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Opacité et incertitudes autour de la situation financière de l’Algérie

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  • Opacité et incertitudes autour de la situation financière de l’Algérie

    À l’approche de la fin de l’année 2020, c’est un climat d’incertitude qui domine à propos de la situation financière de l’Algérie. Une ambiance entretenue par le manque de transparence, voire la rétention de l’information qui caractérise la communication du gouvernement algérien dans ce domaine depuis le début de l’année en cours.

    La scène se passe début octobre dernier lors d’une émission matinale de la Chaîne III de la radio nationale. L’animatrice, Souhila Lhachemi, reçoit le ministre des Finances, Aymen Benabderrahmane. Une première question est posée sur la situation de nos réserves de change.
    Le ministre répond de façon évasive en évoquant classiquement une « situation confortable qui permet à l’Algérie de faire face à ses engagements internationaux ».

    L’animatrice insiste en essayant d’obtenir un chiffre sur le montant exact des réserves de change du pays. Aymen Benabderrahmane répond sèchement et sur un ton agacé : « Nos réserves de change sont suffisantes ». Souhila Lhachemi n’obtiendra aucune information supplémentaire sur ce chapitre.

    L’information économique sous embargo

    Cet échange en direct sur une chaîne de la radio publique est une illustration éloquente que ce qui s’apparente à une nouvelle doctrine des autorités économiques du pays en matière d’information économique.
    Depuis près de 25 ans, le public et les médias algériens s’étaient habitués à recevoir et commenter régulièrement les informations sur l’évolution de nos échanges extérieurs et la situation financière de notre pays.
    C’est ainsi que depuis le milieu des années 1990, l’administration des Douanes, placée sous la tutelle du ministère des Finances, publiait chaque mois des résultats très détaillés sur les résultats de nos échanges extérieurs. Des résultats largement commentés et analysés par l’ensemble des médias algériens.

    C’est également depuis plus d’un quart de siècle que, de son côté, la Banque d’Algérie rendait publique à un rythme trimestriel une note de conjoncture qui renseignait notamment les médias algériens et l’opinion nationale sur l’état de notre balance des paiements et le niveau de nos réserves internationales de change.
    Le changement de décor est complet depuis le début de l’année en cours. Le gouvernement et les autorités économiques nationales semblent avoir décidé de placer l’information relative à nos (dés)équilibres financiers extérieurs sous embargo.
    La situation de notre balance commerciale est devenue une information confidentielle et le niveau de nos réserves de change est un secret bien gardé.

    Tout se passe comme si, face à une situation financière de plus en plus tendue, une information régulière et transparente était désormais conçue par le gouvernement algérien comme un facteur de vulnérabilité à la fois interne et externe.
    L’expert algérien Abderrahim Bessaha commentait récemment cette évolution en estimant que « cette absence de données économiques et financières de base est incompréhensible et ne sert personne ».
    Il ajoutait qu’« en période de crise notamment, plus la population est informée plus elle comprend les défis et mieux, elle participe à leur solution. Il en est de même pour nos partenaires étrangers avec qui notre pays souhaite travailler pour résoudre les problèmes économiques nationaux ».

    Un « récit économique » officiel sans rapport avec la réalité

    En lieu et place d’une information crédible et transparente, ce contrôle étroit de l’information économique s’accompagne depuis quelques mois de l’élaboration par le gouvernement d’un « récit économique » politiquement compatible avec la feuille de route officielle et souvent aux antipodes de la situation économique réelle du pays.
    Alors que les institutions financières internationales et la plupart des économistes indépendants annoncent une poursuite de la chute de nos réserves de change et une probable crise financière dès 2022.
    Le gouvernement algérien de son côté vient de rendre publiques, dans le projet de Loi de finances pour 2021, des prévisions qui anticipent un redressement spectaculaire de la balance des paiements dès l’année prochaine et une stabilisation de nos réserves financières internationales au cours des prochaines années.

    L’opacité entretenue depuis le début de l’année par le gouvernement algérien à propos de nos performances économiques n’empêche cependant pas l’information de circuler en dehors des circuits officiels nationaux.
    C’est ainsi que le discours rassurant des autorités économiques algériennes est largement contredit notamment par les institutions financières internationales. En octobre dernier, le Fonds monétaire international annonçait une forte augmentation de nos déficits externes en 2020 et 2021.
    Le FMI évoque notamment un déficit probable de la balance des paiements de l’ordre de 16 % du PIB (soit plus de 23 milliards de dollars) pour l’année 2021.

