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Les leçons de l’affaire du blé lituanien : comment un pays plus petit que la wilaya d’El Bayadh peut-il nourrir toute l’

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    Les leçons de l’affaire du blé lituanien : comment un pays plus petit que la wilaya d’El Bayadh peut-il nourrir toute l’Algérie ?

    ALGERIEPART PLUS

    30 NOVEMBER 2020

    Le 26 Novembre 2020, Le Chef du gouvernement, Abdelaziz Djerrad a mis fin, à travers la voix du Ministre de l’Agriculture, aux fonctions d’Abderrahmane Bouchahda, Directeur Général de l’Office algérien interprofessionnel des céréales (OAIC). Si les réelles raisons de ce limogeage n’ont pas été évoquées, nous croyons savoir qu’Abderrahmane Bouchahda avait récemment décidé de l’importation de 30 000 tonnes de blé en provenance de Lituanie via un trader suisse, qui se sont avérés impropres à la consommation. Lors du déchargement du navire, arrivé le 09 Novembre 2020 et chargé de blé tendre au niveau du port d’Alger, le personnel missionné du contrôle de l’opération a pu constater des grains de couleurs différente dans une partie de la cargaison, l’analyse en laboratoire ayant confirmé la non-conformité de la marchandise. Et depuis cette affaire rocambolesque, le scandale ne cesse d’enfler prenant une dimension politique.

    Mais au-delà des aspects purement logistiques et commerciaux de ce scandale, il y a bel et bien une autre leçon qu’il faut tirer en extrême urgence : un petit pays comme la Lituanie, dont la superficie globale d’à peine 65 300 km² n’équivaut même pas à celle d’une seule wilaya algérienne comme celle d’El-Bayadh avec ses 71 600 KM2, peut-il se permettre de nourrir un vaste pays comme l’Algérie ? C’est, en vérité, toute la dépendance de l’Algérie vis-à-vis de ses importations à l’étranger en matière de nourriture et notamment de blé qui pose plus que jamais problème.

    Il faut, d’abord, savoir que oui la Lituanie est un petit pays baltique qui s’est imposé comme une puissance agricole ces dernières années en devenant l’un des plus gros exportateurs de céréales. Les fermes de plus de 50 ha représentent 4 % des effectifs mais 54 % de la Surface Agricole Utile (SAU) totale. Les productions agricoles sont relativement diversifiées avec une légère domination des productions animales destinées à l’exportation (lait et viande).

    Les surfaces en céréales ont représenté, en 2011, 1,12 Mha, soit 49,6 % des cultures arables. Les récoltent de céréales se situent entre 3,8 Mt et 3 Mt selon les conditions (3,23 Mt en 2011). Les principales cultures céréalières en 2011 sont le blé tendre avec 1,71 Mt, le triticale avec 0,26 Mt et l’orge avec 0,55 Mt. Les productions de légumes sont relativement marginales avec 0,29 Mt produites en 011, composées principalement de choux (0,13 Mt) et de carottes (0,07 Mt). Les productions de fruits restent également très limitées et s’établissent à environ 0,06 Mt en 2011 (pommes et fruits rouges). Les surfaces consacrées aux betteraves à sucre et aux pommes de terre sont en net recul au profit des céréales et des graines oléagineuses. Depuis 2014, la Lituanie joue dans la cour des grands en devenant le 4e plus important exportateur de blé européen.

    Les destinations ont évolué : historiquement tournée vers les anciens pays soviétiques et l’Europe (Lettonie, Biélorussie, Espagne), la Lituanie exporte aujourd’hui d’importants volumes vers les pays du Moyen-Orient, principalement l’Iran (1,2 Mt en 2012/13) et l’Arabie Saoudite (200.000 t en moyenne sur les quatre dernières campagnes), devenant ainsi un concurrent direct de l’Allemagne, grâce à un blé dont la teneur en protéines dépasse régulièrement 12,5 %. Avec un peu plus de 6 millions d’habitants à eux trois, les pays Baltes comme la Lituanie consomment une quantité infime du blé qu’ils produisent. La grande majorité est exportée. La Lituanie, la Lettonie et l’Estonie sont arrivées en force sur le marché des céréales ces dernières années. Au point que ces pays, qui comptent pour quelques pour-cent de la production de l’Union européenne, font de l’ombre à certains des exportateurs traditionnels géants de la région comme l’Allemagne, la Roumanie ou la France.

    Le succès agricole de la Lituanie s’explique par la politique agricole ambitieuse adoptée par ce pays à la fin des années 90. Les autorités de ce petit pays européen ont privilégié les producteurs agricoles et les industries agro-alimentaires. Ces derniers ont bénéficié des subventions pour la production et des subventions à l’exportation. Ainsi, Gouvernement lituanien n’a pas cessé d’augmenter les subventions pour la production de lait. Le ministère de l’Agriculture de ce pays n’a pas cessé d’allouer de nouveaux fonds pour encourager l’exportation du fromage invendu, du lait concentré et de la viande en stock actuellement. Le secteur agricole a, par la suite, connu une importante croissance et réussite économique.

    En Algérie, un pays mille fois plus vaste que la petite Lituanie, la très mauvaise politique agricole a engendré une maladive dépendance du pays vis-à-vis des importations depuis l’étranger compromettant ainsi dangereusement la souveraineté alimentaire du pays.

