L’armée, le peuple, le hirak : Comment sortir de l’impasse Tebboune ?
L’absence du Président Tebboune a replongé l’Algérie dans le 4ème mandat, avec son côté humiliant. Il faut désormais considérer l’épisode Tebboune comme relevant du passé. Et penser à la manière d’en sortir, pour préparer l’étape suivante.
Par Abed Charef
Cette fin novembre 2020 sonne le glas pour la Présidence de M. Abdelmadjid Tebboune, pour le gouvernement Djerad, et pour le conseil constitutionnel. Inutile de parler du Parlement, avec ses deux chambres, ou des « partis de gouvernement », encore moins de la fameuse société civile : ce monde était un héritage encombrant de l’ère Bouteflika, dont il fallait se délester au meilleur moment, mais ce moment opportun ne s’est pas présenté.
Pas de nouveau miracle Tebboune
Commençons par le Président Tebboune. Contrairement à beaucoup, j’ai souvent écrit qu’il n’était pas le choix de l’armée, que son élection, aussi contestable soit-elle, était réelle. Il est devenu le président par défaut, en l’absence de candidats plus crédibles.
Malgré son handicap de départ, M. Tebboune pouvait se créer une légitimité, en lançant de grands projets de renouveau politique, économique et institutionnel. Il n’a pas pu, ou su le faire. Son action n’a pas créé d’adhésion, encore moins d’enthousiasme. Difficile de dire ce qui manquait le plus à M.
Tebboune, le charisme ou la chance.
Toujours est-il que son premier grand projet politique s’est déroulé dans des conditions incroyables. Fixé maladroitement pour le 1er Novembre 2020, le référendum sur la nouvelle constitution a enregistré une participation ridiculement faible, moins du quart des électeurs. Plus grave encore, le président Tebboune a été contaminé par la Covid-19, et a été évacué en Allemagne pour des soins que les hôpitaux algériens étaient supposés ne pas pouvoir assurer, ce qui l’a empêché de participer à son référendum.
La maladie du président Tebboune a rappelé l’ère Bouteflika. Avec tout son côté humiliant : un président absent, une cacophonie au sommet de l’Etat, un pays non géré alors qu’on est en pleine crise économique et politique, une crise à laquelle s’est greffée la pandémie de la Covid-19.
La présidence de M. Tebboune a perdu toute crédibilité. Elle devient un handicap pour le pays. Seul un miracle lui permettrait de rebondir. Mais M. Tebboune a déjà bénéficié d’un miracle dans sa vie, celui de devenir président de la République après son humiliante sortie de 2017, quand il paraissait fini. La vie n’offre pas deux miracles de cette nature.
La fin du conseil constitutionnel
M. Tebboune a entrainé avec lui le conseil constitutionnel et le gouvernement. Le conseil constitutionnel avait l’opportunité d’exister. Il ne l’a pas fait. Il avait la possibilité de s’inquiéter, même formellement, des capacités du président Tebboune à exercer ses prérogatives. Il aurait pu constater cette absence, et pousser vers un intérim de 45 jours. Le conseil s’est abstenu de le faire, alors que le président Tebboune boucle 45 jours d’absence, délai constitutionnel pour un intérim. Résultat : le conseil constitutionnel a prononcé son propre acte de décès.
Le gouvernement, autre victime collatérale
Le gouvernement Djerad a tenté tant bien que mal d’exister. Mais cela ne suffit pas. Il y’a des prérogatives que seul le président de la République peut exercer : promulguer une nouvelle constitution, signer les lois, présider le conseil des ministres, procéder à des nominations à certains postes, etc. Un président hospitalisé depuis plus d’un mois à l’étranger ne peut légalement assumer ces responsabilités. Aucun membre du gouvernement ne s’en est inquiété. Tout le monde s’est comporté comme sous Bouteflika : soit en énonçant des absurdités (même si elles sont moins marquées que sous Bouteflika), soit en gardant un silence gêné. Plus grave encore : les membres du gouvernement ont la responsabilité de veiller au respect de la constitution, de s’inquiéter d’éventuelles dérives. Ils ont failli sur ce terrain.
Nouvelle impasse
Tout ceci nous ramène à la situation d’avril 2019 : un président de la République en marge de la constitution, des institutions paralysées par l’enjeu, incapables de prendre la moindre initiative, alors que le pays est attente de décisions au plus vite. Et encore une fois, l’armée se retrouve en première ligne. C’est à elle qu’est imputée (à tort ou à raison, j’y reviendrai plus loin), l’impasse actuelle. Le comportement de la bureaucratie d’Etat, des acteurs politiques classiques, incapables de produire des idées ou du mouvement, le refus ou l’incapacité des élites politiques d’innover, de prendre des risques, le jeu opaque des anciens réseaux de pouvoir, sont des facteurs autrement plus importants dans l’impasse actuelle que la responsabilité supposée de l’armée.
