DÉGRINGOLADE. La dévaluation du dinar, planifiée dans la loi de finances 2021, risque de fragiliser une économie qui souffre déjà de scories structurelles. Par Adlène Meddi, à Alger
Publié le 23/12/2020 à 17:26 | Le Point.fr
La depreciation du dinar algerien face aux monnaies etrangeres met en difficultes plusieurs activites en Algerie.
La dépréciation du dinar algérien face aux monnaies étrangères met en difficultés plusieurs activités en Algérie.
Sous les arcades du square Port-Saïd à Alger-centre, tout près du front de mer, les cambistes, grosses liasses de billets en main, interpellent passants et automobilistes proposant vente et achat de toutes les devises disponibles au black. « Le business marche bien, atteste Kamel, jeune cambiste. Même si l'euro flambe [face au dinar], la demande reste importante, les gens veulent y investir, surtout ceux qui ont de grandes sommes d'argent en dinar qui dorment. » « Les gens se préparent aussi à l'ouverture des frontières avec ce vaccin qui arrive, alors la demande augmente, et la valeur de l'euro suit. D'autres préfèrent avoir une épargne en euro plutôt qu'en dinar face à la rareté de la liquidité dans les banques et la poste et qui dure depuis des mois », analyse le cambiste.
Mais là n'est pas la seule explication à la dégringolade de la monnaie algérienne. Depuis près de deux mois, le marché des devises, officiel et informel, atteint des records. En parallèle à la chute de la monnaie algérienne, qui a perdu un peu plus de 10 % de sa valeur ces dernières années, un euro s'échange, fin décembre, à près de 220 dinars sur le marché informel (et peut monter à 240 DA début 2021), et, officiellement selon la Banque d'Algérie, à 161 dinars.
Faire face au déficit
En fait, le marché informel suit de près la courbe de la dévaluation du dinar opérée par les autorités. La loi de finances 2021 table, en effet, sur une dépréciation progressive du dinar sur trois ans : un taux de 142 dinars pour un dollar américain en 2021, 149,71 dinars en 2022 et 156 dinars en 2023.
« Il s'agit en fait d'une poursuite de la dévaluation du dinar destinée depuis ces dernières années à gonfler les recettes fiscales pétrolières par effet de change », fait remarquer le quotidien Reporters. Les rentrées pétrolières chutent alors que les dépenses publiques, selon la loi de finances 2021, sont en augmentation de 10 %. « Ces dévaluations ne sont pas faites, comme il est de tradition, pour attirer les investisseurs et favoriser les exportations hors hydrocarbures, mais seulement pour doper le budget de l'État par l'effet de la conversion en dinars des recettes pétrolières libellées en dollars », regrette l'économiste Nordine Grim.
« Grâce à ce gonflement artificiel des recettes budgétaires, le gouvernement algérien pourra en effet, sans trop de difficultés, payer ses trois millions de fonctionnaires, les transferts sociaux et autres soutiens des prix de produits de large consommation. Il pourra également continuer à dépenser sans compter pour maintenir son train de vie », poursuit l'expert.
Cette politique monétaire impactera aussi le tissu productif ainsi que les ménages. Selon le quotidien El Khabar, le souci est que « la monnaie nationale demeure gérée administrativement afin de réaliser des objectifs à très court terme ».
Une inflation difficilement maîtrisable
« Ce sont surtout les entreprises de production qui subissent de plein fouet les méfaits du glissement de la monnaie nationale par rapport à l'euro et au dollar, explique le journal Liberté. Ces opérateurs dépendent, en effet, des marchés étrangers pour maintenir leur production. Ils importent ainsi les matières premières à l'international et paient leurs fournisseurs en devises. »
Automatiquement, les pertes au change de ces entreprises seront reportées sur le prix de vente des produits finis. « Les effets de cette dépréciation sur les ménages commencent déjà à se faire sentir avec une inflation qui touche plusieurs produits et qui risque de s'élargir à une grande partie des produits non subventionnés », s'inquiète le consultant en management, Mohamed Saïd Kahou. La loi de finances 2021 table sur un taux d'inflation de 4,5 % qui se stabiliserait à 5 % en 2022-2023.
