près, la temporisation et l’atermoiement… bref, tout est comme bien ficelé pour un retour autrement bien plus négatif de la condition de départ.

    La situation des centaines, voire des milliers d’enfants non encore inscrits à l’état civil des mairies et qui prennent de l’âge est une preuve irréfutable et supplémentaire de la pérenne hostilité à l’égard du fait amazigh.

    Que deviendront-ils une fois devenus adultes ? Des extraterrestres qui tombent du ciel ? Il semble que des commissions de wilayas à travers le pays sont en voie de création pour élaborer des listes de prénoms amazighs, mais nous attendons la suite et surtout la réelle intention des propositions à venir.

    La situation globale n’est donc pas de nature à permettre à notre langue de se promouvoir et de se développer dans la sérénité. Elle est pourtant d’une parfaite création populaire capable de dire et de concevoir le monde que l’intervention scientifique volontaire et militante a bien mieux pris en charge que ne le fait la relative reconnaissance constitutionnelle. Nous sommes dans un provisoire insupportable.


    Entretien réalisé par : SAMIR LESLOUS
    The truth is incontrovertible, malice may attack it, ignorance may deride it, but in the end; there it is.” Winston Churchill
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