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Chronique d’un massacre annoncé. Oran, 5 juillet 1962...

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  • Chronique d’un massacre annoncé. Oran, 5 juillet 1962...

    Un reportage de Aurel & Pierre Daum
    Le Monde diplomatique

    Il y a cinquante ans, le peuple algérien accédait à l’indépendance. En juillet 1962, les journées de liesse ne furent entachées d’aucune violence envers les Français encore présents. Sauf à Oran, où des dizaines de pieds-noirs furent tués par la foule. Depuis un demi-siècle, les principaux récits de ce massacre ignorent des témoignages essentiels.

    Oran, cinquante ans après. Le vieil homme ajuste avec habileté son beau turban immaculé. « Vous êtes sûr qu’il faut reparler de cela, soulever toute cette boue ? Cela fait si longtemps ! Ici, on préfère oublier. » Il y a plus d’un demi-siècle, cet homme — qui ne veut pas donner son nom — participa à la guerre de libération de son pays. Sous-officier de l’Armée de libération nationale (ALN) (1), il se retrouva souvent, mitraillette au poing, à combattre des soldats français. Même si, très pieux, il n’aime pas évoquer tous ces morts, il reste convaincu de la justesse de son combat d’alors. « Vous, vous êtes français, lance-t-il sur un ton provocateur. Vous ne saurez jamais ce que c’est que d’être considéré comme un bougn... ! Et en plus, dans son propre pays ! » En revanche, à l’évocation de la journée du 5 juillet 1962 à Oran, à laquelle il a participé, son regard se brouille. « Même si j’ai tout fait pour arrêter la tuerie, cette journée reste une honte pour nous… »

    Ce jour-là, l’Algérie tout entière fêtait son indépendance. Dès le petit matin, dans chaque ville, dans chaque village, des millions d’Algériens envahirent les rues, brandissant des milliers de drapeaux vert et blanc, dansant, riant, chantant. Les quatre cent mille Français encore sur place (sur un million avant la guerre), d’abord un peu inquiets, finirent pour certains par se mêler à la foule. Aucun incident, nulle part, ne fut relevé. Sauf à Oran. Dans la grande métropole de l’Ouest, où se trouvaient toujours cinquante mille pieds-noirs, aux côtés de deux cent mille Algériens, la fête se transforma soudain en tuerie. Pendant quelques heures, une chasse à l’Européen s’organisa, et des dizaines, voire des centaines d’hommes et de femmes furent massacrés à coups de couteau, de hache et de revolver.

    Tout avait pourtant bien commencé. « C’était un jeudi, il faisait très chaud ce jour-là, se souvient M. Hadj Ouali, qui avait 18 ans à l’époque. Avec ma famille, nous habitions le quartier Saint-Antoine, mais l’OAS (2) nous avait plastiqués trois fois, et nous avions été obligés de déménager à Ville-Nouvelle, où ne vivaient que des Algériens. Ce matin du 5 juillet, tout le quartier est descendu au centre-ville, en direction de la place d’Armes. Soudain, un peu avant midi, on a entendu des coups de feu. Sans qu’on sache très bien d’où ils venaient, ni qui tirait, la rumeur est partie : “C’est l’OAS qui nous tire dessus !” (3) Tout le monde s’est mis à fuir, ça tirait de tous les côtés. Ensuite, on ne peut pas savoir ce qui s’est passé. Personne ne peut vous le dire. C’est pas possible ! Parce que vous êtes pris dans un engrenage, et quand vous vous réveillez… Il y a eu beaucoup de morts, c’est certain. » Quand on lui demande si lui-même s’est retrouvé à tuer quelqu’un ce jour-là, il esquive avec un rire crispé : « Ne me faites pas dire ce que je ne vous ai pas dit ! Non… Je vous dis que les gens étaient pris dans un engrenage, et puis… il s’est passé ce qui s’est passé… Toute cette histoire-là, il faut l’oublier… » On insiste. Qu’a-t-il vu là, au centre-ville, à partir des premiers coups de feu ? « J’ai oublié. » Long silence. « Ma mémoire s’est effacée. »

    On n’obtiendra pas plus de cet homme, ni des nombreux Oranais rencontrés, qui ont assisté de trop près, voire participé, aux horreurs perpétrées ce jour-là contre les Européens. Certains, moins impliqués peut-être, ont accepté de témoigner, tel M. Rachid Salah, jeune instituteur à cette époque. « Un coup de folie, une foule hystérique qui ne se contrôle plus, l’explosion d’une rage accumulée…, je ne sais pas comment appeler cela autrement, tente de décrire l’ancien enseignant, devenu plus tard policier. A un moment, je me suis retrouvé sur l’Esplanade, à Ville-Nouvelle. Là, devant une foule hystérique, je vois un homme attraper un Français et lui ouvrir le ventre avec un couteau, sous les yeux de son fils. J’essaye d’empêcher le petit garçon de voir, et alors la foule se met à hurler contre moi ! J’ai vite déguerpi, je suis allé me réfugier chez ma copine, boulevard Paul-Doumer, à la frontière avec Plateau-Saint-Michel. De son balcon du premier étage, j’ai vu des petits groupes de quatre ou cinq pieds-noirs emmenés par des Algériens hystériques. Pas des soldats, pas des fedayins (4), non, juste des gens hystériques. »