« L'État doit mettre en place un plan pour soutenir le pouvoir d'achat en accordant des crédits étudiés sans intérêts à la consommation, réduire les impôts, réorienter les aides sociales vers les familles les plus vulnérables ou sans revenus, développer le low cost à travers des marchés de proximité, et enfin lancer un certain nombre d'actions pouvant apaiser cette baisse du pouvoir d'achat, mais qui tardent à voir le jour », propose pour sa part l'économiste Smaïn Lalmas.
La dévaluation, une nécessité
Mais d'après le think tank Care, la dévaluation du dinar est inévitable, mais « le problème, c'est d'aménager les conditions de son applicabilité effective ».
« L'entêtement à garder le dinar surévalué, maintenant un pouvoir d'achat artificiel et subventionnant de fait les importations, nous mène à une impasse et à des réajustements plus douloureux lorsque nous serons contraints de les faire », considère ce think tank, craignant le « risque d'avoir à procéder à une dévaluation brutale une fois les réserves de change épuisées. »
Une dévaluation graduelle remplacerait les politiques administratives centralisées, déjà pour « sortir de la situation intenable dans laquelle les politiques publiques adoptées jusque-là n'arrivent pas à contenir l'hémorragie des comptes extérieurs et donnent lieu à une érosion ininterrompue des réserves de change du pays », selon Care.
« Cette dérive du taux de change de la monnaie nationale se poursuit très visiblement au cours de cette année et est appelée à se poursuivre encore au cours des années qui viennent, tant que ne seront pas effectivement engagées les réformes profondes d'un ensemble de politiques publiques consacrées à la gestion des échanges extérieurs, du budget de l'État, du système des subventions, des entreprises publiques, etc. », prévient le think tank.
Finalement, le ministre des Finances, Aymen Benabderrahmane, a bien résumé la situation devant des députés mi-décembre : « On ne peut pas avoir un dinar fort sans une économie forte. »
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Publié le 23/12/2020 à 17:26 | Le Point.fr
La depreciation du dinar algerien face aux monnaies etrangeres met en difficultes plusieurs activites en Algerie.
La dépréciation du dinar algérien face aux monnaies étrangères met en difficultés plusieurs activités en Algérie.
Sous les arcades du square Port-Saïd à Alger-centre, tout près du front de mer, les cambistes, grosses liasses de billets en main, interpellent passants et automobilistes proposant vente et achat de toutes les devises disponibles au black. « Le business marche bien, atteste Kamel, jeune cambiste. Même si l'euro flambe [face au dinar], la demande reste importante, les gens veulent y investir, surtout ceux qui ont de grandes sommes d'argent en dinar qui dorment. » « Les gens se préparent aussi à l'ouverture des frontières avec ce vaccin qui arrive, alors la demande augmente, et la valeur de l'euro suit. D'autres préfèrent avoir une épargne en euro plutôt qu'en dinar face à la rareté de la liquidité dans les banques et la poste et qui dure depuis des mois », analyse le cambiste.
Mais là n'est pas la seule explication à la dégringolade de la monnaie algérienne. Depuis près de deux mois, le marché des devises, officiel et informel, atteint des records. En parallèle à la chute de la monnaie algérienne, qui a perdu un peu plus de 10 % de sa valeur ces dernières années, un euro s'échange, fin décembre, à près de 220 dinars sur le marché informel (et peut monter à 240 DA début 2021), et, officiellement selon la Banque d'Algérie, à 161 dinars.
Faire face au déficit
En fait, le marché informel suit de près la courbe de la dévaluation du dinar opérée par les autorités. La loi de finances 2021 table, en effet, sur une dépréciation progressive du dinar sur trois ans : un taux de 142 dinars pour un dollar américain en 2021, 149,71 dinars en 2022 et 156 dinars en 2023.
