« Au Maroc, une victoire diplomatique sur le Sahara au risque d’une défaite morale sur la question palestinienne »
Thierry Desrues
En liant la reconnaissance par Washington de la souveraineté du royaume sur le Sahara occidental au retour des relations avec Israël, Mohammed VI pourrait se mettre à dos une grande partie de l’opinion, estime le chercheur Thierry Desrues.Publié aujourd’hui à 19h00
Le 13 décembre 2020, des Marocains célèbrent à Rabat la reconnaissance par Washington trois jours plus tôt de la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental.
Le 13 décembre 2020, des Marocains célèbrent à Rabat la reconnaissance par Washington trois jours plus tôt de la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental. FADEL SENNA/AFP
Tribune. Le 10 décembre 2020, Donald Trump a annoncé la reconnaissance de la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental par les Etats-Unis. Cette décision est tombée après plusieurs semaines de tensions au sud du territoire en conflit et l’annonce du Front Polisario de la rupture du cessez-le-feu en vigueur depuis 1991.
Pour le Maroc, il s’agit d’une victoire importante qui consolide la marocanité de l’ancienne colonie espagnole. Dans une conjoncture sociale et économique difficile pour le royaume, des investissements et des aides financières sont attendus ainsi que l’accès à un armement qui permettra au Maroc de rivaliser avec une armée algérienne toujours perçue comme une menace. Ce faisant, Donald Trump, président hors norme sur le départ, ne fait qu’officialiser la position implicite des Etats-Unis.
Lire aussi Maroc-Israël : « Le Maghreb va au bout des alliances héritées de la guerre froide »
Toutefois, sans un accord impliquant le Front Polisario et sans l’appui des Nations unies, cette annonce s’apparente à un coup de force qui ne signifie pas pour autant un retour prochain des négociations ou une évolution du cadre posé par l’ONU. Surtout, en liant la question de la souveraineté du Sahara au rétablissement de relations diplomatiques avec Israël, le roi Mohammed VI a pris le risque de heurter une partie importante de l’opinion publique marocaine.
Malgré toutes les précautions de langage, cette victoire pourrait se transformer en défaite morale si la cause des Palestiniens ne connaissait pas d’évolution favorable dans les prochaines semaines. C’est, tout au moins, ce que ressent une partie de la société marocaine qui soutient la marocanité du Sahara occidental, tout en s’émouvant tant de la situation des droits et des libertés sur ce territoire disputé que du reniement des droits des Palestiniens.
Appel à protester
Certes, les Marocains savaient que des relations officieuses existaient entre les deux pays, mais dans leur majorité ils refusaient de croire que des relations officielles seraient rétablies avec le gouvernement israélien sans que ce dernier n’ait au préalable effectué un geste significatif favorable aux thèses palestiniennes. Malgré les rappels concernant la position inchangée du Maroc sur la solution à deux Etats, le statut de Jérusalem et le droit au retour des Palestiniens, le malaise est grand chez de nombreux Marocains. Même si les opinions divergent sur l’étendue des droits des Palestiniens, le monde associatif et politique marocain trouvait dans cette cause un vecteur de rassemblement.
Si une plateforme d’associations amazighes a salué la normalisation des relations au nom des liens avec la communauté juive israélienne d’origine marocaine – souvent imprégnée d’identité berbère –, elle a aussi tenu à rappeler la nécessité de défendre les droits des Palestiniens.
Par contre, d’autres coalitions associatives, défendant les droits humains et les libertés publiques, ainsi que des partis politiques de la gauche non gouvernementale (Fédération de la gauche démocratique, La Voie démocratique) et des organisations islamistes telles que le Mouvement de l’unicité et de la réforme (proche du Parti de la justice et du développement, PJD) ou Justice et bienfaisance (non reconnu officiellement) ont émis un refus catégorique de la reprise des relations diplomatiques entre les deux pays.