    Ancien cadre auprès du FMI, Abderrahim Bessaha, qui semble avoir bénéficié d’informations qui n’ont pas été portées à la connaissance du public algérien, estimait, également en octobre dernier, qu’« avec des réserves de change s’élevant à environ 53,5 milliards de dollars à fin juin 2020, le financement des déficits de la balance des paiements projetés pour 2020 et 2021 devrait conduire à une baisse continue des réserves de change qui passeraient ainsi de 63,8 milliards de dollars à fin 2019 à 43,8 milliards de dollars à fin 2020 et 23,8 milliards de dollars en 2021 ».
    « Ces ordres de grandeur suggèrent un niveau de réserves inadéquat pour 2022 », estimait également l’expert algérien qui n’hésite pas à prévoir un probable recours au Fond monétaire international dès le premier semestre 2022.

    Le gouvernement dans le déni face à la crise des finances publiques

    Le contrôle de l’information économique mis en place par le gouvernement ne concerne pas seulement nos équilibres financiers extérieurs. Il s’étend également à la situation de nos finances publiques internes.
    La Loi de finances 2021 approuvée voici quelques jours par les deux chambres du Parlement algérien affiche des déficits des comptes publics d’un niveau sans précédent dans l’histoire de notre pays.
    Le premier concerne le déficit budgétaire au sens strict qui est estimé à près de 2780 milliards de dinars, soit un peu moins de 14 % du PIB, contre 2380 milliards de dinars prévus pour la clôture de l’exercice 2020.
    Le second mesure le « solde global du Trésor ». Il sera négatif à hauteur de près de 3614 milliards de dinars (l’équivalent de près de 29 milliards de dollars), soit 17,6 % du PIB national.

    Selon les sources de TSA, « la différence entre les deux mesures du déficit des finances publiques vient essentiellement de la prise en compte dans le deuxième cas du déficit de la Caisse nationale des retraites qui est financé par le budget de l’Etat et représente plus de 3 % du PIB ».
    Ces déficits d’un montant considérable avaient été anticipés par les institutions financières internationales en octobre dernier. Le FMI les considère d’ailleurs comme « les plus élevés de la région Mena ».
    Les prévisions officielles de la Loi de finances 2021 semblent ainsi conforter le constat alarmant d’un profond déséquilibre, voire de ce qui s’apparente à une véritable dérive des finances publiques nationales.
    Ce n’est pas du tout le point de vue exprimé par le gouvernement. Les premiers commentaires officiels, relayés par l’agence APS, évoquent au contraire, sans aucun état d’âme, une Loi de finances 2021 « qui consolide les équilibres financiers internes » ( sic).

    S’exprimant la semaine dernière devant les cadres de son département, Aymen Benabderrahmane s’inscrit dans la même démarche de dénégation du caractère alarmant de notre situation financière.
    Face aux inquiétudes exprimées au cours des dernières semaines par les parlementaires eux-mêmes, il tente de « dédramatiser » la situation que traverse le pays, assurant que l’économie nationale « possède de nombreux atouts qu’elle n’a pas encore déployés ».
    Au premier rang de ces « atouts », le ministre des Finances met ainsi en avant le faible endettement de l’Algérie qui fait que le pays est capable, selon lui, de renforcer la résilience de l’économie face au poids des déficits. « L’endettement intérieur par rapport au PIB en Algérie est le plus faible dans la région », assure Aymen Benabderrahmane.

    Un haut fonctionnaire qui préfère garder l’anonymat précise pour TSA que « le ministre oublie d’ajouter que la dette interne qui ne dépassait pas 8 % du PIB en 2014 pourrait atteindre un niveau proche de 60 % à fin 2021. Un niveau de dette qui nous rapprocherait ainsi de la moyenne régionale mais avec un taux de croissance de la dette beaucoup plus élevé que celui des pays voisins ».
    Face à des réserves de change qui ont déjà été réduites de près de 150 milliards de dollars depuis 2014 et une dette interne qui suit le chemin inverse, stimulée par des déficits records, l’Exécutif ne propose aujourd’hui aucune réponse économique autre que la fuite en avant dans la dépense budgétaire et la poursuite de la consommation de nos réserves financières.
    « Pour l’instant, tout va encore très bien et il n’y a pas lieu de s’alarmer », se contente de suggérer en substance le gouvernement ainsi que le premier argentier du pays. C’est aussi ce que prétend, suivant une parabole célèbre, la personne qui saute du 10e étage avant de s’écraser au sol.
    TSA
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