    Le blé est à la base du régime alimentaire des consommateurs algériens. Mais notre pays n’en produit pas suffisamment, notamment en raison de conditions climatiques défavorables, et la filière nationale peine à satisfaire les besoins croissants de sa population. La consommation de blé dans le pays dépasse les 10,5 Mt, pour une production qui oscille en moyenne entre 2 et 3 Mt. ce qui contraint le pays à importer près de 90 % de ses besoins en matière de blé tendre. L’Algérie fait ainsi partie des principaux importateurs mondiaux. Durant la campagne 2018/19, le pays a été le quatrième plus grand importateur de blé (7,52 Mt), derrière l’Égypte (12,3 Mt), l’Indonésie (10,9 Mt) et les Philippines (7,54 Mt) (chiffres USDA).

    L’Algérie est, d’ailleurs, le principal débouché pour le blé européen notamment français. Chaque année, entre 20 et 25 % des exportations françaises de blé se font à destination de l’Algérie, sauf en 2013/14 et 2018/19, où elles sont montées à 30 %. Ramenées aux exportations françaises vers pays tiers, ce sont en moyenne (de 2010/11 à 2018/19) plus de deux tonnes sur cinq qui partent vers l’Algérie. En 2017/18 et 2018/19, c’était même plus d’une tonne sur deux ! C’est dire toute l’importance stratégique de l’Algérie vis-à-vis de la France et de l’Europe. Mais pourquoi l’Algérie est-elle si dépendante de l’étranger pour se nourrir en blé ?

    Les problèmes à la fois sont structurels et culturels. En effet, la filière algérienne des céréales souffre des rendements très faibles de la terre et des exploitations agricoles, du matériel de récolte vétuste et conditions de stockage pas du tout saines et infrastructures insuffisantes. Dans ce contexte, L-la production nationale est très faible et ne couvre que 30% des besoins de la population algérienne. Sur les cinq dernières années, la moyenne n’a pas excédé les 42 millions de quintaux et demeure très insuffisante puisqu’elle ne couvre que 30% des besoins nationaux.

    L’un des grands problèmes que connaît la production nationale est le stockage. Les capacités de stockage actuelles de l’Algérie ne dépassent pas les 31 millions de quintaux de céréales. Les silos dont dispose le pays dans leur majorité ne répondent pas aux normes requises en termes de température, d’humidité et des pertes énormes sont avancées par des spécialistes dues aux mauvaises conditions de stockage. Un projet de réalisation de 39 structures de stockage, dont 9 silos métalliques et 30 silos en béton avec une enveloppe globale de 558 millions de dollars, a été inscrit depuis plus de 10 ans, mais jusqu’à présent il n’y a que deux entrepôts en béton qui ont été réceptionnés, l’un à Bouchgouf, dans la wilaya de Guelma avec une capacité de 30 000 t, et l’autre à El Khroub, dans la wilaya de Constantine, avec une capacité de 50 000 t. L’Algérie n’est pas même pas capable de stocker un produit stratégique comme le blé ! Comment peut-elle dans ces conditions s’émanciper de sa dépendance de l’étranger ? La problème est directement lié à la très mauvaise gouvernance dont souffre le pays et notamment dans le secteur de l’agriculture.

    Soulignons enfin que l’Algérie souffre d’un problème culturel. Et pour cause, l’Algérie est adapté à la production de la production du blé dur, mais elle consomme essentiellement du blé tendre. Le blé dur est utilisé pour faire de la semoule, du boulgour, du pilpil, des grains, des pâtes de toutes sortes, complètes ou raffinées. Le blé tendre est le blé utilisé pour faire de la farine. Farine qui est elle-même utilisée pour fabriquer les pains (panification) et les produits de biscuiterie (pâtisserie, viennoiserie).

    C’est tout le modèle de consommation alimentaire algérien qui a connu un énorme bouleversement durant ces dernières décennies. Traditionnellement et historiquement, les Algéries sont un peuple qui consomme du blé dur qui est présent dans l’alimentation locale depuis des millénaires. Comme l’orge, la nourriture basée sur le blé dur est particulièrement bien adaptée au terroir local : des hivers froids et des printemps souvent marqués par un déficit hydrique. Si les paysans cultivent donc du blé dur, c’est qu’ils ne peuvent faire autrement à moins d’irriguer. Or, toutes les surfaces céréalières ne peuvent être irriguées en Algérie en raison des conditions climatiques et naturelles. C’est ce qui explique pourquoi le couscous et le pain à la semoule de même que de nombreuses préparations culinaires sont spécifiquement algériennes, voire maghrébin. Le blé dur est une composante fondamentale de notre alimentation traditionnelle.

    Cependant, les récentes générations se sont détournées de la cuisine traditionnelle pour consommer à l’européenne, une alimentation basée sur du blé tendre comme la fameuse baguette de pain parisienne ou française.

    Le blé tendre est devenu de plus en plus présent dans la consommation des habitants du Maghreb. Même en Egypte, la consommation de céréales se fait principalement à partir de blé tendre. La demande est telle que pour satisfaire les besoins des ménages les moins favorisé les pouvoirs publics ont recouru aux importations massives. Une lutte féroce est engagée entre les pays producteurs de blé tendre pour conserver ou augmenter leur part de marché. A Alger, comme dans les capitales voisines, un représentant des exportateurs français est présent sur place afin de scruter l’évolution de la demande locale. En Algérie, l’engouement pour le blé tendre est réel à travers la demande en baguette parisienne. La consommation de blé tendre augmente aux dépends de celle du blé dur. Cette tendance remonte aux années 70. L’urbanisation et le développement de l’emploi féminin font que les préparations culinaires à base de blé dur diminuent face à l’omniprésence de la baguette parisienne au blé tendre.

    Face à nouvelles habitudes de consommation, l’agriculture algérienne ne s’est pas du tout adaptée créant ainsi une dépendance très onéreuse et maladive vis-à-vis des importations. C’est pour cette raison qu’un petit pays comme la Lituanie a une souveraineté alimentaire beaucoup plus importante qu’un vaste pays comme l’Algérie.
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