Le deal d’avril 2019
Ceci est en cohérence avec ce que je dis et écris depuis dix-huit mois. Rappels.
En mars 2019, dans l’élan du hirak, l’armée s’est libérée de ses alliances de l’ère Bouteflika. N’ayons pas peur des mots : elle a pris le pouvoir. Pour corriger ses errements passés, notamment le fait qu’elle ait appuyé le 4ème mandat et tenté d’aller vers un 5ème mandat, et aussi pour éviter de nouveaux errements, elle a adopté une nouvelle matrice, plus conforme à sa nature et à sa mission historique.
Ce qui l’a amené à proposer aux Algériens un nouveau deal, en cinq points : pas de 5ème mandat, fin immédiate du 4ème mandat, résoudre la crise dans le cadre des institutions en vigueur, notamment les articles 7 et 8 de la constitution, promesse que pas une goutte de sang ne coulerait, et promesse d’une grande campagne de lutte contre la corruption.
Sur ces cinq points, quatre répondaient parfaitement aux attentes du hirak. Un seul posait problème : la manière de résoudre la crise. Une partie du hirak, de plus en plus minoritaire, exigeait un processus constituant. L’armée, elle, préférait rester dans le cadre des institutions en vigueur, quitte à changer la constitution en bout de parcours.
Crispations du second semestre 2019
Pressée de revenir à un pouvoir légal, au moins dans sa partie formelle, l’armée a fait le forcing pour organiser une présidentielle avant la fin de l’année 2019. Y compris dans des conditions de tension évidente. Mais contrairement à ce qui a été dit ou écrit, je persiste à dire que l’armée n’avait pas de candidat. Le climat de l’époque a tétanisé les candidats potentiels hors système. Les résultats publiés sont très proches du réel. L’armée a accepté le risque d’une faible participation, y compris une participation proche de zéro en Kabylie. Mais le résultat n’a pas été truqué.
C’était la nouvelle démarche de l’armée, maintenue après la disparition de son chef d’état-major, le général Ahmed Gaïd Salah. La même attitude a prévalu lors du référendum du 1er novembre 2020 : accepter les résultats tels qu’ils sortent des urnes, y compris une participation ridiculement faible, au risque de condamner de fait la nouvelle constitution et, au-delà, la présidence Tebboune.
Ceci nous amène à la situation actuelle. Le poste de président de la République est vacant de fait depuis bientôt 45 jours. Le délai prévu par la constitution pour un intérim est donc épuisé sans que les institutions concernées n’aient engagé la moindre action. Les institutions en place n’ont donc pas joué leur rôle constitutionnel.
Jusque-là, l’armée n’est pas formellement intervenue, mais plus le temps passe, plus la situation va pourrissement. D’où ce retour à avril 2019 : il faut à la fois débloquer la situation, et éviter de retomber dans les impasses et les conflits inutiles de l’été 2019.
Comment y arriver ? En provoquant un déclic, en ouvrant le jeu, en poussant les acteurs politiques à innover, à oser, en organisant des convergences autour de ce qui est fondamental : l’Etat, la République, la démocratie, l’unité Nationale, la séparation des pouvoirs, les libertés, etc. Le pouvoir et sa périphérie doivent notamment mener une action d’envergure pour se doter du personnel et de l’ingénierie nécessaires en vue d’organiser la transformation politique et institutionnelle du pays, car les institutions actuelles sont sclérosées, terriblement dépourvues d’expertise et de savoir-faire, totalement incapables d’agir. Leur seule force, c’est la force d’inertie, qui a façonné leur souci de maintenir le statuquo.
Dans l’autre versant, celui des oppositions et du hirak, il faudra aussi se rendre à l’évidence : il y a des compromis préférables au nihilisme ambiant et au radicalisme de pacotille, type yetnehaw_gaa ; les élites politiques, les hommes d’influence, les faiseurs d’opinion et les intellectuels doivent se libérer des dogmes, des pressions, celles du pouvoir comme celles des réseaux sociaux et de la pensée correcte. Si le pouvoir doit cesser d’utiliser la stabilité et la nécessité de préserver l’Etat pour justicier le glacis et le refus du changement, les oppositions doivent à tout prix intégrer dans leur matrice le souci de l’Etat et des institutions. C’est à ce prix que peut émerger un consensus national autour de ce qui est fondamental, tout le reste pouvant être laissé à la compétition électorale.
