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“Il y a environ 300 000 migrants irréguliers en Algérie”

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  • “Il y a environ 300 000 migrants irréguliers en Algérie”

    CAPUTO PAOLO GIUSEPPE, CHEF DE MISSION DE L’ORGANISATION INTERNATIONALE POUR LES MIGRATIONS À ALGER

    “Il y a environ 300 000 migrants irréguliers en Algérie”
    © Billel Zehani/Liberté

    Avant de venir en Algérie en 2018 pour diriger la Mission de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) à Alger, Paolo Caputo a eu à assumer la même mission dans plusieurs pays, dont le Mozambique. Il a également travaillé pour d’autres organisations onusiennes, comme le Haut-Commissariat aux Réfugiés ou encore la Banque mondiale.

    Liberté : Combien de migrants votre organisation a-t-elle rapatrié depuis votre arrivée en Algérie ?
    Caputo Paolo Giuseppe : Pour ce qui concerne le programme d’assistance volontaire, au retour et à la réintégration, l’Organisation internationale pour les migrations a mis en place un certain dispositif en 2018. Durant cette première année, il y a eu environ 200 personnes rapatriées, atteignant plus d’un millier en 2019. C’est durant l’année 2019 qu’il y a eu l’introduction des vols spécifiques aux retours volontaires.

    C’est-à-dire que l’OIM ne se contentait pas seulement de l’achat des billets de retour à bord de vols commerciaux, mais elle organisait des vols spéciaux avec Air Algérie et les autorités algériennes. Cela nous a permis, même pendant cette période de la Covid-19 durant laquelle les compagnies aériennes sont bloquées, de continuer à assister les migrants. Spécifiquement, on a fait trois vols en 2019 : Tamanrasset pour Niamey-Niger, puis Alger-Bamako et enfin Illizi-Niamey.

    En 2020, on a été bloqués durant la première phase de la pandémie. Mais, le gouvernement algérien nous a permis de reprendre nos vols. Ainsi, depuis le 14 juillet, nous avons effectué six vols de rapatriement pour un total de 545 migrants, dont 173 hommes et 55 femmes. Il y a deux autres vols prévus pour les 17 et 21 du mois en cours. En 2021, nous devrions avoir d’autres vols, au moment où nous recevons environ 200 requêtes d’assistance chaque jour.

    Ces retours volontaires sont dus à la pandémie ou alors, y a-t-il d’autres motifs qui poussent les migrants subsahariens à vouloir rentrer chez eux ?
    Ces retours volontaires existaient déjà. Bien sûr, avec la pandémie, il est possible, même si nous n’avons pas de preuve, que beaucoup de migrants aient voulu bénéficier de ce dispositif, à cause de la dégradation des conditions de travail, due à la crise économique. Il y a aussi le fait que ce dispositif soit beaucoup plus connu aujourd’hui chez les communautés de migrants.

    Quelles sont les nationalités dominantes ?
    Les deux groupes majoritaires en Algérie sont les Maliens et les Nigériens, mais ils ne sont plus majoritaires pour ces retours volontaires, parce qu’il y a une histoire derrière l’immigration de ces deux groupes de nationalité. Donc ceux qui demandent à s’inscrire pour ces vols sont plutôt Guinéens, du fait qu’ils sont francophones. Pour eux, l’Algérie est un endroit privilégié pour immigrer. Mais il y a aussi les Togolais, les Camerounais, les Bissau-Guinéens, les Sénégalais, les Béninois, les Gambiens.

    Tous ces migrants sont-ils là pour rester travailler et s’installer ou pour poursuivre leur route vers l’Europe ?
    Pour cela, il n’y a pas assez de données fiables, mais l’impression dominante est qu’il y a de plus en plus de migrants qui veulent s’installer en Algérie en raison de son potentiel économique et des chances de trouver un travail.

    Vous voulez dire que l’Algérie est devenue un pays d’accueil ?
    Selon nous et avec les propos que nous recueillons auprès des migrants chaque jour, l’Algérie est en train de devenir un pays de destination parmi tous les autres pays d’Afrique du Nord. Cela, du fait que l’Algérie offre des opportunités de travail pour beaucoup de migrants subsahariens.

    Donc, c’est un pays qui reste attractif. Ce qui n’est plus le cas aujourd’hui pour la Libye, à cause de la guerre. Parmi nos bénéficiaires des retours volontaires, il y en a beaucoup qui sont restés en Algérie durant plusieurs années pour travailler. Cela nous indique qu’il y a une importante population de migrants résidente.

    Avez-vous des données précises ?
    Il n’y a que des estimations. Le gouvernement algérien a indiqué plusieurs fois qu’il y avait un flux de migrants très important à travers les frontières sud du pays, avec 500 migrants qui entrent chaque jour. Pour nous, il y a une forte impression qu’une bonne partie des migrants vient s’installer en Algérie, et même ceux qui avaient pour projet de continuer en Europe, il y en a beaucoup qui changent d’avis car ils trouvent des conditions qui, pour eux, sont très intéressantes pour trouver un emploi et gagner de l’argent qu’ils peuvent envoyer à leurs familles restées aux pays d’origine.

    Évidemment, l’Algérie reste un pays de destination informelle. D’un point de vue juridique, la présence de la majorité de ces migrants se fait de manière irrégulière. Mais cela est la tendance dans tous les pays qui deviennent progressivement des pays de destination et qui ne disposent pas, au départ, d’un cadre juridique pour cela. Cela dit, l’Algérie pourrait mettre un cadre juridique puisque le pays pourrait bénéficier de la présence de ces migrants pour son économie.

