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Boualem Sansal : « S’engager et défendre son pays et les siens est un devoir sacré »

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  • Boualem Sansal : « S’engager et défendre son pays et les siens est un devoir sacré »

    Pour le romancier algérien, les Français musulmans séculiers doivent trouver le moyen d’agir efficacement qui les préserve de toute instrumentalisation.

    • L'Express (France)
    • 5 Nov 2020
    • PROPOS RECUEILLIS PAR ANNE ROSENCHER


    Est-ce vraiment « les caricatures » qui ont fait des dégats ?

    C’est l’exploitation qui en a été faite. L’ensemble du monde musulman qui monte sur ses ergots, les émeutes, les drapeaux brûlés... Sur les caricatures, les islamistes ont gagné : ils ont en fait le symbole d’un prétendu « racisme antimusulmans ». Il faut être plus fort qu’eux. Passer du premier au second degré. Cela dit, je pense qu’Emmanuel Macron a très bien fait de dire que la France ne transige pas sur la liberté d’expression (qui est au plus bas en ce moment, conséquence du fameux « en même temps »), car c’est cette liberté-là qui a fait de la France ce qu’elle a été, un lieu de haute culture qui a longtemps inspiré le monde. Sans la liberté de s’exprimer, nous n’existons pas.


    Je le vérifie chaque jour dans mon pays, où à force de ne pas pouvoir s’exprimer on perd peu à peu l’envie de penser, de se projeter dans l’avenir, d’aller vers l’autre et d’échanger avec lui. Si le sang est la vie de l’homme, la parole est la vie du peuple et celle de la civilisation. Une chose est sûre : l’image de la France s’est considérablement dégradée dans le monde musulman, elle est perçue comme étant le chef de file des ennemis de l’islam et des musulmans.

    Ce sentiment est-il nouveau ?

    Il est apparu dans les années 1990-2000 avec les premières polémiques sur les mosquées dans les caves, les prières dans les rues, le voile islamique, et depuis il s’est nourri de tout ce que l’actualité charrie de faits divers et de drames en lien avec l’islam. Un mot entraînant l’autre, il s’est construit un système de mise en accusation de la France que rien ne semble pouvoir arrêter. Partant du mot « interdit » (la France interdit le voile islamique, la France interdit aux musulmans de pratiquer leur culte), on est arrivé aux mots « islamophobie », « racisme », « nazisme », en passant par « mépris », « stigmatisation », « blasphème », « discrimination », « expulsion »… Le tout est tressé pour faire un réquisitoire implacable, très entraînant, très facile à réciter.

    Le rejet s’est aggravé avec Macron. Les conservateurs, majoritaires dans la quasi-totalité des terres d’islam, admettent mal qu’un pays avec lequel ils sont en affaires soit gouverné par une femme ou par un jeune. Macron est ainsi perçu – gamin prétentieux, minet arrogant. Sa situation matrimoniale est choquante : dans leur pays, les vieux épousent des gamines, pas l’inverse. Pour les chefs d’Etat musulmans, dont l’âge moyen est de 75 ans, Macron est une erreur de casting préjudiciable, ça les rabaisse aux yeux de leurs sujets d’avoir à traiter avec lui.


    Le comportement d’Erdogan le montre bien, il ne parle pas à Macron, il le sermonne avec hauteur, il le mettrait au piquet s’il pouvait.
    C’est une sacrée dégringolade, car la France a toujours été aimée dans l’ensemble du tiers-monde, malgré ses agissements dans ses colonies. De Gaulle est encore à ce jour admiré et respecté, Chirac était la coqueluche des pays arabes. La France était la destination rêvée des intellectuels du tiers-monde. Le désamour résulte de l’action pernicieuse des islamistes et des gouvernements arabes, qui, craignant de voir leurs communautés installése en France s’éloigner de leur pays d’origine et de leur culture, ont joué l’identité musulmane et le nationalisme contre les stratégies d’assimilation et d’intégration.


    Les enfants ont été particulièrement visés. Tel est le coeur de leur méthode à l’égard de leur émigration. L’enjeu est colossal, politique, économique et social ; à eux trois le Maroc, l’Algérie et la Tunisie comptent plusieurs millions d’émigrés en France, restés très attachés à leur patrie d’origine.
    Je ne crois pas que la France puisse un jour retrouver sa place dans le coeur des pays musulmans, en tout cas pas durant la présidence Macron.


    On voit beaucoup d’images de manifestations, de colère, de drapeaux tricolores brûlés ; on boycotte ici, on condamne là… Y a-t-il aussi, dans le monde musulman, des défenseurs du modèle français ?

    Ils sont de moins en moins nombreux à le défendre et de plus en plus nombreux à ne seulement pas savoir ce qu’est ce modèle. Les liens avec la France se sont distendus, et, n’étaient les liens familiaux par-dessus la Méditerranée, ils auraient disparu. Les raisons en sont multiples. La France a fait le plein d’émigrés et a fermé ses frontières. Obtenir un visa est mission impossible pour ceux qui veulent s’y rendre pour étudier, travailler, faire du tourisme, visiter leur famille. Les échanges économiques ont fortement chuté, le monde musulman vit à l’heure de Pékin, il mange, s’habille, roule, bricole chinois.