Abed Charef /fb
L’absence du Président Tebboune a replongé l’Algérie dans le 4ème mandat, avec son côté humiliant. Il faut désormais considérer l’épisode Tebboune comme relevant du passé. Et penser à la manière d’en sortir, pour préparer l’étape suivante.
Par Abed Charef
Cette fin novembre 2020 sonne le glas pour la Présidence de M. Abdelmadjid Tebboune, pour le gouvernement Djerad, et pour le conseil constitutionnel. Inutile de parler du Parlement, avec ses deux chambres, ou des « partis de gouvernement », encore moins de la fameuse société civile : ce monde était un héritage encombrant de l’ère Bouteflika, dont il fallait se délester au meilleur moment, mais ce moment opportun ne s’est pas présenté.
Pas de nouveau miracle Tebboune
Commençons par le Président Tebboune. Contrairement à beaucoup, j’ai souvent écrit qu’il n’était pas le choix de l’armée, que son élection, aussi contestable soit-elle, était réelle. Il est devenu le président par défaut, en l’absence de candidats plus crédibles.
Malgré son handicap de départ, M. Tebboune pouvait se créer une légitimité, en lançant de grands projets de renouveau politique, économique et institutionnel. Il n’a pas pu, ou su le faire. Son action n’a pas créé d’adhésion, encore moins d’enthousiasme. Difficile de dire ce qui manquait le plus à M.
Tebboune, le charisme ou la chance.
Toujours est-il que son premier grand projet politique s’est déroulé dans des conditions incroyables. Fixé maladroitement pour le 1er Novembre 2020, le référendum sur la nouvelle constitution a enregistré une participation ridiculement faible, moins du quart des électeurs. Plus grave encore, le président Tebboune a été contaminé par la Covid-19, et a été évacué en Allemagne pour des soins que les hôpitaux algériens étaient supposés ne pas pouvoir assurer, ce qui l’a empêché de participer à son référendum.
La maladie du président Tebboune a rappelé l’ère Bouteflika. Avec tout son côté humiliant : un président absent, une cacophonie au sommet de l’Etat, un pays non géré alors qu’on est en pleine crise économique et politique, une crise à laquelle s’est greffée la pandémie de la Covid-19.
La présidence de M. Tebboune a perdu toute crédibilité. Elle devient un handicap pour le pays. Seul un miracle lui permettrait de rebondir. Mais M. Tebboune a déjà bénéficié d’un miracle dans sa vie, celui de devenir président de la République après son humiliante sortie de 2017, quand il paraissait fini. La vie n’offre pas deux miracles de cette nature.
La fin du conseil constitutionnel
M. Tebboune a entrainé avec lui le conseil constitutionnel et le gouvernement. Le conseil constitutionnel avait l’opportunité d’exister. Il ne l’a pas fait. Il avait la possibilité de s’inquiéter, même formellement, des capacités du président Tebboune à exercer ses prérogatives. Il aurait pu constater cette absence, et pousser vers un intérim de 45 jours. Le conseil s’est abstenu de le faire, alors que le président Tebboune boucle 45 jours d’absence, délai constitutionnel pour un intérim. Résultat : le conseil constitutionnel a prononcé son propre acte de décès.
Le gouvernement, autre victime collatérale
Le gouvernement Djerad a tenté tant bien que mal d’exister. Mais cela ne suffit pas. Il y’a des prérogatives que seul le président de la République peut exercer : promulguer une nouvelle constitution, signer les lois, présider le conseil des ministres, procéder à des nominations à certains postes, etc. Un président hospitalisé depuis plus d’un mois à l’étranger ne peut légalement assumer ces responsabilités. Aucun membre du gouvernement ne s’en est inquiété. Tout le monde s’est comporté comme sous Bouteflika : soit en énonçant des absurdités (même si elles sont moins marquées que sous Bouteflika), soit en gardant un silence gêné. Plus grave encore : les membres du gouvernement ont la responsabilité de veiller au respect de la constitution, de s’inquiéter d’éventuelles dérives. Ils ont failli sur ce terrain.
Nouvelle impasse
Tout ceci nous ramène à la situation d’avril 2019 : un président de la République en marge de la constitution, des institutions paralysées par l’enjeu, incapables de prendre la moindre initiative, alors que le pays est attente de décisions au plus vite. Et encore une fois, l’armée se retrouve en première ligne. C’est à elle qu’est imputée (à tort ou à raison, j’y reviendrai plus loin), l’impasse actuelle. Le comportement de la bureaucratie d’Etat, des acteurs politiques classiques, incapables de produire des idées ou du mouvement, le refus ou l’incapacité des élites politiques d’innover, de prendre des risques, le jeu opaque des anciens réseaux de pouvoir, sont des facteurs autrement plus importants dans l’impasse actuelle que la responsabilité supposée de l’armée.
