Annonce

Réduire
Aucune annonce.

à relizane avec une jeunesse tentée par la harga harraga le large ou le suicide

Réduire
X
 
  • Filtre
  • Heure
  • Afficher
Tout nettoyer
nouveaux messages

  • à relizane avec une jeunesse tentée par la harga harraga le large ou le suicide

    Cette année, le phénomène de la harga a particulièrement frappé les esprits. Il a surtout endeuillé beaucoup de familles algériennes. À Relizane où certains quartiers ont connu des départs massifs de jeunes harragas, notre reporter a rencontré des jeunes tentés par la traversée à haut risque qui racontent leurs motivations

    Graba, ancien quartier indigène, limitrophe du grand marché de la ville de Relizane, représente la mémoire locale qui gravite autour de son café Karabila et de la zaouïa de Sidi Blel. Aujourd’hui et avec la crise sécuritaire des années 1990, le quartier a connu un transfert de population sans que les infrastructures suivent. Rues et ruelles enchevêtrées, au bitume douteux sur certains tronçons, il est considéré comme un quartier chaud, charriant tous les clichés qui font le lit de la petite délinquance et de la grande criminalité. Le démantèlement de son marché, en avril dernier, a porté un sérieux coup à l’économie souterraine qui faisait vivre le quartier.

    Rencontrés dans les ruelles du Battoir, Bachir, Imène, Amine ou encore Hichem sont un échantillon représentatif d’un profil bien typé du parfait harrag ou du futur candidat à la harga, les oubliés d’un système, comme ils disent, qui les a exclus, les jetant par-dessus bord comme des hameçons rouillés. Ils n’hésiteront pas à nous faire part de leur mal-être, à esquisser des plans d’avenir qui ont un point commun, celui d’embarquer un jour, le plus proche possible, vers l’Europe.

    B. Habib, dit Hadj, 28 ans, est titulaire d’un diplôme de soudeur. Marié et père d’un enfant, il est plus chômeur que journalier. Avec un passage à la case prison, son C. V. ne plaide certainement pas en sa faveur, obligé de débourser chaque mois le prix de la location. Selon Habib, le responsable de tous ses problèmes est tout trouvé : “El houkouma”. Un concept vague qui englobe tous les représentants officiels, allant du juge au flic du commissariat du coin, en passant par les autorités supérieures civiles et sécuritaires.

    Un fourre-tout dans lequel on va puiser et identifier celui qui vous écrase de sa morgue et cherche à vous nuire pour la beauté du geste. “Arani mahgour”, se plaint-il, ajoutant devoir payer une amende pendante de 14 millions, alors que le juge lui a donné un délai de 30 jours pour s’exécuter.“Je ne possède rien. Là, maintenant, et pendant que je te parle, on peut venir m’arrêter à tout moment”, s’inquiète-t-il.

    La solution est également tout indiquée. “Si je trouve l’occasion, nahrag à la minute même. Si j’avais de l’argent, Wallah, je ne resterais pas une seconde de plus ici.” Il affirme économiser en attendant que son gosse de 15 mois grandisse un peu. “Je prendrai ma famille et je partirai”, promet-il, reconduisant, sans le savoir, cette logique du tout ou rien qui a vu dernièrement de plus en plus de couples avec enfants prendre la mer. Habib prend en exemple l’expérience de son frère harrag qui se trouve actuellement en Allemagne.

    “Il va bien, lui ; il nous a dit qu’il a l’impression de naître alors que nous, nous sommes enterrés ici”, dit-il de son frère Taki qui fait partie des deux seuls rescapés du Silmya-2994. Pour rappel, et dans la nuit du 1er au 2 septembre 2019, 17 jeunes avaient embarqué depuis la plage de Stidia, commune balnéaire de la wilaya de Mostaganem, située à une cinquantaine de kilomètres d’Oran, pour rejoindre les côtes espagnoles. Quatorze étaient de Relizane, dont cinq des Abattoirs et trois de Mostaganem, dont le passeur. La presse ibérique avait été la première à donner l’information en rapportant qu’une patera transportant dix-sept clandestins algériens a fait naufrage et que seulement deux passagers ont pu être sauvés.