    L’Inde, la Turquie et Dubaï suivent de près. La France intéresse encore les élites, mais de plus en plus elles la voient comme une porte sur l’Occident, vers l’Allemagne, le Royaume-Uni, le Canada, les Etats-Unis, où les opportunités sont meilleures, les salaires, plus élevés, et, croient-elles, parce qu’il faut bien rêver pour voyager, les esprits, moins confinés.
    Dans ce contexte de grande tension, de déclarations belliqueuses et d’appels au meurtre sur les réseaux sociaux, un deuxième attentat est venu endeuiller la France, dans une église à Nice.


    Depuis, beaucoup murmurent : « Ne faut-il pas arrêter avec ces caricatures ? » Que leur répondez-vous ?

    Je suis tout à fait d’accord, il faut arrêter avec ces caricatures, elles ont fait leur temps, on ne va pas en faire des icônes religieuses, quand même. Je leur dirais qu’il faut de nouvelles caricatures, adaptées au contexte, et je leur recommande de relancer l’industrie des blagues, des blagues musulmanes comme il y a des blagues corses, des blagues juives, des blagues écossaises. Il n’y a pas meilleure façon de s’exprimer, de faire passer des idées, de lancer des mots d’ordre, d’ennuyer les grincheux, d’éloigner les mauvais esprits, de répandre la « pêche ».




    Ce serait bien aussi que la France ressuscite son grand art du pamphlet, de la satire, de la chanson paillarde, de la chanson potache, et publie ces magnifiques chromos des temps bénis de l’anticléricalisme. L’humour, quelle belle arme de combat ! L’islamisme est triste, l’islam, trop sérieux, ils n’y résisteront pas longtemps. Le silence, la peur, l’ennui, les reproches des grincheux, c’est marre ! Je reprendrais volontiers l’expression odieuse du ministre algérien de la Jeunesse et des Sports, qui a provoqué cette semaine un mégascandale dans les réseaux sociaux. Il a dit : « Celui qui ne veut pas voter pour la nouvelle constitution, qu’il quitte l’Algérie ! » Si j’étais français et aussi con que notre ministre, je dirais à mes voisins bigots : « Si tu n’aimes pas notre French way of life, bouche-toi le nez et va vivre en Arabie ! »


    L’enjeu des dirigeants et des idéologues islamistes dans le monde est-il également d’intimider les Français musulmans séculiers ?

    Oui. Ils sont un immense enjeu pour tous : pour les républicains qui voudraient bien les voir s’exprimer, faire corps avec la République et défendre la France contre ces féroces assassins qui viennent jusque dans vos bras égorger vos femmes et vos enfants ; pour les islamistes qui regardent avec envie cette immense armée de réserve, qu’ils trouvent lâche et insouciante, et qui refuse de rejoindre ses frères pour défendre Allah et son Prophète ; pour leurs pays d’origine, qui veulent continuer de les manipuler comme ils le faisaient avec les premières vagues d’émigrés, formées de pauvres paysans taillables et corvéables à merci, aujourd’hui « chibanis » rejetés des deux côtés.


    Les Français musulmans séculiers sont à présent cadres, médecins, ingénieurs, artistes, chefs d’entreprise intégrés au pays et fiers de l’être, ils refusent d’être instrumentalisés par les uns, au nom des intérêts du pays d’origine, et par les autres, qui les interpellent non comme Français compatriotes, mais comme musulmans hésitants.

    Il n’empêche, se tenir à l’écart n’est pas très citoyen et cela ne construit pas l’avenir pour les enfants. Il faut qu’ils trouvent un moyen d’agir efficacement et qui les préserve de toute instrumentalisation. Nous avons vécu cela en Algérie durant la guerre civile : « Si tu n’es pas avec nous, tu es contre nous » était la phrase-couteau que le pouvoir d’un côté et les islamistes de l’autre avaient mise sous la gorge de ceux qui croyaient que, dans une guerre d’extermination générale, on peut se tenir à l’écart.

    Ils ont payé le prix fort, frappés par la soldatesque et par les hordes islamistes. « La guerre et le déshonneur », disait Churchill. S’engager et défendre son pays et les siens est un devoir sacré, on ne peut y manquer.


    Boualem Sansal est notamment l’auteur d’Abraham ou la cinquième alliance, qui vient de paraître chez Gallimard.


    L’humour, quelle belle arme de combat !

    L’islamisme est triste, l’islam, trop sérieux,

    ils n’y résisteront pas longtemps.

    Le silence, la peur, l’ennui,

    les reproches des grincheux, c’est marre !


    L'Express.
    Dernière modification par sako, 05 novembre 2020, 16h03.
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