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Arabes palestiniens d'Israël : « La démocratie n'existe que pour les citoyens juifs »

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  • Arabes palestiniens d'Israël : « La démocratie n'existe que pour les citoyens juifs »

    INTERVIEW. Le député arabe israélien Youssef Jabareen pointe les nombreuses discriminations auxquelles est confrontée sa communauté en Israël.

    Propos recueillis par Armin Arefi

    Comment vivent les citoyens arabes d'Israël ? Composant près de 18 % de la population israélienne, soit près de 1,4 million d'habitants, ces descendants des Palestiniens restés sur leurs terres après la création de l'État d'Israël possèdent en théorie les mêmes droits que leurs compatriotes juifs israéliens. Ils disposent même de 13 députés au Parlement (la Knesset), au sein de la Liste unifiée, une coalition regroupant le parti d'extrême gauche Hadash ainsi que trois formations arabes.

    Chef du comité des relations internationales de la Liste unifiée, le député Youssef Jabareen (Hadash) était récemment de passage en France pour y rencontrer plusieurs responsables français et participer à l'université d'été de l'association France-Palestine Solidarité. Dans une interview au Point, ce député arabe israélien, également maître de conférences à la faculté de droit de l'université de Haïfa et de l'université Tel-Hai, pointe les discriminations légales et pratiques qui visent au quotidien sa communauté en Israël.

    Le Point : Comment doit-on vous appeler ? Arabe israélien ou Palestinien d'Israël ?

    Youssef Jabareen : C'est une question importante relative à notre identité. En nous qualifiant d'Arabes israéliens, les institutions israéliennes tentent de créer une nouvelle identité pour notre communauté. Mais nous insistons sur notre identité arabe palestinienne, tout en étant également des citoyens d'Israël. Voilà pourquoi je préfère que vous me qualifiiez de « membre arabe de la Knesset ». N'oubliez pas, notre communauté est indigène. Après la Nakba (la « catastrophe » en arabe, soit l'exode forcé de 750 000 Palestiniens de leur terre durant la guerre israélo-arabe de 1948, NDLR), seuls 15 % des Palestiniens n'ont pas été expulsés par l'armée israélienne. Nous sommes donc ce qu'il reste du peuple palestinien qui vivait en Palestine avant 1948. Après cette date, nous sommes passés à près de 160 000. Aujourd'hui, nous sommes 1,5 million, soit 18 % de la population (israélienne). Nous sommes donc une communauté nationale, ethnique, religieuse, culturelle et linguistique. Toutefois, nous sommes victimes de politiques de discrimination au niveau économique et social.



    Youssef Jabareen


    Lesquelles ?

    Si notre nombre a été décuplé depuis 1948, nous ne possédons plus que 50 % des terres que nous avions par le passé, en raison d'une politique continue de confiscation de la part du gouvernement. Alors qu'aucun nouveau quartier arabe n'a été construit en Israël, plus d'un millier de quartiers juifs ont vu le jour. En ce qui concerne la propriété foncière, il existe des statuts spéciaux pour les organisations juives et sionistes comme le Fonds national juif ou l'Agence juive qui ont beaucoup de prérogatives sur les projets de développement et, selon la loi, ne servent que la communauté juive. Nous sommes aujourd'hui peut-être la communauté la plus pauvre d'Israël en termes socio-économiques. Le gouvernement nous alloue moins de ressources et nous souffrons de difficultés d'accès aux services publics de base. Nos villages et nos villes, qui sont nos cités historiques, sont très densément peuplés, avec 90 % de notre communauté qui y vit. Et nous y souffrons d'un manque de financement, tant au niveau de l'éducation que de l'emploi.

    Voulez-vous dire qu'un jeune Arabe israélien n'a pas les mêmes chances de réussir que son compatriote juif ?

    Tout à fait. Comparés aux écoles juives, les établissements arabes sont sous-financés. Nous n'avons pas le droit d'administrer nous-mêmes nos propres écoles. Nous n'avons donc aucune influence sur notre système éducatif. Le programme scolaire est dicté par le gouvernement, or il ne reconnaît pas notre identité palestinienne. Ainsi, nous ne pouvons étudier notre histoire et notre culture, par exemple le grand poète palestinien Mahmoud Darwich. Pourtant, à l'intérieur de la communauté juive, il existe différents systèmes d'éducation décidés par des Juifs.

    Israël n'est-il pourtant pas la seule démocratie du Moyen-Orient ?