    Face au mur
    S. Bachir, 48 ans, chômeur chronique comme il se qualifie, est grand-père depuis un mois et père de quatre enfants. “J’habite une bicoque de 3 m sur 3 et, hachak, je dors à leurs pieds”, reconnaît-il, avec une moue de dégoût. Lui aussi espère partir vers n’importe quel ailleurs, mais pas ici. “Harga ou la mort, parce qu’on ne vaut rien dans ce pays”, finit-il par cracher son amertume. Lui aussi a un frère qui est parti en Espagne il y a trois ans de cela. M. Fatima, dite Imène Kahla, 25 ans, abonde également dans le même sens et regrette le manque de possibilité sur le marché du travail. “Il n’y a rien, ni travail ni avenir”, peste-t-elle, elle qui a suivi une formation d’agent de sécurité incendie. “J’ai déposé plusieurs demandes d’emploi, sans succès”, déplore Imène, qui ne cache pas que la seule raison qui la retient encore aux Abattoirs est sa mère avec qui elle habite.

    D. Belahouel a 23 ans. Il est marié et père d’un enfant. “Je bossais dans le commerce avec mon père, mais depuis qu’il est en prison je n’ai plus de travail fixe”, explique-t-il. Lui aussi n’a d’autre projet concret que de partir, “aujourd’hui avant demain”. Pour B. Abdelkader, 32 ans, dont la femme est enceinte de cinq mois, son histoire se résume presque à un aller-retour entre les Abattoirs et la prison. “Depuis 2003 jusqu’à aujourd’hui, je n’arrête pas d’entrer et de sortir de prison”, dit-il, un sourire narquois sur son visage brûlé par le soleil de Relizane. “J’ai 28 affaires, et quand je me présente devant la justice, le juge me demande alors de me juger moi-même.” La boutade est là, mais elle renseigne sur la détresse de l’homme. L’équation se résume, selon sa logique, à une persécution généralisée qui a fait de lui et de ses semblables de parfaites victimes.

    “Dawla tahgar, chaab yahgar”, clame-t-il en décernant la palme de l’injustice aux autorités locales.“Dawla taa ghilizane hiya litahgar”, affirme encore Abdelkader, comme pour conforter son idée. “Dawla”, une autre façon de désigner “el houkouma”, ceux qui ont le pouvoir et qui ne font rien d’autre que d’être responsables d’un drame qui précipite chaque année des milliers de harraga vers un destin inconnu, funeste pour la plupart d’entre eux ou, comme il le dit avec ses propres mots, “dawla sbab hadou limatou”. Lui aussi, comme les autres, n’a qu’une idée fixe en tête, une marotte qui le persuade de tenter sa chance avant le prochain Ramadhan. Sur son tee-shirt noir, “Just do it”, une inscription presque prophétique. “El bihar wala el intihar”, littéralement : le large ou le suicide.

    Dans la bouche d’Abdelkader, une sentence, un appel au secours devenu un cri de ralliement. Le regard noir, il prend l’assistance à témoin, s’en remettant à Dieu : “Rabi kayen.” Nos interlocuteurs s’accordent à affirmer que l’année prochaine ne les verra pas ici, dans ce quartier qui assassine tous les espoirs. “Si tu reviens dans notre quartier l’année prochaine, tu ne vas pas nous trouver.” “Nmoutou, managaadouch fhad lebled”, lancent-ils à l’unisson.