On retrouve là des organisations qui avaient formé le gros des troupes de la contestation en 2011, dans le sillage des « Printemps arabes ». Malgré la pandémie de coronavirus et l’état d’urgence, qui rendent difficile toute manifestation d’opposition dans l’espace public, elles ont lancé un appel à protester le 14 décembre contre la normalisation des relations avec Israël. Celui-ci a été empêché finalement par le déploiement d’un cordon de sécurité sans précédent dans le centre-ville de Rabat.
le MONDE
Thierry Desrues
En liant la reconnaissance par Washington de la souveraineté du royaume sur le Sahara occidental au retour des relations avec Israël, Mohammed VI pourrait se mettre à dos une grande partie de l’opinion, estime le chercheur Thierry Desrues.Publié aujourd’hui à 19h00
Le 13 décembre 2020, des Marocains célèbrent à Rabat la reconnaissance par Washington trois jours plus tôt de la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental.
Le 13 décembre 2020, des Marocains célèbrent à Rabat la reconnaissance par Washington trois jours plus tôt de la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental. FADEL SENNA/AFP
Tribune. Le 10 décembre 2020, Donald Trump a annoncé la reconnaissance de la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental par les Etats-Unis. Cette décision est tombée après plusieurs semaines de tensions au sud du territoire en conflit et l’annonce du Front Polisario de la rupture du cessez-le-feu en vigueur depuis 1991.
Pour le Maroc, il s’agit d’une victoire importante qui consolide la marocanité de l’ancienne colonie espagnole. Dans une conjoncture sociale et économique difficile pour le royaume, des investissements et des aides financières sont attendus ainsi que l’accès à un armement qui permettra au Maroc de rivaliser avec une armée algérienne toujours perçue comme une menace. Ce faisant, Donald Trump, président hors norme sur le départ, ne fait qu’officialiser la position implicite des Etats-Unis.
Lire aussi Maroc-Israël : « Le Maghreb va au bout des alliances héritées de la guerre froide »
Toutefois, sans un accord impliquant le Front Polisario et sans l’appui des Nations unies, cette annonce s’apparente à un coup de force qui ne signifie pas pour autant un retour prochain des négociations ou une évolution du cadre posé par l’ONU. Surtout, en liant la question de la souveraineté du Sahara au rétablissement de relations diplomatiques avec Israël, le roi Mohammed VI a pris le risque de heurter une partie importante de l’opinion publique marocaine.
Malgré toutes les précautions de langage, cette victoire pourrait se transformer en défaite morale si la cause des Palestiniens ne connaissait pas d’évolution favorable dans les prochaines semaines. C’est, tout au moins, ce que ressent une partie de la société marocaine qui soutient la marocanité du Sahara occidental, tout en s’émouvant tant de la situation des droits et des libertés sur ce territoire disputé que du reniement des droits des Palestiniens.
Appel à protester
Certes, les Marocains savaient que des relations officieuses existaient entre les deux pays, mais dans leur majorité ils refusaient de croire que des relations officielles seraient rétablies avec le gouvernement israélien sans que ce dernier n’ait au préalable effectué un geste significatif favorable aux thèses palestiniennes. Malgré les rappels concernant la position inchangée du Maroc sur la solution à deux Etats, le statut de Jérusalem et le droit au retour des Palestiniens, le malaise est grand chez de nombreux Marocains. Même si les opinions divergent sur l’étendue des droits des Palestiniens, le monde associatif et politique marocain trouvait dans cette cause un vecteur de rassemblement.
Si une plateforme d’associations amazighes a salué la normalisation des relations au nom des liens avec la communauté juive israélienne d’origine marocaine – souvent imprégnée d’identité berbère –, elle a aussi tenu à rappeler la nécessité de défendre les droits des Palestiniens.
Par contre, d’autres coalitions associatives, défendant les droits humains et les libertés publiques, ainsi que des partis politiques de la gauche non gouvernementale (Fédération de la gauche démocratique, La Voie démocratique) et des organisations islamistes telles que le Mouvement de l’unicité et de la réforme (proche du Parti de la justice et du développement, PJD) ou Justice et bienfaisance (non reconnu officiellement) ont émis un refus catégorique de la reprise des relations diplomatiques entre les deux pays.
On retrouve là des organisations qui avaient formé le gros des troupes de la contestation en 2011, dans le sillage des « Printemps arabes ». Malgré la pandémie de coronavirus et l’état d’urgence, qui rendent difficile toute manifestation d’opposition dans l’espace public, elles ont lancé un appel à protester le 14 décembre contre la normalisation des relations avec Israël. Celui-ci a été empêché finalement par le déploiement d’un cordon de sécurité sans précédent dans le centre-ville de Rabat.
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