    Israël se définit comme un État juif et démocratique, dans cet ordre. Dans les faits, c'est un État juif pour les Arabes, et démocratique pour les Juifs. Autrement dit, la démocratie n'existe que pour ses citoyens juifs. J'ai obtenu mon doctorat dans le droit, avec une spécialisation sur les droits de l'homme. Après avoir observé attentivement la loi israélienne, j'ai relevé cinquante lois qui contiennent des dispositions spéciales uniquement réservées aux citoyens juifs, et pas aux citoyens arabes palestiniens, qui représentent tout de même 18 % de la population. Par exemple, sur les questions d'immigration, si vous êtes juif, vous avez un droit automatique de venir vous installer en Israël et de demander la nationalité. Au contraire, si vous êtes un Palestinien, et que vous êtes marié à un citoyen arabe palestinien d'Israël, vous ne pouvez pas le rejoindre. Le regroupement familial est interdit.
    Qu'en est-il de la situation des résidents palestiniens de Jérusalem, dont beaucoup craignent de quitter la ville de peur de ne plus avoir le droit d'y retourner ?
    C'est tout à fait vrai. Lorsque Israël a décidé d'annexer illégalement Jérusalem-Est (suite à la guerre des six jours en 1967, NDLR), il n'a pas donné aux Palestiniens la citoyenneté israélienne mais uniquement un statut de résident. Cela signifie qu'ils doivent résider tout le temps à Jérusalem. Dans le cas contraire, ils risquent de perdre leur statut et ne pas pouvoir retourner y vivre. Cela s'applique, par exemple, aux jeunes Palestiniens désireux de partir étudier quelques années à l'étranger.

    Pourtant, le gouvernement israélien ne cesse de répéter que ses 20 % d'Arabes jouissent des mêmes droits que ses 75 % de Juifs.

    Malheureusement, la communauté internationale n'est pas au courant de la situation des citoyens arabes palestiniens d'Israël. Nous sommes considérés comme des citoyens inférieurs, de seconde zone, pas simplement dans la pratique mais également selon la loi. Ces jours-ci, alors que je suis à Paris pour tenter de sensibiliser les responsables français sur cette réalité, je suis très préoccupé par ce qui se passe chez moi. Le gouvernement est en train de promouvoir un nouveau projet de loi intitulé « loi de l'État nation », qui stipule qu'Israël est l'État nation du peuple juif. Or, ce projet de loi perpétue le caractère inférieur de notre communauté en garantissant des droits exclusifs à ses citoyens juifs. Parmi eux figure la construction de nouveaux quartiers basés sur la religion et la nationalité, c'est-à-dire en réalité exclusivement juifs. Il y a également une autre disposition qui vise à dégrader le statut de la langue arabe, de langue officielle à langue avec un statut particulier. À travers ces exemples, on peut dire qu'il existe aujourd'hui une volonté de dégrader le statut de notre communauté.


    Israël invoque des raisons de sécurité...

    Pour ce qui est des lois interdisant la réunification de familles d'Arabes palestiniens d'Israël et de Palestiniens, il s'agit en effet officiellement de « raisons de sécurité ». Pourtant, en pratique, on sait que la véritable raison est démographique. Le gouvernement souhaite qu'il y ait le moins de Palestiniens possible en Israël. Or, on ne peut pas être un État démocratique d'un côté et de l'autre considérer ses citoyens selon différentes classes. Ceux qui sont juifs sont des citoyens de première classe, et ceux qui ne le sont pas, à savoir les Arabes palestiniens, sont considérés comme des citoyens de deuxième ou même de troisième classe, et ne jouissent pas des mêmes droits.

    Beaucoup de soutiens ardents de l'État d'Israël affirment que les Arabes israéliens ont néanmoins bien plus de droits dans l'État hébreu que dans l'ensemble des pays arabes de la région réunis. Qu'en pensez-vous ?

    En quoi cela est-il pertinent ? Je réclame en premier lieu l'égalité dans ma patrie, et dans le pays dans lequel je vis. Ainsi, je ne peux comparer ma situation qu'à celle des autres citoyens de mon pays, pas aux standards de vie des populations arabes d'autres États. Cela n'a rien à voir. La réalité est que dans une démocratie, le gouvernement doit allouer les mêmes ressources à tous ses citoyens. Vous ne pouvez pas vous présenter comme une démocratie à part entière et entretenir un système d'exclusion et de discrimination. Parfois, je décris la démocratie israélienne comme un gruyère. Et nous, citoyens arabes, vivons dans ces trous. Voilà notre statut. Nous ne sommes pas vus comme des citoyens égaux. Il suffit d'observer les représentants de notre communauté, élus à la Knesset (le Parlement israélien). Il existe actuellement un processus de délégitimation de notre rôle de député. Chaque semaine, nous sommes accusés d'être des traîtres, de constituer une cinquième colonne, d'être les représentants de groupes terroristes. Or, cela ne vient pas uniquement des députés, mais aussi des ministres du gouvernement israélien actuel.


    lepoint.fr
    Dernière modification par sako, 09 décembre 2020, 14h32.
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