    Amine, chômeur à l’orée de ses 29 ans, ne déroge pas à la règle. “Si j’ai l’occasion, nahrag”, affirme celui que tout le monde appelle l’artiste. Amine est beatboxer et tient rancune aux autorités locales qui ne lui ont accordé aucune considération, alors que “j’ai honoré ma wilaya à plusieurs reprises dans des manifestations nationales”. Contrairement à ses amis, lui, il a franchi le pas en 2018, mais il a été arrêté sur une des plages de Mostaganem et traduit en justice. “J’ai écopé d’une amende de 4 millions de centimes”, se rappelle-t-il.

    Hichem, dit Hichem Chamia, 28 ans et père de trois enfants, qui vit à la frontière entre les Abattoirs et Graba, développe également le même discours, accusant “el houkouma” de ne pas les laisser, lui et les autres, tranquilles. “Arani mghabna fi hadi Ghilizane, el houkouma ne nous laisse pas tranquilles ; on dirait qu’on est sous occupation”, résume-t-il un quotidien de plus en plus difficile à encaisser. Racontant son histoire, il reconnaît que son passé de repris de justice ne lui facilite pas la vie, pis encore, il est source de tout son malheur.

    “Ils m’ont même chassé du marché où j’avais mon étal de légumes”, s’interrogeant sur les chances d’un ex-taulard à la réinsertion. “Un repris de justice n’a plus le droit de vivre”, assène-t-il, jurant par Dieu et tous Ses saints que depuis qu’il s’est marié il s’est rangé. “Arani nakhdam hlal”, assure Hichem, qui dit travailler parfois en accompagnant des voisins grossistes sur les marchés pour une poignée de dinars. Lui aussi est prêt à tenter le diable et à embarquer avec femme et enfants, se souvenant qu’il avait déjà pensé à la harga cinq ans plus tôt. “La première fois, en 2015, mais j’ai eu peur à cause de tous les noyés et disparus.” Qu’est-ce qui a alors changé entre-temps ?

    “J’en peux plus”, répond-il, dépité, “la khadma, la zadma”, préférant mourir en mer qu’en Algérie. “Nmout fel bhar, manmoutch fi dzaïr”, promettant de m’envoyer une vidéo, une fois arrivé de l’autre côté. “Si je crève en mer, raconte aux autres ce que je t’ai dit”, me demande-t-il, la rage au ventre.
    Bachir, Imène, Amine, Hichem, Abdelkader et des milliers d’autres jeunes et moins jeunes Algériens s’inscrivent d’ores et déjà sur la longue liste de départ dans l’attente seulement d’une opportunité, d’une rentrée d’argent, en clair, d’un coup de pouce de fortune.

    Leurs témoignages rendent compte d’une réalité connue de tous, dénoncée maintes et maintes fois, médiatisée à outrance, étudiée sous toutes ses facettes et au niveau décisionnel le plus haut sans, toutefois, lui trouver un début de solution. Loin des schémas de communication traditionnels et des discours lénifiants ou moralisateurs prônés à un moment ou un autre dans la gestion de cette crise migratoire, l’intonation d’une voix, l’intensité d’un regard et la détermination d’une attitude trahissent l’impasse dans laquelle se retrouvent ces jeunes, comme piégés entre les murs décrépis des haouchs de Graba et de Battoir.

    Et s’ils sont nombreux à partir de ces deux zones d’habitation, c’est pour des raisons économiques, mais pas que. Selon Hakim Bendaha, chercheur en sociologie politique, le quartier de Graba est le “quartier populaire par excellence” qui s’est transformé en un nouveau centre-ville, épicentre pour les nouvelles cités périphériques comme Bormadia, sans passé ni identité urbaine. “Sur le plan démographique, le quartier a connu un exode extérieur et une mutation profonde de sa population. Le rêve de l’Europe s’est étroitement associé à cette image d’urbanité”, avance-t-il. Selon lui, cette référence à la harga, en plus d’être d’essence économique, est une manière de marquer son urbanité, de s’identifier à la ville.