« Il s'agit en fait d'une poursuite de la dévaluation du dinar destinée depuis ces dernières années à gonfler les recettes fiscales pétrolières par effet de change », fait remarquer le quotidien Reporters. Les rentrées pétrolières chutent alors que les dépenses publiques, selon la loi de finances 2021, sont en augmentation de 10 %. « Ces dévaluations ne sont pas faites, comme il est de tradition, pour attirer les investisseurs et favoriser les exportations hors hydrocarbures, mais seulement pour doper le budget de l'État par l'effet de la conversion en dinars des recettes pétrolières libellées en dollars », regrette l'économiste Nordine Grim.
« Grâce à ce gonflement artificiel des recettes budgétaires, le gouvernement algérien pourra en effet, sans trop de difficultés, payer ses trois millions de fonctionnaires, les transferts sociaux et autres soutiens des prix de produits de large consommation. Il pourra également continuer à dépenser sans compter pour maintenir son train de vie », poursuit l'expert.
Cette politique monétaire impactera aussi le tissu productif ainsi que les ménages. Selon le quotidien El Khabar, le souci est que « la monnaie nationale demeure gérée administrativement afin de réaliser des objectifs à très court terme ».
Une inflation difficilement maîtrisable
« Ce sont surtout les entreprises de production qui subissent de plein fouet les méfaits du glissement de la monnaie nationale par rapport à l'euro et au dollar, explique le journal Liberté. Ces opérateurs dépendent, en effet, des marchés étrangers pour maintenir leur production. Ils importent ainsi les matières premières à l'international et paient leurs fournisseurs en devises. »
Automatiquement, les pertes au change de ces entreprises seront reportées sur le prix de vente des produits finis. « Les effets de cette dépréciation sur les ménages commencent déjà à se faire sentir avec une inflation qui touche plusieurs produits et qui risque de s'élargir à une grande partie des produits non subventionnés », s'inquiète le consultant en management, Mohamed Saïd Kahou. La loi de finances 2021 table sur un taux d'inflation de 4,5 % qui se stabiliserait à 5 % en 2022-2023.
« L'État doit mettre en place un plan pour soutenir le pouvoir d'achat en accordant des crédits étudiés sans intérêts à la consommation, réduire les impôts, réorienter les aides sociales vers les familles les plus vulnérables ou sans revenus, développer le low cost à travers des marchés de proximité, et enfin lancer un certain nombre d'actions pouvant apaiser cette baisse du pouvoir d'achat, mais qui tardent à voir le jour », propose pour sa part l'économiste Smaïn Lalmas.
La dévaluation, une nécessité
Mais d'après le think tank Care, la dévaluation du dinar est inévitable, mais « le problème, c'est d'aménager les conditions de son applicabilité effective ».
« L'entêtement à garder le dinar surévalué, maintenant un pouvoir d'achat artificiel et subventionnant de fait les importations, nous mène à une impasse et à des réajustements plus douloureux lorsque nous serons contraints de les faire », considère ce think tank, craignant le « risque d'avoir à procéder à une dévaluation brutale une fois les réserves de change épuisées. »
Une dévaluation graduelle remplacerait les politiques administratives centralisées, déjà pour « sortir de la situation intenable dans laquelle les politiques publiques adoptées jusque-là n'arrivent pas à contenir l'hémorragie des comptes extérieurs et donnent lieu à une érosion ininterrompue des réserves de change du pays », selon Care.
« Cette dérive du taux de change de la monnaie nationale se poursuit très visiblement au cours de cette année et est appelée à se poursuivre encore au cours des années qui viennent, tant que ne seront pas effectivement engagées les réformes profondes d'un ensemble de politiques publiques consacrées à la gestion des échanges extérieurs, du budget de l'État, du système des subventions, des entreprises publiques, etc. », prévient le think tank.
Finalement, le ministre des Finances, Aymen Benabderrahmane, a bien résumé la situation devant des députés mi-décembre : « On ne peut pas avoir un dinar fort sans une économie forte. »
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