    Selon un organisme spécialisé de l’Organisation des Nations unies, il y aurait environ 300 000 migrants irréguliers en Algérie, mais selon certaines estimations d’associations et d’organisations de la société civile, il pourrait y en avoir plus de 500 000. Cependant, il n’existe pas de recensement précis. Par rapport au nombre de la population en Algérie, cela n’est pas énorme.

    Ce flux s’est-il arrêté pendant cette période de pandémie ?
    Il s’est arrêté pour une courte période. Il y a eu un moment où les réseaux de passeurs, les trafiquants et les migrants étaient bloqués. Je parle de la période d’avril à mai. Mais en certains points, inévitablement, l’immigration irrégulière a repris au début de l’été. De plus, et malgré la pandémie, les gens ont besoin de travailler.

    Comment avez-vous travaillé tout au long de cette période de pandémie de Covid-19 ?
    Comme tout le monde, cela a été un défi de continuer à travailler. Nous nous sommes retrouvés avec deux priorités : celle de protéger notre personnel, mais aussi les migrants et surtout de ne pas les abandonner. L’OIM, au niveau global, a fait un choix stratégique : on reste et on livre nos services. Bien sûr, tout est devenu plus compliqué, plus cher et risqué. Mais nous sommes restés.

    Il y a eu un moment, au début de la pandémie, où comme tous les autres, nous avons fermé nos bureaux pour travailler à distance. Nous avons mis des mécanismes d’enregistrement des migrants à distance, d’entretiens téléphoniques pour s’inscrire à notre dispositif.

    Mais il y a le travail de terrain qui nécessite une présence physique et nous avons donc été obligés de reprendre progressivement avec toutes les précautions sanitaires qu’il faut prendre pour éviter les contaminations. Tous les migrants qui voyagent avec l’OIM font leurs tests PCR avant d’embarquer. Cela est un coût additionnel, mais nécessaire, car la vie doit continuer.

    Outre les rapatriements, quelles sont vos autres actions sur le terrain ?
    Pour nous, c’est toujours la meilleure question, parce que la migration est faite de beaucoup d’aspect différents. Ce n’est pas seulement l’immigration irrégulière, ce n’est pas seulement le retour volontaire. Mais, par exemple, avec le gouvernement algérien, nous menons une excellente coopération dans le domaine de la santé migratoire.

    La santé des migrants est un programme de priorité nationale parce qu’avoir une population migrante en bonne santé, c’est continuer à avoir une population locale en bonne santé, parce que les maladies et les virus ne connaissent pas de frontières ou l’origine des gens.

    Avec le ministère de la Santé, nous avons mis en place des unités mobiles pour les maladies infectieuses et nous avons obtenu de très bons résultats. Nous menons aussi des actions de cohésion sociale pour faciliter les relations entre les communautés locales et les migrants.

    On travaille avec le gouvernement algérien sur la prévention et la lutte contre la traite des humains. Même si l’Algérie n’a pas entièrement adopté le Pacte migratoire de l’Onu qui a été signé à Marrakech (Maroc) en 2018, elle participe d’une façon très active dans ce processus.

    Quelles sont les difficultés rencontrées par l’OIM pour identifier et assister les migrants pour un retour volontaire et leur réintégration sociale dans leur pays d’origine ?
    Avec Mahdi Rahmani, notre National Project Officer, responsable du pôle Protection et Assistance aux migrants, et en collaboration avec les autorités algériennes, l’OIM a mis en place une stratégie qui se traduit entre autres par la présence d’une unité de communication à l’OIM Algérie qui gère la page Facebook du bureau dans le but d’informer les migrants des activités de l’Organisation en Algérie précisément et dans la région Mena, et dans le monde de manière générale, la mise en place d’une ligne directe pour répondre aux besoins des migrants en situation de vulnérabilité ou à leurs questions sur le programme de retour volontaire et de réintégration, la mise en place d’un programme ambitieux de sensibilisation sur les risques de la migration irrégulière, et l’aide proposée par l’OIM Algérie pour les migrants bloqués en Algérie ou en situation irrégulière dans le respect des lois algériennes et internationales, sans oublier la mise en place d’un programme de l’aide au retour volontaire et à la réintégration (AVRR) en Algérie qui vise à offrir la possibilité d’un retour et d’une réintégration dans le respect de la dignité humaine pour les migrants qui ne veulent pas ou ne peuvent pas rester dans le pays d’accueil.

    Toutefois, cette volonté de l’OIM Algérie de sensibiliser un large éventail de migrants réguliers et irréguliers en Algérie se heurte à quelques difficultés telles qu’une présence récente de l’OIM en Algérie et l’absence de l’organisation de certains grands pôles urbains en Algérie, notamment dans le sud du pays où se concentrent certaines communautés migrantes, les blocages liés à la pandémie de coronavirus qui ont freiné le mouvement des migrants et les visites spontanées au bureau de l’OIM à Alger, mais aussi les opérations de retour volontaire sur des vols commerciaux depuis l’aéroport Houari-Boumediene, la peur de certains migrants qui sont victimes de la traite ou des réseaux de passeurs depuis leur pays d’origine.

    À cet effet, l’OIM, avec l’aide du gouvernement algérien, s’attelle à répondre aux besoins de ces groupes vulnérables dont des enfants migrants non accompagnés ou ceux à la santé fragile.

    Réalisé par : LYÈS MENACER
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