    Les serpents d’acier
    “La population, issue du fin fond des douars de la région, qui s’était installée à la périphérie de Relizane dans les années 1990, a acheté ou loué à Graba à la première occasion. Ce transfert a fait de ces gens des ouled l bled”, ajoute-t-il. Certains endroits dans Graba et les Abattoirs, indique-t-il, sont aussi estimés, quelque part, comme des territoires interdits, des zones de non-droit, une explication reprise par Abdelkader qui affirme que s’il y a beaucoup de harraga issus des Abattoirs, c’est qu’il existe pas mal de “rwapra”, comprendre repris de justice, parmi ses habitants.

  • #2
    suite

    Outre Graba et Battoir, Maryama est également considérée comme étant un vivier pour les harraga. Commune agricole sise au sud-ouest de la ville de Relizane, nombre d’enfants de Bendaoud ont fait partie des contingents de harraga qui sont partis des côtes ouest, Mostaganem, Chlef, Aïn Témouchent, Oran et Tlemcen. Une municipalité fuie pour le peu d’attrait qu’elle offre, à cause d’un chômage endémique et d’horizons bouchés. Des jeunes issus également de Goubet (mausolée) Nouna, un quartier anarchique construit à la lisière de la commune, mais qui a la particularité peu enviable d’avoir ses premières maisons à moins de cinq mètres des pipes de Sonatrach qui la longent, alors que la distance de sécurité requise pour les habitations est de 125 m, 75 m dans les zones agricoles.

    Sur place, des enfants, à l’heure de l’école, jouent sur l’emplacement visible de pipes enfouis sous terre, des chèvres et des ânes paissent à côté. Des enfants qui m’expliquent qu’ils n’ont même pas d’argent pour acheter les fournitures scolaires. Cette proximité rend la cohabitation extrêmement dangereuse, si d’aventure un des dix pipes venait à exploser d’autant plus qu’en août 2008, un agriculteur qui labourait son champ, près de Zemmora, à 20 km de Relizane, a touché par accident la conduite d’un pipeline qui a explosé. L’incendie qui s’est ensuivi a causé des blessures graves à neuf personnes.

    Sur ces dix pipes, neuf sont en exploitation, avons-nous appris, dont deux de GPL et un de condensat, considérés comme hautement inflammables. Selon des données publiées en 2007, 285 constructions ont été érigées sur des pipes dans la wilaya de Relizane, un chiffre qui donne une idée sur le danger qui guette les habitants de Goubet Nouna. En effet, trois solutions s’offrent au cas de ce quartier, soit le déplacement des pipes – une délocalisation qui revient excessivement cher –, soit la protection des équipements qui se trouvent à proximité des habitations, soit le déplacement de la population.

    À propos de cette dernière hypothèse, Abdelkrim, qui habite à Goubet Nouna, à une centaine de mètres des pipes, nous apprend que ce cas a été évoqué avec le maire et l’ancienne wali, Nacéra Brahmi, ainsi que son chef de cabinet : “Ils nous ont promis d’étudier nos préoccupations, mais avec l’avènement de la Covid, darbou nah.”

    Le comble, selon lui, c’est la décision de l’édile de Bendaoud de raccorder au gaz de ville les constructions illicites. “Alors que nous vivons la peur au ventre d’un accident au niveau de ces conduites, le maire ne trouve pas mieux que de raccorder des habitations qui ne comprennent qu’une pièce et une cuisine au gaz”, s’insurge Abdelkrim, qui insiste sur la nécessité d’être relogés ailleurs. Nos tentatives de contacter le maire de Bendaoud pour s’exprimer sur le sujet sont restées vaines. Même si le phénomène de la harga est national, il persiste pourtant à être relativement associé à Relizane et notamment à ces territoires précités.

    Une cartographie expliquée par Hakim Bendaha par l’extension de la misère. Pour lui, la harga reste un épiphénomène résultant de la situation socioéconomique de l’Algérie profonde et qui a de plus en plus tendance à toucher, ces dernières années, toutes les strates de la société. Et c’est cette misère sociale qui semble être le moteur premier de la volonté des jeunes issus des quartiers périphériques de tenter l’aventure, même au prix d’une vie jouée à la roulette russe.

