Les voiles de notre liberté !
Quand Kamel Daoud décrète unilatéralement dans un éditorial du Point que non, le voile n’est pas une liberté ! on peut se permettre en guise de réponse un titre qui peut sembler excessif.
La décennie noire, nous l’avons toutes vécue. Certaines ont porté le voile et l’ont enlevé paisiblement, d’autres le portent encore. Musulmanes, non musulmanes, peu importe. Ce qui nous uni ici, c’est notre condition de « femme ».
La suite d’essentialisations genrées qui confinent la parole, infantilisent et privent la femme voilée de discernement et de libre arbitre, ne participent à la fin qu’à la poser comme le marqueur le plus radical de l’altérité. Cette posture idéologique dans la lignée orientaliste consolide la politique de la haine et l’islamophobie d’état qui instrumentalisent la question du genre pour nourrir la vision binaire d'une France des lumières confrontée à la barbarie musulmane et au dilemme "liberté/soumission", l’un de ses corolaires.
Pour mieux s’aligner sur le discours identitaire du président Macron, Daoud affirme que le voile incarne la notion même de séparation. Pour preuve, il convoque un signifiant extra-coranique dont les occurrences ne renvoient jamais à un quelque code vestimentaire. Comme cela ne suffisait pas, il fallait y greffer la dimension politique pour faire planer l’épouvantail d’une société islamiste totalitaire. Sarkozy et Valls l’ont fait avant lui. L’un pour motiver sa proposition d'interdire le voile dans l'espace public, l’autre pour pêcher dans les eaux troubles de l’extrême droite en temps de présidentielle.
Deuxième décret Daoudien : non, le voile n’est pas une obsession française !
Sa liberté d’expression lui permet tous les décrets qui l’arrangent, et tant mieux. Mais que valent-ils quand les faits les contredisent ? Ignore-t-il que cet enjeu existe bien avant 1989 ? Année où il n’a cessé de hanter de façon persistante le débat public en France.
Des opérations de pacification de femmes algériennes dans les milieux ruraux (conçues par l’ethnologue Servier), en passant par le programme militaire dit d’émancipation (1957-1958), jusqu’aux campagnes de fraternisation entre Européens et musulmans (17-18 Mai 1958) incluant des cérémonies de dévoilement, le désensauvagement par la femme c’est avant tout un vieux réflexe colonial.
Oui, les gardiens de l’orthodoxie instaurent le voile comme seule tenue convenable pour la femme musulmane. Oui, dans les pays traversés par le fait musulman, des pressions sur les femmes existent pour le porter. Mais même dans ces pays les voiles ne sont pas les mêmes, que l’objet voile est divers et multiple selon les traditions des différents espaces géographiques. Ainsi, transposer des réalités sociales très différentes biaise les termes du débat. Si son imposition est condamnable ailleurs, la mesure symétrique est éthiquement tout aussi déplorable. Essentialiser le voile revient à nier que des stratégies individuelles et collectives différentes se déploient sous son port. Ainsi le voile est réapproprié par les femmes, il peut être et a été un outil de résistance, d’autonomisation, de subversion et de libération (cf. Amélie Le Renard). Les moudjahidates Algériennes n'avaient-elles pas utilisé le hayek et la voilette comme outil de dissimulation ? Et Zoulikha Oudai (La femme sans sépulture, racontée par Assia Jebar) ?
Nous accusera-t-on de rentières décoloniales ? Pourtant, ces thèses n’ont ni le vent en poupe auprès de la nomenklatura parisienne, ni ne remplissent les éditoriaux, bien au contraire.
Quid de la rente de la décennie noire ? La condition de la femme a dans le passé été exploitée comme article d’exportation en faveur des thèses éradicatrices du pouvoir algérien. Aujourd’hui, nous refusons d’être instrumentalisées et servir de cautions à des politiques islamophobes françaises.
C’est toujours un symbole de liberté, d’une part parce que des femmes trouvent en leur religion un moteur d'émancipation. Pour le comprendre il faudrait revoir la littérature sur les féminismes musulmans. D’autre part, c’est un acte de défiance au modèle assimilationniste français et à l’identité nationale qui viole l'intimité de l’espace et du corps et efface la liberté de conscience ainsi que les droits de cité et à l'éducation de ces femmes. Ce qui constitue une perversion de la loi de 1905 puisque le séculier piétine le sacré.
Ultime décret. La femme n’est jamais libre d’enlever le voile !
Inutile de discuter des perceptions qui échappent aux lois des nombres. Parce qu’en logique, un seul argument contradictoire invaliderait la sentence. Mais depuis l'arithmétique de Cologne, on sait déjà que Daoud n’est pas fort en maths.
Mediapart
28 oct. 2020
Premières signataires
- Asma Mechakra, chercheuse scientifique, auteur (Insoumission)
- Amel Hadjadj, Journal Féministe Algérien
- Amira Djazira Behram. étudiante
- Chahinez Ouali, médecin vétérinaire en chef, épidémiologiste
- Drifa Mezenner, réalisatrice
- Kaouther Maza, chef de projet, communication
- Karima Dirèche, directrice de recherche CNRS
- Latachi Imene, éditrice et directrice de Dya magazine.
- Linda Hamed, journaliste
- Marion Belhaj, anthropologue
- Monia Bouguerra, enseignante, militante au sein de la Coordination Contre le Racisme et l'Islamophobie, membre de l’Union des démocrates Musulmans Français.
- Nesrine OUKID, marketeuse
- Nora Gueliane, architecte, docteure en études urbaines.