Le deal d’avril 2019
Ceci est en cohérence avec ce que je dis et écris depuis dix-huit mois. Rappels.
En mars 2019, dans l’élan du hirak, l’armée s’est libérée de ses alliances de l’ère Bouteflika. N’ayons pas peur des mots : elle a pris le pouvoir. Pour corriger ses errements passés, notamment le fait qu’elle ait appuyé le 4ème mandat et tenté d’aller vers un 5ème mandat, et aussi pour éviter de nouveaux errements, elle a adopté une nouvelle matrice, plus conforme à sa nature et à sa mission historique.
Ce qui l’a amené à proposer aux Algériens un nouveau deal, en cinq points : pas de 5ème mandat, fin immédiate du 4ème mandat, résoudre la crise dans le cadre des institutions en vigueur, notamment les articles 7 et 8 de la constitution, promesse que pas une goutte de sang ne coulerait, et promesse d’une grande campagne de lutte contre la corruption.
Sur ces cinq points, quatre répondaient parfaitement aux attentes du hirak. Un seul posait problème : la manière de résoudre la crise. Une partie du hirak, de plus en plus minoritaire, exigeait un processus constituant. L’armée, elle, préférait rester dans le cadre des institutions en vigueur, quitte à changer la constitution en bout de parcours.
Crispations du second semestre 2019
Pressée de revenir à un pouvoir légal, au moins dans sa partie formelle, l’armée a fait le forcing pour organiser une présidentielle avant la fin de l’année 2019. Y compris dans des conditions de tension évidente. Mais contrairement à ce qui a été dit ou écrit, je persiste à dire que l’armée n’avait pas de candidat. Le climat de l’époque a tétanisé les candidats potentiels hors système. Les résultats publiés sont très proches du réel. L’armée a accepté le risque d’une faible participation, y compris une participation proche de zéro en Kabylie. Mais le résultat n’a pas été truqué.
C’était la nouvelle démarche de l’armée, maintenue après la disparition de son chef d’état-major, le général Ahmed Gaïd Salah. La même attitude a prévalu lors du référendum du 1er novembre 2020 : accepter les résultats tels qu’ils sortent des urnes, y compris une participation ridiculement faible, au risque de condamner de fait la nouvelle constitution et, au-delà, la présidence Tebboune.
Ceci nous amène à la situation actuelle. Le poste de président de la République est vacant de fait depuis bientôt 45 jours. Le délai prévu par la constitution pour un intérim est donc épuisé sans que les institutions concernées n’aient engagé la moindre action. Les institutions en place n’ont donc pas joué leur rôle constitutionnel.
Jusque-là, l’armée n’est pas formellement intervenue, mais plus le temps passe, plus la situation va pourrissement. D’où ce retour à avril 2019 : il faut à la fois débloquer la situation, et éviter de retomber dans les impasses et les conflits inutiles de l’été 2019.
Comment y arriver ? En provoquant un déclic, en ouvrant le jeu, en poussant les acteurs politiques à innover, à oser, en organisant des convergences autour de ce qui est fondamental : l’Etat, la République, la démocratie, l’unité Nationale, la séparation des pouvoirs, les libertés, etc. Le pouvoir et sa périphérie doivent notamment mener une action d’envergure pour se doter du personnel et de l’ingénierie nécessaires en vue d’organiser la transformation politique et institutionnelle du pays, car les institutions actuelles sont sclérosées, terriblement dépourvues d’expertise et de savoir-faire, totalement incapables d’agir. Leur seule force, c’est la force d’inertie, qui a façonné leur souci de maintenir le statuquo.
Dans l’autre versant, celui des oppositions et du hirak, il faudra aussi se rendre à l’évidence : il y a des compromis préférables au nihilisme ambiant et au radicalisme de pacotille, type yetnehaw_gaa ; les élites politiques, les hommes d’influence, les faiseurs d’opinion et les intellectuels doivent se libérer des dogmes, des pressions, celles du pouvoir comme celles des réseaux sociaux et de la pensée correcte. Si le pouvoir doit cesser d’utiliser la stabilité et la nécessité de préserver l’Etat pour justicier le glacis et le refus du changement, les oppositions doivent à tout prix intégrer dans leur matrice le souci de l’Etat et des institutions. C’est à ce prix que peut émerger un consensus national autour de ce qui est fondamental, tout le reste pouvant être laissé à la compétition électorale.
Abed Charef /fb
Commentaire