    Un jeu de hasard mortel qui se joue avec une balle au barillet, cela s’entend. Notre propos n’est pas de stigmatiser tel quartier de telle région, mais force est de reconnaître que chaque wilaya a son Graba, son Battoir, sa Goubet Nouna qui alimentent chaque mois la mer avec son lot de disparus, de familles qui n’ont pas encore fait leur deuil et de celles qui pleurent encore un frère ou un fils noyé dans un cimetière sans épitaphe.


    Reportage réalisé par : SAÏD OUSSAD

    Commentaire


    • #3
      @Bachi

      C'est terrible de lire un reportage pareil. Ces jeunes ont ils conscience des difficultés qui les attendent, du moins en France. Cout de la vie, chomage, précarité, insécurité, clandestinité ... à cela peut s'ajoute le racisme ou la xénophobie exacerbés en ces temps de crise.
      Autant d'obstacles qu'ils devront subir au quotidien sachant qu'ils ne pourront travailler qu'en étant mal payés et au noir.
      L'autre jour j'ai vu un reportage sur des marchands de sommeil, africains je précise, qui louent des "chambres" immondes envahies de cafards à 400 € par mois. C'est de toute évidence un vie encore plus difficile que celle qu'il subissent dans leur pays qui les attend. Mais ils n'en ont pas conscience.
      Ce que vous faites de bien et de mal, vous le faites à vous
      Mahomet

      Commentaire


      • #4
        C'est terrible de lire un reportage pareil. Ces jeunes ont ils conscience des difficultés qui les attendent, du moins en France. Cout de la vie, chomage, précarité, insécurité, clandestinité ... à cela peut s'ajoute le racisme ou la xénophobie exacerbés en ces temps de crise.
        Tout cela leur est connu mais leur situation ne peut être plus mauvaise.

        C'est sûr, les premières années vont être pénibles mais après ils vont pouvoir travailler et beaucoup mieux vivre que ce qu'ils ont connu en Algérie.

        Commentaire


        • #5
          Ce n est plus la faim qui pousse les jeunes à émigrer, mais le rêve
          Ce que vous faites de bien et de mal, vous le faites à vous
          Mahomet

          Commentaire


          • #6
            Ces musulmanes portant le voile qui quittent la France pour trouver du travail en Angleterre

            @Bachi désolé de casse l'ambiance ... l'article est un peu long

            Source State .fr Donia Ismail — 30 novembre 2020

            C'est parfois la seule solution pour certaines de trouver un emploi à la hauteur de leurs attentes et de leurs qualifications.


            Il y a trois semaines, Lydia, 24 ans, reçoit un coup de fil. Chez elle, dans son lit, à Paris, elle apprend qu'elle a été sélectionnée pour faire partie d'un programme du CIEP (Centre international d'études pédagogiques). On lui propose un poste d'assistante de professeur de français dans la banlieue de Londres. Elle fait ses valises en catastrophe: «Le départ s'est fait vite mais je ne pouvais pas refuser cette opportunité. C'était mon ticket de sortie, celui que j'attendais depuis longtemps.»

            Lydia est musulmane. En février 2015, elle a fait le choix de porter un foulard. Très vite, elle a été confrontée aux regards incessants dans la rue, aux remarques désobligeantes sur les réseaux sociaux... Puis, le ras-le-bol. «En France, je me sens observée comme dans un zoo. Qui aimerait vivre ainsi?», demande la jeune Franco-Algérienne.

            Pour cette étudiante en master de lettres anglaises, trouver un travail a été un véritable défi. «Les seuls métiers que je pouvais faire, c'était vendeuse à H&M ou du babysitting. Pour un job étudiant, avec plaisir, mais ce n'est pas quelque chose que j'aimerais faire toute ma vie. J'ai quand même des ambitions.» Lydia a alors une prise de conscience: «Je me suis rendue compte que je ne pourrais pas avoir une carrière en France. L'exil était la seule solution pour vivre convenablement.»