- Nuria Bel Khazia, artiste
- Yasmine Aouissi, étudiante
- Yasmine Benhamza Flitti, directrice administrative et financière
- Zaïd Asma, conseillère d’éducation, citoyenne engagée
Quand Kamel Daoud décrète unilatéralement dans un éditorial du Point que non, le voile n’est pas une liberté ! on peut se permettre en guise de réponse un titre qui peut sembler excessif.
La décennie noire, nous l’avons toutes vécue. Certaines ont porté le voile et l’ont enlevé paisiblement, d’autres le portent encore. Musulmanes, non musulmanes, peu importe. Ce qui nous uni ici, c’est notre condition de « femme ».
La suite d’essentialisations genrées qui confinent la parole, infantilisent et privent la femme voilée de discernement et de libre arbitre, ne participent à la fin qu’à la poser comme le marqueur le plus radical de l’altérité. Cette posture idéologique dans la lignée orientaliste consolide la politique de la haine et l’islamophobie d’état qui instrumentalisent la question du genre pour nourrir la vision binaire d'une France des lumières confrontée à la barbarie musulmane et au dilemme "liberté/soumission", l’un de ses corolaires.
Pour mieux s’aligner sur le discours identitaire du président Macron, Daoud affirme que le voile incarne la notion même de séparation. Pour preuve, il convoque un signifiant extra-coranique dont les occurrences ne renvoient jamais à un quelque code vestimentaire. Comme cela ne suffisait pas, il fallait y greffer la dimension politique pour faire planer l’épouvantail d’une société islamiste totalitaire. Sarkozy et Valls l’ont fait avant lui. L’un pour motiver sa proposition d'interdire le voile dans l'espace public, l’autre pour pêcher dans les eaux troubles de l’extrême droite en temps de présidentielle.
Deuxième décret Daoudien : non, le voile n’est pas une obsession française !
Sa liberté d’expression lui permet tous les décrets qui l’arrangent, et tant mieux. Mais que valent-ils quand les faits les contredisent ? Ignore-t-il que cet enjeu existe bien avant 1989 ? Année où il n’a cessé de hanter de façon persistante le débat public en France.
Des opérations de pacification de femmes algériennes dans les milieux ruraux (conçues par l’ethnologue Servier), en passant par le programme militaire dit d’émancipation (1957-1958), jusqu’aux campagnes de fraternisation entre Européens et musulmans (17-18 Mai 1958) incluant des cérémonies de dévoilement, le désensauvagement par la femme c’est avant tout un vieux réflexe colonial.
Oui, les gardiens de l’orthodoxie instaurent le voile comme seule tenue convenable pour la femme musulmane. Oui, dans les pays traversés par le fait musulman, des pressions sur les femmes existent pour le porter. Mais même dans ces pays les voiles ne sont pas les mêmes, que l’objet voile est divers et multiple selon les traditions des différents espaces géographiques. Ainsi, transposer des réalités sociales très différentes biaise les termes du débat. Si son imposition est condamnable ailleurs, la mesure symétrique est éthiquement tout aussi déplorable. Essentialiser le voile revient à nier que des stratégies individuelles et collectives différentes se déploient sous son port. Ainsi le voile est réapproprié par les femmes, il peut être et a été un outil de résistance, d’autonomisation, de subversion et de libération (cf. Amélie Le Renard). Les moudjahidates Algériennes n'avaient-elles pas utilisé le hayek et la voilette comme outil de dissimulation ? Et Zoulikha Oudai (La femme sans sépulture, racontée par Assia Jebar) ?
Nous accusera-t-on de rentières décoloniales ? Pourtant, ces thèses n’ont ni le vent en poupe auprès de la nomenklatura parisienne, ni ne remplissent les éditoriaux, bien au contraire.
Quid de la rente de la décennie noire ? La condition de la femme a dans le passé été exploitée comme article d’exportation en faveur des thèses éradicatrices du pouvoir algérien. Aujourd’hui, nous refusons d’être instrumentalisées et servir de cautions à des politiques islamophobes françaises.
C’est toujours un symbole de liberté, d’une part parce que des femmes trouvent en leur religion un moteur d'émancipation. Pour le comprendre il faudrait revoir la littérature sur les féminismes musulmans. D’autre part, c’est un acte de défiance au modèle assimilationniste français et à l’identité nationale qui viole l'intimité de l’espace et du corps et efface la liberté de conscience ainsi que les droits de cité et à l'éducation de ces femmes. Ce qui constitue une perversion de la loi de 1905 puisque le séculier piétine le sacré.
Ultime décret. La femme n’est jamais libre d’enlever le voile !
Inutile de discuter des perceptions qui échappent aux lois des nombres. Parce qu’en logique, un seul argument contradictoire invaliderait la sentence. Mais depuis l'arithmétique de Cologne, on sait déjà que Daoud n’est pas fort en maths.
Mediapart
28 oct. 2020
Premières signataires
- Asma Mechakra, chercheuse scientifique, auteur (Insoumission)
- Amel Hadjadj, Journal Féministe Algérien
- Amira Djazira Behram. étudiante
- Chahinez Ouali, médecin vétérinaire en chef, épidémiologiste
- Drifa Mezenner, réalisatrice
- Kaouther Maza, chef de projet, communication
- Karima Dirèche, directrice de recherche CNRS
- Latachi Imene, éditrice et directrice de Dya magazine.
- Linda Hamed, journaliste
- Marion Belhaj, anthropologue
- Monia Bouguerra, enseignante, militante au sein de la Coordination Contre le Racisme et l'Islamophobie, membre de l’Union des démocrates Musulmans Français.
- Nesrine OUKID, marketeuse
- Nora Gueliane, architecte, docteure en études urbaines.
- Nuria Bel Khazia, artiste
- Yasmine Aouissi, étudiante
- Yasmine Benhamza Flitti, directrice administrative et financière
- Zaïd Asma, conseillère d’éducation, citoyenne engagée
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