    Tous les témoins le confirment : tandis qu’une grande partie des manifestants rentrent précipitamment chez eux, d’autres restent au centre-ville, dans ces rues strictement européennes depuis de si longs mois, et se déchaînent contre n’importe quelle personne au faciès trop « français ». « C’est vrai que c’est horrible, mais on ne peut pas parler du 5 juillet sans parler de ce que nous avons subi avant, s’emporte M. Mokhtar Boughrassa, Oranais de 80 ans, pourtant toujours très posé. Moi, j’ai eu un beau-frère qui a été arrosé d’essence et brûlé vif, Plateau-Saint-Michel, rue Dutertre, en octobre 1961, lors d’une manifestation de pieds-noirs. C’est un cas parmi des milliers ! A partir de l’été 1961, tous les jours, à Ville-Nouvelle, nous avions des morts, abattus comme des lapins par des tireurs pieds-noirs postés en haut des immeubles proches de notre quartier. Et parfois, ils nous balançaient même des obus de mortier ! Un jour, ma fille devait avoir 3 ou 4 ans, elle marchait dans la rue, accompagnée par une voisine de 9 ans qui la tenait par la main. Celle-ci a été abattue par un type embusqué en haut de la rue Stora, Plateau-Saint-Michel, avec deux balles dum-dum. Elle est tombée, sa main dans celle de ma fille… »

    La foule a laissé exploser sa rancœur, comme un abcès qui crève


    M. Saddek Benkada a été maire d’Oran de 2007 à 2010. Avant cela, il s’est surtout illustré par ses travaux universitaires sur l’histoire de la ville pendant la période ottomane. En 1980, avec son collègue Fouad Soufi, il a entrepris de reconstituer ces derniers mois de la présence française à Oran. « On a du mal à imaginer la pression et les souffrances endurées par les Algériens d’Oran pendant l’année qui a précédé ce 5 juillet, explique M. Benkada. Certes, le Front de libération nationale [FLN] tentait de répliquer, mais le combat était complètement inégal. L’OAS, qui jouissait de complicités dans l’armée et l’administration, disposait d’un armement considérable, alors que les fedayins se partageaient un petit pistolet pour un groupe de cinq ou six. J’ai retrouvé la liste complète de tous les morts algériens à Oran entre le 1er janvier et le 30 juin 1962 : il y a eu 859 victimes musulmanes, contre une poignée de tués européens. Un événement particulièrement traumatisant fut l’explosion simultanée de deux voitures piégées, le 28 février 1962, sur l’Esplanade, au cœur de Ville-Nouvelle. Il y a eu 78 morts, sans compter les corps trop pulvérisés pour être reconstitués. C’était un soir de ramadan, des milliers de lambeaux de chair se sont répandus sur la foule très nombreuse. Le 5 juillet, c’est cette foule-là, continuellement agressée par l’OAS depuis un an, qui soudain a laissé exploser sa rancœur, comme un abcès qui crève (5). »

    « Maintenant, laissez-nous nous venger nous-mêmes »


    Les autorités sont très vite débordées. Mais, d’abord, quelles autorités ? C’est là une des explications de l’ampleur du massacre. Car ce jour-là à Oran, ceux qui auraient dû maintenir l’ordre en ont été incapables. L’armée française, commandée par le général Joseph Katz, n’a plus le droit d’intervenir : depuis la proclamation de l’indépendance, le 3 juillet, elle se trouve en territoire étranger. Les ordres sont formels : interdiction de sortir des casernes ; c’est aux Algériens d’assurer l’ordre. Sauf que ces derniers n’ont pas encore eu le temps de s’organiser. De surcroît, ils sont minés par des conflits internes. Pendant la guerre, seuls les fedayins se battaient à Oran, organisés en une multitude de petits groupes, en principe rassemblés sous l’autorité de deux chefs : Si Abdelbaki, responsable de Ville-Nouvelle, et Si Abdelhamid, responsable de Lamur, Médioni, Victor-Hugo et Petit-Lac. Dans les faits, les contraintes de la clandestinité ont rendu très difficile l’exercice hiérarchique du pouvoir, et chaque groupe s’est peu à peu mis à fonctionner de façon autonome