            Elle choisit l'Angleterre, un pays qu'elle connaît bien. En 2017, elle s'y était installée un an pour étudier à la faculté de Winchester. Le changement a été radical. «En Angleterre, le maître-mot est l'acceptation. En France, on t'accepte si tu ressembles à la majorité. Ce n'est pas comme McDonald's, “venez comme vous êtes”, c'est venez comme nous voulons que vous soyez.»

            Il est difficile d'avancer un chiffre précis, mais les femmes qui portent le voile sont nombreuses à partir pour le Royaume-Uni, notamment pour trouver du travail. Ce pays proche de la France est reconnu pour son multiculturalisme. «Londres n'a pas suivi cette tendance de régulation de la visibilité des femmes musulmanes, explique la docteure en sociologie Hanane Karimi, partisane d'un féminisme musulman. C'est une situation que l'on voit très peu en Europe.»

            En France, il faut distinguer le secteur public et le secteur privé. Pour le premier, l'apparence au travail est régie par la loi de 1905. Elle soumet les fonctionnaires à la neutralité et, de ce fait, interdit tout port de signes ostentatoires. Pour le deuxième, rien n'est tranché. «Aucune loi claire n'interdit le voile en entreprise privée en France», déclare Me Marie-Paule Richard-Deschamps, avocate au barreau des Hauts-de-Seine.

            Deux affaires font cependant jurisprudence. En 2009, une ingénieure avait été licenciée par un prestataire informatique car elle refusait d'ôter son voile, malgré la demande d'un client chez qui elle était en mission. Après dix ans de saga judiciaire, la Cour d'appel de Versailles avait annulé, en avril 2019, son licenciement, en l'absence de clause de neutralité dans le règlement intérieur de l'entreprise.

            «L'employeur peut ainsi prévoir, dans son règlement intérieur, une clause interdisant le port de signes religieux, politiques ou philosophiques, précise l'avocate. Pour autant que cette disposition est à la fois justifiée et proportionnée par rapport au but recherché, car cela reste une restriction de liberté.» Ce choix ne peut donc être motivé que par des besoins d'hygiène ou de sécurité au travail. Dès 2016, la loi El Khomri prévoyait également la possibilité d'inscrire dans le règlement intérieur un «principe de neutralité», précisant ces deux conditions.

            Par ailleurs, dans l'affaire de la crèche privée Baby Loup, la Cour de Cassation avait établi une possibilité pour l'employeur d'interdire tout port de signes ostentatoires uniquement pour les employés en contact avec la clientèle. Un manque de clarté législatif, qui laisse une marge de manœuvre importante aux entreprises et qui joue dans l'exil de femmes portant le voile. «Elles réalisent qu'il devient de plus en plus difficile de convertir leurs diplômes en positions sociales», souligne Hanane Karimi.

            Ces femmes, pour certaines nées en France, qui ont y vécu, grandi et étudié, ressentent l'irrémédiable besoin de quitter leur pays, effrayées notamment de ne pas pouvoir évoluer sur le plan professionnel. «L'islam est une nouvelle religion minoritaire qui apparaît dans l'espace public et qui vient perturber les représentations collectives. Historiquement, si l'on pense aux croisades, l'islam, c'est l'autre dangereux. S'ajoute à partir des années 1970, une actualité terroriste. On voit alors dans la présence musulmane française un danger islamiste national et mondial», explique Hanane Karimi.

            La réaction des gouvernements successifs va être de «réguler voire d'interdire l'apparence de cette visibilité religieuse». Et les femmes portant le foulard, les plus visibles dans nos sociétés, vont faire les frais de ces lois qui vont limiter leurs libertés.

            Plusieurs choix s'offrent alors à elles, notamment ce qu'appelle Hanane Karimi, «les stratégies d'évitement», pour échapper à «l'expérience humiliante et limitante du rejet»: le travail religieux, invisible, le déclassement social, «une femme ingénieure qui accepterait un poste de femme de ménage», et le dévoilement, «qui ne suffit qu'un temps, car c'est extrêmement douloureux».

            «Ces stratégies ne suffisent plus. Reste une dernière possibilité pour ces femmes: partir dans un pays où elles n'ont plus à penser à leur apparence, où elles n'ont plus à se camoufler.» C'est ce que compte faire Meriem, 21 ans, «d'ici deux ans». Elle est en première année de master parcours FLE (français langue étrangère), avec en tête un but précis qui l'anime depuis son plus jeune âge. «Je veux enseigner. C'est une réelle passion, je ne me vois pas faire autre chose.» Le dévoilement n'est plus envisageable pour la jeune femme, partir reste donc la seule issue.

            «Je n'ai pas forcément envie de partir. La France veut couper les ponts avec moi, mais moi je refuse! C'est mon pays, explique-t-elle. Je n'ai pas d'avenir. J'ai charbonné pour quoi durant toutes ces années? Pour finir femme de ménage?» Meriem soupire, revient sur sa peur de quitter sa famille, son entourage, sa ville... «Je ne suis pas prête à abandonner ma vocation, alors je me résigne à partir.»

            Pour Fatiha Ajbli, docteure en sociologie auprès de L'EHESS et autrice de la thèse Les Françaises musulmanes face à l'emploi: le cas des pratiquantes «voilées» dans la métropole lilloise, ce phénomène représente une véritable «fuite des cerveaux». Pour partir à l'étranger, «il faut avoir les moyens financiers et intellectuels. Celles qui s'expatrient disposent d'un gros bagage universitaire.»

            Le Royaume-Uni, un eldorado ?

            Il n'est pas rare de voir, au Royaume-Uni, des policières, juges, avocates, journalistes ou encore des pâtissières qui portent le foulard. Ces femmes sont visibles dans l'espace public comme à la télévision. En 2015, Nadiya Hussain participe à «The Great British Bake Off», l'équivalent britannique du «Meilleur Pâtissier». Elle remporte la compétition, anime dans la foulée des émissions, dont une sur Netflix, et devient l'une des 100 femmes britanniques les plus influentes selon la BBC. Consécration: on lui propose de préparer un gâteau pour les 90 ans de la reine Elizabeth II. Des images inimaginables en France tant les polémiques entourant le voile sont quotidiennes.

            Sur les réseaux sociaux, le phénomène prend de l'ampleur, notamment grâce aux influenceuses musulmanes installées outre-Manche qui promeuvent cette tolérance à l'anglaise. Mais le Royaume-Uni est-il réellement aussi ouvert sur la question? Une étude menée par le Comité des femmes et de l'égalité de la Chambre des communes du Parlement britannique en doute. Selon cet organe, les femmes musulmanes sont trois fois plus au chômage ou en recherche d'emploi que les femmes en général. L'islamophobie reste très présente outre-Manche –dans une interview accordée au Daily Telegraph en août 2018, Boris Johnson avait même comparé les femmes portant la burqa à des boîtes aux lettres.

            «Nous ne sommes pas naïves, évidemment que le racisme existe au Royaume-Uni», réagit Aziza, 41 ans. Chercheuse en faculté de médecine, elle s'installe à Bristol en 2007, «au moment où le climat délétère en France commence». Elle se souvient du paternalisme de ses supérieurs et de l'hostilité de ses collègues. «Tout ça a disparu du jour au lendemain quand je suis partie. [En Angleterre], on nous voit comme une chance, comme des modèles pour les jeunes étudiants issus des minorités.» Elle maintient: «Certes, les tensions communautaires existent au Royaume-Uni, mais tout a été pensé. Le gouvernement réunit [les communautés], les fait discuter car il y a une recherche de stabilité. Ils savent pertinemment que la société est un agrégat de différents groupes. En France, on impose une réponse “sécurité” ou le blâme systématique des minorités. C'est fatigant.»