    « La situation a empiré après le cessez-le-feu, le 19 mars 1962 : ceux qui n’avaient pas fait la révolution, les “marsiens” [en référence au 19 mars], sont soudain devenus de grands combattants !, s’indigne M. Mohamed Benaboura, torturé par l’armée française, incarcéré pendant quatre ans avant de devenir en 1961 responsable FLN de Derb, le quartier juif d’Oran. Le problème, c’est qu’ils sont devenus des voyous et des pillards. » « Le groupe le plus terrible, précise Soufi, était celui de Petit-Lac, commandé par Attou Moueddène, qui sombre dans le banditisme et le crime. A partir d’avril 1962, ce groupe attaque des voitures sur la grande route longeant son quartier, en assassinant les passagers. » A ce moment-là, l’ALN dépêche à Oran un de ses officiers, le capitaine Bakhti, appuyé par très peu d’hommes, pour prendre le contrôle des groupes de fedayins. Si Abdelbaki accepte de coopérer, mais pas Si Abdelhamid. A l’approche du 5 juillet, ce conflit d’autorité se double d’une tension politique : dans la lutte de pouvoir entre le duo Houari Boumediène - Ahmed Ben Bella (6) et les membres du Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA), le capitaine Bakhti choisit les premiers, et Si Abdelhamid les seconds.

    « Bref, le 5 juillet, nous étions complètement dépassés, admet l’homme au turban, qui faisait partie de la garde rapprochée de Bakhti. Chacun a agi comme il a pu. Moi, j’étais sur le boulevard Clemenceau [en plein centre-ville], pour essayer d’empêcher la population musulmane hystérique de pénétrer plus avant dans le quartier européen. Derrière moi, quelques-uns de mes hommes, aidés par des civils algériens qui avaient gardé la tête froide, faisaient monter le maximum d’Européens dans des bus ou des voitures, pour les emmener vers la grande salle qui se trouve à l’entresol de la nouvelle préfecture, gardée par des policiers algériens en qui j’avais confiance. Ces gens-là ont pu être ramenés plus tard à leur domicile. »

    M. Benaoumer Moueddène, de son nom de résistant Si Omar, était le numéro deux des fedayins, après Si Abdelhamid. Il était aussi l’oncle d’Attou Moueddène : « Moi, j’étais devant le commissariat du quartier Saint-Antoine, rue de Tlemcen. Des Algériens nous amenaient des Européens que nous faisions entrer à l’intérieur du commissariat pour les protéger de la foule, qui essayait de s’en emparer avant qu’ils entrent. Les gens nous hurlaient dessus : “Vous n’avez rien fait pendant que l’OAS assassinait nos familles, maintenant, laissez-nous nous venger nous-mêmes !” » Selon Soufi, certains éléments de l’ALN n’ont pas hésité à tirer sans sommation sur des Algériens qu’ils voyaient maltraiter un Européen.

    Aux environs de 14 heures, le calme revient peu à peu dans les rues du centre-ville. Mais quelque chose se passe à Petit-Lac. Une grande partie de la foule a reflué vers ce quartier strictement musulman, en périphérie sud-est de la ville. Un quartier qui se prolonge au sud par l’immense décharge publique d’Oran. M. Kader Benahmed avait 14 ans à cette époque. Avec une bande de copains, il est descendu le matin à la place d’Armes. Après les premiers coups de feu et la panique, les adolescents ont suivi la foule. « A Petit-Lac, tout le monde y allait. La foule était énorme. On a essayé de s’approcher de la décharge, mais les adultes nous faisaient fuir avec des pierres, pour qu’on n’assiste pas à l’opération. » Quelle opération ?

    « Il fallait classer le dossier, trouver des coupables »

    Aucun de nos interlocuteurs n’a vu quoi que ce soit. Mais tout le monde a entendu parler de la même histoire : des hommes de l’équipe d’Attou Moueddène auraient sillonné en voiture les quartiers européens périphériques, raflant au hasard des Européens pour les emmener en bordure de la décharge. Là, une dizaine de tueurs les auraient exécutés, avant d’enfouir leurs corps dans la décharge. « Non, ce n’est pas possible !, soutient l’homme au turban, le seul de tous ceux que nous avons rencontrés à avoir été présent à la décharge cet après-midi-là. Entre 15 heures et 19 heures, j’ai fait entre cinq et dix allers-retours à Petit-Lac. Le centre-ville était jonché de cadavres, il fallait trouver une solution. Le cimetière européen ? Dans quel caveau ? (...)

  • #2
    Un massacre horrible dont les victimes sont des innocents : enfants, femmes, hommes, vieillards, des "pieds noirs". Les assassins sont une foule ou des foules hystériques de "musulmans" !! Une horreur ou des horreurs !! Qui sont restées dans l'histoire noire d'Oran et de l'Algérie !! Une honte !!

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    • #3
      Selon des témoignages français, certains se sont précipitées vers la garnison militaire française, mais le portail est restée fermée devant eux. L'officier qui a livré son témoignage rapporte qu'ils ont reçu des instructions de l'état major pour qu'ils gardent le portail fermé.
      ثروة الشعب في سكانه ’المحبين للعمل’المتقنين له و المبدعين فيه. ابن خلدون

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