            Depuis son arrivée, Lydia affirme n'avoir jamais reçu de «remarques déplacées de la part de ses collègues ni des élèves». «Je n'ai même pas eu besoin de leur annoncer [que je porte le voile] au préalable. Je me suis pointée le premier jour avec mon foulard, ils n'ont rien dit.»

            Pour Lydia, Aziza ou Meriem, il y a surtout ce désir, en quittant l'Hexagone, de se défaire d'une charge mentale omniprésente. «Je me suis rendu compte que toutes ces petites remarques hautaines m'ont coûté mentalement et physiquement. Toute la pression accumulée au fil des années s'est envolée au moment où j'ai posé le pied à Bristol», confie Aziza.

            Depuis le Royaume-Uni, elle suit, inquiète, les dernières polémiques: Éric Zemmour sur CNews, Maryam Pougetoux à l'Assemblée nationale et les recettes d'Imane sur BFMTV… «Avant ça me faisait rire. Aujourd'hui, j'ai peur parce que j'ai l'impression qu'il y a une dynamique depuis plusieurs années qui fait basculer la société française dans quelque chose de plus sombre, avance-t-elle. Plus la situation économique s'aggrave, plus ils tapent sur les musulmans.» Pour Meriem, la France s'enfonce dans «une hypocrisie»: «Quand les femmes voilées ne travaillent pas, on dit qu'elles sont soumises, pas éduquées, et quand on cherche à se faire une place, on nous exclut. Sous prétexte de tolérance, la France est intolérante.»
            Un paradoxe français

            Le 16 octobre dernier, Samuel Paty, professeur d'histoire et géographie dans un collège de Conflans-Sainte-Honorine, est décapité en pleine rue pour avoir montré des caricatures de Charlie Hebdo à ses élèves. Une dizaine de jours plus tard, un nouvel attentat frappe la France. Dans la basilique Notre-Dame de Nice, trois personnes, le sacristain et deux femmes venues se recueillir, sont violemment assassinées.

            Meriem est «dégoûtée», «choquée par ces actes monstrueux». Après la tristesse, vient l'inquiétude. «Je me suis dit “ça va encore nous tomber dessus”.» Les chaînes d'information en continu, les multiples déclarations des représentants politiques et la violence de certaines paroles ont eu raison de sa santé mentale. «Je ne sortais pas de chez moi. Je n'avais pas peur, mais je ne voulais plus me confronter à ces gens-là. Ils ne veulent pas faire communauté avec moi, alors pourquoi dois-je persister? J'avais besoin d'un break», raconte l'étudiante, la voix nouée. Elle reprend: «Ça va mieux aujourd'hui. Je suis bien entourée, heureusement.» Elle ne va pas souvent sur les réseaux sociaux, elle a «appris» à «réguler» pour se protéger. «Il y a un an, j'ai supprimé mon compte Twitter car je n'arrivais plus à gérer la pression, les attaques. C'est une des meilleures décisions que j'ai prise.»

            Ce phénomène, Fatiha Ajbli l'a détaillé dans sa thèse. «Quand on met en perspective le rôle central qu'occupe la question de l'émancipation des femmes dans le débat public sur le voile et les effets excluants de la stigmatisation et des lois d'interdictions, il devient dès lors difficile de ne pas voir le paradoxe. Objectivement, ce qui fait aujourd'hui obstacle à l'ascension de ces femmes sur l'échiquier socioprofessionnel, ce n'est pas tant l'islam ou le voile que le refus de leur faire une place dans la société.»
            Ce que vous faites de bien et de mal, vous le faites à vous
            Mahomet

            Commentaire

            Chargement...
            X